Saisie et accès aux fichiers d’un ordinateur par la police, autorisation judiciaire préalable, droit au respect de la vie privée et familiale (eu)

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Arrêt de la Cour européenne des droits de l’homme
Mai 2017






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Saisie d’une requête dirigée contre l’Espagne, la Cour européenne des droits de l’homme (ci-après, « la Cour EDH ») a interprété l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme, relatif au droit au respect de la vie privée et familiale.


Le requérant, ressortissant espagnol, a déposé son ordinateur dans un magasin d’informatique pour faire remplacer l’enregistreur défectueux. Après avoir effectué le remplacement, le technicien a procédé à un test en ouvrant plusieurs fichiers de l’ordinateur, selon la pratique habituelle pour ce type de réparation et a constaté qu’il contenait des éléments pédopornographiques et a remis l’ordinateur aux agents de police nationaux. Ces derniers ont examiné le contenu de l’ordinateur et porté l’investigation policière à la connaissance du juge d’instruction.


Le requérant a, par la suite, été condamné à une peine de quatre ans d’emprisonnement pour détention et diffusion d’images de mineurs présentant un caractère pornographique. Ce dernier contestait sa condamnation, notamment du fait de l’absence d’autorisation judiciaire préalablement à l’examen des fichiers de son ordinateur par la police. Il considérait qu’une autorisation judiciaire aurait pu être obtenue dans un délai de vingt-quatre heures et que cette attente n’aurait aucunement entravé l’enquête. Le gouvernement espagnol considérait, au contraire, qu’en accédant au contenu de l’ordinateur personnel du requérant, la police s’était limitée à constater la véracité des faits dénoncés. Il considérait que l’urgence de l’intervention policière reposait sur un éventuel risque de disparition accidentelle des fichiers. Devant la Cour EDH, le requérant se plaignait que la saisie et l’examen de son ordinateur par la police constituait une ingérence injustifiée dans son droit au respect de la vie privée.


● Saisie dans ce contexte, la Cour EDH estime, tout d’abord, qu’il ne fait aucun doute que l’accès aux archives de l’ordinateur personnel du requérant et la condamnation qui s’en est suivie constituent une ingérence des autorités publiques dans son droit à la vie privée.


● La Cour EDH examine, ensuite, si l’ingérence était prévue par la loi. Elle rappelle que dans le contexte de l’interception de communications par les autorités publiques, l’absence de contrôle public et le risque d’abus de pouvoir impliquent que le droit interne doit offrir à l’individu une certaine protection contre les ingérences arbitraires pour être conforme à l’article 8 de la Convention. La Cour EDH considère que la loi nationale doit user de termes assez clairs pour indiquer les circonstances et les conditions dans lesquelles la puissance publique peut prendre de pareilles mesures d’ingérence. Selon une jurisprudence constante, une norme est réputée prévisible lorsqu’elle est rédigée avec assez de précision pour que toute personne puisse, en s’entourant, si nécessaire, de conseils éclairés, régler sa conduite.


La Cour EDH procède, par la suite, à l’examen de la règlementation nationale en cause. Elle rappelle que lorsqu’une atteinte à la vie privée d’une personne est en jeu, une autorisation judiciaire préalable est exigée par l’article 8 de la Convention. Elle constate que la règlementation nationale permet, à titre exceptionnel, de passer outre une telle autorisation dans des situations d’urgence pouvant faire l’objet d’un contrôle judiciaire postérieur. La notion d’urgence fait référence, selon le droit national en cause, notamment, à une situation dans laquelle la police en mission d’enquête ne peut attendre une autorisation judiciaire sans entraver le bon déroulement et le but de ladite enquête. En l’espèce, la Cour EDH constate que l’ingérence était prévue par les dispositions du droit national et que le requérant a eu la possibilité, au cours de la procédure pénale ultérieure menée contre lui, de contester la légalité de la saisie et de l’examen du contenu de son ordinateur personnel. Elle estime que la police a saisi l’ordinateur du requérant sous la conviction qu’il y avait urgence au sens du droit interne, et qu’ainsi, l’ingérence était bien prévue par la loi au sens de l’article 8 de la Convention.


● La Cour EDH examine, enfin, si l’ingérence poursuivait un but légitime et était nécessaire dans une société démocratique. Si la première condition ne fait pas de doute, étant donné que l’ingérence poursuivait bien l’un des buts énumérés à l’article 8 de la Convention, à savoir la prévention des infractions pénales et la protection des droits d’autrui, la Cour EDH considère que cette ingérence n’était pas nécessaire dans une société démocratique. Elle rappelle que pour satisfaire ce critère, l’ingérence doit, notamment, répondre à un besoin social impérieux, et les motifs invoqués par les autorités nationales doivent être pertinents et suffisants. Elle relève que, s’il appartient aux autorités nationales de juger les premières si ces conditions se trouvent remplies, c’est à elle qu’il appartient de trancher, en définitive, la question de la nécessité de l’ingérence au regard des exigences de la Convention. L’appréciation de l’existence de garanties adéquates et suffisantes contre les abus dépend de l’ensemble des circonstances de la cause, à savoir, par exemple, la nature, l’étendue et la durée des mesures éventuelles, les raisons requises pour les ordonner et le type de recours fourni par le droit interne.


Dans la présente affaire, la Cour EDH observe que la police ne s’est pas limitée à vérifier la véracité des faits dénoncés en accédant aux fichiers de l’ordinateur du requérant, mais a procédé à une inspection de l’intégralité du contenu des archives de l’ordinateur en ouvrant et en examinant, notamment, le fichier Incoming du programme eMule, le tout sans avoir recueilli au préalable l’autorisation judiciaire requise. De plus, elle considère qu’en l’espèce, la condition d’urgence faisait défaut : il n’existait pas d’urgence qui aurait pu contraindre la police à saisir les archives de l’ordinateur personnel du requérant sans obtenir d’autorisation judiciaire préalable. En effet, il n’existait aucun risque de disparition de fichiers puisqu’il s’agissait d’un ordinateur saisi et retenu par la police et qui n’était pas connecté à Internet. Aux yeux de la Cour EDH, il n’existait pas de raisons pour lesquelles l’attente d’une autorisation judiciaire préalable à l’intervention sur l’ordinateur du requérant, qui aurait pu être obtenue relativement rapidement, aurait entravé l’enquête menée par la police sur les faits dénoncés en l’espèce. Dès lors, la Cour EDH estime que la saisie et l’examen des archives de l’ordinateur par la police, tels que réalisés en l’espèce, n’étaient pas proportionnées aux buts légitimes poursuivis et n’étaient donc pas nécessaires dans une société démocratique au sens de l’article 8 de la Convention.

Partant, la Cour EDH conclut à la violation de l’article 8 de la Convention.



(Arrêt du 30 mai 2017, Trabajo Rueda c. Espagne, requête no 32600/12)