Mandat d’arrêt européen. Coopération judiciaire en Europe (fr) (eu)

Un article de la Grande Bibliothèque du Droit, le droit partagé.
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Compte-rendu de la Conférence « Campus 2013 » réalisé par la rédaction de Lexbase,

Intervenants : Philippe Gréciano, Expert de la Commission européenne, Marie Nicolas, chargée d’enseignements en droit pénal à l’Université de Paris 1 Panthéon Sorbonne, Jean-Claude Bartholin, Président de la Chambre de l’instruction de la cour d’Appel de Paris, Maître Laurence Garapin, Avocat au Barreau de Paris,
Campus 2013



I Introduction sur le cadre du débat

Le sujet est très technique, insuffisamment développé dans le monde universitaire et malheureusement absent des enseignements à l’École de formation du Barreau et dans les autres écoles d’avocats en province.

Le domaine, étant très technique, il est nécessaire de se référer à certains ouvrages pouvant servir de bases bibliographiques, car le domaine nécessite des connaissances en droit pénal, droit européen, droit comparé ainsi qu’en langues de spécialités juridiques impliquant davantage depuis 2013 la connaissance de la terminologique et de la culture juridique des pays concernés par la coopération judiciaire en Europe.

À titre indicatif, on pourra utilement consulter avec sérieux quelques ouvrages de référence :

- d’abord, les Actes d’un colloque intitulé : Le Mandat d’arrêt européen, sous la direction de Mme le Professeur Marie Elisabeth Cartier[1].

Ledit ouvrage rappelle les bases historiques, institutionnelles et formelles de la mise en place du Mandat d’arrêt européen.

- Dans la même collection, plus récent car datant de 2013, Droit pénal, langue et Union européenne sous la direction de Mme le Professeur Cristina Mauro, abordant la question du mandat d’arrêt européen dans une approche interdisciplinaire. Le mandat d’arrêt européen pose des problèmes de droit comparé pour les magistrats et avocats. L’ouvrage insiste aussi sur la question de la traduction spécialisée, sous l’angle de la coopération internationale, avec toutes les difficultés qui y sont liées. Se posent également les problèmes de qualification juridique, de proportionnalité, de quantum de peine par exemple, qui nécessitent une harmonisation des définitions, du vocabulaire et des jurisprudences en Europe et ce d’autant plus avec l’entrée en vigueur du décret du 25 octobre 2013 concernant le droit à l’interprétation et à la traduction (C. pr. pén., art. 8005).

- Deux actes de colloques internationaux, publiés à la Gazette Palais[2], organisés et dirigés par M. le Professeur Philippe Gréciano, invitant des théoriciens et des praticiens de la coopération judiciaire européenne. Le premier colloque, tenu en 2008, aborde la question du mandat européen dans une perspective comparatiste et trilatérale France, Grande-Bretagne et Allemagne. Le mandat d’arrêt européen a, en effet, impliqué des réformes législatives importantes, parfois constitutionnelles, car certains États s’opposaient souvent à la remise de leurs nationaux. Les deuxièmes actes de colloque, publiés en 2009 sous l’égide de la Commission européenne, sont préfacés par M. le Vice-Président Jacques Barrot, Commissaire européen. Le sujet est abordé dans une perspective européenne et internationale renforcées. Il était question de comparer les problématiques du mandat d’arrêt européen avec celles de l’extradition, de montrer les différences et les problèmes qui en résultent en droit national, les atouts et avantages de cette procédure d’entraide judiciaire, ainsi que les améliorations attendues. Il s’agissait aussi d’évoquer les droits de la défense, les questions d’interprétation et de traduction spécialisée, lesquels feront l’objet de réformes ultérieures en droit pénal français et européen (période 2010 à 2013).

Le mandat d’arrêt européen est l’expression de la vision européenne de lutte contre l’impunité et la coopération judiciaire renforcée. Ce mécanisme connaît beaucoup de difficultés et d’imperfections bien qu’il s’agisse d’un outil commun d’arrestation et de remise d’une personne ayant fui à l’étranger. Cette remise intervenant soit pour l’exécution de la peine prononcée à l’encontre de la personne recherchée, soit afin de la poursuivre pour qu’elle soit jugée par les juridictions de l’État compétent[3].

