Les preuves obtenues de manière déloyale sont-elles recevables?

Un article de la Grande Bibliothèque du Droit, le droit partagé.
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Laurence Mayer, avocat au barreau de Paris [1]
Janvier 2024



Le principe est qu'une preuve obtenue de manière déloyale ne peut être déclarée recevable ni servir de fondement , néanmoins, par un revirement de jurisprudence, la Cour de cassation vient d'admettre le contraire.

La recevabilité d’une preuve déloyale

En principe, aucune preuve déloyale ne pouvait être utilisée dans le cadre d’une procédure civile, qu’elle soit familiale ou prud’hommale. Toutefois, par deux arrêts en date du 22 décembre 2023, l’Assemblée plénière de la Cour de cassation est venue admettre qu’une preuve déloyale pouvait être utilisée dans de telles procédures, sous certaines conditions.

Cass.ass.plé., 22 déc.2023, n°20-20.648 B+R [2]

En l’espèce, un employé est convoqué à un entretien préalable au licenciement à l’issue duquel il est licencié pour faute grave.

Devant le conseil de prud’hommes, l’employé sollicite que son licenciement soit requalifié comme sans cause réelle et sérieuse.

Pour apporter la preuve de cette faute grave, l’employeur verse un enregistrement audio réalisé à l’insu du salarié, au cours duquel l’employé a tenu des propos justifiant son licenciement.

Le conseil des prud’hommes, comme la Cour d’appel, a accueilli la demande du salarié en déclarant la preuve fournie par l’employeur irrecevable puisque recueillie de façon clandestine.

L’employeur s’est alors pourvu en cassation.

L’Assemblée plénière, par un arrêt du 22 décembre 2023 accueille les demandes de l’employeur en opérant un revirement de jurisprudence à l’égard de la recevabilité des preuves déloyales en matière civile.

Revirement du principe d’irrecevabilité de la preuve déloyale

Jusqu’alors, la jurisprudence constante de la Cour de cassation était d’estimer que les moyens de preuves obtenus de manière déloyale n’étaient pas recevables en matière civile.

Les juges considéraient notamment qu’une preuve recueillie au moyen d’un enregistrement clandestin constituait une preuve déloyale, ainsi que celles obtenues par stratagème.

Par cet arrêt, l’Assemblée plénière opère un revirement de jurisprudence en affirmant qu’un élément de preuve recueilli de manière déloyale ne devait pas systématiquement être écarté des débats.

Dans cette affaire, l’employeur avait produit un enregistrement audio réalisé à l’insu du salarié. Les juges admettent alors qu’il s’agit d’une preuve déloyale qui peut être recevable dès lors que certaines conditions sont remplies.

Critères de recevabilité de la preuve déloyale

La Cour de cassation, par cet arrêt, affirme que le principe de loyauté de la preuve reste d’actualité mais qu’il doit être mis en balance avec le droit à la preuve. C’est donc en raison de ce dernier que les preuves déloyales ne peuvent plus être systématiquement écartées au seul motif qu’elles ont été obtenues de façon déloyale.

Le juge civil, confronté à une telle preuve, devra réaliser un contrôle de proportionnalité afin d’apprécier si l’utilisation de la preuve a porté atteinte au caractère équitable de la procédure dans son ensemble.

Pour se faire, il devra s’assurer d’une part que la preuve était indispensable à l’exercice du droit à la preuve et d’autre part, si l’atteinte aux droits fondamentaux de la partie adverse était proportionnée au but poursuivi.

En pratique, les magistrats devront vérifier s’il existait des raisons suffisantes pour qu’une des parties ait recours à ce mode de preuve et si elle pouvait, par un moyen plus respectueux, atteindre le même résultat.

L’introduction de ce nouveau contrôle de proportionnalité est d’une importance considérable en matière civile. C’est pourquoi l’Assemblée plénière, dans son arrêt, a pris le soin de décrire les raisons ayant conduit à cette nouveauté.

Plusieurs considérations ont mené la Cour de cassation à réaliser ce revirement de jurisprudence.

Ce revirement vise à aligner le droit français sur la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’Homme et à harmoniser la jurisprudence civile et pénale.

Ce revirement répond à des critiques doctrinales et à rapprocher la vérité judiciaire de la vérité factuelle.

Cette évolution jurisprudentielle ne doit pas être perçue comme une invitation à l’utilisation de tous les procédés de preuves. Un arrêt, rendu le même jour par l’Assemblée plénière illustre parfaitement ce point (n° 21-11.330).

Dans cette affaire, un salarié part en congé en laissant ouvert sur son poste de travail une conversation sur une messagerie électronique privée. Au cours de cette discussion, le salarié tenait des propos injurieux à l’égard d’un de ses collègues et de son supérieur hiérarchique. Licencié pour faute grave, il conteste cette décision devant le conseil des prud’hommes.

Les conseillers puis les magistrats écartent des débats la conversation litigieuse en estimant qu’il s’agissait d’une preuve déloyale portant atteinte au respect de la vie privée et au principe de loyauté de la preuve. Le licenciement a alors été requalifié en licenciement sans cause réelle et sérieuse.

Saisie de cette affaire, l’Assemblée plénière de la Cour de cassation rappelle qu’un licenciement disciplinaire d’un salarié doit être fondé sur un manquement du salarié aux obligations découlant de son contrat de travail. Or, une conversation privée, qui n’est pas destinée à être rendue publique ne peut recevoir cette qualification.

Cette position n’est en réalité qu’un rappel de la jurisprudence constante de la Chambre sociale. Cet arrêt illustre toutefois le fait que le juge devra avant de se pencher sur la loyauté d’une preuve et de sa recevabilité, s’assurer du respect de la législation en vigueur. Ce n’est qu’une fois cette vérification réalisée qu’il exercera un strict contrôle des modes de preuves à travers son contrôle de proportionnalité.

Cette jurisprudence semble transposable en matière familiale et notamment en cas de divorce. Ainsi, l'on pourrait penser qu'un époux pourrait verser aux débats un enregistrement obtenu à l'insu de son conjoint, et que cet enregistrement obtenu sans l'autorisation de l'époux serait recevable.