L’affaire Pierre Palmade : quel statut pour l’enfant à naître ?

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Par Sophie Paricard
professeure à l’Institut National Universitaire d’Albi [1]
Février 2023


Une femme enceinte a perdu l’enfant qu’elle portait lors du dramatique accident de la circulation dans lequel est impliqué Pierre Palmade. L’une des questions les plus épineuses du droit revient alors sur la scène médiatique : l’enfant à naître est-il une personne ? Cette question relative à la qualification de l’embryon interroge la summa divisio du droit chose/personne, qui est selon le doyen Cornu « la vérité première qui ordonne tout le système juridique » mais elle implique également des conceptions philosophiques ou religieuses. Seuls les aspects juridiques seront ici évoqués afin d’éclairer le débat.

L’humoriste Pierre Palmade peut-il être jugé pour homicide involontaire pour avoir provoqué la mort d’un enfant à naître dans un accident de voiture ? Quelle est la position de la Cour de Cassation en la matière ?

La position de la Cour de cassation est très claire : l’incrimination d’homicide involontaire prévue par l’article 221-6 du code pénal ne peut s’appliquer à l’enfant à naître. Cette jurisprudence a été dégagée à l’occasion de plusieurs arrêts à propos d’espèces différentes et se fonde principalement sur le principe d’interprétation stricte de la loi pénale énoncé à l’article 111-4 du code pénal.

Après un arrêt en ce sens du 30 juin 1999 rendu par la chambre criminelle, l’Assemblée plénière de la Cour de cassation a conforté cette jurisprudence concernant une espèce à peu près semblable à celle de l’affaire en cours puisqu’il s’agissait du décès d’un enfant à naître de 6 mois dans un accident de la circulation. La Cour de cassation a jugé que « le principe de la légalité des délits et des peines qui impose une interprétation stricte de la loi pénale s’oppose à ce que l’incrimination prévue par l’article 221-6 du code pénal réprimant l’homicide involontaire d’autrui soit étendu au cas de l’enfant à naître dont le régime particulier relève de textes particuliers sur l’embryon ou le fœtus ».

L’infraction d’homicide ne peut être étendue à l’enfant à naître dont le régime relèverait de textes particuliers.

La chambre criminelle de la Cour de cassation a ensuite été amenée à préciser cette jurisprudence dans un arrêt du 25 juin 2002 à propos cette fois ci d’une espèce concernant un médecin ayant causé par sa faute le décès d’un enfant au cours d’un accouchement. Alors que « l’enfant était à terme depuis plusieurs jours (…) et avait la capacité de survivre par lui-même » comme l’avaient souligné les juges du fond, la Cour casse l’arrêt ayant retenu l’homicide involontaire sur le fondement de l’article 111-4.

Elle exclut ainsi le critère de viabilité pour retenir l’homicide : le « principe de la légalité des délits et des peines qui impose une interprétation stricte de la loi pénale s’oppose à ce que l’incrimination d’homicide involontaire s’applique au cas de l’enfant qui n’est pas né vivant ». L’enfant doit naître vivant pour pouvoir être victime d’homicide involontaire.

Seul le fait qu’un enfant ait pu naître vivant ne serait-ce que quelques instants peut dès lors conduire à une condamnation pour un tel crime. C’est ce qu’a jugé la chambre criminelle de la Cour de cassation dans un arrêt du 2 décembre 2003 à propos d’un enfant né et décédé immédiatement après des suites des blessures subies in utero.

Les éléments de l’enquête quant à l’éventuelle naissance vivante de l’enfant décédée dans l’accident seront essentiels quant à la qualification ultérieure des poursuites.

Quel est le statut juridique de l’enfant à naître ?

L’enfant à naître n’est pas une personne au regard du droit pénal puisque c’est sa naissance en vie qui conditionne sa protection à ce titre.

Ce n’est pas non plus une personne en droit civil puisque la personnalité juridique n’est accordée qu’aux enfants nés vivants et viables. Depuis quelques années cependant l’acte d’enfant sans vie permet d’octroyer à un enfant mort-né un prénom et un nom sans que cela « n’emporte aucun effet juridique » comme le précise l’article 79-1 du code civil.