Le mandat d’arrêt européen a soulevé des problèmes au niveau de sa création et de l’intégration des dispositions européennes dans la loi française[4], mais aussi en Allemagne, qui, pendant longtemps, refusait de remettre ses nationaux à l’étranger. Cette procédure implique une coopération renforcée entre les États d’une part, et les autorités judiciaires d’autre part. C’est un défi pour les avocats car ils n’ont pas, en règle générale, accès aux dossiers étrangers et n’ont pas toujours le réflexe de prendre contact avec les avocats en charge de la personne recherchée dans le pays qui a émis le mandat d’arrêt européen, faute de moyens, de connaissance linguistiques ou juridiques en droit comparé ou tout simplement d’absence de culture juridique étrangère.

Aussi, l’avocat ne fait-il pas souvent appel aux magistrats de liaison, présents dans les ambassades ou aux services du procureur général ; ce qui serait, pourtant, une des premières clés utiles dans la gestion d’un dossier européen. Il est nécessaire de saisir ces personnes afin d’obtenir toute information juridique sur le droit étranger et les règles procédurales applicables. La coopération entre les États de l’Union européenne est un nouvel enjeu pour les acteurs du procès pénal. Cette entraide judiciaire est fondamentale pour l’échange des informations, avec les limites que cela implique en matière de sécurité intérieure par exemple (ex. : les données divulguées par Wikileaks).

Il existe un paradoxe dans la procédure du mandat d’arrêt européen, car même si on prétend qu’elle est effective, certains États puissants, comme l’Allemagne et la Grande-Bretagne, refusent d’extrader leurs nationaux, en menaçant de se retirer de la coopération judiciaire pourtant adoptée par les institutions européennes, la Commission européenne et le Parlement européen au premier chef.

Un autre problème résulte de la reconnaissance mutuelle, qui implique un degré de confiance très élevé. Les États, de manière contradictoire, entretiennent une confiance et en même temps une défiance réelles. Non seulement, certains États ne veulent pas coopérer mais certaines juridictions refusent de remettre les fugitifs, alors que d’autres envisagent, au contraire, d’élargir leurs pouvoirs et participent à la recherche d’une procédure de qualité, pour répondre à des questions parfois difficiles, en analysant de manière comparative les différentes traditions juridiques concernées par l’affaire qu’elles doivent traiter : les problèmes de transposition, la formation du personnel judiciaire concerné, la mise en œuvre des instruments complémentaires (décisions-cadres du Conseil), les questions de protection des droits fondamentaux et des droits de l’homme, la proportionnalité, les conflits de compétences et la reconnaissance des ordonnances de contrôle judiciaire par exemple ; ce qui fait naître une jurisprudence foisonnante en France, et à l’étranger, car chaque chambre d’instruction peut statuer souverainement sur la base des dossiers dont elle a la charge.

Deux décisions importantes et de toute actualité (2013) viennent d’être prononcées par la Cour de justice de l’Union européenne.

L’affaire «Radu» du 29 janvier 2013 (aff. C393/11) : elle rappelle malheureusement que les droits de la défense sont très limités. En l’espèce, un roumain était recherché par l’Allemagne, mais la Cour d’Appel de Roumanie a refusé sa remise car il était poursuivi pour les mêmes faits dans son pays. Le requérant, quant à lui, a invoqué la violation de ses droits fondamentaux inscrits à l’article 6 de la CESDH au motif que le mandat d’arrêt avait été émis sans qu’il n’ait été entendu par les autorités allemandes au préalable. La CJUE rappelle, cependant, qu’il ne s’agit pas d’un motif de refus et souligne, au contraire, que l’effectivité de la procédure du mandat européen découle de son effet de surprise pour la personne recherchée.

L’affaire Melloni du 26 février 2013 (CJUE, 26 février 2013, aff. C399/11 (N° Lexbase : A6105I8M), qui pose le problème de la signification d’une décision rendue en l’absence de la personne recherchée et de la possibilité pour elle d’être rejugée sur le fond de l’affaire. La France a traditionnellement connu des difficultés d’exécution avec l’Italie dans le cadre des jugements rendus par défaut. La CJUE déclare dans cette affaire qu’on ne peut pas refuser la remise au prétexte qu’il existe une disparité des droits de la défense entre les différents pays, ni subordonner la remise à la condition que la personne soit rejugée en fait et en droit par les juridictions de l’État émetteur.

