Uberisation et requalification : cela ne marche pas à tous les coups !

Un article de la Grande Bibliothèque du Droit, le droit partagé.
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Par Louis Thibierge
Agrégé des Facultés de Droit
Professeur à l’Université d’Aix-Marseille
Membre du Centre de Droit Économique
Directeur du Master 2 Recherche Droit Économique
Directeur du DESU Economic Law
Avocat au Barreau de Paris

21 septembre 2022


Le phénomène d’ « uberisation », consistant à faire appel à des prestataires indépendants (souvent autoentrepreneurs) pour occuper des emplois auparavant salariés, a marqué la dernière décennie. Livreurs, chauffeurs…se multiplient à l’envi.

Mais le spectre de la requalification rode. Lorsque, derrière les mots du contrat se tapit un lien de subordination, les tribunaux n’hésitent pas à requalifier la relation en contrat de travail. Tel fut le cas pour un livreur (Cass. soc., 28 novembre 2018, n° 17-20079, Take It Easy [1]) mais aussi pour un chauffeur de VTC (Cass. Soc., 4 mars 2020, n° 19-13316, Uber [2]).

La requalification n’est toutefois pas automatique. Encore faut-il démontrer pleinement l’existence d’un lien de subordination. C’est ce que rappelle la Cour à la faveur d’un arrêt fort didactique rendu hier (Cass. Soc., 13 avril 2022, n° 20-14870 [3]).

Les faits de l’espèce étaient d’une grande banalité : un chauffeur de VTC demandait, après rupture de son contrat avec la société Voxtur, sa requalification en contrat de travail. La Haute juridiction s’y refuse, après un examen approfondi.

Elle rappelle tout d’abord l’existence d’une présomption de non-salariat en faveur des personnes immatriculées au RCS.

Elle définit ensuite le lien de subordination comme l'exécution d'un travail sous l'autorité d'un employeur qui a le pouvoir de donner des ordres et des directives, d'en contrôler l'exécution et de sanctionner les manquements de son subordonné.

Elle juge enfin insuffisants les éléments retenus par la cour d’appel, i.e. le fait que « le chauffeur n'avait pas le libre choix de son véhicule, qu'il y avait interdépendance entre les contrats de location et d'adhésion à la plateforme, que le GPS permettait à la société de localiser, en temps réel, chaque véhicule connecté, de manière à procéder à une répartition optimisée et efficace des courses, en termes de temps de prise en charge de la personne à transporter et de trajet à effectuer, et d'assurer ainsi un contrôle permanent de l'activité du chauffeur, que la société fixait le montant des courses qu'elle facturait au nom et pour le compte du chauffeur, et qu'elle modifiait unilatéralement le prix des courses, à la hausse ou à la baisse en fonction des horaires », et que la société disposait d’un pouvoir de sanction via le système de notation.

Pour la Cour, « en se déterminant ainsi, par des motifs insuffisants à caractériser l'exercice d'un travail au sein d'un service organisé selon des conditions déterminées unilatéralement par la société Voxtur, sans constater que celle-ci avait adressé à M. [T] des directives sur les modalités d'exécution du travail, qu'elle disposait du pouvoir d'en contrôler le respect et d'en sanctionner l'inobservation, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision ».