Renforcement de la protection des propriétaires contre l’occupation illicite de leurs logements

Un article de la Grande Bibliothèque du Droit, le droit partagé.
France > Droit privé >  Droit civil

Par Nicolas Damas
Professeur à l'Université de Lorraine[1]

Le 10 janvier 2023



La proposition de loi visant à protéger les logements contre l’occupation illicite a été adoptée le 2 décembre 2022 par l’Assemblée nationale, et sera discutée en séance publique par le Sénat à partir du 31 janvier 2023. Elle contient de nombreuses dispositions visant à renforcer la lutte contre les « squatteurs » et autres occupants sans droit ni titre.

Dans quel contexte cette proposition de loi s’inscrit-elle ?

La question de l’occupation sans droit ni titre de logements a été placée médiatiquement sur le devant de la scène depuis 2020, à la suite de plusieurs faits divers (notamment l’occupation de la résidence de retraités à Théoule-sur-Mer et à Toulouse). Le Parlement a tout d’abord adopté la loi n°2020-1525 du 7 décembre 2020 qui a ainsi renforcé les droits des propriétaires face aux « squatteurs », dans le cadre de la procédure administrative instituée par l’article 38 de la loi dite DALO du 5 mars 2007 : l’expulsion est ainsi très rapidement décidée par le Préfet, si les conditions prévues par le texte sont réunies. Cette réforme présentait toutefois un champ relativement limité et certains groupes politiques ont estimé qu’il fallait renforcer les droits des propriétaires, non seulement face aux « squatteurs » mais également face aux ex-locataires qui ne quittent pas le logement loué après le terme d’un congé, ou après la résiliation de ce bail. Plusieurs initiatives parlementaires ont donc surgi, en concurrence l’une avec l’autre. Une proposition de loi a ainsi été adoptée par le Sénat le 19 janvier 2021, sans toutefois que son examen n’ait depuis été inscrit à l’ordre du jour de l’Assemblée nationale. En parallèle, trois propositions de loi différentes ont été déposées à l’Assemblée nationale depuis octobre 2022, par des groupes d’opposition et par la majorité et c’est celle présentée par le parti Renaissance et dont M. Guillaume Kasbarian, Président de la commission des Affaires économiques, est rapporteur, qui a été adoptée le 2 décembre 2022. La discussion au Sénat ne devrait pas modifier significativement le sens des mesures ainsi adoptées, car elles sont assez proches de celles qui avaient été votées par la Haute Chambre en janvier 2021.

Quelles sont les grandes lignes de cette proposition de loi ?

Sur le plan pénal, les « squatteurs » pourraient encourir une peine de trois années d’emprisonnement et de 45000 € d’amende, identique à la peine encourue par le propriétaire qui forcerait un occupant à quitter les lieux, sans le concours de la force publique (art. 226-4-2 C. pén.). Cette égalité des peines était déjà prévue dans la loi du 7 décembre 2020, mais avait été censurée par le Conseil constitutionnel pour un motif procédural. Par ailleurs, l’incrimination serait étendue à l’introduction dans tout local d’habitation ou à usage économique (projet d’art. 315-1 C. pén.), et non plus seulement dans le domicile d’autrui (art. 226-4 C. pén.). Les propriétaires de logements vacants et vides, voire d’un local professionnel ou commercial, seraient donc dorénavant protégés. C’est une véritable généralisation de la protection qui serait ainsi réalisée.

Surtout, une nouvelle infraction pénale est créée à l’encontre de l’occupant sans droit ni titre, même s’il disposait auparavant d’un titre d’occupation. Il peut s’agir ainsi d’un ex-locataire, dont le bail a pris fin (résilié soit judiciairement soit par la délivrance d’un congé). Ainsi, cet ex-locataire, qui se maintient dans le logement malgré une décision d’expulsion exécutoire (et après expiration des éventuels délais obtenus ou prévus par les textes) serait puni de six mois d’emprisonnement et de 7 500 euros d’amende (projet d’art. 315-2 C. pén.). Cette pénalisation du comportement de l’ex-locataire constitue un durcissement sans précédent de la législation.

Sur le plan des rapports locatifs, il serait tout d’abord prévu dans la loi du 6 juillet 1989 que tout contrat d’habitation contient une clause résolutoire pour défaut de paiement du loyer, des charges ou du dépôt de garantie. Il s’agit d’une figure juridique pour le moins originale, dont l’efficacité est quelque peu douteuse. En tout état de cause, les baux actuels contiennent déjà systématiquement cette stipulation. Ensuite, les délais pouvant être octroyés au locataire (délais de paiement ou délais pour se reloger) seraient soumis à un nouveau régime : le juge ne pourrait plus les octroyer d’office, mais à la seule demande du locataire (qui devra donc prendre des écritures ou être présent ou représenté à l’audience). Le délai de deux mois suivant le commandement de payer visant la clause résolutoire serait ramené à un mois. Le délai de deux mois entre la notification de l’assignation au préfet et l’audience serait abaissé à six semaines.

En ce qui concerne l’occupation sans droit ni titre, le propriétaire serait dispensé de son obligation d’entretien, ce qui le libérerait en cas de dommage consécutif à un tel défaut d’entretien. Par ailleurs, lorsqu’une procédure d’expulsion est mise en œuvre, le délai de deux mois suivant le commandement d’avoir à quitter les lieux ne s’appliquerait pas lorsque la personne à expulser est de mauvaise foi, et une telle personne serait également privée de la possibilité de solliciter des délais afin de trouver un relogement. Ces délais seraient enfin réduits à un an maximum, alors qu’ils peuvent actuellement être fixés jusqu’à trois ans.

L’objectif évident est de raccourcir le temps de la procédure, afin d’aboutir, à défaut de départ spontané de la part de l’occupant, à son expulsion le plus rapidement possible.

De nombreuses voix se sont élevées contre cette proposition de loi, la gauche et les associations dénonçant un « recul du droit au logement ». Est-ce le cas avec cette proposition de loi ?

Le droit au logement se heurte ici au droit de propriété. Il s’agit de droits fondamentaux qu’il faut concilier, ce qui n’est pas toujours évident. Des garanties sont maintenues pour les occupants sans droit ni titre, qu’il s’agisse de squatteurs ou d’ex-locataires, ce qui laisse à penser que le Conseil constitutionnel, qui sera inévitablement saisi, devrait valider la loi, au moins dans la plupart de ses dispositions. Mais il est indéniable que, sous réserve du respect de ces droits fondamentaux, le législateur dispose d’une certaine latitude, et il a utilisé ici cette latitude dans un sens clairement favorable aux propriétaires.

La pénalisation de l’ex-locataire, qui se maintiendrait indûment dans les lieux, est la disposition la plus révélatrice à ce propos. C’est une première, car jusqu’alors, un tel comportement n’était sanctionné que sur le plan civil (par des dommages et intérêts par exemple).

Le signal d’un durcissement à l’égard de ces occupants sans droit ni titre est donc très net. Mais on peut douter de son efficacité. La tendance du législateur est de multiplier les incriminations, y compris en matière locative, masquant en cela une incapacité à faire respecter les (nombreuses) obligations édictées au fil des textes (ainsi, en matière d’encadrement des loyers, d’annonce locative, de congé frauduleux).

En matière locative, empiler les textes et durcir les sanctions ne sera jamais à la hauteur des véritables enjeux : accroître l’offre de logements, et réduire les délais de traitement des dossiers judiciaires…