Le majeur protégé et le monde du travail

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Auteur : Gérard Amable
Inspecteur du travail, directeur départemental de l’ANPE, DRH de plusieurs sociétés, et conseiller prud’homal. Il est le coauteur, avec Véronique Bonpain, de « Tutelle, curatelle, etc. » (nouvelle édition 2022-2023), Editions du Puits Fleuri

11 janvier 2022


Le 11 janvier 2022, Sous-commission "Majeurs vulnérables" du Barreau de Paris

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Introduction

Une mesure de protection juridique est destinée à protéger une personne majeure qui est dans l’impossibilité de pourvoir seule à ses intérêts, et qui doit donc être assistée ou représentée pour certains actes de la vie courante. Cette mesure ne peut être mise en place qu’en cas d’altération médicalement constatée des facultés mentales ou corporelles empêchant l’expression de la volonté (C. civ., art. 425).

Cependant, un majeur protégé peut travailler ou rechercher un emploi, s’il en a les capacités, et cela qu’il soit ou non reconnu comme travailleur handicapé. Un majeur protégé peut également être dans certains cas employeur à domicile.

D’où la question : comment s’articulent la mesure de protection juridique et la relation de travail ? Pour y répondre, il faut principalement se référer au code civil, au code du travail et au code de l’action sociale et des familles (CASF).

Le principe le plus structurant utilisé qu’on utilise pour cela est le suivant : en matière de contrat de travail, on se trouve dans le domaine de la protection des biens ; mais lorsque la situation de travail s’accompagne d’un soutien médico-social, on se trouve dans le domaine de la protection de la personne.

Les jugements de mise sous protection juridique (les « flux » d’entrée)

En 2020, les juges des tutelles ont prononcé 84.000 nouvelles mesures de protection. Ces mesures étaient des tutelles (31,3 %), des curatelles (34,4 %, en grande majorité des curatelles renforcées), des habilitations familiales (33,9 %), et des sauvegardes de justice (0,4 %)[1] .

Les évolutions sont rapides. L’habilitation familiale, mise en place en 2016 et étendue à l’assistance en 2019, représentait dès 2020 un tiers des nouvelles mesures de protection. Les juges des tutelles et les familles se sont visiblement saisis de cette nouvelle mesure de protection.

Sur ces 84.000 nouvelles mesures de protection en 2020, 54 % ont été confiées à des protecteurs familiaux, et 46 % à des mandataires judiciaires à la protection des majeurs (MJPM). La part importante des mesures confiées à des protecteurs familiaux tient à la montée en cadence de l’habilitation familiale.

Le nombre de majeurs protégés (les « stocks »)

Le nombre de majeurs protégés est très mal connu. Un rapport sénatorial parlait en 2019 de 730.000 majeurs protégés. On lit couramment ici et là qu’il y aurait près d’un million de majeurs protégés. En essayant de faire la synthèse entre les diverses estimations, nous retenons le nombre d’environ 800.000 majeurs protégés (soit 1,5 % des personnes majeures) se répartissant approximativement ainsi : - 450.000 majeurs protégés confiés à des MJPM - 350.000 majeurs protégés confiés à des protecteurs familiaux.

Les majeurs protégés au travail

Combien y a-t-il de majeurs protégés au travail ? On ne le sait pas vraiment. Il n’y a en effet pas de statistiques nationales fiables sur ce sujet, tout du moins pour ceux suivis par un protecteur familial. Les seules statistiques dont on dispose concernent les majeurs protégés suivis par un MJPM, grâce à une étude publiée en 2017 et réalisée après une enquête par échantillonnage[2]. Cette étude a été réalisée par l’ANCREAI (l’association nationale des CREAI), qui est la fédération des CREAI (centres régionaux d’études, d’actions et d’informations en faveur des personnes en situation de vulnérabilité).

De cette enquête, il ressort qu’en majorité (81 %), les majeurs protégés suivis par un MJPM n’exercent aucune activité professionnelle. Ce sont des retraités (43 %) ou des inactifs (38 %), souvent en raison d’un handicap ou d’une invalidité. Les autres majeurs protégés (19 %) se répartissent ainsi : 5 % recherchent un emploi ou sont en formation, et 14 % ont un emploi, le plus souvent (10 %) en ESAT. Les ESAT (établissements et services d’aide par le travail), qui sont les ex-CAT (centres d’aide par le travail), sont des structures médico-sociales employant des travailleurs handicapés.

Au vu de ces taux, cela donne pour l’estimation de 450.000 majeurs protégés suivis par un MJPM :
- environ 20.000 majeurs protégés recherchant un emploi ;
- environ 60.000 majeurs protégés au travail (secteur privé ou public, entreprises adaptées, ESAT), dont 45.000 majeurs protégés handicapés travaillant en ESAT.

On ne dispose donc pas de la même estimation pour les majeurs protégés suivis par un protecteur familial. D’où la difficulté pour connaître au total le nombre de majeurs protégés au travail.

De son côté, un rapport de l’inspection générale des Finances et de l’inspection générale des Affaires sociales, consacré aux ESAT, estimait en 2019 que 50.000 majeurs protégés handicapés travaillaient en ESAT[3].

Ces données permettent de constater que les majeurs protégés au travail sont en partie des travailleurs handicapés, mais dans une proportion difficile à chiffrer. Ce point a de l’importance car dans le monde du travail, les règles protectrices sont ciblées sur les travailleurs handicapés, et non pas sur les travailleurs sous protection juridique.

La distinction « milieu ordinaire de travail / milieu protégé »

Concernant les travailleurs handicapés, on distingue le « milieu ordinaire de travail » et le « milieu protégé ». Le code de l’action sociale et des familles et le code du travail font référence à ces termes lorsqu’ils traitent des travailleurs handicapés.

Le milieu ordinaire de travail regroupe les employeurs « classiques » (les entreprises, les associations, les administrations). Les entreprises adaptées en font également partie, avec quelques spécificités. En milieu ordinaire de travail, le travailleur handicapé bénéficie de règles plus protectrices, dans le secteur privé comme dans le secteur public. Le milieu protégé regroupe des structures dédiées spécifiquement aux travailleurs handicapés, à savoir les ESAT.

La première partie traite du majeur protégé au travail en milieu ordinaire.

La deuxième partie traite du majeur protégé au travail en milieu protégé.

La troisième partie traite du majeur protégé employeur à domicile.

Le majeur protégé au travail en milieu ordinaire

Le principe de non-discrimination au travail

Le principe de non-discrimination s’applique déjà aux relations entre le majeur protégé et le MJPM. A l’ouverture de la mesure de protection juridique, afin de garantir l’exercice effectif de ses droits et libertés, le MJPM remet notamment au majeur protégé une « charte des droits et libertés de la personne majeure protégée » (CASF, art. L. 471-6).

Cette charte figure à l’annexe 4-3 du code de l’action sociale et des familles. Elle a pour but de rappeler les principes en vertu desquels s’exerce la protection juridique. On y lit à l’article 2 :
« Nul ne peut faire l’objet d’une discrimination en raison de son sexe, de l’origine, de sa grossesse, de son apparence physique [etc.] lors de la mise en œuvre d’une mesure de protection. »

Les relations au sein du monde du travail sont soumises également au principe de non-discrimination dans le secteur privé (C. trav., art. L. 1132-1) :
« Aucun salarié ne peut (…) faire l'objet d'une mesure discriminatoire, directe ou indirecte, notamment en matière de rémunération (…), de formation, de reclassement, d'affectation, de qualification, de classification, de promotion professionnelle, de mutation ou de renouvellement de contrat en raison de (…) son état de santé, de sa perte d'autonomie ou de son handicap. » Ces termes (« état de santé », « perte d’autonomie », « handicap ») peuvent être mis en avant pour aider à faire respecter les droits du majeur protégé au travail. Des dispositions du même type existent dans la fonction publique (art. L. 131-1 du code général de la fonction publique).

« Aucune distinction, directe ou indirecte, ne peut être faite entre les agents publics en raison de leurs opinions politiques, syndicales (…), de leur état de santé (…), de leur handicap. »

Les risques de discrimination sont d’autant plus grands dans le monde du travail que la mesure de protection est connue de l’employeur. Le MJPM chargé de la protection des biens et de la perception des revenus informe en effet l’employeur de l’existence de la mesure de protection lors de son ouverture. C’est le cas en tutelle aux biens et en curatelle renforcée. Le MJPM fait également modifier par la banque l’intitulé des comptes bancaires. Ce qui donne, par exemple, « Monsieur X sous protection de Monsieur Y » ou « Monsieur X sous curatelle renforcée de Monsieur Y », selon les pratiques variables des banques. La prise de connaissance du relevé d’identité bancaire (RIB) correspondant concourt également à l’information de l’employeur sur l’existence de la mesure de protection.

Le majeur protégé est un travailleur comme un autre

Au travail en milieu ordinaire, le principe est que le majeur protégé est un travailleur comme un autre. L’ensemble de la réglementation lui est applicable, qu’il s’agisse du code du travail ou des conventions collectives de travail. Cela concerne les relations individuelles de travail (notamment l’exécution du contrat de travail), les relations collectives de travail (notamment les institutions représentatives du personnel), la durée du travail, la rémunération, la santé et la sécurité au travail, l’emploi, la formation professionnelle, etc. En fait, le code du travail ne traite pas spécifiquement du majeur protégé. Il traite par contre du travailleur handicapé.

