La citation directe en matière pénale : quand l'avocat devient Procureur

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Laurent Jourdaa, avocat au barreau de Toulon [1]
Juillet 2022


La voie de la citation directe utilisée par la victime contre l'auteur d'une infraction permet une réponse pénale plus rapide mais attention aux particularités procédurales que comportent ce mécanisme !

1.

En France, l'adage "nul ne plaide par Procureur" est bien connu des civilistes.

En droit pénal, l'opportunité des poursuites revient de facto au Procureur de la République (article 40 du Code de procédure pénale) qui est compétent pour poursuivre le ou les auteur (s) d' infractions pénales devant le Tribunal compétent.

Mais dans certains cas, la victime peut, elle même ou par l'intermédiaire de son Avocat, poursuivre l'auteur d'une infraction en utilisant la citation directe.

2.

La citation en Justice relève des dispositions des articles 550 à 566 du C.P.P

Peuvent notamment y avoir recours :

  • Le Ministère Public ;
  • La partie civile  ;
  • Toute administration légalement habilitée.


2.1

La citation délivrée directement par la partie civile impose le respect d'un formalisme strict quant aux mentions qui doivent figurer dans l'acte et quant aux délais, au risque d'encourir la nullité.

En effet, l'article 551 précise :

"La citation énonce le fait poursuivi et vise le texte de la loi qui le réprime.

Elle indique le tribunal saisi, le lieu, l'heure et la date de l'audience, et précise la qualité de prévenu, de civilement responsable, ou de témoin de la personne citée.

Si elle est délivrée à la requête de la partie civile, elle mentionne, s'il s'agit d'une personne physique, ses nom, prénoms, profession et domicile réel ou élu et, s'il s'agit d'une personne morale, sa forme, sa dénomination, son siège social et l'organe qui la représente légalement".

Et l'article 552 de rajouter :

"Le délai entre le jour où la citation est délivrée et le jour fixé pour la comparution devant le tribunal correctionnel ou de police est d'au moins dix jours, si la partie citée réside dans un département de la France métropolitaine ou si, résidant dans un département d'outre-mer, elle est citée devant un tribunal de ce département.

Ce délai est augmenté d'un mois si la partie citée devant le tribunal d'un département d'outre-mer réside dans un autre département d'outre-mer, dans un territoire d'outre-mer, à Saint-Pierre-et-Miquelon ou Mayotte ou en France métropolitaine, ou si, cité devant un tribunal d'un département de la France métropolitaine, elle réside dans un département ou territoire d'outre-mer, à Saint-Pierre-et-Miquelon ou Mayotte.

Si la partie citée réside à l'étranger, ce délai est augmenté d'un mois si elle demeure dans un Etat membre de l'Union européenne et de deux mois dans les autres cas".

2.2

La citation directe a pour conséquence de saisir directement la juridiction répressive sans passer par le Procureur de la République.

Il n'y aura ni phase d'enquête ni phase d'instruction préalable.

La saisine peut se faire devant :

  • Le Tribunal de police pour les infractions de nature contraventionnelle ;
  • Le Tribunal correctionnel pour les infractions de nature délictuelle ;

A noter que la Cour d'Assises n'est pas concernée par ce type de procédure puisqu'en matière criminelle, la saisine de la juridiction d'instruction est obligatoire avant tout procès au fond.

3.

La victime qui fait le choix (avec son avocat) de faire citer son adversaire doit s'assurer d'avoir réuni, en amont, suffisamment d'éléments probants afin de pouvoir convaincre la juridiction saisie que l'infraction visée dans l'acte de saisine est caractérisée.

3.1

En effet, la victime devra prouver que l'infraction dont elle est victime repose sur :

  • Un élément légal ;
  • Un ou plusieurs éléments matériels ;
  • Un élément intentionnel.


Elle doit également démontrer la réalité et l'étendue de son de préjudice en formant une ou plusieurs demandes de dommages et intérêts (préjudice corporel, préjudice matériel ou économique, préjudice moral).

3.2

ATTENTION :

Le Tribunal sera tenu par les textes visés dans l'acte de saisine et ne pourra procéder à la requalification pénale de l'infraction visée initialement.

Dès lors, pour la victime c'est quitte ou double.

En matière correctionnelle, un acte de cautionnement est demandé par la juridiction afin de prévenir toute condamnation pour procédure abusive (exception faite pour la victime qui bénéficie de l'aide juridictionnelle).

3.3

Etant donné la rapidité de cette procédure et l'absence d'enquête préliminaire, les droits de la défense du prévenu cité sont limités pour ce type de procédure.

Néanmoins, plusieurs perspectives s'offrent à lui :

  • Possibilité de solliciter un report d'audience pour avoir accès aux pièces du dossier ;
  • Invoquer "in limine litis" la nullité de la citation délivrée à son encontre si celle-ci ne respecte pas le formalisme prévu par les textes du C.P.P rappelés plus haut ;
  • Démontrer que l'infraction qui lui est reprochée n'est pas suffisamment caractérisée au regard des preuves dont dispose la victime ou alors ne relève pas du texte visé dans sa citation.


En conclusion, le choix de cette perspective procédurale par l'avocat doit être teinté de prudence et de vigilance.

Selon la nature de l'infraction subie par la victime et les éléments probants en sa possession, l'avocat devra privilégier le "circuit long" (à savoir le dépôt de plainte simple) plutôt que le "circuit court" de la citation qui, au mieux sera déboutée de ses demandes et, dans le pire des cas, pourra être condamnée à son tour pour procédure abusive voire pour dénonciation calomnieuse.