Si l’enfant à naître n’est pas une personne, il ne bénéficie pas pour autant, en tant que « personne potentielle » selon les termes du CCNE (Comité Consultatif National d’Éthique), d’un ensemble de règles cohérentes qui garantirait sa protection et pourrait dès lors s’apparenter à un statut.

Malgré quelques propositions en ce sens, l’enfant à naître ne fait pas l’objet d’une protection spécifique en droit pénal : il est simplement protégé au travers de sa mère à laquelle il est incorporé. Seule l’atteinte à l’intégrité physique de cette dernière est incriminée.

En droit civil, l’enfant à naître ne fait l’objet que de dispositions disparates sans grande cohérences entre elles. Comme l’indique le Conseil d’État [2] « les règles applicables à l’embryon sont téléologiques : elles varient en fonction de la vocation de l’embryon (selon qu’il est ou non destiné à s’inscrire dans un projet parental) ou de sa localisation (in vivo ou ex utero) ».

L’embryon in vitro est ainsi moins bien protégé que l’embryon in vivo. Le fœtus in vivo est protégé par les conditions relativement strictes de l’interruption médicale de grossesse, la seule à pouvoir être mise en œuvre tout au long de la grossesse, bien au-delà du délai de 14 semaines de l’IVG.

Le sort de l’embryon in vitro est, quant à lui, de plus en plus précaire. Selon le Conseil constitutionnel dans sa décision du 27 juillet 1994 « le législateur a estimé que le principe du respect de l’être humain dès le commencement de sa vie n’était pas applicable à l’embryon in vitro ».

Certes, l’embryon encore porteur d’un projet parental est conservé tant que dure ce projet mais dès lors que le projet est abandonné, les embryons dits surnuméraires ont vocation à être détruits. Le législateur ne cesse par exemple, notamment par la dernière loi bioéthique du 2 août 2021, d’assouplir la recherche dont il peut faire l’objet.

Il est cependant difficile de conclure de cette absence de statut spécifique que l’enfant à naître est une chose comme une autre. Comme l’a relevé la CEDH dans l’affaire Parillo c/ Italie du 27 août 2015, il ne s’agit pas d’un bien ayant une valeur économique et patrimoniale sur lequel on peut revendiquer un droit de propriété. Chose humaine, être humain ? L’enfant à naître ne cesse d’interroger la pertinence de la summa divisio personne/chose.

En quoi cette ouverture d’enquête préliminaire par le Parquet de Melun réinterroge-t-elle le statut juridique de l’enfant à naître ? Risque-t-elle de le remettre en cause et notamment d’entrer en contradiction avec l’IVG ?

L’ouverture de cette enquête préliminaire peut à terme permettre de saisir à nouveau la Cour de cassation sur la qualification de l’enfant à naître, notamment s’il est démontré que l’enfant n’est pas né vivant. Cette jurisprudence lui refusant la qualité de personne a en effet été critiquée au point que certaines propositions de loi ont vu le jour pour pouvoir sanctionner pénalement celui qui, par accident, provoque le décès d’un enfant à naître.

Un revirement de la Cour de cassation qualifiant l’enfant à naître de personne aurait certainement des effets collatéraux. La perception de celui-ci en droit positif évoluerait puisque par principe le fait de provoquer le décès d’un enfant in utero constituerait une infraction pénale.

Les femmes qui consentiraient à l’IVG commettraient alors un homicide volontaire même si celui-ci continuerait à être autorisé par la loi.

La liberté de la femme de recourir à l’IVG s’en trouverait très certainement altérée. Cela dépendrait toutefois des conditions retenues par la Cour de Cassation en cas de revirement de jurisprudence.

En effet, si elle considère que l’homicide n’est qualifié que lorsque l’enfant in utero était viable au moment de l’accident ou au bout d’une certaine durée de grossesse, alors la remise en cause de la liberté d’avorter serait moindre.

Compte tenu de la fonction symbolique du droit pénal permettant d’identifier a contrario les valeurs sociales essentielles d’une société, il semble préférable que cette décision d’assimiler l’enfant à naître à une personne fasse l’objet d’un véritable choix politique et revienne en conséquence au législateur.