Le code du travail traite également du contrat de travail. Or les modalités de conclusion et de rupture du contrat de travail du majeur protégé sont impactées par l’existence de la mesure de protection. Et cela débute avec une problématique très simple à énoncer : qui doit signer le contrat de travail pour qu’il soit juridiquement valable ?

On est là dans le domaine de la protection des biens. Le décret n° 2008-1484 du 22 décembre 2008 donne une liste détaillée d’actes d’administration et d’actes de disposition. On lit en particulier dans sa deuxième annexe que la conclusion et la rupture d’un contrat de travail en qualité d’employeur ou de salarié sont des actes d’administration, sauf requalification.

Si la mesure de protection ne porte que sur la protection de la personne, c’est alors le droit commun qui s’applique pour la conclusion et la rupture du contrat de travail du majeur protégé : ce dernier signe alors seul le contrat de travail.

La mise en place du contrat de travail

La conclusion du contrat de travail d’un majeur protégé est donc en principe un acte d’administration. D’où les conséquences en matière de tutelle et de curatelle (C. civ., art. 504, 505 et 467).

En tutelle aux biens, c’est en théorie le tuteur qui signe seul le contrat de travail et ses éventuels avenants au fil du temps. Il paraît toutefois évident qu’il doit en apprécier la nécessité avec le majeur protégé et obtenir son accord. Il est alors logique pour lui d’impliquer ce dernier en lui faisant signer également le contrat. Il suit alors la même logique que celle qui préside à la signature du contrat d’apprentissage. Le contrat d’apprentissage peut en effet être conclu avec un jeune qui, même s’il est mineur, signe le contrat (C. trav., art. R. 6222-2).

« Le contrat d'apprentissage est établi par écrit. Chaque exemplaire est signé par l'employeur, l'apprenti et, le cas échéant, son représentant légal. »

En habilitation familiale avec représentation pour les biens, il en est de même qu’en tutelle. En curatelle aux biens, c’est le majeur protégé qui signe seul le contrat de travail. En habilitation familiale avec assistance pour les biens, il en est de même qu’en curatelle. En sauvegarde de justice, c’est le droit commun qui s’applique, sauf si le juge des tutelles en a disposé autrement dans le mandat spécial.

Si nécessaire, le contrat de travail signé seul par le majeur protégé peut être réduit pour excès ou rescindé pour lésion tant en sauvegarde de justice qu’en curatelle (C. civ., art. 435 et 465). Pour se prononcer, le tribunal prend notamment en considération l'utilité ou l'inutilité du contrat, et la bonne ou mauvaise foi de l’employeur.

La rupture du contrat de travail par le majeur protégé

La rupture du contrat de travail par le majeur protégé est donc également, en principe, un acte d’administration. D’où les conséquences en matière de tutelle et de curatelle.

En tutelle aux biens, c’est en théorie le tuteur qui signe seul la rupture du contrat de travail, c’est-à-dire la lettre de démission. Il paraît toutefois évident qu’il doit en apprécier la nécessité avec le majeur protégé et obtenir son accord. Il est alors logique pour lui d’impliquer ce dernier en lui faisant signer également cette lettre. Mais la rupture peut avoir des conséquences importantes sur le mode de vie ou sur le patrimoine du majeur protégé (par exemple en cas de démission risquant de déboucher sur une période de chômage et une baisse des revenus). Dans ce cas, le tuteur aux biens peut considérer qu’il s’agit là plutôt d’un acte de disposition, comme le permet le décret précité du 22 décembre 2008, et qu’il est donc nécessaire d’obtenir l’autorisation du juge des tutelles. Tout est affaire d’appréciation. La lettre de démission signée par le seul majeur protégé serait en principe nulle de droit (C. civ., art. 465, al. 3).

En habilitation familiale avec représentation pour les biens, c’est la personne habilitée qui signe en principe seule la rupture du contrat de travail. Là aussi, il est logique d’impliquer le majeur protégé.

En curatelle aux biens, c’est a priori le majeur protégé seul qui peut rompre le contrat de travail. Mais là aussi, la rupture peut avoir des conséquences importantes sur son mode de vie ou sur son patrimoine. Dans ce cas, le curateur peut considérer qu’il s’agit plutôt d’un acte de disposition, et qu’il doit donc consentir à l’acte en l’assistant.

Là aussi, tout est affaire d’appréciation. Le juge du contrat, saisi d’une contestation, peut de lui-même requalifier la démission en acte de disposition nécessitant l’assistance du curateur : « (…) la démission constitue de la part de son auteur sous curatelle renforcée un acte de disposition lui faisant perdre l’exercice de droits qui suppose l’assistance du curateur » (Poitiers, 11 janvier 2011, n° 10/00127).

En habilitation familiale avec assistance pour les biens, c’est le majeur protégé seul qui peut rompre le contrat de travail. En sauvegarde de justice, c’est le droit commun qui s’applique, sauf si le juge des tutelles en a disposé autrement dans le mandat spécial.

La rupture du contrat de travail du majeur protégé par l’employeur

Dans le secteur privé, les règles relatives à la rupture du contrat de travail par l’employeur figurent dans la première partie du code du travail. On y distingue le licenciement économique du licenciement individuel pour motif personnel. Comme déjà indiqué, il n’y a pas dans ce code de règles protectrices ciblées spécifiquement sur les majeurs protégés. Pour un licenciement collectif pour motif économique, les critères retenus pour fixer l’ordre des licenciements sont fixés par la convention ou l’accord collectif applicable, et à défaut par l’employeur qui doit prendre notamment en compte « la situation des salariés qui présentent des caractéristiques sociales rendant leur réinsertion professionnelle particulièrement difficile, notamment celle des personnes handicapées et des salariés âgés » (C. trav., art. L. 1233-5). Pour un licenciement individuel pour motif économique, l’employeur doit prendre en compte ces mêmes critères légaux (C. trav., art. L. 1233-7). C’est là, a priori, le seul point d’entrée pour faire prévaloir la situation particulière du majeur protégé. Le conseil de prud’hommes est compétent pour apprécier le respect par l’employeur des critères d’ordre des licenciements.

Pour un licenciement individuel pour motif personnel, le droit applicable prévoit une suite d’étapes. Ces étapes sont principalement les suivantes : une convocation à entretien préalable à licenciement, un entretien préalable permettant à l’employeur d’indiquer les motifs de la décision envisagée et de recueillir les explications du salarié (C. trav., art. L. 1232-3), et la notification éventuelle du licenciement.

Lorsqu’un majeur protégé est concerné par un tel licenciement, on peut s’interroger notamment sur trois points :
1 Le protecteur doit-il être également destinataire de la convocation à entretien préalable ?
2 Le protecteur doit-il être également présent en entretien préalable ?
3 Le licenciement doit-il être également notifié au protecteur ?

En tutelle aux biens, comme le majeur protégé, le tuteur doit certainement être destinataire de la convocation et de la lettre de licenciement car il représente le majeur protégé en matière de rupture de contrat de travail. Pour la présence éventuelle à l’entretien préalable, il n’est bien sûr pas question de représenter le majeur protégé, mais de l’assister : on raisonnera donc, sur ce point, comme en curatelle.

En curatelle aux biens, les trois questions précitées posent problème. Les réponses ne se trouvent pas dans le code du travail. Elles sont donc à rechercher dans l’articulation entre le code civil et le code du travail, d’où le rôle important de la jurisprudence. Apparemment, et sauf erreur, la Cour de cassation ne s’est pas prononcée sur ces trois points.

Le protecteur doit-il être également destinataire de la convocation à entretien préalable ?

Oui, répondent certaines cours d’appel, le protecteur doit être également destinataire de la convocation à entretien préalable faite par lettre recommandée avec avis de réception :

- Toulouse, 13 janvier 2017, n° 15/01954, et Nîmes, 1er décembre 2015, n° 14/01557

Cet arrêt s’appuie sur l’article 467, alinéa 3 du code civil, qui dispose que « à peine de nullité, toute signification faite au majeur protégé l’est également au curateur ». « La curatelle est un régime d’aide, d’assistance et de contrôle de la personne protégée. Il résulte des dispositions de l’article 467 du code civil qu’à peine de nullité toute signification faite à la personne sous curatelle doit l’être également au curateur. Dès lors la convocation à un entretien préalable à licenciement comme la notification du licenciement doivent être faites à la fois au majeur protégé et à son curateur. »

Le sens du mot « signification » est donc ici élargi pour englober une convocation par lettre recommandée avec avis de réception. Or en principe, la signification est une notification faite par voie d’huissier (art. 651 CPC).

- Bourges, 6 septembre 2013, n° 11/01540

L’arrêt s’appuie sur un autre raisonnement, à savoir sur la requalification d’un acte d’administration en acte de disposition nécessitant l’assistance du curateur (article 1 du décret du 22 décembre 2008).

