Licenciement de la salariée enceinte et régime d'indemnisation

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Jérémy Duclos, avocat au barreau de Versailles[1]
Novembre 2024


Dans un arrêt rendu le 06 novembre 2024 (n° 23-14.706 [2]), publié au bulletin, la chambre sociale de la Cour de cassation a clarifié le mécanisme d’indemnisation résultant du licenciement de la salariée enceinte au cours de la période de protection contre la rupture du contrat de travail.

Une salariée a été engagée en qualité de caissière employée libre service par contrat à durée déterminée, devenu contrat à durée indéterminée.

Licenciée pour faute grave, la salariée a saisi la juridiction prud'homale de demandes relatives à l'exécution et la rupture de son contrat de travail.

L'employeur fait grief à l'arrêt de la cour d’appel de le condamner à payer à la salariée une somme au titre des salaires dus pendant la période de protection couverte par la nullité et des congés payés afférents.

Il forme un pourvoi en cassation au motif que lorsque le licenciement d'une salariée est jugé nul pour avoir été prononcé en lien avec son état de grossesse et que la salariée ne demande pas sa réintégration, elle a droit à l'attribution d'une indemnité déterminée conformément aux dispositions de l'article L. 1235-3-1 du code du travail [3], autrement dit à une indemnité équivalant à au moins six mois de salaire.

En revanche, selon lui, la salariée n’a plus droit, depuis l'entrée en vigueur de l'ordonnance n° 2017-1387 du 22 septembre 2017, au montant des salaires qu'elle aurait dû percevoir pendant la période couverte par la nullité.

La Cour de cassation devait donc déterminer si la nullité du licenciement d’une salariée en lien avec son état de grossesse, qui ne demande pas sa réintégration, peut percevoir, outre les indemnités de rupture et une indemnité au moins égale à six mois de salaire, les salaires qu'elle aurait perçus pendant la période couverte par la nullité.

Le régime juridique de la période de protection contre le licenciement est rappelé par la Cour de cassation, à travers, d’abord, l’exposé du droit issu de l’Union européenne : d’une part, l’article 10 de la directive 92/85/CEE du 19 octobre 1992 [4] concernant la mise en œuvre de mesures visant à promouvoir l'amélioration de la sécurité et de la santé des travailleuses enceintes, accouchées ou allaitantes au travail, et d’autre part l'article 18 de la directive 2006/54/CE du Parlement européen et du Conseil du 5 juillet 2006 [5] relative à la mise en œuvre du principe de l'égalité des chances et de l'égalité de traitement entre hommes et femmes en matière d'emploi et de travail.

La jurisprudence de la Cour de justice de l’Union européenne en la matière est mentionnée avec soin. En ce qui intéresse le mécanisme d’indemnisation, il convient de retenir les arrêts Marshall (1993) et Ariona Camacho (2015).

Dans l'hypothèse d'un licenciement discriminatoire, le rétablissement de la situation d'égalité ne pourrait être réalisé à défaut d'une réintégration de la personne discriminée, ou, alternativement, d'une réparation pécuniaire du préjudice subi (CJCE, arrêt du 2 août 1993, Marshall, C-271/91, point 25)[6]

Lorsque la réparation pécuniaire est la mesure retenue pour atteindre l'objectif de rétablir l'égalité des chances effective, elle doit être adéquate en ce sens qu'elle doit permettre de compenser intégralement les préjudices effectivement subis du fait du licenciement discriminatoire, selon les règles nationales applicables (CJUE, arrêt du 17 décembre 2015, Arjona Camacho, C-407/14, points 32 et 33) [7].

Ensuite, la Cour de cassation vient exposer les dispositions de droit interne en matière de protection et d’indemnisation du licenciement intervenu en cours de période de protection contre la rupture du contrat de travail.

L’article L. 1225-71 [8] du code du travail prévoit la nullité du licenciement lorsque l'employeur licencie la salariée en état de grossesse médicalement constaté, pendant l'intégralité des périodes de suspension du contrat de travail auxquelles elle a droit au titre du congé de maternité, et au titre des congés payés pris immédiatement après le congé de maternité ainsi que pendant les dix semaines suivant l'expiration de ces périodes, sauf s'il justifie d'une faute grave de l'intéressée, non liée à l'état de grossesse, ou de son impossibilité de maintenir ce contrat pour un motif étranger à la grossesse ou à l'accouchement.

L’article L. 1235-3-1 du code du travail, dans sa rédaction issue de la loi n° 2018-217 du 29 mars 2018, dispose que l'indemnité de licenciement est due sans préjudice du paiement du salaire, lorsqu'il est dû en application des dispositions de l'article L. 1225-71 et du statut protecteur dont bénéficient certains salariés en application du chapitre Ier du titre Ier du livre IV de la deuxième partie du code du travail, qui aurait été perçu pendant la période couverte par la nullité et, le cas échéant, sans préjudice de l'indemnité de licenciement légale, conventionnelle ou contractuelle.

De la combinaison de ces dispositions de droit de l’Union européenne et de droit interne, la Cour de cassation en conclut que la salariée, qui n’est pas tenue de demander sa réintégration, a droit, outre les indemnités de rupture et une indemnité au moins égale à six mois de salaire réparant intégralement le préjudice subi résultant du caractère illicite du licenciement, aux salaires qu’elle aurait perçus pendant la période couverte par la nullité.

À l’indemnisation classique du préjudice subi par la salariée lorsque la période de protection contre le licenciement n’est pas respectée par l’employeur vient s’ajouter le versement des salaires qui auraient dû être perçus au cours de la période couverte par la nullité et les congés payés afférents.