"Au cœur de la prud'homie" d'Yves Cirotteau (Livre - Texte intégral) (fr)

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Date de parution : Mai 2016


PRÉFACE

« Servir et concilier », belle devise des Conseils de prud’hommes qui met en avant que les conseillers prud’hommes sont là avant tout pour servir. Or, oser aujourd’hui se présenter comme Conseiller prud’homme devient une gageure tant il est dit de mal, pour ne pas les connaître, des Conseils de prud’hommes. Voici les griefs et les critiques les plus reprochés.

« Machine à perdre pour les employeurs » alors qu’il s’agit de la juridiction où le meilleur équilibre est trouvé entre les droits et les devoirs des salariés et des employeurs, équilibre trouvé par la règle de la parité qui conduit à ce que tout bureau de jugement soit composé de deux conseillers employeurs et de deux conseillers salariés.

« Méconnaissance des règles de droit », alors qu’il est établi que les décisions des Conseils de prud’hommes sont confirmées pour près des trois quarts par les Cours d’Appel au quantum près. Celles-ci n’hésitent pas, après avoir confirmé les décisions dans leur principe - reconnaissant ainsi une bonne application des règles de droit - à alourdir, les montants alloués sans toujours l’expliquer autrement que par une formule ne voulant rien dire telle que « la cour dispose des éléments nécessaires », sans préciser de quels éléments il s’agit, ce qui est, au demeurant, une source d’appel de salariés pour obtenir plus.

« Absence de professionnalisme », au contraire des juges de carrière, alors que ceux-ci n’ont pas la connaissance du fonctionnement des entreprises que peuvent avoir les conseillers prud’hommes, employeurs comme salariés, tous issus du monde de l’entreprise et avec un vécu professionnel.

« Comment comprendre » que des avocats viennent faire grief aux conseillers de ne pas avoir mis en état ce qu’il leur appartenait de faire, masquant ainsi leur incompétence à simplement faire leur travail ? Et combien encore de critiques par ceux qui portent des appréciations dans des buts idéologiques pour masquer leurs propres errements.

Malgré toutes ces critiques, il se trouve encore des hommes et des femmes prêts à s’engager au détriment souvent de leurs loisirs, voire de leur vie professionnelle, pour rendre cette justice prud’homale. Les conseillers prud’hommes sont des femmes et des hommes avec leurs qualités et leurs défauts et la justice qu’ils rendent est humaine avec toutes les limites qui peuvent en résulter.

Il en est de même pour toute juridiction et les magistrats de carrière n’échappent pas à la même relativité de leurs décisions parfois discutables au plan juridique.

« Comment expliquer » qu’une Cour d’Appel décide en début de mois qu’un licenciement est nul, car la procédure de convocation à l’entretien préalable ne permet pas au salarié de connaître le motif du licenciement envisagé requis par le code du travail, puis en fin du même mois, avec une formation différente, clamer que la même procédure était parfaitement conforme à la loi !

« Il en est de même » du Conseil Constitutionnel, qui après avoir rendu une décision expliquant qu’il n’était pas possible, par une loi, de prolonger un mandat électif d’une durée disproportionnée à la durée initiale du mandat, va accepter la prolongation de quatre années du mandat de cinq ans des conseillers prud’hommes élus en 2008, ce qui les oblige à siéger neuf ans !

Trente-huit années passées au sein du Conseil de prud’hommes m’ont fait côtoyer des femmes et des hommes épris du sens du devoir et dont l’engagement au service de la Cité est à louer. Beaucoup sont, dans le collège des employeurs, des chefs d’entreprise eux-mêmes ou des cadres supérieurs exerçant souvent des fonctions au niveau des ressources humaines et, dans le collège des salariés, des syndicalistes ayant une expérience du fonctionnement des entreprises que nul magistrat de carrière ne peut avoir. D’autres, sans avoir cette expérience, ont acquis par leur parcours professionnel une connaissance des rapports humains dans l’entreprise qui leur permet de faire preuve du bon sens nécessaire pour traiter des litiges qui leur sont soumis.

Les dossiers à trancher apparaissent souvent sous forme de deux histoires différentes entre le salarié persuadé d’avoir été l’objet d’un licenciement abusif et l’employeur tout aussi persuadé d’être dans son droit, chacun apportant ses éléments pour faire pencher la balance de leur côté. Les conseillers prud’hommes, chacun avec leur sensibilité, se doivent de trancher en fonction des règles de droit applicables, et beaucoup se demandent comment, du fait de leur origine différente, ils peuvent trancher et pourtant ils y arrivent très souvent évitant ainsi un recours aléatoire à un juge de carrière. Mais ceci passe parfois par des moments cocasses ou difficiles.