« Attendu que selon l’annexe II au décret n° 2008-1484 du 22 décembre 2008, la rupture d’un contrat de travail en qualité de salarié est un acte d’administration ; que cependant, en vertu du troisième alinéa de l’article 1er de ce décret, des circonstances d’espèce permettent de considérer que ces actes constituent des actes de disposition en raison de leurs conséquences importantes sur le contenu ou la valeur du patrimoine de la personne protégée, sur les prérogatives de celle-ci ou sur son mode de vie ; que les actes de disposition nécessitent l’assistance de la personne protégée par son curateur conformément à l’article 467 du code civil ; Attendu que (…) le curateur n’a pas été averti de cette convocation ; (…) que ce licenciement avait des conséquences importantes sur les prérogatives de la personne protégée et sur son mode de vie ; (…) qu’en l’absence de l’assistance du curateur, la procédure de licenciement de M. Y C est irrégulière et le licenciement est privé de cause réelle et sérieuse. » L’arrêt dit que le licenciement ayant des conséquences importantes sur les prérogatives de la personne protégée et sur son mode de vie, c’est un acte de disposition nécessitant l’assistance du curateur, laquelle assistance ne peut donc pas être prodiguée faute d’information du curateur sur l’engagement de la procédure. L’arrêt en déduit qu’en l’absence de l’assistance du curateur, la procédure de licenciement est irrégulière et le licenciement est privé de cause réelle et sérieuse.

Ici, c’est la notion d’assistance par le curateur qui est mise en avant, au sens du code civil. Or, la notion d’assistance ne recouvre pas la même réalité dans le code du travail, il s’agit plutôt d’une assistance en présence, en soutien, voire en témoignage, le rôle « d’assistant » cessant dès la fin de l’entretien. Pour le code du travail, les personnes pouvant assister le salarié au cours de l’entretien sont limitativement définies (C. trav., art. L. 1232-4) : un membre du personnel de l’entreprise, ou un conseiller du salarié figurant sur une liste fixée par arrêté préfectoral. Il n’y a pas d’exception, pas même pour un travailleur handicapé ou un représentant du personnel.

On peut de plus objecter qu’à ce stade, le licenciement n’est pas certain car n’étant qu’envisagé. Il paraît donc excessif de se baser sur l’hypothèse d’une poursuite de la procédure jusqu’au licenciement pour en déduire la nécessité de l’assistance du curateur.

Le protecteur doit-il être également présent en entretien préalable ?

Non, répond une cour d’appel, le curateur ne doit pas être également présent en entretien préalable :

- Dijon, 25 mars 2010, n° 09/00530

Dans cette affaire, le majeur protégé demandeur soutient que son licenciement serait nul, par référence aux articles 467 et 465 du code civil. L’article 467, alinéa 1 dit que le majeur protégé doit être assisté par son curateur pour les actes de disposition. L’article 465, alinéa 3 dit qu’un acte fait par le majeur protégé seul alors qu’il aurait dû être assisté peut-être annulé. Le demandeur en déduit que l’entretien préalable à licenciement s’étant tenu sans la présence du curateur, le licenciement doit être annulé. « Dans sa rédaction en vigueur à la date du licenciement, l’article [467] du code civil disposait que le majeur en tutelle ne peut, sans l’assistance de son curateur, faire aucun acte qui, sous le régime de la tutelle des majeurs, requerrait une autorisation du conseil de famille. De même, l’article [465] permettait au majeur en curatelle de demander l’annulation de l’acte qu’il avait fait seul alors que l’assistance de son curateur était requise. Comme l’a estimé à bon droit le conseil de prud’hommes, ces textes de loi sont inapplicables en l’espèce où le majeur sous curatelle n’a accompli aucun acte. »

L’arrêt dit que ces deux articles 465 et 467 ne s’appliquent pas car le majeur proposé n’a en l’occurrence accompli aucun acte. Effectivement, la classification des actes en actes d’administration et en actes de disposition (et les conséquences à en tirer en termes d’assistance ou non par le curateur) concerne les actes réalisés par le majeur protégé, et non pas les actes réalisés par l’employeur. Or ici, c’est l’employeur qui agit en engageant la procédure de licenciement, et non pas le majeur protégé.

Le licenciement doit-il être également notifié au protecteur ?

On va retrouver là, peu ou prou, les mêmes raisonnements.

Oui, répond une cour d’appel, le licenciement doit être également notifié au protecteur :

- Toulouse, 13 janvier 2017, n° 15/01954

C’est l’arrêt déjà cité qui, tant pour la convocation à l’entretien préalable que pour la notification du licenciement, s’appuie sur l’article 467, alinéa 3 du code civil qui dispose que « à peine de nullité, la signification faite à la personne protégée l’est également au curateur ».

Non, répondent deux autres cours d’appel, le licenciement ne doit pas être également notifié au protecteur :

- Versailles, 7 janvier 2014, n° 13/02380

L’arrêt dit qu’aucun argument ne peut être tiré du défaut de signification d’un courrier recommandé adressé par l’employeur.

« Le premier juge (…) a ensuite analysé les dispositions légales sur la curatelle et en a déduit que la notification du licenciement n’était pas dans les actes prévus nécessitant l’intervention du curateur. (…) Aucun argument ne peut être tiré du défaut de signification des courriers recommandés adressés par [l’employeur]. En effet, les textes allégués par [le majeur protégé] ne concernent que des significations contentieuses ou des actes juridiques décidés par le majeur protégé, ce qui n’est pas le cas d’un licenciement ressortant de la seule volonté de l’employeur. »

L’arrêt reprend donc le raisonnement selon lequel l’analyse juridique doit prendre en compte les actes du majeur protégé, et non pas à ceux de l’employeur. Or ici, c’est bien l’employeur qui agit en notifiant le licenciement, et non pas le majeur protégé.

- Orléans, 17 juin 2021, n° 19/00052

Cet arrêt va dans le même sens :

« L'article 467 du Code civil dispose que la personne en curatelle ne peut, sans l'assistance du curateur, faire aucun acte qui, en cas de tutelle, requérait une autorisation du jugement du conseil de famille. (…) l'assistance à une convocation préalable et la réception d'une lettre de licenciement ne sauraient s'assimiler à « un acte qu'elle aurait fait », les dispositions de cet article ne peuvent donc s'appliquer à son cas. »

Finalement, les réponses à apporter aux trois questions examinées ci-dessus dépendent de la lecture à faire des articles 465 et 467 du code civil.

Pour ce qui concerne l’articulation entre l’article 467, alinéa 1 (l’assistance par le curateur) et l’article 465, alinéa 3 du code civil (l’annulation d’un acte que le majeur protégé a fait à tort seul), la difficulté tient à la définition des actes concernés. On peut soutenir que ces articles ne visent que les actes accomplis par le majeur protégé, et non pas ceux accomplis par l’employeur, même s’ils entraînent des conséquences pour le majeur protégé. Et que c’est donc à tort qu’on sollicite ces textes pour faire jouer un rôle au curateur dans la procédure de licenciement.

Pour ce qui concerne l’article 467, alinéa 3 du code civil (la signification), la difficulté tient à l’interprétation qui est faite du terme « signification » pour la convocation à l’entretien préalable à licenciement et, surtout, pour la notification du licenciement. Ce terme est a priori d’interprétation stricte : une notification n’est pas une signification.

Tout cela mériterait d’être tranché par la Cour de cassation.

Toutefois, dans un arrêt récent impliquant un majeur protégé, la Cour de cassation est sortie de la définition stricte de la signification pour l’application de cet article 467, alinéa 3 (Civ. 16 décembre 2020, n° 19-13.762). Mais cela concernait un autre thème que la rupture du contrat de travail. L’arrêt concerne en fait une caisse primaire d’assurance maladie qui a notifié un indu à un majeur protégé par lettre recommandée avec avis de réception, sachant que la notification n’a pas été faite au curateur. Il est dit dans l’arrêt que la notification, à peine de nullité, doit être faite également au curateur, avec un raisonnement nouveau.

« Selon l’article 467, alinéa 3 du code civil, à peine de nullité, toute signification faite à la personne en curatelle l’est également à son curateur. Selon l'article 468, alinéa 3 [du code civil], l'assistance du curateur est requise pour introduire une action en justice ou y défendre. (…) La lettre notifiant l'indu de prestations ouvre l'action en recouvrement et expose l'assuré, qui ne saisit pas la commission de recours amiable dans les délais, aux risques d'une récupération des sommes par retenue sur les prestations à venir et d'une impossibilité de saisir d'un recours une juridiction de sécurité sociale. Il s'en déduit que cette lettre doit, à peine de nullité, être notifiée par l'organisme de sécurité sociale tant à l'assuré qu'à son curateur. (…) Il en résulte que cette notification, affectée d’une irrégularité de fond, était nulle. »

L’arrêt fait référence à l’article 467, mais également à l’article 468 du code civil, ce dernier article disant que l’assistance du curateur est requise pour une action en justice. L’arrêt considère en quelque sorte la notification comme étant une quasi-signification car ouvrant la procédure précontentieuse. Ce raisonnement peut-il s’appliquer aux courriers recommandés avec avis de réception envoyés au cours de la procédure de licenciement prévue par le code du travail ?

On ne semble pas pouvoir tirer de conséquences de cet arrêt pour l’envoi de la convocation préalable à licenciement, ledit licenciement n’étant qu’une possibilité à ce stade, et non pas une certitude.

