Commentaire d'arrêt - Prescription de l’action en garantie des vices cachés : ite, missa est !

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Par Louis Thibierge
Agrégé des Facultés de Droit
Professeur à l’Université d’Aix-Marseille
Membre du Centre de Droit Économique
Directeur du Master 2 Recherche Droit Économique
Directeur du DESU Economic Law
Avocat au Barreau de Paris


Lire la décision : 21 juillet 2023 Cour de cassation Pourvoi n° 21-15.809 Chambre mixte PUBLIÉ AU BULLETIN - PUBLIÉ AU RAPPORT

Il y a un an, nous posions dans les colonnes de la Revue des contrats deux questions (L. Thibierge, "Prescription de l'action en garantie des vices cachés : un peu de cohérence !", RDC 2022/2, p. 55) :

- le délai de deux ans édicté par l’article 1648 C. Civ. est-il un délai de prescription ou de forclusion ?

- le délai de deux ans de l’article 1648 C. Civ. est-il enfermé dans un autre délai, plus long, que l’on pourrait qualifier de délai de délai butoir ?

Aujourd’hui, 21 juillet 2023, la Cour de cassation réunie en chambre mixte rend sa copie. Après une audience solennelle tenue le 16 juin, diffusée sur le site de la Cour de cassation, voyant se succéder les brillantes interventions de Madeleine Munier Apaire Martin Le Guerer, Thomas Lyon-Caen, Claire Le Bret Desaché, Stéphane-Laurent Texier, François Pinet, Bertrand Périer, Guillaume Lécuyer, Vincent Rebeyrol, les réponses tant attendues nous sont données, par quatre arrêts distincts. Ces réponses intéresseront tant l’Ecole que le Palais, sans parler des opérateurs économiques, concernés au premier chef par cette épineuse question de la durée de la garantie des vices cachés.

A la première question, la Cour de cassation répond (pourvoi n° 21-15809) qu’il s’agit d’un délai de prescription, et non de forclusion. La solution s’explique (à défaut de se justifier) par l’ « objectif poursuivi par le législateur », à savoir « de permettre à tout acheteur, consommateur ou non, de bénéficier d'une réparation en nature, d'une diminution du prix ou de sa restitution lorsque la chose est affectée d'un vice caché », ce dont la Cour déduit que « l'acheteur doit être en mesure d'agir contre le vendeur dans un délai susceptible d'interruption et de suspension ».

Dit autrement, puisque le but est de permettre l’exercice effectif par l’acquéreur des actions rédhibitoire et estimatoire, il faut que le délai soit susceptible non seulement d’interruption mais aussi de suspension (notamment quant à des mesures d’expertise). Cette vision utilitariste justifie, pour la Haute juridiction, que le délai soit de prescription et non de forclusion.

Si l’on ne contestera pas ce choix, l’on regrettera, une fois de plus, l’absence de tout critère opératoire de distinction entre forclusion et prescription. Au vu des enjeux, cela paraît regrettable.

21 juillet 2023 Cour de cassation Pourvoi n° 20-10.763 Chambre mixte PUBLIÉ AU BULLETIN - PUBLIÉ AU RAPPORT

A la seconde question, la Cour de cassation répond par trois arrêts (pourvois n° 21-17789 ; 21-19936 et 20-10763).

Les enseignements de ces trois arrêts sont denses, et l'on se contentera à ce stade de les effleurer, des développements plus substantiels étant réservés à la Revue des contrats 2023/4, à paraître le 1er décembre 2023.

Premier enseignement : à rebours de ce que professait contre l'évidence la 3e chambre civile (Civ. 3, 1er mars 2023, n° 21-25612), la chambre mixte admet que la loi du 17 juin 2008 "a réduit à cinq ans le délai de prescription de l'article L. 110-4, I, du code de commerce afin de l'harmoniser avec celui de l'article 2224 du code civil, mais sans en préciser le point de départ". Comme nous l'écrivions récemment (L. Thibierge, "Prescription, le silence est d'or, ou ce que ne dit pas la loi du 17 juin 2008", RDC 2023/2, p. 47), la loi de 2008 ne modifie en rien, n'en déplaise à la 3e chambre civile, le point de départ de la prescription en matière commerciale.

Deuxième enseignement : "le point de départ glissant de la prescription extinctive des articles 2224 du code civil et L. 110-4, I, du code de commerce se confond désormais avec le point de départ du délai pour agir prévu à l'article 1648, alinéa 1er, du code civil, à savoir la découverte du vice". Il s'agit là d'une position prétorienne, et non de la loi. La Cour de cassation juge ici que le point de départ de l'article L. 110-4 est, non pas la conclusion du contrat, mais la date de découverte du vice. Nous ne partageons pas cette position, pour les raisons évoquées dans les colonnes de la Revue de contrats. Il nous semble que ce point de départ glissant accroît de manière déraisonnable la période de garantie à laquelle est tenu le vendeur.

Troisième enseignement : le point de départ étant glissant, il faut encadrer dans le temps l'action en garantie, afin de ne pas tenir ad vitam aeternam le vendeur.

La Cour affirme que, depuis la loi du 17 juin 2008, "les délais de prescription extinctive des articles 2224 du code civil et L. 110-4, I, du code de commerce ne peuvent plus être analysés en des délais-butoirs spéciaux de nature à encadrer l'action en garantie des vices cachés".

L'assertion n'emporte pas nécessairement la conviction. Le "ne plus" signifie que l'analyse de l'article L. 110-4 en délai butoir, que nous soutenions, était valable mais ne le serait plus...depuis une loi du 17 juin 2008 qui n'en a pas modifié le point de départ. C'est la jurisprudence qui, dans cet arrêt, assigne à l'article L. 110-4 un point de départ glissant, ce qui l'empêche par construction de jouer le rôle d'un délai butoir.