Au regard de cette jurisprudence, la question est de savoir quelle est la position de la justice française par rapport à ces récentes décisions européennes et celles qui pourraient être rendues à l’étranger dans des cas similaires.

II Aspects théoriques du mandat d’arrêt européen

A Présentation historique du mandat d’arrêt européen

Il convient de retenir trois temps forts dans l’adoption de la procédure du mandat d’arrêt européen. - les insuffisances dans l’ancienne procédure d’extradition qui liait les membres de l’Union européenne ; - la construction laborieuse qui va conduire à la création du mandat d’arrêt européen ; - l’adoption de cette nouvelle procédure et ses conséquences sur la coopération judiciaire en Europe.

1 Sur les insuffisances du système prévu par l’extradition

La procédure d’extradition initiale présentait plusieurs défauts. Entre les États, elle était, selon la formule de M. le Professeur Pradel : «aléatoire et lourde». Aléatoire, car n’interviennent pas uniquement les membres du pouvoir judiciaire, mais également de l’exécutif par le biais du Ministère des affaires étrangères. La requête n’est déposée que par voie diplomatique. La décision finale peut, dans ce cas, être purement politique. Lourde, car elle est encadrée par plusieurs conditions strictes à vérifier (principe de la double incrimination, qui impose que l’infraction existe dans les deux pays ; interdiction d’extrader ses nationaux ; principe de spécialité, ce qui signifie que l’extradition n’est admise uniquement pour les faits visés par la demande d’extradition). Or, la question des infractions transnationales pose un véritable problème pour les praticiens du droit.

Dans ce contexte, l’extradition n’était donc pas une procédure suffisamment effective dans un monde où la criminalité transnationale se développe et où les États recherchent davantage de confiance et d’entraide.

2 Construction progressive de la procédure du mandat d’arrêt européen

La construction a été laborieuse car plusieurs conventions se sont succédées. La première étape, sous l’égide du Conseil de l’Europe, a été la signature de la Convention européenne d’extradition du 13 décembre 1957, qui a entraîné la suppression de toutes les conventions bilatérales entre les États et l’instauration d’une convention unique. Toutefois, perduraient encore les difficultés de la procédure d’extradition et notamment le passage par voie diplomatique.

La deuxième étape, au sein de l’Union Européenne, a été l’adoption de trois autres conventions : - Convention d’application de l’Accord de Schengen du 14 juin 1985, qui a permis une procédure simplifiée d’extradition, mais non formelle, avec des risques pour les droits fondamentaux. - Convention du 10 mars 1995, adoptée dans le cadre du conseil des ministres de la justice et des affaires intérieures, établissant la Convention relative à la procédure simplifiée d’extradition entre les États membres de l’Union européenne dès lors que l’État requis et la personne consentent à l’extradition. - Convention du 27 septembre 1996, relative à l’extradition entre les États membres de l’Union européenne. Elle est audacieuse car elle supprime la voie diplomatique, assouplit les règles de spécialité et de double incrimination, rend possible l’extradition des nationaux et des auteurs d’infractions politiques. Cependant, beaucoup d’États ne l’ont pas ratifié, dont la France ; ce qui a conduit d’autres États (Espagne et Italie), qui avaient besoin d’accords allégés, à conclure de nouvelles conventions bilatérales.

Face à ces échecs, l’idée du mandat d’arrêt européen a pu germer dans une troisième étape. Toutefois, un cadre juridique solide devait être établi à travers deux nouveaux concepts juridiques : l’espace judiciaire pénal européen (création fictive d’un espace commun avec effets juridiques) et la reconnaissance mutuelle des décisions judiciaires (la décision prise par une autorité judiciaire d’un État membre aura plein effet sur le territoire des États membres). Ces concepts continuent d’exister aujourd’hui et irriguent le droit du mandat d’arrêt européen.

C’est une avancée notable, soulignée par le sommet européen de Tampere et qui est une pierre angulaire de la coopération judiciaire. Les États ont, à ce titre, donné mandat au Conseil de l’Union européenne et à la Commission européenne afin de mettre en oeuvre cette reconnaissance mutuelle avant l’année 2000.