Par contre, La Cour de cassation pourrait reprendre le raisonnement précité pour dire que la notification du licenciement doit être faite également au curateur. En effet, la réception de la lettre de licenciement ouvre pour le salarié le délai de quinze jours lui permettant de demander des précisions sur les motifs énoncés dans la lettre de licenciement (C. trav., art. L. 1235-2, R. 1232-13 et R. 1233-2-2). Le curateur doit certainement l’assister pour cette demande, qu’on peut qualifier d’acte de disposition du fait de ses conséquences en cas de contestation du licenciement. En effet, il est de jurisprudence constante que seuls les motifs énoncés dans la lettre de licenciement, éventuellement précisés, fixent les limites du litige à examiner par les juges du fond. Par ailleurs, la notification de la lettre de licenciement ouvre également le délai d’un an pour contester en justice le licenciement (C. trav., art. L. 1471-1), le curateur assistant pour cela le majeur protégé. Tout cela pourrait conduire la Cour de cassation à dire que l’employeur doit notifier également le licenciement au curateur.

L’inscription à Pôle emploi

Un majeur protégé peut s’inscrire lui-même à Pôle emploi dans les mêmes conditions que toute personne. C’est un acte personnel simple dans son principe, qui donnera ou non des droits à une indemnisation chômage. Cependant, une instruction « Pôle emploi » du 24 novembre 2011 traitait de l’inscription du demandeur d’emploi[4] et y faisait jouer à tort un rôle au protecteur dans la procédure d’inscription :

« Le majeur sous tutelle peut s’inscrire en présence de son tuteur. Cependant, en pratique, l’inscription effectuée directement par le majeur sous tutelle sans la présence de son tuteur est valable mais peut être contestée par le tuteur. L’inscription effectuée directement par le majeur sous curatelle sans la présence de son curateur est valable mais peut être contestée par ce dernier. »

L’instruction « Pôle emploi » du 6 octobre 2016 applicable aujourd’hui en la matière[5] ne distingue plus le cas des majeurs protégés, et donc ne fait plus mention du tuteur ou du curateur. Un majeur protégé peut donc bien s’inscrire librement à Pôle emploi sans être assisté ou représenté par son protecteur.

Le droit aux allocations chômage

Un majeur protégé ayant travaillé en milieu ordinaire de travail peut bénéficier des allocations chômage sous les mêmes conditions que tout autre salarié, et notamment en cas de démission légitime.

Notons un particularisme, qui peut certes paraître anecdotique, en matière de démission légitime donnant droit aux allocations chômage : est réputée légitime la démission d’un salarié majeur placé sous sauvegarde de justice, curatelle ou tutelle, qui rompt son contrat de travail pour suivre son parent désigné mandataire spécial, curateur ou tuteur (décret n° 2019-797 du 26 juillet 2019 relatif au régime d'assurance chômage, annexe A, article 2).

La reconnaissance de la qualité de travailleur handicapé (RQTH)

Une partie des majeurs protégés travaillant en milieu ordinaire de travail sont donc des travailleurs handicapés.

La reconnaissance de la qualité de travailleur handicapé (RQTH) est une décision administrative. Elle a pour objectif de permettre au bénéficiaire l’accès à un ensemble de mesures mises en place pour favoriser l’insertion professionnelle des personnes handicapées. Ces mesures sont notamment :

- Le droit à bénéficier de l’obligation d’emploi des travailleurs handicapés (C. trav., L. 5212-13). Au titre de cette obligation, toute entreprise occupant au moins 20 salariés doit employer des travailleurs handicapés à hauteur de 6 % de son effectif (C. trav., art. L. 5212-1 et 2). En pratique, le taux constaté en 2019 au niveau national était de 3,5 %[6].
- L’accès à des dispositifs spécifiques (stages de réadaptation, de rééducation ou de formation professionnelle).
- Le droit à des aménagements d’horaires (C. trav., art. L. 3121-49), à des aménagements du poste de travail (C. trav., art. R. 4225-6), ou à des règles particulières en cas de rupture du contrat de travail, telle la majoration de la durée de préavis de licenciement (C. trav., art. L. 5213-9).

- L’accès à la fonction publique, par concours ou par recrutement contractuel spécifique.

Mais la RQTH ne garantit pas à une personne d’obtenir un emploi si elle en est privée.

La demande de RQTH auprès de la maison départementale des personnes handicapées (MDPH) est une démarche administrative à caractère personnel. Pour un majeur protégé, la demande peut donc être faite par l’intéressé ou par son représentant (tuteur en tutelle à la personne, personne habilitée en habilitation familiale avec représentation pour les actes relatifs à la personne). En curatelle à la personne, la demande est faite par le majeur protégé, avec les conseils du curateur pour le montage du dossier. Pour les mesures de protection aux biens, c’est le droit commun qui s’applique, c’est-à-dire que le majeur protégé agit seul.

Au sein de la MDPH, c’est la commission des droits et de l’autonomie des personnes handicapées (CDAPH) qui accorde ou non la RQTH.

C. trav., art. L. 5213-2

« La qualité de travailleur handicapé est reconnue par la CDAPH. Cette reconnaissance s'accompagne d'une orientation vers un établissement ou service d'aide par le travail, vers le marché du travail ou vers un centre de rééducation professionnelle. »

La décision est rendue dans un délai variant d’un département à l’autre, selon la charge de travail des services concernés (en pratique plusieurs mois). Cette décision est déconnectée de l’existence d’un emploi précis préalablement identifié.

Si la CDAPH accorde la RQTH, elle oriente la personne handicapée vers la voie la plus adaptée en tenant compte de ses possibilités d’insertion professionnelle. Ce peut être vers le milieu ordinaire de travail ou vers le milieu protégé. La CDAPH peut aussi orienter la personne handicapée vers un centre de rééducation professionnelle dispensant une formation qualifiante.

C. trav., art. R. 5213-87

« Lorsque la commission des droits et de l'autonomie des personnes handicapées envisage l'orientation sur le marché du travail ou vers un établissement ou service d'aide par le travail, elle se prononce par une décision motivée, en tenant compte des possibilités réelles d'insertion dans le marché du travail ou au sein d'un tel établissement ou service. »

La personne handicapée n’est pas obligée de se prévaloir de sa décision de RQTH si elle est en recherche d’emploi, ou d’en informer son employeur si elle a un travail.

Le travail en entreprise adaptée

Avec sa décision de RQTH, le travailleur handicapé peut être orienté par la CDAPH en entreprise adaptée. L’entreprise adaptée (C. trav., art. L. 5213-13 s.) fait partie du milieu ordinaire de travail. Elle permet à un travailleur handicapé d’exercer une activité professionnelle dans des conditions adaptées à ses possibilités. Elle dispose d’un agrément préfectoral et perçoit des aides financières de l’État en s’engageant à employer au moins 55 % de travailleurs handicapés. Il y a environ 800 entreprises adaptées en France employant 26.000 travailleurs handicapés[7] .

En entreprise adaptée, le travailleur handicapé a le statut de salarié de droit privé et est soumis aux mêmes règles que les autres salariés. Le code du travail s’y applique, notamment pour les travailleurs handicapés qu’elle emploie.

C. trav., art. L. 5213-14

« Les dispositions du présent code sont applicables aux travailleurs handicapés salariés des entreprises adaptées. »

Ce qui a été présenté plus haut pour la conclusion et la rupture du contrat de travail du majeur protégé s’applique donc là également.

Il y a une disposition favorable pour inciter une entreprise du milieu ordinaire de travail à recourir aux services des entreprises adaptées et des ESAT. Lorsqu’une telle entreprise ne respecte pas l’obligation d’emploi des travailleurs handicapés (le minimum de 6 % de l’effectif), elle doit payer une contribution annuelle à l’Agefiph. Mais cette contribution peut être réduite en prenant en compte les contrats de sous-traitance ou de prestations de services qu’elle a passés avec des entreprises adaptées et des ESAT (C. trav., art. L. 5212-10-1).

Le majeur protégé au travail en ESAT (milieu protégé)

Avec les ESAT (établissements et services d’aide par le travail), nous entrons dans le monde du médico-social, et donc dans le domaine de la protection de la personne (par opposition à la protection des biens).

Pour les majeurs protégés, le volet « protection de la personne » est couvert par des dispositions légales ou réglementaires spécifiques. Ces dispositions figurent principalement dans trois codes :
- Dans le code civil pour ce qui concerne par exemple le choix du lieu de résidence, la protection du domicile, le mariage, le Pacs et le divorce.
- Dans le code de la santé publique (CSP) pour tout ce qui concerne la santé : notamment la personne de confiance, les directives anticipées, l’information médicale et le consentement aux soins médicaux.
- Dans le code de l’action sociale et des familles pour tout ce qui concerne l’accompagnement médico-social, et principalement l’accueil et le suivi par des établissements et des services sociaux et médico-sociaux (ESSMS).

D’autres dispositions figurent également dans d’autres codes : le code électoral et le code pénal, par exemple.

Les ESAT sont des lieux de travail particuliers

Les ESAT accueillent des personnes handicapées adultes dont les capacités de travail ne leur permettent pas de travailler en milieu ordinaire. Le but est de leur permettre d’exercer une activité professionnelle tout en bénéficiant d’un soutien médico-social (CASF, art. L. 344-2).

