Commentaire d'arrêt, Cour de cassation (Cass. soc. 14 octobre 2020 n° 19-12275) - Retour d’expatriation : la Cour de cassation protège le salarié (fr)

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 Auteur : Me Xavier Berjot, Avocat associé [1]  

Date: le 5 Novembre 2020


La Cour de cassation (Cass. soc. 14 octobre 2020 n° 19-12275 [2]) vient de juger qu’en l’absence d’offre de réintégration adéquate, la société mère doit verser au salarié une rémunération égale à celle de son dernier emploi dans la filiale. Au passage, la Cour réaffirme sa jurisprudence relative à l’assiette de calcul des indemnités de rupture du salarié de retour d’expatriation.

La situation du salarié de retour d’expatriation

Lorsqu’un salarié engagé par une société mère a été mis à la disposition d’une filiale étrangère et qu’un contrat de travail a été conclu avec cette dernière, la société mère assure son rapatriement en cas de licenciement par la filiale et lui procure un nouvel emploi compatible avec l’importance de ses précédentes fonctions en son sein (C. trav. art. L. 1231-5, al 1).

Lorsque l’employeur procède à la recherche d’un nouveau poste, les offres de réintégration présentées au salarié doivent nécessairement être sérieuses et précises, conformément à l’obligation de loyauté qui pèse sur l’employeur.

Le niveau hiérarchique et la rémunération liés au poste doivent être au moins équivalents à ceux du poste que le salarié occupait précédemment au sein de la société mère (Cass. soc. 02-04-1992 n° 88-45.274).

A défaut, est justifiée la prise d’acte de la rupture du contrat par le salarié ne bénéficiant pas d’une offre de réintégration sérieuse, précise et compatible avec l’importance de ses précédentes fonctions au sein de la société mère (Cass. soc. 21-11-2012 n° 10-17.978).

Sur le plan de la rémunération, la jurisprudence considérait que le salarié de retour d’expatriation était éligible -au moins- à la rémunération qu’il percevait avant son séjour à l’étranger, majorée des augmentations collectives ayant pu intervenir dans l’entreprise.

En revanche, les juges estimaient que la fin de l’expatriation justifiait la cessation du versement des indemnités liées au travail à l’étranger.

A titre d’exemple, il était jugé que lorsque les indemnités perçues par un salarié en sus de son salaire de base métropolitain sont destinées à compenser les sujétions imposées par un séjour en Afrique, ces indemnités ne peuvent être maintenues à l’expiration de ce séjour (Cass. soc. 28-03-1989 n° 85-41.776).

Le maintien du plein salaire en l’absence d’offre de reclassement adéquate

Dans l’arrêt du 14 octobre 2020 (Cass. soc. 14 octobre 2020 n° 19-12275), la Cour de cassation semble opérer un revirement de jurisprudence, puisqu’elle juge en ces termes :

« En l’absence d’offre de réintégration sérieuse, précise et compatible avec l’importance des précédentes fonctions du salarié au sein de la société mère, cette dernière est tenue, jusqu’à la rupture du contrat de travail la liant au salarié, au paiement des salaires et des accessoires de rémunération du dernier emploi, dès lors que le salarié s’est tenu à la disposition de l’employeur. »

En l’espèce, un salarié avait été engagé par une société informatique, le 30 mars 2009, en qualité d’ingénieur commercial, évoluant rapidement vers les fonctions de directeur commercial.

Au début de l’année 2012, il avait été embauché par une société filiale de droit américain, comme directeur commercial, avant d’être licencié par cette dernière par lettre du 15 avril 2013.

La société mère en France lui avait alors proposé une réintégration, sur le territoire métropolitain, à un poste de responsable des ventes, à compter du 1er mai 2013.

Ayant refusé ce poste, le salarié avait été licencié pour faute grave, par lettre du 16 août 2013, son employeur lui reprochant, en particulier, un abandon de poste.

A l’occasion du litige, le salarié avait sollicité la condamnation de la société à lui verser un rappel de salaire correspondant au différentiel entre son poste aux Etats-Unis et son poste de référence en France.

Il avait été débouté de sa demande, la Cour d’appel de Versailles estimant qu’il ne pouvait valablement pas revendiquer le maintien de sa rémunération globale (salaire et logement de fonction) jusqu’à son licenciement.

L’arrêt est cassé au visa de l’article L. 1231-5 du Code du travail, dès lors que la Cour d’appel avait constaté que l’offre de réintégration proposée par l’employeur n’était pas compatible avec l’importance des précédentes fonctions du salarié au sein de la société mère.

Ainsi, dans une telle hypothèse, le salarié peut prétendre au maintien de sa rémunération globale jusqu’au licenciement, incluant le salaire de base, les éventuels éléments variables et tous les autres avantages en nature.

Cette jurisprudence protège le salarié de retour d’expatriation en lui assurant un maintien de revenu.

L’assiette de calcul des indemnités de rupture

L’arrêt du 14 octobre 2020 se prononce également sur l’assiette de calcul des indemnités de rupture dues au salarié licencié après une expatriation (indemnité compensatrice de préavis, congés payés afférents, indemnité conventionnelle de licenciement et dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse).

En l’occurrence, la Cour d’appel avait condamné l’employeur au paiement de diverses sommes au titre de la rupture du contrat de travail en retenant, comme salaire de référence, non pas le salaire moyen perçu aux États-Unis, mais celui antérieur à la période de détachement.

L’arrêt est également cassé au visa de l’article L. 1231-5 du Code du travail, aux motifs suivants :

« Lorsque la société mère ne réintègre pas le salarié après son licenciement par la filiale étrangère, les indemnités de rupture auxquelles le salarié peut prétendre doivent être calculées par référence aux salaires perçus par celui-ci dans son dernier emploi. »

Ce faisant, la Cour de cassation réaffirme une solution désormais bien ancrée en jurisprudence.

A titre d’illustrations :

– Dans une affaire où le salarié avait travaillé pour une filiale suisse, la Cour de cassation a approuvé une Cour d’appel ayant jugé que le montant des indemnités de préavis, de congés payés afférents au préavis, et de licenciement, dues par la société mère qui l’avait licencié, devait être déterminé sur la base du salaire d’expatriation (Cass. soc. 27-10-2004 n° 02-40.648).

– Un arrêt plus récent a retenu que lorsque la société mère ne réintègre pas le salarié après son licenciement par la filiale étrangère, les indemnités de rupture auxquelles l’intéressé peut prétendre doivent être calculées par référence aux salaires perçus par celui-ci dans son dernier emploi (Cass. soc. 17-5-2017 n° 15-17.750).

Il est donc acquis que les indemnités de rupture auxquelles peut prétendre le salarié, au titre de son licenciement prononcé par la société mère après que la filiale a mis fin à son détachement, doivent être calculées par référence au salaire de son dernier poste et non à un « salaire de référence France. »