La Cour poursuit : puisque l'article L. 110-4 ne peut "plus" être utilisé en tant que délai butoir, où peut-on en trouver un, de façon à ne pas permettre de poursuivre un vendeur 30 ans après la vente, au motif qu'on n'aurait découvert le vice qu'à ce moment ?

A cette question, la Cour répond en deux temps, en distinguant les ventes.

Concernant les ventes impliquant un commerçant (qu'il s'agisse de ventes entre commerçants ou entre un commerçant et un non commerçant), celles de l'article L. 110-4, le délai butoir est celui de l'article 2232 C. civ. (20 ans). Originalité, le texte serait applicable, sinon rétroactivement, du moins de manière immédiate, y compris aux ventes conclues antérieurement.

Pour justifier cette singulière position, la Cour retient que l'article 2232 allongeant de 10 à 20 ans le délai pour agir en garantie des vices cachés (ce qui confirme notre lecture du droit antérieur à la réforme, faisant de l'article L. 110-4 un délai butoir à compter de la vente), il relève des dispositions transitoires de la loi de 2008, ce qui emporte qu'il s'applique aux prescriptions en cours, pour peu qu'elles ne soient pas écoulées.

Ainsi, tentant de ménager les intérêts des acquéreurs comme ceux des vendeurs, la Cour en arrive à appliquer un délai butoir instauré par la loi de 2008 à des situations déjà constituées avant la réforme (ce qui contredit de plein fouet une position antérieure : Cass. 3e civ., 1er oct. 2020, n° 19-16986) : "ce délai-butoir est applicable aux ventes conclues avant l'entrée en vigueur de cette loi, si le délai de prescription décennal antérieur n'était pas expiré à cette date, compte étant alors tenu du délai déjà écoulé depuis celle du contrat conclu par la partie recherchée en garantie".

Quatrième enseignement : concernant les ventes civiles, c'est-à-dire celles n'impliquant pas de commerçant, la règle diffère !

Pour la Cour, "en ce qui concerne les ventes civiles, le même dispositif ayant pour effet de réduire de trente à vingt ans le délai de mise en œuvre de l'action en garantie des vices cachés, le délai-butoir de l'article 2232 du code civil, relève, pour son application dans le temps, des dispositions de l'article 26, II, de la loi du 17 juin 2008, et est dès lors applicable à compter du jour de l'entrée en vigueur de cette loi, sans que la durée totale puisse excéder la durée prévue par la loi antérieure".

Là aussi, on note une lecture très singulière des dispositions transitoires de la loi de 2008. Rappelons que ces dispositions transitoires distinguent deux situations : celle dans laquelle la loi nouvelle allonge la prescription et celle dans laquelle la loi nouvelle écourte la prescription. Dans le premier cas, la loi nouvelle s'applique immédiatement ; dans le second, la nouvelle prescription s'applique à compter de l'entrée en vigueur de la réforme.

C'est ce qui permet à la Cour de juger ici que, concernant les ventes commerciales, le délai étant allongé de 10 à 20 ans, la loi nouvelle est d'application immédiate aux situations en cours, tandis que, concernant les ventes civiles, la loi nouvelle écourte la prescription de 30 à 20 ans, ce qui justifie qu'elle ne s'applique qu'à compter du 19 juin 2008.

Ne faut-il pas ici voir un artifice, sinon une faute de raisonnement, consistant à assimiler le délai butoir à un délai de prescription, ce qu'il n'est pas ? Le délai butoir est antinomique de la prescription. Il vise justement à neutraliser tous les effets néfastes de la prescription (report du point de départ, suspension, interruption), pour conforter une situation juridique au bout de 30 ans.

Faire ainsi du délai butoir un délai de prescription pour justifier de l'appliquer aux prescriptions en cours en matière commerciale mais pas en matière civile peu sembler fort cavalier.

Dernier enseignement : le point de départ du délai butoir.

L'article 2232 du Code civil fixe comme point de départ du délai butoir "le jour de la naissance du droit". Enigmatique, la notion laisse libre cours à la réflexion doctrinale.

Au cas d'espèce, faut-il considérer que le droit de l'acquéreur de faire sanctionner le vice caché est né le jour où il a découvert le vice, ou le jour de la vente ?

En faveur de la première branche de l'alternative, l'on convoquerait volontiers l'adage contra non valentem. Tant que l'on n'a pas connaissance des faits permettant d'agir, la prescription ne court pas. Certes, mais le délai butoir, comme nous l'expliquions, n'est pas un délai de prescription. L'adage contra non valantem ne devrait donc pas trouver à s'appliquer.

En faveur de la seconde branche de l'alternative, l'on pourrait faire valoir que c'est au jour de la vente que la garantie des vices cachés est née. L'on ajouterait qu'un délai butoir au point de départ glissant ne servirait à rien.

C'est en ce sens que tranche la Cour de cassation : "l'action en garantie des vices cachés est encadrée par le délai-butoir de vingt ans de l'article 2232 du code civil courant à compter de la vente conclue par la partie recherchée en garantie".

La solution, qui s'inscrit dans le prolongement de l'avant-projet porté par Philippe STOFFEL-MUNCK, consiste donc à enserrer l'action en garantie des vices cachés dans un double délai : 2 ans de la découverte du vice et 20 ans de la vente.

A notre sens, ce délai de 20 ans est trop long. La Cour a fait son choix.

L'essentiel demeure qu'elle a, au prix de quelques acrobaties juridiques, permis un encadrement dans le temps de l'action en garantie des vices cachés.