L’élargissement de la possibilité de recevoir à titre gratuit pour l’individu protégeant une personne vulnérable (par la Cour de Cassation) (fr)

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Kelly Mengual, cabinet Thuégaz
Janvier 2019



Selon le Ministère de la Justice, au 31 décembre 2014, on comptabilisait un peu moins de 680 000 majeurs sous protection judiciaire parmi lesquels 365 000 personnes sous tutelle (54%) et 313 000 personnes sous curatelle (46%).


Il existe trois régimes de protection en France : la sauvegarde de justice, la curatelle et la tutelle.


Ces régimes sont mis en place par le juge des tutelles lorsque la maladie, le handicap, l'accident altèrent les facultés d'une personne et la rendent incapable de défendre seule ses intérêts.


Un individu, en priorité un membre de la famille, est alors nommé pour protéger cette personne vulnérable et l’assister ou la représenter pour les actes qu’elle est amené à passer.


Un seul mot d’ordre : la protection doit être la moins contraignante possible vis à vis des facultés du protégé.


Selon le Ministère de la Justice, l’âge moyen des personnes protégées varie selon le type de mesure et leur sexe : les personnes sous tutelle ont en moyenne 64 ans et près de 10 ans de plus que celles sous curatelle.


De même, les femmes sous protection sont en moyenne âgées de 12 ans de plus que leurs homologues masculins.


Si les femmes sont légèrement majoritaires parmi la population des majeurs protégés, elles sont particulièrement surreprésentées au sein des personnes sous tutelle de plus de 80 ans.


La Cour de cassation a rendu un arrêt sur le sujet des mesures de protection des majeurs le 17 octobre 2018, n° 16-24.331. En l’espèce, deux époux bénéficient d’une mesure de curatelle ordonnée en 2008 et dont la nièce est désignée comme curatrice. L’épouse décède en 2010, l’époux en 2011, en laissant derrière eux leur fils unique, Guy.


Tous deux avaient désignés deux bénéficiaires de leurs contrats d’assurance vie : l’autre époux et leur nièce.


De plus, l’époux survivant avait, 3 mois avant son décès, rédigé un testament olographe (écrit à la main et daté et signé par l’auteur) dans lequel il instituait sa nièce et son mari légataires de la quotité disponible par parts égales.


Ces dispositions ont été attaquées par Guy qui invoque comme motif le caractère manifestement exagéré des primes versées sur les contrats d’assurance vie et surtout l’incapacité par la curatrice et son mari de recevoir, ce dernier étant une personne interposée.


La Cour d’appel lui donne gain de cause : sur le fondement de l’article 909 du Code civil (« le curateur ne peut recevoir à titre gratuit de son curatélaire »), la nièce et son époux devront restituer la fraction des primes jugée exagérée à la succession.


Ces derniers forment un pourvoi en cassation. La Cour cassa l’arrêt pour violation de l’article 909 du Code civil :


« Attendu que l’incapacité de recevoir à titre gratuit prévue à ce texte ne concerne que les mandataires judiciaires à la protection des majeurs et les personnes morales au nom desquelles ils exercent leurs fonctions ; que les membres de la famille du défunt, lorsqu’ils exercent les fonctions de tuteur, curateur, mandataire spécial désigné lors d’une mesure de sauvegarde de justice, personne habilitée ou mandataire exécutant un mandat de protection future, n’entrent pas dans son champ d’application ;

Attendu que, pour dire que M. X n’a aucun droit dans la succession de Jean-Baptiste Z et le condamner à payer à M. Z une certaine somme, l’arrêt retient que l’incapacité de recevoir à titre gratuit concerne Mme W, qui a été curatrice du défunt, que son époux est présumé personne interposée et que, faute de rapporter la preuve de la réalité de l’intention libérale à son égard, il ne peut se prévaloir des dispositions testamentaires à son profit ; qu’en statuant ainsi, alors que Mme X, nièce du défunt, n’avait pas la qualité de mandataire judiciaire à la protection des majeurs, bien qu’elle ait exercé les fonctions de curateur, la cour d’appel a violé le texte susvisé ».


Il convient de noter qu’avec l’allongement de la durée de vie et la situation d’isolement dans laquelle tendent à se retrouver les personnes âgées, cet arrêt tend à devenir une référence en termes de libéralités faites dans le cadre d’une mesure de protection.


A la base, l’interdiction de l’article 909 du Code civil de recevoir à titre gratuit de la part de la personne que l’on protège était faite pour éviter toute pression sur les personnes vulnérables.


Cela joue surtout sur les professionnels susceptibles d’avoir une influence sur le disposant, comme :


  • « les membres des professions médicales et de la pharmacie, ainsi que les auxiliaires médicaux qui ont prodigué des soins à une personne pendant la maladie dont elle meurt »
  • le ministre du culte (in fine)
  • « les mandataires judiciaires à la protection des majeurs et les personnes morales au nom desquelles ils exercent leurs fonctions » depuis l’entrée en vigueur de la loi du 5 mars 2007 »

Toutefois la loi réserve, au sein du dernier alinéa de l’article, une hypothèse où la personne interdite de recevoir est parente du disposant jusqu’au 4ème degré inclusivement, à condition que celle-ci n’ait pas d’héritier en ligne directe.


La question posée à la Cour de cassation était donc la suivante : l’incapacité de recevoir édictée par le texte concerne-t-elle uniquement les mandataires judiciaires à la protection des personnes, c’est à dire les mandataires professionnels ou tous les représentants des personnes vulnérables, professionnels ou non ?


Cet arrêt donne donc pour la première fois l’opportunité à la Cour de cassation de se positionner sur le nouvel alinéa de l’article, intégré par la loi de 2007.


Ainsi, tout mandataire non professionnel représentant une personne vulnérable devrait en principe pouvoir recevoir à titre gratuit de la personne qu’il assiste ou qu’il représente.


Cependant, la haute juridiction ne vise dans son attendu que les membres de la famille du défunt, alors que le représentant non professionnel d’une personne placée sous un régime de protection peut également être un ami, un proche ou une personne de confiance.

Faudrait-il étendre l’interprétation à ces personnes ou la limiter aux seuls membres de la famille ?