Emplois fictifs et prescription
France > Droit privé > Droit social > Droit du travail
Par Louis Thibierge
Agrégé des Facultés de Droit
Professeur à l’Université d’Aix-Marseille
Membre du Centre de Droit Économique
Directeur du Master 2 Recherche Droit Économique
Directeur du DESU Economic Law
Avocat au Barreau de Paris
15 septembre 2022
11 mai 2022 Cour de cassation Pourvoi n° K2112513
La Cour de cassation vient de se prononcer sur la prescription de l’action en remboursement des sommes indument versées à des parlementaires.
Au cas d’espèce, un député européen avait fait rémunérer par le Parlement européen deux assistants parlementaires entre 1999 et 2004. En 2004, une instruction pénale française révélait que les deux intéressés n’avaient jamais exercé les fonctions d’assistant parlementaire. L’OLAF (Office européen de lutte anti-fraude) concluait aux mêmes résultats en 2011.
En 2013, le Parlement européen assigne le député en responsabilité et indemnisation, sur le fondement de l’article 1382 ancien du Code civil.
En cause d’appel, le député soulevait une fin de non-recevoir tirée de la prescription de l’action. La cour d’appel rejetait la fin de non-recevoir, ce qui motiva le pourvoi en cassation. Le pourvoi soutenait tout d’abord que le Parlement, sous couvert d’une action en responsabilité délictuelle, agissait en réalité en remboursement de sommes versées périodiquement.
Or, l’article 2277 ancien du Code civil prévoyait que « se prescrivent par cinq ans les actions en paiement : de tout ce qui est payable par année ou à des termes périodiques plus courts ».
Dès lors que le Parlement réclamait la répétition de créances périodiques, son action relevait de l’article 2277 et se prescrivait par 5 ans, nonobstant le caractère prétendument délictuel de l’action, exposait le pourvoi.
Était également alléguée une violation de l’art. L. 143-14 ancien du Code du travail, selon lequel « L'action en paiement ou en répétition du salaire se prescrit par trois ans à compter du jour où celui qui l'exerce a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l'exercer ».
En somme, le pourvoi soutenait que l’action du Parlement, qui visait à la restitution des sommes indûment versées, se prescrivait par 5 ans, voire 3 ans. Introduite en 2013 pour des sommes versées périodiquement entre 1999 et 2004, l’action était prescrite.
La Cour de cassation rejette le pourvoi.
Sans se prononcer sur le caractère délictuel ou contractuel de l’action ou sur la nature des « indemnités » versées (sont-ce des créances périodiques ? des salaires ?), la Haute juridiction approuve les juges du fond d’avoir « à bon droit retenu qu'une action intentée par le Parlement européen aux fins d'obtenir le remboursement d'indemnités dont un député a irrégulièrement bénéficié, au titre de ses fonctions, pour la rémunération d'assistants parlementaires, n'est au nombre ni de celles qui sont mentionnées à l'article 2277 du code civil, ni de celle prévue à l'article L. 143-14 du code du travail ».
Dit autrement, l’action destinée à recouvrer les indemnités indument versées échappe à la prescription des créances périodiques et des salaires pour relever du droit commun. Y verra-t-on une application de l’adage fraus omnia corrumpit ?