« Les établissements et services d'aide par le travail accueillent des personnes handicapées dont [la CDAPH] a constaté que les capacités de travail ne leur permettent, momentanément ou durablement, à temps plein ou à temps partiel, ni de travailler dans une entreprise ordinaire ou dans une entreprise adaptée, ni d'exercer une activité professionnelle indépendante. Ils leur offrent des possibilités d'activités diverses à caractère professionnel, ainsi qu'un soutien médico-social et éducatif, en vue de favoriser leur épanouissement personnel et social. »

Les ESAT ont une activité économique dans des domaines tels que l’entretien d’espaces verts, la restauration, le nettoyage, le conditionnement, la blanchisserie, le maraîchage, etc. Il y a environ 1.400 ESAT en France. Le rapport précité de l’inspection générale des Finances et de l’inspection générale des Affaires sociales consacré aux ESAT estime que 50.000 majeurs protégés handicapés travaillent en ESAT. Ils représentent 42 % des 120.000 travailleurs handicapés au travail en ESAT.

Le point le plus structurant est que l’ESAT n’est pas une entreprise, mais un établissement médico-social au sens de la réglementation (CASF, art. L. 312-1 I-(5°)). « Sont des établissements et services sociaux et médico-sociaux, au sens du présent code, les établissements et les services, dotés ou non d'une personnalité morale propre, énumérés ci-après : (…) 5° Les établissements ou services d'aide par le travail. »

Dans cette liste d’ESSMS figurent notamment les établissements hébergeant des personnes âgées dépendantes (les EHPAD), les établissements hébergeant des personnes handicapées, les services tutélaires mettant en œuvre les mesures de protection des majeurs, etc.

En tant qu’établissement médico-social, un ESAT doit disposer d’une autorisation de fonctionnement de la part de l’agence régionale de santé (ARS), et il reçoit une aide financière de l’État.

L’ESAT n’est donc pas une entreprise. Et le code du travail ne s’y applique pas, sauf exceptions dûment prévues par des articles spécifiques du code de l’action sociale et des familles renvoyant à différents articles du code du travail. Le travailleur handicapé travaillant en ESAT est un usager d’un service médico-social et n'est pas juridiquement un salarié. La jurisprudence l’a confirmé (Soc. 16 décembre 2015, n° 11-22.376), suite à un arrêt de la Cour de justice de l’Union européenne.

Le statut du travailleur handicapé en ESAT est défini par le code de l’action sociale et des familles. De ce fait, ces travailleurs handicapés ne bénéficient pas d’un certain nombre de dispositions classiques du code du travail citées ci-dessous. Par contre, ils bénéficient de certaines dispositions plus protectrices du code de l’action sociale et des familles, également citées ci-dessous.

Il n’y a pas de convention collective nationale du travail qui vient compléter les dispositions légales, alors que les salariés du secteur privé sont couverts par de telles conventions qui viennent améliorer les dispositions légales. C’est d’autant plus notable que sur le même lieu de travail, les encadrants de l’ESAT, qui eux ont le statut de salariés, bénéficient de telles conventions collectives[8] .

Toujours du fait que le code du travail ne s’applique pas, les travailleurs handicapés en ESAT ne bénéficient pas de l’institution classique de représentation du personnel qu’est le comité social et économique (CSE). Ces travailleurs participent cependant à la vie collective en élisant des délégués au conseil de la vie sociale (CVS) de l’ESAT. Le CVS est une instance prévue par la loi dans les établissements et services sociaux et médico-sociaux.

CASF, art. L. 311-6

« Afin d'associer les personnes bénéficiaires des prestations au fonctionnement de l'établissement ou du service, il est institué soit un conseil de la vie sociale, soit d'autres formes de participation. Les catégories d'établissements ou de services qui doivent mettre en œuvre obligatoirement le conseil de la vie sociale sont précisées par décret. »

CASF, art. D. 311-3

« Le conseil de la vie sociale est mis en place lorsque l'établissement ou le service assure un hébergement ou un accueil de jour continu ou une activité d'aide par le travail. »

Le CVS est une instance qui se réunit au moins trois fois par an. Il peut faire des propositions et donner des avis sur toute question intéressant la vie de l’établissement (CASF, art. D. 311-15 s.) :
« Le conseil donne son avis et peut faire des propositions sur toute question intéressant le fonctionnement de l'établissement ou du service notamment sur l'organisation intérieure et la vie quotidienne, les activités, l'animation socioculturelle et les services thérapeutiques, les projets de travaux et d'équipements, la nature et le prix des services rendus, l'affectation des locaux collectifs, l'entretien des locaux, les relogements prévus en cas de travaux ou de fermeture, l'animation de la vie institutionnelle et les mesures prises pour favoriser les relations entre ces participants ainsi que les modifications substantielles touchant aux conditions de prises en charge. »

Toujours du fait que le code du travail ne s’applique pas, le conseil de prud’hommes n’est pas compétent pour juger des différends éventuels qui opposent les ESAT aux travailleurs handicapés à l’occasion des activités à caractère professionnel exercées.

Les ESAT sont donc bien des lieux de travail particuliers.

Le Gouvernement a présenté en juillet 2021 un plan de transformation des ESAT. Le plan définit les orientations pour les années à venir, avec des mesures qui entreront en vigueur au fil du temps. Mais ce plan maintient le statut actuel des travailleurs handicapés en ESAT, et écarte la possibilité de les reconnaître en tant que salariés. A titre secondaire, le plan prévoit de faire évoluer les appellations. L’acronyme ESAT deviendrait « établissement ou service d’accompagnement par le travail » afin d’affirmer la mission des ESAT d’accompagner le projet professionnel des personnes handicapées. L’orientation en milieu protégé deviendrait l’orientation en « parcours renforcé en emploi ».

L’entrée en ESAT

La CDAPH peut orienter le travailleur handicapé vers le milieu protégé, c’est-à-dire en pratique en ESAT. La décision d’orientation indique les établissements d’accueil possibles. Le travailleur handicapé doit alors se tourner vers ces établissements. Dans la limite de sa spécialité, un ESAT ne peut pas lui refuser l’admission s’il existe une place libre (CASF, art. L. 241-6).

« La décision de la [CDAPH] s'impose à tout établissement ou service dans la limite de la spécialité au titre de laquelle il a été autorisé. »

Sinon, faute de place disponible, l’ESAT procède à l’inscription du travailleur handicapé sur une liste d’attente. La décision finale d’admission appartient à l’établissement. Une décision d’orientation en ESAT ne garantit donc pas d’y trouver une place, le délai d’attente pouvant durer des mois, voire des années…

Le travailleur handicapé signe avec l’ESAT non pas un contrat de travail, mais un contrat de soutien et d’aide par le travail (CASF, L. 311-4).

« Un contrat de séjour est conclu (…) avec la participation de la personne accueillie. (…) Lorsqu'il est conclu dans les [ESAT], le contrat de séjour (…) est dénommé " contrat de soutien et d'aide par le travail ". Ce contrat doit être conforme à un modèle de contrat établi par décret. »

Le contrat de soutien et d’aide par le travail est conforme à un modèle réglementaire. Pour cela, l’article D. 311-0-1 du code de l’action sociale et des familles renvoie au modèle de contrat figurant à l’annexe 3-9 du même code. Le contrat définit les droits et les obligations réciproques de l’ESAT et du travailleur handicapé, afin d’encadrer l’exercice des activités à caractère professionnel et la mise en œuvre du soutien médico-social et éducatif afférent à ces activités. L’ESAT peut y apporter des aménagements, dès lors que les principaux éléments du modèle du contrat y figurent (Circ. n° DGAS/3B/2008/259 du 1er août 2008). Le contrat est signé pour une durée d’un an renouvelable par tacite reconduction.

Qui doit signer le contrat ? C’est l’un des sujets qui ont été clarifiés par les dispositions de l’ordonnance du 11 mars 2020[9] pour la partie légale, et le décret du 28 mai 2021 pour la partie réglementaire. Ces textes ont modifié le code de l’action sociale et des familles et le code de la santé publique pour ce qui concerne les majeurs protégés. On y distingue désormais mieux ce qui relève de chaque type de mesure de protection, et ce qui relève de la protection de la personne ou de ses biens.

En particulier, le décret du 28 mai 2021[10] a modifié l’annexe 3-9 du code de l’action sociale et des familles en n’y faisant plus intervenir, pour les majeurs protégés, que le protecteur chargé d'une mesure de protection juridique avec représentation : il s’agit du tuteur ou de la personne habilitée pour l’habilitation familiale avec représentation, que la protection concerne la personne ou les biens. L’explication est la suivante.

Le contrat de soutien et d’aide par le travail traite de deux aspects : la conclusion des relations de travail d’une part, et le soutien médico-social d’autre part. Pour le majeur protégé, le premier aspect concerne la protection des biens, et le deuxième aspect concerne la protection de la personne. C’est pourquoi son protecteur chargé de le représenter joue un rôle en la matière, qu’il soit seulement chargé de la protection des biens ou seulement chargé de la protection de la personne.

Le majeur protégé doit être partie prenante dans l’élaboration du contrat et donner son consentement en le signant, dans toute la mesure du possible. Le protecteur précité signe également le contrat. Dans les autres cas de mesure de protection juridique (curatelle, habilitation familiale avec assistance), le protecteur n’a pas à signer le contrat. Pour la signature du contrat, au plus tard un mois après l’entrée en ESAT, le majeur protégé peut être accompagné par un tiers de son choix (CASF, annexe 3-9), par exemple un proche ou le protecteur quand il n’est pas signataire.

L’entrée en ESAT peut s’accompagner d’une période d’essai de six mois, renouvelable sur proposition de la direction de l’ESAT (CASF, art. R. 243-2).