Yves CIROTTEAU que rien ne prédisposait, de par sa formation, à devenir conseiller prud’homme s’est engagé car, comme beaucoup, il avait le sens de l’engagement dans la Cité. Il a choisi de faire part de ses réflexions sur le cadre dans lequel fonctionnent les conseils de prud’hommes et sur certaines dispositions récentes issues notamment de la loi dite « Loi MACRON », mais aussi de relater son expérience de conseiller tant au niveau de certains dossiers qu’il a eu à examiner que des relations qu’il a rencontrées avec ses collègues conseillers salariés et employeurs.

Je tiens à le remercier de m’avoir demandé de rédiger cette préface qui me permet de rendre hommage à tous ces conseillers, employeurs comme salariés, obscurs participants au service de la justice. Et il est réconfortant de constater que, dans un monde où les intérêts personnels priment souvent sur l’intérêt commun, où les droits sont mis en avant en oubliant les devoirs qui en sont le corolaire, il y a encore des femmes et des hommes qui sont là pour assurer la relève et le bon fonctionnement de cette institution essentielle que sont les Conseils de prud’hommes.

Jacques - Frédéric SAUVAGE
Président Medef des prud’hommes de Paris





CHAPITRE I -- QUELS SONT LES RISQUES D’UNE SAISINE AUPRÈS DES PRUD’HOMMES ?

Lorsqu’un salarié s’estime - à tort ou à raison - lésé par un licenciement que rien ne justifie à ses yeux, il se tourne soit vers un avocat, soit vers un conseiller salarié afin d’obtenir une aide juridique ou un conseil. Cette assistance se fait en amont d’une éventuelle saisine de la juridiction prud’homale.

Les avocats de la demande ou les conseillers salariés devraient dans un premier temps se poser la question de savoir si la demande de leur client est bien fondée ( et donc recevable ). Le risque encouru est de se voir condamner dans un premier temps aux Prud’hommes, voire dans un deuxième temps en cour d’appel avec toutes les conséquences financières graves pour les salariés s’ils sont condamnés aux entiers dépends.

Ils devraient alors, après étude du dossier, se demander quelles sont les chances réelles de faire aboutir leurs revendications, ce qui se traduit toujours par l’obtention d’argent ( les quantum ) pour justifier du préjudice subi et dédommager leur client. Mais c’est aussi celui de perdre de l’argent s’il est débouté.

S’ils ont répondu positivement à ces questions, ils devront se limiter à des quantum raisonnables - généralement fixés par la loi - et non à des demandes aux propositions parfois exorbitantes. Ils éviteront ainsi de s’exposer à un « retoquage », comme cela est fréquent.

Bien des avocats de la demande admettent comme une vérité - presque comme un dogme - qu’il faut demander plus pour obtenir moins ! Comme si les conseillers prud’homaux n’en faisaient qu’à leur tête, prenant chacun l’initiative de ( justifier ) ces quantum selon leur bonne ou mauvaise humeur, selon l’air du temps, selon leurs problèmes digestifs, leurs amours, leurs dépits amoureux ou enfin à la tête du client !

C’est probablement cette distorsion qui a tenté le législateur. L’idée d’un plafonnement : « C dans l’air ». À moins que ce ne soit pour copier ce qui existe déjà en Allemagne, en Angleterre, en Italie etc. Pourtant point n’est besoin de cette nouvelle mesure. Tout est inscrit dans les textes de loi.

Sachez, mesdames et messieurs les avocats que vous risquez de vous tromper lourdement sur les capacités intellectuelles ( ou morales ) des conseillers de la prud’homie. Ils n’ont pas d’état d’âme lorsqu’il s’agit de réparer un préjudice réel. Ils n’ont pas plus d’état d’âme lorsqu’il s’agit de sanctionner une mauvaise cause.

Pourquoi ce préambule ? Parce que le fait de venir devant notre juridiction n’est pas sans conséquence pour le salarié ou l’employeur. Je commencerai par une réunion à laquelle quelques conseillers prud’homaux - dont notre Président - étaient conviés par le Medef. L’un de nous, nouvellement élu Président de la troisième chambre des activités diverses de Paris s’est étonné du peu de cas fait par la presse écrite ou parlée des résultats obtenus par notre juridiction. Soixante quinze % des jugements des conseillers employeurs de la prud’homie sont entérinés en cour d’appel. Cela suscite deux remarques : notre juridiction est compétente d’une part et elle est équitable d’autre part. Compétence et équité sont l’honneur de la prud’homie.


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