Interdiction de la discrimination fondée sur l'apparence physique homme / femme

Un article de la Grande Bibliothèque du Droit, le droit partagé.
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Franc Muller, avocat au barreau de Paris [1]
Décembre 2022


Les différences de traitement fondées sur le sexe sont prohibées, à de rares exception près.

Autre temps, autres mœurs, les évolutions sociales qui imprègnent la société dans son ensemble ne peuvent indéfiniment restées à la porte de l’entreprise.

Sous l’inspiration de directives européennes, le droit du travail opère donc lentement (mais pas si surement) sa mue.

La liberté de se vêtir dans l’entreprise, un débat récurrent

La jurisprudence est désormais établie sur ce point.

On ne peut s’habiller totalement à sa convenance en entreprise, des restrictions pouvant être imposées par l’employeur si elles sont justifiées par la nature des tâches à accomplir et proportionnées au but recherché, conformément aux prévisions du Code du travail (article L 1121-1 [2]).

L’affaire emblématique ayant fondé la jurisprudence opposait un salarié, agent technique des méthodes travaillant pour la société Sagem, à son employeur, après qu’il se soit présenté plusieurs jours de suite en bermuda.

Ce qui n’était apparemment pas du goût de ses supérieurs hiérarchiques, qui l’avaient vainement prié instamment de porter un pantalon sous sa blouse.

Face à la résistance du salarié, l’affaire avait connu un épilogue judiciaire.

La Chambre sociale de la Cour de cassation avait alors confirmé que la tenue vestimentaire [3] du salarié était incompatible avec ses fonctions et ses conditions de travail qui pouvaient le mettre en contact avec la clientèle .

Dans ces circonstances, elle avait jugé qu’un employeur peut imposer à un salarié des contraintes vestimentaires si elles sont justifiées par la nature des tâches à accomplir et proportionnées au but recherché (Cass. Soc. 12 nov. 2008 n° 07-42220 [4])'.

De l’apparence vestimentaire à l’apparence physique rapportée au sexe

De la liberté de se vêtir à celle de choisir son apparence physique, il n’y a qu’un pas.

Le débat judiciaire se déplace ici sur le terrain de la discrimination.

Un salarié, chef de rang dans un restaurant gastronomique, avait été congédié pour avoir eu l’audace de porter une boucle d’oreille pendant son service.

La lettre de licenciement affirmant que son statut au service de la clientèle ne permettait pas à l’employeur pas « de tolérer le port de boucles d’oreilles sur l’homme que vous êtes ».

La décision de cet employeur, très progressiste et pourvu d’une grande ouverture d’esprit, n’était pas partagée par la Cour de cassation.

Celle-ci rappelait qu’en vertu du principe de non-discrimination, posé par l’article L 1132-1 du Code du travail [5], aucun salarié ne peut être licencié en raison de son sexe ou de son apparence physique.

Or, l’employeur sous-entendait que si le port de boucle d’oreille était acceptable pour une femme, il ne pouvait l’être pour un homme.

Le licenciement ayant pour cause l’apparence physique du salarié rapportée à son sexe, un tel motif était discriminatoire, l’employeur ne justifiant pas sa décision de lui imposer d’enlever ses boucles d’oreilles par des éléments objectifs étrangers à toute discrimination (Cass. Soc. 11 janv. 2012 n° 10-28213 [6]).

Dernière affaire : un stewart de la compagnie Air France portant des tresses africaines nouées en chignon, et différence de traitement fondée sur le sexe

Les faits :

Le salarié, stewart depuis plusieurs années, s’était présenté un beau jour à l’embarquement avec des dreadlocks nouées en chignon.

L’employeur lui avait alors refusé l’accès à bord, soutenant qu’une telle coiffure n’était pas autorisée par le manuel des règles de port de l’uniforme pour le personnel navigant commercial (PNC) masculin de la compagnie aérienne.

Le manuel comportait en effet les instructions suivantes pour les hommes :

« Les cheveux doivent être coiffés de façon extrêmement nette. Limitées en volume, les coiffures doivent garder un aspect naturel et homogène. La longueur est limitée dans la nuque au niveau du bord supérieur du col de la chemise. Décoloration et ou coloration apparente non autorisée. La longueur des pattes ne dépassant pas la partie médiane de l’oreille. Accessoires divers : non autorisés ».

Le salarié avait donc dû porter une perruque, couvrant sa coupe de cheveux, pour pouvoir exercer ses fonctions.

Étant précisé que le port de tresses africaines nouées en chignon était autorisé pour le personnel navigant féminin,

S’estimant victime de discrimination, il avait saisi quelques années plus tard la juridiction prud’homale, notamment, d’une demande de dommages-intérêts pour discrimination.

La solution :

La Cour d’appel avait débouté le salarié et embrassé la thèse de l’employeur.

Elle avait ainsi retenu que si le port de tresses africaines nouées en chignon était autorisé pour le personnel navigant féminin, la différence d’apparence entre hommes et femmes, en termes d’habillement, ne constituait pas une discrimination.

Elle avait également estimé que le salarié se trouvait en contact avec la clientèle [7] d’une grande compagnie de transport aérien, ce qui imposait le port de l’uniforme et une image de marque, de sorte que la volonté de l’entreprise de sauvegarder son image était une cause valable de limitation de la libre apparence des salariés.

Cette motivation est critiquée par la Chambre sociale de la Cour de cassation.

Elle souligne que les différences de traitement en raison du sexe doivent être justifiées par la nature de la tâche à accomplir, répondre à une exigence professionnelle véritable et déterminante et être proportionnées au but recherché.

Elle considère que l’interdiction faite à l’intéressé de porter une coiffure, pourtant autorisée par le même référentiel pour le personnel féminin, caractérisait une discrimination directement fondée sur l’apparence physique en lien avec le sexe.

D’autre part, la perception sociale de l’apparence physique des genres masculin et féminin, ne peut constituer une exigence professionnelle véritable et déterminante justifiant une différence de traitement relative à la coiffure entre les femmes et les hommes (Cass. Soc. 23 nov. 2022 n° 21-14060).

La discrimination est donc caractérisée.