3 La naissance du mandat d’arrêt européen

En juillet 2000, la Commission européenne dépose un rapport au Conseil des ministres et au Parlement européen visant à consacrer cette reconnaissance. Malheureusement, ce projet initial sera abandonné. Il faudra attendre les attentats du 11 septembre 2001 pour relancer la procédure, et un autre projet, rédigé le 19 septembre 2001, aboutissant à la décision-cadre du 13 juin 2002 qui fonde le mandat d’arrêt européen. C’est la première fois, dans cette décision-cadre, qu’on emploiera la notion de mandat d’arrêt européen (article 1er, 1 pour la définition du mandat d’arrêt européen ; on ne parle plus d’extradition, ni d’État requérant ou requis, mais d’État d’émission et d’exécution. Le mandat d’arrêt européen s’applique toujours à des personnes poursuivies ou condamnées).

Quant à la transposition en droit interne, qui est nécessaire dans le cadre d’une décision-cadre— celle-ci ne s’appliquant pas directement-il faudra modifier la Constitution pour autoriser la remise des nationaux et la remise dans le cadre d’infractions politiques par la loi constitutionnelle du 25 mars 2003, introduisant un article 88§2 dans la Constitution française.

Un vecteur législatif a été trouvé pour transposer ensuite la décision-cadre, par amendement sénatorial au projet de loi du 9 mars 2004 (loi «Perben 2»). Toutes les dispositions relatives au mandat d’arrêt européen se retrouvent désormais aux articles 69511 à 69546 du Code de procédure pénale.

Enfin, une nouvelle décision-cadre du 26 février 2009 apportera les harmonisations attendues pour les décisions rendues en l’absence du prévenu.

B Domaine d’application de ce nouveau mécanisme procédural

A titre liminaire il importe de préciser le domaine spatiotemporel du mandat d’arrêt européen. Tous les États membres de l’Union Européenne sont concernés et l’article 32 de la décision-cadre leur permet de fixer une date à compter de laquelle les infractions objet d’un titre exécutoire pourront faire l’objet d’un mandat d’arrêt européen effectif (1er novembre 1993 pour la France). Pour les faits commis avant cette date, la procédure d’extradition continue à s’appliquer.

Il convient d’aborder ensuite les conditions à vérifier.


1 Conditions tenant à la personne

Il est désormais possible d’obtenir la remise de nationaux dans la procédure de mandat d’arrêt européen, la condition de nationalité devient alors indifférente.

D’autres conditions sont plus intéressantes :

- L’exclusion des mineurs (pour la France, on ne peut pas remettre des mineurs de moins de 13 ans, âge de la majorité pénale, car à partir de ce seuil, des sanctions éducatives peuvent être prononcées). Les États étrangers seront donc soumis à ce seuil dans leur demande de remise pour un mineur se trouvant sur le sol français. Malheureusement aucune harmonisation n’a encore eu lieu pour fixer une majorité pénale au niveau européen.

- L’exclusion des personnes qui risqueraient leur vie ou leur santé. Au moment où le mandat d’arrêt européen a été élaboré, on pensait à la peine de mort et à la torture. Ainsi, la remise doit être refusée si la personne recherchée encourt la peine de mort ou la torture. De nos jours, les protocoles 6 et 13 de la CEDSH ainsi que l’article 3 du même texte interdisent le recours à ces châtiments inhumains. L’article 69538 du Code de procédure pénale permet, toutefois, de surseoir temporairement à la remise de personnes âgées ou ayant des problèmes de santé, dès lors qu’il s’agit de raisons humanitaires sérieuses. A ce sujet, il faut souligner que certaines de nos prisons ne présentent toujours pas les garanties suffisantes au respect de la dignité des détenus[5].

- Clause de non-discrimination qui protège des éventuelles fraudes et détournement de procédure. En effet, l’État d’exécution ne peut remettre une personne demandée pour des raisons de race ou de religion, voire d’opinions politiques[6].