Les problèmes dans la vie du contrat

Par la suite, en cas de difficultés dans l’application du contrat, la direction de l’établissement doit rencontrer le travailleur handicapé. L’entretien peut se faire en présence d'un membre du personnel ou d'un autre travailleur handicapé de l’ESAT, d’un membre de la famille ou du protecteur signataire du contrat.

Le contrat ne peut être rompu à l’initiative de la direction qu’avec l’accord de la CDAPH (CASF, art. L. 241-6) et pour des motifs précis : manquements graves et répétés au règlement non liés au handicap, détérioration de la santé du travailleur ne lui permettant plus de travailler, fermeture de l’établissement (CASF, art. L. 311-4-1). Même en cas d’avis d’inaptitude médicale rendu par le médecin du travail de l’ESAT, la direction doit obtenir au préalable l’accord de la CDAPH pour rompre le contrat (Nîmes, 2 novembre 2020, n° 20/00816).

La direction de l’ESAT peut suspendre le maintien du travailleur handicapé au sein de l’ESAT lorsque son comportement met gravement en danger sa santé ou sa sécurité, ou celle des autres, ou porte gravement atteinte aux biens (CASF, art. R. 243-4). La rémunération est toutefois maintenue pendant la période de suspension. La MDPH est saisie, et la CDAPH décide du maintien ou non du travailleur handicapé dans l’établissement. Dans le monde du code du travail, on parlerait d’une mise à pied rémunérée dans l’attente d’un licenciement.

Les conditions de rupture ou de suspension du contrat de travail sont à l’évidence plus protectrices que celles applicables pour les salariés relevant du code du travail.

La rémunération

En ESAT, le travailleur handicapé perçoit une rémunération garantie (CASF, art. L. 243-4 et R. 243-5 s.), tout en pouvant être bénéficiaire de l’AAH (allocation aux adultes handicapés). Il n’y a pas de classification professionnelle de référence. La rémunération, dont le montant est compris entre 55,7 % et 110,7 % du SMIC, n’est pas un salaire au sens du code du travail (CASF, art. L. 243-5). Elle est cependant soumise à cotisations sociales et à la CSG (CSS, art. L. 242-1 et L. 136-1-1), sauf pour les cotisations d’assurance chômage (CASF, art. R. 243-9). La législation relative à l’intéressement et à la participation, prévue au code du travail, n’est pas non plus applicable. Le travailleur handicapé peut cependant percevoir une prime d’intéressement à l’excédent d’exploitation (CASF, art. R. 243-6), soumise à cotisations sociales. Là aussi, les règles sont très différentes de celles du code du travail.

Un travailleur handicapé en ESAT, qu’il soit ou non sous protection juridique, ne bénéficie pas d’indemnisation chômage à l’issue de son contrat de séjour et d’aide par le travail.

La durée du travail

La durée légale de 35 heures par semaine s’applique en ESAT, ainsi que la durée maximale quotidienne de 10 heures (CASF, art. R. 243-5), sachant qu’il ne peut pas y avoir d’heures supplémentaires (Circ. n° DGAS/3B/2008/259 du 1er août 2008).

Les travailleurs handicapés en ESAT bénéficient pratiquement des mêmes droits à congés que ceux figurant au code du travail, mais pas entièrement. En effet, pour les ESAT :

- L’article R. 243-11 du code de l’action sociale et des familles traite des congés payés annuels, avec quasiment les mêmes dispositions que celles figurant dans le code du travail.
- L’article R. 243-13 du code de l’action sociale et des familles renvoie au code du travail pour un grand nombre d’autres congés.
- Toutefois, il n’y a pas de jours de congés rémunérés pour enfant malade, et les congés pour évènements familiaux sont moins favorables.

Le plan gouvernemental précité prévoit d’aligner les congés des travailleurs en ESAT sur ceux figurant au code du travail.

La santé et la sécurité au travail

Le code du travail s’applique en ESAT pour les dispositions ayant trait à la santé et à la sécurité au travail. En effet, les ESAT doivent répondre aux conditions d’hygiène et de sécurité prévues à la quatrième partie du code du travail, c’est-à-dire aux articles L. 4111-1 et suivants (CASF, art. R. 344-8). C’est là une disposition très importante car les tâches effectuées en ESAT sont essentiellement manuelles, souvent avec l’utilisation d’outils et de machines, et présentent donc des risques particuliers.

Les ESAT sont soumis aux règles de la médecine du travail prévues aux articles L. 4622-2 et suivants du code du travail (CASF, art. R. 344-8).

Les droits spécifiques aux ESSMS

L’ESAT étant un établissement médico-social, cela donne également des droits particuliers aux travailleurs handicapés en son sein. En effet, une personne accueillie ou accompagnée par un établissement ou un service social ou médico-social (ESSMS) jouit de droits spécifiques (CASF, art. L. 311-3 à L. 311-11). Ces droits sont en partie repris, à titre d’information, dans la charte des droits et libertés de la personne majeure accueillie. Cette charte liste des thèmes qu’on retrouve pour la plupart dans la charte des droits et libertés de la personne majeure protégée. Il en est ainsi du principe de non-discrimination, du droit à l’information, du respect des liens familiaux, de la confidentialité des informations, du droit à l’autonomie, du respect de la dignité et du droit à l’intimité, notamment. Pour le majeur protégé en ESAT, il n’y a donc pas de novation sur ces thèmes. Il bénéficiait déjà de tels droits dans ses rapports avec son protecteur. En entrant en ESAT, il bénéficie des mêmes droits dans ses rapports avec la direction de l’ESAT et les autres travailleurs handicapés qui y travaillent.

Les travailleurs en ESAT se trouvent donc dans un statut hybride qui fait débat depuis des années. Faut-il ou non rapprocher leur statut de celui des salariés du secteur privé ? Les avis sont partagés, le statut de travailleur en ESAT étant plus protecteur en matière de rupture du contrat. Sur ce sujet, le rapport précité de l’inspection générale des Finances et de l’inspection générale des Affaires sociales évoquait deux orientations possibles en 2019 :

- Soit organiser, pour les travailleurs en ESAT, un statut particulier de salarié protégé au sein du code du travail.
- Soit reprendre dans le contrat de soutien et d’aide par le travail (et donc dans le code de l’action sociale et des familles) d’autres dispositions du code du travail, par exemple l’ensemble des droits à congés.

En 2021, le Gouvernement a choisi la deuxième piste dans son plan de transformation des ESAT.

Le majeur protégé employeur à domicile

Traiter de la situation du majeur protégé employeur à domicile nous ramène dans le champ du code du travail.

Un particulier peut employer un salarié pour des services classiques : l’entretien de la maison et les travaux ménagers, la préparation des repas, les petits travaux de jardinage ou de bricolage, etc. Ce peut être aussi pour des services plus spécifiques, tels ceux nécessaires pour assister à son domicile une personne âgée dépendante ou une personne handicapée, dans le but de favoriser le maintien à domicile. Le code du travail fait référence, pour les particuliers employeurs, aux emplois destinés à satisfaire sans but lucratif des besoins relevant de la vie personnelle (C. trav., art. L. 7221-1).

En principe, le code du travail ne s’applique à ces salariés que pour une liste limitée de dispositions ayant trait principalement aux congés (C. trav. L. 7221-2). Mais la Cour de cassation estime que cette liste n’est pas limitative (Soc. 29 juin 2011, n° 10-11.525). C’est en fait la convention collective applicable qui vient en complément créer un véritable statut du salarié du particulier employeur. Les litiges relatifs au contrat de travail sont de la compétence du Conseil de prud’hommes.

Une nouvelle convention collective nationale s’applique depuis le 1er janvier 2022 pour ces relations de travail : la convention collective du 15 mars 2021 de la branche du secteur du particulier employeur et de l’emploi à domicile[11], étendue par arrêté du 6 octobre 2021 (JO du 16). Cette convention résulte de la fusion des deux précédentes conventions collectives, celle des salariés du particulier employeur du 24 novembre 1999, et celle des assistants maternels du particulier employeur du 1er juillet 2004. La grille de classification de la nouvelle convention collective définit le domaine d’activité « adulte », les emplois de ce domaine visant à accompagner une personne dans le maintien de son autonomie ou en situation de handicap. Au sein de ce domaine, l’emploi-repère d'assistant de vie consiste à accompagner « des personnes adultes dont l'autonomie est altérée de manière temporaire, évolutive ou permanente dans la réalisation de leurs activités pouvant aller des tâches courantes aux actes essentiels de la vie quotidienne ».

Deux prestations sociales peuvent aider le particulier employeur à rémunérer son salarié : l’APA à domicile (allocation personnalisée d’autonomie) pour les personnes âgées dépendantes, et la PCH (prestation de compensation du handicap) pour les personnes handicapées.

Les personnes âgées de 60 ans et plus en perte d’autonomie du fait de leur état physique ou mental peuvent prétendre à percevoir l’APA. Il faut pour cela que leur niveau de perte d’autonomie, mesuré par référence à la grille AGGIR[12] , les classe dans l’un des groupes 1 à 4 définis à l’aide de cette grille (GIR 1 à GIR 4). En pratique, il y a deux sortes d’APA : l’APA à domicile et l’APA en établissement. L’APA à domicile est accordée après qu’un plan d’aide a été établi. Le plan d’aide détaille la nature des aides proposées qui paraissent nécessaires au soutien à domicile et concourent à l’autonomie. La majorité des plans d’aide comportent le recours à une aide à domicile. Cela peut se faire en choisissant d’employer à domicile un salarié.

