La protection du lanceur d'alerte en droit français

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RGPD et éthique [1]
Octobre 2022


Witik récapitule les évolutions majeures dont le statut de lanceur d'alerte a fait l'objet avec les lois Sapin 2 et Waserman du 21 mars 2022 : définition et protection du lanceur d'alerte.

La figure du lanceur d’alerte et sa protection par le droit fait l’objet d’évolutions importantes dans les années récentes, tant au niveau international qu’européen et national.

Plus précisément, ces renforcements progressifs de la protection des lanceurs d’alerte ont lieu par deux textes majeurs successifs en France : la loi Sapin 2 en 2016 et la loi Waserman du 21 mars 2022.

Ces évolutions portent sur trois éléments clé du régime juridique des lanceurs d’alerte : d’abord, la définition du statut est créée puis modifiée et vient donc élargir le champ d’application du régime de protection.

Ensuite, la protection du lanceur d’alerte par la puissance publique est mise en place avec la création de l’Agence nationale de lutte contre la corruption par la loi Sapin 2 et le rôle renforcé du Défenseur des droits. Enfin, les obligations des entreprises en matière d’éthique des affaires sont également renforcées.

Tour d’horizon de cette construction progressive du statut protecteur de lanceur d’alerte en droit français.

La définition du lanceur d’alerte et ses évolutions

C’est d’abord la loi Sapin 2 qui définit le lanceur d’alerte en droit français. Aux termes du texte, le lanceur d’alerte est “une personne physique qui révèle ou signale, de manière désintéressée et de bonne foi, un crime ou un délit, une violation grave et manifeste d'un engagement international régulièrement ratifié ou approuvé par la France, d'un acte unilatéral d'une organisation internationale pris sur le fondement d'un tel engagement, de la loi ou du règlement, ou une menace ou un préjudice graves pour l'intérêt général, dont elle a eu personnellement connaissance.”

La loi du 21 mars 2022 qui transpose une directive européenne en droit français, modifie cette définition pour l’élargir.

D’abord, la notion de signalement “de manière désintéressée” est remplacée par le terme plus précis d’absence de contrepartie financière. Cette modification vient améliorer la recevabilité de l’alerte en cas de conflit entre le lanceur d’alerte et son employeur, notamment.

Ensuite, si le texte continue de prévoir que le lanceur d’alerte doit avoir personnellement connaissance des informations signalées, cette obligation est levée si celles-ci ont été recueillies dans le cadre de l’activité professionnelle de la personne. Il pourra alors divulguer des informations qui lui auraient été rapportées.

La nature de ces informations est également assouplie. Justement, la notion d’”informations” est ajoutée : le lanceur d’alerte peut signaler des informations sur un crime ou un délit (...) ce qui élargit le spectre des éléments divulgués susceptibles d’ouvrir au régime de protection.

Dans le même esprit, les violations mentionnées par l’article 6 n’ont plus à être “graves et manifestes” ce qui, une fois encore, en élargit le champ.

Enfin, il faut mentionner que l’entourage du lanceur d’alerte fait également désormais l’objet d’une protection. La directive européenne, suivie par la loi Waserman, établit un statut spécifique de “facilitateur” qui étend une partie des protections du lanceur d’alerte (notamment contre les représailles). Ce statut a pour but de limiter l’isolement du lanceur d’alerte.

La définition du lanceur d’alerte est donc progressivement élargie. En outre, la protection liée au statut est également mise en place par la loi Sapin 2 et renforcée par la directive européenne et par la loi Waserman qui la transpose.

Une protection progressivement renforcée du lanceur d’alerte

On l’a dit, parallèlement à l’élargissement du champ d’application du statut particulier de lanceur d’alerte, sa protection est également renforcée. Passons donc en revue les principaux éléments de cette protection.

D’abord, le lanceur d’alerte ne peut faire l’objet de “représailles”. C’est le cas dès la loi Sapin 2, mais la loi du 21 mars 2022 vient préciser la nature de ces représailles en en agrandissant la liste. Concrètement, il peut s’agir d’un frein que ferait subir l’entreprise à l‘évolution de carrière du lanceur d’alerte, ou encore à un changement négatif de ses conditions de travail.

Plus largement, toute intimidation, mise sur liste noire, atteinte à la réputation… font désormais partie du champ de ces représailles.

Ensuite, le lanceur d’alerte bénéficie d’une protection juridique contre l’engagement de sa responsabilité civile et pénale liée au signalement et à la divulgation des informations.

Enfin, le lanceur d’alerte peut bénéficier d’aides financières. D’une part, le juge peut accorder une provision pour frais de justice au lanceur d’alerte, notamment lorsque celui-ci en fait la demande en contestant une procédure-bâillon.

Plus généralement, le Défenseur des droits peut accorder une aide financière et psychologique au lanceur d’alerte, lorsque la situation l’exige et sur demande.

Evidemment, toute entrave au signalement par un lanceur d’alerte d’informations est punie par la loi. A cet égard, il convient maintenant de préciser que la procédure de signalement a été simplifiée par la loi Waserman et que les entreprises doivent désormais faciliter l’exercice des droits des lanceurs d’alerte.

La procédure de signalement simplifiée

La procédure de signalement telle que définie par la loi Sapin fixe trois moyens de divulgation des informations.

Premièrement, le lanceur d’alerte doit alerter sa hiérarchie, hormis dans certains cas définis par son statut dans l’entreprise et sa proximité avec les faits signalés.

Ensuite et seulement sans réponse de la part de l’entreprise, la personne peut se tourner vers l’autorité compétente externe (administration judiciaire ou administrative ou encore ordre professionnel, par exemple). Seulement en dernier recours, une divulgation publique était possible.

La loi du 21 mars 2022 vient clarifier et simplifier la procédure de signalement.

Désormais, le lanceur d’alerte peut choisir entre un signalement interne et externe.

Ceci est justifié par le fait qu’un signalement interne renforce le risque de représailles par l’entreprise. Enfin, la loi précise les cas dans lesquels il est possible d’entreprendre un signalement public :

  • en cas d’absence de traitement suite à un signalement externe ;
  • en cas de risque important de représailles ou si le signalement n’a aucune chance d’aboutir ;
  • en cas de “danger grave et imminent”. Pour les informations obtenues dans un cadre professionnel, la formulation retenue est celle de “danger imminent ou manifeste pour l’intérêt général”.


A noter que les entreprises doivent désormais faciliter le travail des lanceurs d’alerte. Concrètement, toutes les entreprises de plus de 50 salariés doivent mettre en place une procédure de signalement sécurisée.

Il peut s’agir d’une simple adresse email ou de l’adoption d’un outil de protection des lanceurs d’alerte [2] permettant de faire remonter des informations de façon anonyme à la bonne personne dans l’entreprise (RH, responsable compliance…).