2 Conditions tenant à l’infraction

Il faut distinguer les infractions «les plus graves», des infractions «assez graves». La première catégorie est visée à l’article 69523, 1 et 2, du Code de procédure pénale. La remise est prononcée, si la peine encourue est d’au moins 3 ans, selon la législation de l’État membre d’émission et si l’infraction retenue dans le mandat d’arrêt fait partie de la liste des 32 infractions. Ici, la condition de la double incrimination disparaît. Il est possible de délivrer un mandat d’arrêt européen, pour les infractions «assez graves», prévues à l’article 69512 du Code de procédure pénale, si elles sont punies par l’État d’émission d’une peine ou mesure de sûreté privative de liberté d’au moins 12 mois au maximum, en cas d’une peine ou mesure de sûreté, la durée est au moins égale à 4 mois et si la condition de double incrimination est respectée. Ensuite, il y a des règles communes à ces deux catégories d’infraction qui impliquent, l’interdiction de la remise, d’une part, une faculté dans la décision, d’autre part. La remise en donc interdite en cas d’amnistie dans l’État d’exécution, de prescription de l’action publique ou de la peine, ou de condamnation définitive pour des faits identiques dès lors que la peine a été exécutée ou est en cours d’exécution (principe ne bis in idem). La remise est facultative, dans les hypothèses prévues à l’article 69524 du Code de procédure pénale, notamment, lorsque les personnes recherchées font l’objet de double poursuite ou lorsque l’État d’exécution est également compétent pour juger l’infraction, au titre de la compétence territoriale ou personnelle active, selon l’adage aut tradere, aut judiciare.

En conclusion, le mandat d’arrêt européen est non seulement une avancée considérable en matière de coopération judiciaire, mais également un mécanisme procédural fondamental pour permettre aux États d’apporter une réponse pénale dès lors que leur ordre public a été atteint. Toutefois, les garanties sont parfois insuffisantes et les difficultés pratiques impliquent encore de nouveaux défis à relever pour rendre cette procédure effective et plus protectrice des droits fondamentaux.

III Les aspects pratiques du point de vue du magistrat

Au cours de l’année 2012, en comparaison avec l’extradition, dans le ressort de la cour d’appel de Paris, souligne-t-il, on compte 50 demandes d’extradition et 227 mandats européens à exécuter. Au cours de cette même année, 181 personnes ont été interpellées en exécution d’un mandat d’arrêt européen.

On peut s’interroger sur la méthode d’examen d’une procédure de mandat d’arrêt européen, dès lors que la France est l’État d’exécution de la demande. La procédure débute par une information enregistrée sur un ordinateur (communément appelée diffusion Schengen). En pratique, à l’occasion d’un contrôle à l’aéroport, ou d’un contrôle de police, une personne peut apparaître sur les logiciels comme étant recherchée. Elle sera donc interpellée à la suite de cette diffusion Schengen. Le service enquêteur s’adressera ensuite à un service spécialisé qui lui enverra un imprimé comprenant deux feuillets, par ailleurs très incomplets, portant diverses indications: renseignements d’état civil, résumé succinct des faits, date du mandat d’arrêt et identité de l’émetteur.

Cette diffusion est le seul acte qui sera notifié à la personne interpellée. La jurisprudence a souligné, sur ce point, que ce document vaut mandat d’arrêt. A Paris, il est demandé, avant toute procédure d’examen sur le fond devant la cour d’appel, le document original ; ce qui n’est pas le cas dans certaines juridictions en dehors de l’Ile-de-France, à l’instar de la Bretagne où l’original n’est pas toujours requis pour statuer.

La fiche Schengen entraîne une arrestation et la personne sera retenue pour une durée maximale de 48 heures avant d’être présentée au Procureur Général qui lui notifiera ses droits dans la procédure de remise et lui demandera si elle consent ou non à cette remise. La Cour de cassation a déjà précisé que ce délai de présentation ne saurait être dépassé et la présence d’un avocat est obligatoire tout au long de cette période.