La prestation de compensation du handicap (PCH) est accordée aux personnes qui ont besoin, du fait d’un handicap, d’une aide dans la réalisation des actes de la vie quotidienne. Elle permet de financer totalement ou partiellement certaines dépenses liées à ce handicap. C’est donc une aide essentielle pour permettre le maintien à domicile. La PCH peut notamment financer une aide humaine, c’est-à-dire l’intervention d’une tierce personne salariée pour l’accomplissement des actes essentiels de la vie quotidienne (toilette, habillage, alimentation, déplacements, exercice de la parentalité, surveillance…).

A fin 2020, il y avait 782.000 personnes âgées bénéficiaires de l’APA à domicile, et 347.000 personnes handicapées bénéficiaires de la PCH[13]. De nombreux majeurs protégés font partie de ces populations, mais on n’en connaît pas leur nombre. Certains de ces majeurs protégés bénéficiaires emploient à domicile un assistant de vie, mais là aussi on n’en connaît pas le nombre.

Les formalités du particulier employeur

En cas de recours à un salarié, un particulier employeur peut choisir d’être accompagné dans ses formalités d’employeur par un service mandataire (C. trav., art. L. 7232-6, 1°). Par définition, un tel service se voit confier par mandat certaines missions relatives à la gestion du contrat de travail de l’employé à domicile du particulier. Il intervient ainsi pour aider au recrutement de cet employé, pour aider à rédiger les documents nécessaires (contrat de travail, fiche de relevé d’heures effectuées, fiche de demande de congés…), et pour réaliser les feuilles de paie et les déclarations obligatoires pour le paiement des charges sociales. Il facture son aide au particulier employeur, qui s’acquitte également du paiement du salaire et des charges sociales patronales et qui reste juridiquement l'employeur.

Le particulier peut aussi choisir d’assurer lui-même les formalités d’employeur : on parle alors d’emploi « de gré à gré ». Le salarié doit être déclaré à l’URSSAF, et il faut établir des feuilles de paie. Mais certaines démarches administratives peuvent être réalisées par le biais du Cesu déclaratif mis en place pour simplifier les démarches du particulier employeur. Il est nécessaire pour cela d’adhérer préalablement au centre national du Cesu (CNCesu). L’adhésion en ligne permet de disposer des fonctionnalités d’un espace « Employeur » sur le site internet du Cesu, et d’accéder ainsi au téléchargement d’un état récapitulatif des déclarations et d’une attestation fiscale. Le Cesu déclaratif permet de remplir les obligations d’employeur de manière simplifiée. Il n’y a pas à faire de déclaration d’embauche auprès de l’URSSAF, le volet social du Cesu déclaratif en tenant lieu. Il n’y a pas à établir de bulletins de paie, mais simplement à déclarer en ligne le nombre d’heures de travail effectuées. Le CNCesu calcule et prélève les cotisations sociales et adresse au salarié un document valant bulletin de paie.

Le rôle du protecteur

En pratique, le protecteur aux biens assiste ou représente le majeur protégé pour toutes ces formalités, selon des modalités propres à chaque type de mesure de protection juridique. Comme vu précédemment, la conclusion et la rupture du contrat de travail sont des actes d’administration. On applique donc le même raisonnement, mais le majeur protégé est cette fois-ci l’employeur.

En tutelle aux biens, c’est le tuteur qui conclut ou qui rompt le contrat de travail, et qui verse la rémunération. Il est alors logique qu’il en apprécie la nécessité en accord avec la personne protégée, et qu’il l’implique en lui faisant signer également le contrat.

En habilitation familiale avec représentation pour les biens, il en est de même qu’en tutelle.

En curatelle, c’est a priori la personne protégée seule qui peut conclure ou rompre un contrat de travail. Mais cela peut avoir des conséquences importantes sur son mode de vie (par exemple dans le choix du salarié à embaucher) ou sur son patrimoine (par exemple en cas de contestation du licenciement du salarié). Le curateur a alors le droit de considérer qu’il doit l’assister, et donc consentir à l’acte. D’autant plus qu’en cas de curatelle renforcée, c’est au curateur de verser la rémunération du salarié dans le cadre d’un budget qu’il a arrêté, ce qui lui donne bien un droit de regard sur la mise en place du contrat. En tout état de cause, le curateur ne peut pas rompre seul le contrat de travail, n’ayant pas de pouvoir de représentation. Dans ce cas, la nullité de droit peut être invoquée au titre de l’article 465, alinéa 5 du code civil (Paris, 19 octobre 2021, n° 19/08193 ; Lyon, 12 septembre 2014, n° 13/08261).

En habilitation familiale générale avec assistance, il en est de même qu’en curatelle pour la conclusion ou la rupture du contrat de travail.

En sauvegarde de justice, c’est le droit commun qui s’applique, sauf si le juge des tutelles en a disposé autrement dans le mandat spécial.

Là aussi, un contrat de travail signé seul par le majeur protégé peut être réduit pour excès ou rescindé pour lésion tant en sauvegarde de justice qu’en curatelle (C. civ., art. 435 et 465).

L’aidant salarié

En France, au moins huit millions de personnes aident aujourd’hui un proche vulnérable de façon régulière et non professionnelle. Le rôle de la solidarité familiale est donc majeur dans l’aide aux personnes âgées dépendantes et aux personnes handicapées, le maintien à domicile s’appuyant souvent sur le soutien apporté par les proches aidants. C’est encore plus vrai pour celles d’entre elles qui sont placées sous protection juridique.

Pour une personne âgée dépendante, un proche aidant est « le conjoint, le partenaire de Pacs ou le concubin, un parent ou un allié, définis comme aidants familiaux, ou une personne résidant avec elle ou entretenant avec elle des liens étroits et stables, qui lui vient en aide, de manière régulière et fréquente, à titre non professionnel, pour accomplir tout ou partie des actes ou des activités de la vie quotidienne » (CASF, art. L. 113-1-3). Pour les personnes âgées de plus de 60 ans qui vivent en couple, l’aidant familial est le plus souvent le conjoint. Avec l’avancée en âge, cette aide est remplacée par celle des enfants : la génération des 50-65 ans est par nature sollicitée par les parents dépendants.

Pour une personne handicapée, les règles d’attribution de la PCH qualifient d’aidant familial « le conjoint, le concubin, le partenaire de Pacs, l’ascendant, le descendant ou le collatéral jusqu’au quatrième degré, ou l’ascendant, le descendant ou le collatéral jusqu’au quatrième degré de l’autre membre du couple » (CASF, art. R. 245-7). L’aidant familial est alors souvent le père ou la mère aidant un enfant majeur handicapé.

Il n’y a donc pas de définition légale unique de l’aidant, mais seulement des définitions proches les unes des autres et variant selon le public ou le dispositif d’aide.

Le salarié du particulier employeur peut être un aidant, sous conditions. Une situation de salariat entre une personne vulnérable et un proche aidant peut être perçue comme particulière : il s’agit pour la personne vulnérable d’être l’employeur de celui dont elle dépend finalement pour les actes de sa vie quotidienne, même les plus simples. Ce n’est pas là la relation classique entre un employeur et son salarié. L’équilibre de la famille peut être également perturbé par cette situation de salariat en son sein. Les autres membres de la famille risquent de se désengager du suivi de leur proche, estimant qu’eux ne sont pas rémunérés pour cela. Cela peut même être source de conflits, si la condition de salarié ainsi bâtie pour l’un apparaît par trop favorable aux yeux des autres membres de la famille.

Dans le cas général, si la personne aidée n’est pas une personne âgée bénéficiant de l’APA ou une personne handicapée bénéficiant de la PCH, l’aidant peut être son salarié sous le droit commun, sans contrainte particulière. Il en va différemment si on veut financer le salaire de l’aidant avec l’APA ou la PCH, ou dans le cas d’une personne placée sous protection juridique, comme expliqué ci-dessous.

L’aidant salarié d’une personne âgée

L’aidant peut être salarié d’une personne âgée dans le cadre de l’APA à condition de ne pas être son conjoint, ou son concubin ou son partenaire de Pacs (CASF, art. L. 232-7). Le montant de l’APA aide alors à rémunérer le proche aidant pour le nombre d’heures prévu au plan d’aide. Si ces conditions pour salarier un proche aidant ne sont pas remplies, le dédommagement n’est pas possible dans le cadre de l’APA.

La situation est particulière pour un majeur protégé. Par définition, un salarié est placé sous la subordination juridique de son employeur. Le tuteur ne peut donc pas à la fois représenter le majeur protégé et être son salarié. Cela signifie qu’il ne peut pas y avoir en général de contrat de travail entre le tuteur (ou la personne habilitée en représentation dans le cadre de l’habilitation familiale) et le majeur protégé (Soc. 6 mai 1993, n° 90-13.764), que ce dernier soit âgé ou non, qu’il perçoive l’APA ou non. Il y a toutefois une exception à ce principe lorsque le majeur protégé est handicapé, comme indiqué ci-dessous.