Si le magistrat du Parquet général estime qu’aucune mesure de garantie particulière ne doit être prise, car l’individu présente les garanties de représentation suffisantes, il lui donne convocation pour être entendu par la Chambre de l’instruction à bref délai. Sur la procédure d’examen au fond devant la Cour, s’il considère que des mesures spécifiques doivent être adoptées pour garantir le maintien à disposition de la justice de l’individu, le Procureur Général requiert auprès de la chambre de l’instruction, compétente à cet égard depuis une réforme de 2011, le placement en détention provisoire de l’individu, ou la délivrance d’une assignation à résidence à son encontre, ou encore son placement sous contrôle judiciaire. Le Parquet n’est plus compétent pour décider de ces mesures depuis 2011, car conformément aux standards européens, ces décisions appartiennent aux détenteurs de l’autorité judiciaire, c’est-à-dire au Premier Président de la Chambre de l’instruction ou à son délégué. Ceci pose le problème du cumul de fonction de juge du fond et de juge de la détention, mais il n’existe aucune interdiction dans les textes pour exercer ces deux fonctions. D’ailleurs, la Chambre criminelle de la Cour de cassation a déjà eu l’occasion de confirmer cette double compétence, car le magistrat qui se prononce sur la détention ne se prononce pas encore sur le fond du dossier.

Dans la pratique de la Chambre de l’instruction de Paris, la personne qui fait l’objet du mandat d’arrêt européen est, de façon constante, présentée au magistrat délégué, en fin de matinée (entre 11h30 et 12h30).

L’expérience des avocats met en évidence les conditions difficiles pour l’exercice des droits de la défense. L’avocat doit prendre le temps de s’entretenir avec son client et avec l’interprète, mais en règle générale, l’avocat rencontre pour la première fois son client trop tard, c’est-à-dire dans la salle d’audience. Selon les textes, cet entretien est à la fois un droit mais surtout un devoir, la Cour de cassation ayant censuré un arrêt de la Chambre de l’instruction de Paris qui avait refusé de désigner un interprète pour accompagner l’avocat lors de l’entretien avec son client.

Après cette première phase, une audience se tient devant le magistrat délégué. Un dialogue s’instaure alors sur les garanties représentation. A ce sujet, une jurisprudence très restrictive impose que la personne recherchée présente des garanties de représentations dans l’État d’exécution mais également dans l’État d’émission, ce qui semble presque impossible à prouver. Au-delà de ce débat, le magistrat s’intéresse à la situation de la personne, à savoir si elle domiciliée en France ou si elle y a des attaches familiales. D’autres motifs contribuent à l’analyse du mandat, comme l’infraction pour laquelle la personne est recherchée, si le mandat d’arrêt européen concerne une demande pour l’exécution d’une peine. Le magistrat examine aussi le quantum de cette peine puisque si l’individu n’est pas remis en liberté, il sera arrêté et incarcéré pendant au moins 10 jours avant d’être remise sous main de justice à son pays d’origine.

Le débat contradictoire est à ce stade extrêmement important, car c’est le seul moment où l’individu aura un contact avec sa famille (il est exceptionnellement autorisé à téléphoner). Le Président de la chambre d’instruction a d’ailleurs instauré une pratique qui consiste à demander à la maison d’arrêt de permettre à la personne de disposer de son répertoire téléphonique à la fouille afin que la personne puisse contacter sa famille rapidement. Les avocats présents lors de ce séminaire ont demandé au président s’ils devaient à chaque fois demander l’autorisation afin que la personne puisse bénéficier de son répertoire et d’un contact avec l’extérieur. La question est importante et mérite d’être évoquée pour faciliter la coopération judiciaire et permettre à chaque individu à se préparer à un transfert ou une remise en liberté dans de meilleures conditions.

En tout état de cause, lorsqu’une personne est arrêtée en vertu d’un mandat d’arrêt européen, elle être présentée dans les cinq jours ouvrables à la Chambre de l’instruction, mais le non respect de ce délai n’est pas une cause de nullité. La pratique judiciaire parisienne s’organise autour d’un strict respect de la règle en organisant des audiences toutes les semaines, habituellement le mercredi après-midi. Le Parquet Général, de son côté, envoie une demande de communication aux magistrats du parquet à l’étranger. Les délais de réponse sont variables selon les destinations : trois jours pour l’Allemagne, une semaine environ pour l’Espagne, par exemple. A nouveau, la question du consentement est posée au prévenu en présence de son avocat. A ce stade, la voie choisie par le client devient essentielle : va-t-il consentir ou pas à son transfert dans le pays qui le demande ?