Le curateur peut-il être l’aidant salarié du majeur protégé, sous la condition précitée si c’est dans le cadre de l’APA ? Le point n’est pas tranché. On peut soutenir que non si on se réfère, par analogie à la tutelle, à l’arrêt précité du 6 mai 1993. On peut soutenir que oui dans la mesure où aucun texte ne l’interdit, et aucune jurisprudence n’en traite explicitement. Le curateur se trouverait alors en opposition d’intérêts, ce qui impliquerait que le contrat de travail soit conclu par le subrogé curateur ou à défaut par un curateur ad hoc nommé par le juge des tutelles.

L’aidant salarié d’une personne handicapée

Si la personne aidée est une personne handicapée bénéficiant de la PCH, l’aidant peut être rémunéré comme salarié dans le cadre de la PCH « aide humaine » à condition de ne pas être son conjoint, ou son concubin, ou son partenaire de Pacs (CASF, art. L. 245-3, L. 245-12, R. 245-7 et D. 245-8). De plus, il ne doit pas être un obligé alimentaire du premier degré (père, mère, enfant, gendre, belle-fille), ou être à la retraite, ou exercer une activité professionnelle à temps plein. Toutefois, l’aidant salarié peut être le conjoint, le concubin, le partenaire de Pacs ou un obligé alimentaire du premier degré lorsque la personne handicapée nécessite à la fois une aide totale pour la plupart des actes essentiels et une présence constante ou quasi constante due à un besoin de soins ou d’aide pour les gestes de la vie quotidienne.

Si les conditions pour salarier un aidant familial ne sont pas remplies, ce dernier peut être dédommagé dans le cadre de la PCH « aide humaine ». Cet aidant familial dédommagé peut alors être le conjoint (ou le concubin ou le partenaire de Pacs), l’ascendant, le descendant, ou le collatéral jusqu’au quatrième degré d’un des deux membres du couple. Dans ce cas, l’aidant familial ne doit pas avoir de lien de subordination (au sens du code du travail) avec la personne handicapée. Les sommes perçues comme dédommagement ne sont pas un salaire. Par exception, l’aidant familial salarié de la personne handicapée dans le cadre de la PCH peut être son tuteur (CASF, art. D. 245-8). Il se trouve alors en opposition d’intérêts. Dans ce cas, le contrat de travail doit être conclu par le subrogé tuteur ou à défaut par un tuteur ad hoc nommé par le juge des tutelles. Ce contrat de travail doit être de plus homologué par le juge des tutelles. L’homologation du juge est également requise lorsqu’il a autorisé le majeur protégé à conclure lui-même le contrat de travail avec le tuteur, ou lorsque l’aidant familial salarié est le curateur.

La fin du contrat de travail au décès du majeur protégé

Les fins de mesure de protection juridique sont en partie dues aux décès plus qu’à des mainlevées, du fait de la proportion importante de personnes âgées parmi les majeurs protégés. Le décès du majeur protégé met fin à la personnalité juridique. La mesure de protection juridique s’achève, car n’ayant plus lieu d’être. La tâche du protecteur cesse donc également au décès (C. civ., art. 418). Mais ce dernier peut encore accomplir certains actes dans le cadre de la gestion d’affaires, en matière d’obsèques ou de formalités.

Le décès du particulier employeur entraîne de plein droit la rupture du contrat de travail du salarié à la date du décès, y compris s’il s’agit d’un aidant familial salarié. L’article 161-4-1 de la convention collective en détaille les modalités. La fin de contrat n’a pas à être justifiée, mais elle doit être signifiée en bonne et due forme au salarié. Il faut donc obligatoirement envoyer au salarié une lettre de licenciement, sans entretien préalable, et lui remettre un certificat de travail, une attestation destinée à Pôle emploi et un reçu pour solde de tout compte avec le montant correspondant (dernier salaire, indemnité de préavis non effectué, indemnité de licenciement et indemnité compensatrice de congés payés). Il est important de donner rapidement au salarié l’attestation destinée à Pôle emploi afin qu’il puisse faire valoir ses droits aux allocations chômage (une copie du certificat de décès peut y suppléer dans un premier temps). La convention collective prévoit que tous ces documents doivent être remis au salarié dans un délai de 30 jours calendaires à compter du décès. Il faut également informer le CNCesu de la fin du contrat de travail et lui envoyer une copie de l’acte de décès.

C’est en théorie aux héritiers ou au notaire de se charger de toutes ces formalités. Pour les héritiers, il s’agit là d’actes purement conservatoires qui peuvent être accomplis sans entraîner l’acceptation de la succession (C. civ., art. 784). Encore faut-il que ces derniers aient accès aux informations nécessaires (montant du salaire, droits résiduels à congés payés, etc.), ou que le notaire chargé de la succession ait été désigné. Mais en pratique, ce peut être le MJPM qui agit dans le cadre de la gestion d’affaires, d’autant plus qu’il y a urgence, l’ex-salarié attendant son dû. La responsabilité du protecteur pourrait en effet être recherchée pour ne pas avoir fourni les documents de rupture du contrat de travail dans le cas où cela aurait créé un préjudice pour le salarié.

Conclusion

Finalement, les majeurs protégés sont moins éloignés du monde du travail qu’on ne pourrait le penser a priori. Ils sont quelques dizaines de milliers à travailler ou à rechercher un emploi. Et d’autres majeurs protégés, probablement au moins autant, sont des particuliers employeurs.

C’est la RQTH (le « statut » de travailleur handicapé) qui protège le plus efficacement une partie des majeurs protégés au travail. Elle protège tant en milieu ordinaire de travail (en entreprise « classique » ou en entreprise adaptée) qu’en milieu protégé (en ESAT). Mais les règles de droit applicables y sont très différentes, car trouvant leur source dans le code du travail ou dans le code de l’action sociale et des familles.

En dehors de ce statut de travailleur handicapé, le majeur protégé est un travailleur comme un autre, les règles du code civil venant seulement tempérer celles du code du travail en matière de conclusion ou de rupture du contrat de travail.

On a vu que la dépendance ou le handicap conduisent des personnes vulnérables, et notamment des majeurs protégés, à devenir des particuliers employeurs. Les personnes âgées dans ce cas deviennent des particuliers employeurs une fois à la retraite, alors qu’elles ont peut-être été salariées pendant toute leur vie professionnelle. Et les personnes handicapées dans ce cas sont des particuliers employeurs alors qu’elles n’ont peut-être jamais travaillé. On est alors loin de la vision classique de l’employeur et de son pouvoir de direction.

Le contrat de travail n’est là qu’un outil pour mettre en musique un accompagnement social.



Références

  1. Source : Les chiffres clés de la Justice 2021 (page 8) http://www.justice.gouv.fr/art_pix/chiffres_cles_2021_web.pdf
  2. Source : ANCREAI - Etude relative à la population des majeurs protégés. Profils, parcours et évolutions (2017) https://ancreai.org/etudes/etude-relative-a-la-population-des-majeurs-proteges-profils-parcours-et-evolutions/
  3. Source : rapport de l’inspection générale des Finances et de l’inspection générale des Affaires sociales - « Les établissements et services d’aide par le travail (ESAT) » - octobre 2019 (page 15) https://www.igas.gouv.fr/IMG/pdf/2019-026R_ESAT.pdf
  4. Instruction Pôle emploi n°2011-192 du 24 novembre 2011 (BOPE n° 2011-123 du 29 décembre 2011)
  5. Instruction Pôle emploi n°2016-33 du 6 octobre 2016 (BOPE n° 2016-80 du 17 novembre 2016)
  6. Source : Résultats DARES, novembre 2021 https://dares.travail-emploi.gouv.fr/sites/default/files/093e0b222a69ccc5473bd2258f29029c/Dares-R%C3%A9sultats_Obligation%20demploi%20des%20travailleurs%20handicap%C3%A9s%20en%202019.pdf
  7. Source : Les personnes handicapées et l’emploi (chiffres clés 2018), Agefiph/Fiphfp, juin 2019 https://www.agefiph.fr/sites/default/files/medias/fichiers/2019-09/CHIFFRE-CLES-2018-AGEFIPH-WEB.pdf
  8. Suivant les ESAT, il s’agit de la convention collective nationale de travail des établissements et services pour personnes inadaptées et handicapées du 15 mars 1966, ou de la convention collective nationale des établissements privés d’hospitalisation, de soins, de cure et de garde à but non lucratif du 31 octobre 1951
  9. Ordonnance n° 2020-232 du 11 mars 2020 relative au régime des décisions prises en matière de santé, de prise en charge ou d’accompagnement social ou médico-social à l’égard des personnes majeures faisant l’objet d’une mesure de protection juridique
  10. Décret n° 2021-684 du 28 mai 2021 relatif au régime des décisions prises en matière de santé, de prise en charge ou d’accompagnement social ou médico-social à l’égard des personnes majeures faisant l’objet d’une mesure de protection juridique
  11. Elle est accessible sur le site de Légifrance (IDCC n° 3239)
  12. La grille AGGIR et son guide de remplissage figurent à l’annexe 2-1 du code de l’action sociale et des familles
  13. Source : DREES - Les mesures d’aide sociale départementale aux personnes âgées, aux personnes handicapées et à l’enfance fin 2020 – décembre 2021 https://drees.solidarites-sante.gouv.fr/communique-de-presse/les-mesures-daide-sociale-departementale-aux-personnes-agees-aux-personnes