Si la personne donne son consentement, la procédure de remise est largement simplifiée, l’Avocat Général ne prend pas de réquisitions, l’avocat ne plaide pas. Le consentement est irrévocable. La Chambre de l’instruction dispose d’une semaine pour rendre sa décision, cette semaine offre un délai essentiel aux services d’exécution, manifestement dépassé par l’engorgement des demandes.

Si la personne recherche refuse de consentir à sa remise, un contrôle et des vérifications pourront être effectuées. Si le dossier est incomplet, des complètements d’information devront être demandés par les avocats et la juridiction d’exécution. La Chambre de l’instruction ne statue pas à ce stade sur le fond, les avocats n’ont pas à prendre de conclusions, et le Procureur Général n’a pas à prendre ses réquisitions. La Chambre de l’instruction aura un délai de vingt jours pour rendre sa décision.

Certains États délivrent de très nombreuses demandes de mandat d’arrêt européen : ainsi, pour les personnes arrêtées on compte pour 2013 : 47 remises pour l’Espagne, 41 pour la Roumanie, 35 pour la Belgique, 30 pour la Pologne, 27 pour l’Allemagne, 8 pour l’Italie, 6 pour les Pays-Bas, et 5 pour le Portugal, montrant le succès de ce nouveau mécanisme, mais évoquant aussi de nouveaux défis à relever pour renforcer son effectivité.

IV Aspects pratiques du point de vue de l’avocat

Le droit du mandat européen est souvent austère pour l’avocat et ingrat car son pouvoir d’intervention est limité. La satisfaction d’obtenir une chance la libération du prévenu est, bien trop souvent, réduite.

L’avocat a, dans cette matière, un rôle restreint, même si ses possibilités d’intervention ne sont pas négligeables. A ce titre, l’avocat doit être extrêmement scrupuleux et intervenir très rapidement, en amont de la procédure.

En pratique, hormis les cas d’arrestation lors d’un contrôle ou à l’aéroport, l’interpellation peut aussi émaner d’une arrestation à domicile. Le magistrat détient non seulement un pouvoir d’arrestation (sauf entre 6h et 21h, selon le droit des perquisitions, cf. Article 74 du Code de procédure pénale), mais dispose également d’autres moyens de coercition, d’écoute et d’investigations.

La recherche d’une entraide judiciaire et d’une coopération judiciaire effective sacrifie, malheureusement, certaines libertés individuelles. On se trouve en présence d’un véritable paradoxe, car les personnes qui font l’objet d’une demande d’extradition sont souvent plus protégées que celles recherchées sur le fondement d’un mandat d’arrêt européen.

La procédure est encadrée dans des délais stricts, car la personne interpellée est placée en rétention pendant 24 heures et le délai de présentation ne peut pas excéder 48 heures. Ainsi, même si les conditions d’interpellation doivent être vérifiées par l’avocat, une nullité d’interpellation n’aura pas l’effet d’annuler la procédure de mandat d’arrêt européen.

En revanche, l’avocat peut invoquer le non respect des droits du prévenu pendant la rétention. En effet, la notification des droits dans un délai rapide est obligatoire si bien que la violation de ce droit d’être informé dans un délai raisonnable reste une cause de nullité de la procédure. La personne recherchée sera donc remise en liberté, mais, là encore, le mandat ne sera pas annulé.

Lorsque l’avocat intervient dès le placement en garde à vue, il peut essayer d’anticiper la situation et informer son client des motifs de sa mise en rétention, des éventuelles erreurs ou lacunes de la procédure. Le mandat d’arrêt européen original n’étant pas encore transmis à ce stade de la procédure, la fiche de renseignement peut contenir des erreurs et notamment des imprécisions sur les circonstances de fait. Ces informations sont primordiales pour l’avocat qui pourra soulever les incohérences devant la Chambre d’instruction et, plus haut encore, devant le magistrat délégué, afin d’obtenir le refus de la remise.

L’avocat doit également réunir très rapidement toutes les pièces utiles pour faire valoir les garanties de représentation et obtenir la remise en liberté de la personne recherchée. Même si les magistrats sont respectueux des droits de l’Homme, certains juges exigent de nombreuses garanties, comme un domicile personnel, un travail, et curieusement aussi des garanties dans l’État d’émission, ce qui semble vouloir forcer l’interprétation de l’esprit du texte communautaire écrit sur la confiance mutuelle. Les chances d’obtenir la demande de mise en liberté deviennent alors très difficiles dans ces conditions.

Pour la compréhension terminologique et traductologique, l’avocat doit également faire les démarches supplémentaires pour obtenir un interprète dans les cinq jours, contacter certaines personnes de la famille, demander le permis de communiquer au Parquet Général pour l’avocat et l’interprète.

Il est important d’évoquer l’hypothèse où la personne recherchée n’a pas demandé d’avocat et se trouve seule devant l’Avocat Général ou seule à l’audience devant la Chambre de l’Instruction. Si l’avocat est désigné d’office, son intervention sera limitée, car il ne connaît pas le dossier et ne peut réellement conseiller son client en connaissance de cause. La seule garantie pour l’individu, est l’obligation, en vertu de l’article 69527 du Code de procédure pénale, du Procureur Général de l’informer de son droit d’être assistée par un avocat. En cas de violation des droits de la défense, comme le droit pour l’avocat de disposer du temps nécessaire pour préparer la défense, une nullité d’ordre public peut être soulevée pour tenter de faire annuler la procédure et obtenir la remise en liberté de l’individu.

La nullité doit être sollicitée dans un mémoire déposé dans les 24 heures avant la première audience et soulevée in limine litis. L’avocat plaide alors la mise en liberté sur le fondement de la nullité mais en pratique, pour que la remise en liberté puisse entraîner le refus de la remise à l’État d’émission, il faut un élément nouveau dans l’examen au fond du dossier complet.

Pour conclure, il faut rappeler la décision cadre du 26 février 2009, transposée dans une loi du 5 août 2013, qui apporte des modifications fondamentales pour l’exécution des mandats d’arrêt européen délivrés en vertu d’un jugement rendu par défaut. Cette loi renforce les garanties procédurales et améliore la reconnaissance mutuelle des décisions de justice en Europe. De nombreuses réformes permettent désormais de renforcer la coopération judiciaire en Europe et de garantir une sécurité intérieure sur le continent grâce au travail complémentaire des juristes européens, spécialisés en droit comparé, mais surtout des terminologues, des interprètes et des traducteurs spécialisés, dont la formation et l’intervention sont clairement rappelées par le législateur français.


Notes et références

  1. L’ouvrage réunit les contributions présentées le 17 mars 2004, lors d’un colloque organisé par l’Université Panthéon Assas (Paris II), avec le concours du Centre de droit européen, de l’Ecole doctorale de droit international, droit européen, relations internationales et droit comparé et de l’Institut de droit comparé. L’ouvrage est paru dans la collection de l’Union européenne des éditions Bruylant, dirigée par M. le Professeur Fabrice Picod, en 2005
  2. Actes des colloques sur la Coopération judiciaire internationale et européenne organisés et dirigés par le professeur Philippe Gréciano au Palais de Justice de Paris, sous l’égide de l’EFB puis de la Commission européenne, Gazette du Palais, Paris, numéro 251 en 2008 et numéro 357 en 2009
  3. Affaire «Cesare Batisti» (Cass. crim., 13 octobre 2004, n° 0484.470, FP+F (N° Lexbase : A6208DDB), Affaire d’un célèbre ressortissant italien dont la remise a été ordonnée par la cour d’appel de Bordeaux, Affaires terroristes basques et des groupes terroristes allemands dans les pays 7080 en France et dont la remise a été demandée par les autorités allemandes
  4. V. Loi n° 2004204 du 9 mars 2004, portant adaptation de la justice aux évolutions de la criminalité (N° Lexbase : L1768DP8)
  5. L’avocat peut faire appel aux différents observatoires internationaux, aux ONG, rapports du Conseil de l’Europe qui publient souvent, mais de façon très irrégulière
  6. Il faut souvent faire référence d’Interpol ou Europol pour des mandats rendus par un pays de l’Europe et lorsque le condamné est arrêté dans un autre pays)


Voir aussi

« Erreur d’expression : opérateur / inattendu. » n’est pas un nombre.