Vente immobilière et droit de préemption urbain (DPU) : comment ça marche ?
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Article rédigé par Nolwenn DOHET, stagiaire LBA Avocat [1]
Sous la direction de Me Louise BARGIBANT
3 janvier 2022
La vente d’un bien immobilier est soumise à un principe essentiel du droit : la liberté contractuelle.
Selon l’article 1102 du Code civil :
« Chacun est libre de contracter ou de ne pas contracter, de choisir son cocontractant et de déterminer le contenu et la forme du contrat dans les limites fixées par la loi. »
Toutefois, si la liberté de choisir l’acquéreur de son bien est le principe, le droit de préemption en est l’exception.
D’une manière générale, le titulaire d’un droit de préemption dispose d’un droit de priorité sur l’acquisition d’un bien.
Plus précisément, le droit de préemption urbain (DPU), permet à une personne publique (commune, établissement public, préfecture…) d’acquérir un bien immobilier en priorité par-devant tout autre acquéreur, dans le but d’aménager un territoire et notamment dans l’intérêt général.
Vous vendez votre bien immobilier et la collectivité souhaite utiliser son droit de préemption ? Vous souhaitez comprendre la démarche à suivre afin que la vente se déroule dans les meilleures conditions ?
Retour sur la notion de « droit de préemption urbain », ses conditions de mise en œuvre, sa marge de négociation et son impact sur la vente du bien.
En quoi consiste le droit de préemption urbain ?
En principe, la compétence en matière de droit de préemption urbain relève des communes ou des EPCI (établissements publics de coopération intercommunale).
Toutefois, cette compétence pourra aussi être exercée par le préfet, ou déléguée à une autre collectivité en fonction de la zone concernée ou du projet d’aménagement prévu.
Pour qu’une personne publique puisse exercer son droit de préemption urbain, elle doit répondre à certaines conditions prévues aux articles L. 213-1 et suivants du Code de l’urbanisme.
En somme, le droit de préemption urbain peut s’appliquer sur des biens immobiliers, des terrains ou encore des bâtiments, à l’exclusion de la transmission de biens dans le cadre d’une succession ou d’une donation.
Aussi, le champ d’application géographique du droit de préemption urbain doit avoir été préalablement établi en conseil municipal par délibération.
Ensuite, lorsque l’autorité compétente souhaite l’exercer, elle doit le motiver par une opération d’intérêt général prévue à l’article L. 210-1 du Code de l’urbanisme faisant référence à l’article L. 300-1 du même Code relatif aux opérations d’aménagement.
A titre d’illustration, sont des opérations d’aménagement justifiée par un intérêt général :
- Un projet de construction de trente-cinq logements sociaux correspondant à une politique locale de l’habitat (CE, 2 nov. 2015, Commune de Choisy-le-Roi, n° 374957),
- Le développement des loisirs et du tourisme,
- L’élargissement d’une rue accompagnée d’aménagements urbains annexes (CE, 14 janv. 1998, Vaniscotte, n° 160378)
- La réalisation d’équipements collectifs ou de locaux de recherche ou d’enseignement supérieur.
A contrario, de simples travaux de sécurité sur une voie qui ne sont pas indissociable d’un projet d’aménagement, n’ouvrent pas un droit de préemption urbain (CE, 30 juill. 1997, Ville d’Angers c/ Dubois, n° 160949).
Par exception, la collectivité peut instituer un droit de préemption urbain renforcé sur une transaction immobilière en dehors de la zone prévue, mais cela nécessitera une délibération motivée liée à une opération d’aménagement bien définie.
Si vous souhaitez savoir si votre bien se situe dans une zone de droit de préemption urbain, vous pouvez vous adresser au service urbanisme de votre mairie.
Quoi qu’il en soit, c’est le Notaire qui doit s’assurer que la collectivité ne souhaite pas se prévaloir de son droit de préemption afin de le « purger ».
Comment « purger » le droit de préemption urbain ?
Lorsque le bien se trouve effectivement dans une zone du droit de préemption urbain, il convient de vérifier que la collectivité renonce à utiliser son droit de préempter le bien.
Pour cela, le propriétaire du bien, ou son Notaire doit formuler une déclaration d’intention d’aliéner (DIA) à la commune.
Il s’agit d’un document qui doit contenir des informations sur le propriétaire, sur le bien, sur la vente et en particulier sur le prix (vous pouvez télécharger le formulaire CERFA de DIA en suivant ce lien).
Le titulaire du droit de préemption pourra par la suite demander au vendeur des informations complémentaires ainsi que de visiter le bien (article R. 213-7 du Code de l’urbanisme).
La plupart du temps, la déclaration d’intention d’aliéner est produite après qu’un acquéreur potentiel ou qu’un compromis de vente ait déjà permis de définir les conditions de vente. Dans ce cas le vente se fait sous la condition suspensive du non exercice du droit de préemption par la commune.
L’autorité compétente dispose alors de deux mois à compter de la réception de la déclaration pour notifier sa décision au vendeur de préempter ou non le bien.
Sans réponse dans ce délai, le silence de l’autorité vaut renonciation à son droit de préemption sur le bien.
Toutefois, dans le cas où la mairie donne une réponse dans le délai, elle aurait alors trois possibilités : ne pas acheter, acheter dans les conditions et au prix proposés par le vendeur ou acheter mais en réduisant le prix de vente.
Peut-on négocier le prix dans le cadre du DPU ?
Lorsque la mairie répond qu'elle souhaite se prévaloir de son droit de préemption mais qu'elle veut baisser le prix de vente proposé par le vendeur, une phase de négociation s'ouvre.
Dans ce cadre, le vendeur dispose à son tour de trois possibilités : accepter le prix proposé par la commune, renoncer à la vente ou maintenir le prix initial prévu dans la déclaration d’intention d’aliéner.
Si le vendeur entend maintenir le prix initial, la commune dispose de quinze jours pour saisir le juge de l’expropriation (devant le Tribunal Judiciaire), qui sera chargé de fixer le prix. Au-delà de ce délai la commune sera considérée comme ayant renoncé à son droit de préemption (Cass., 3e civ., 20 janv. 1999, n° 98-70.019 [2]).
S'agissant de la fixation du prix, le juge de l’expropriation ne pourra ni se fonder sur le Code de l’expropriation ni sur le Code de l’urbanisme puisque ceux-ci ne font pas référence à une méthode de calcul du prix de vente d’un bien.
Par conséquent, le juge devra se fonder sur la comparaison des arguments des parties qui devront justifier le prix estimé par chacun (par exemple, le prix de vente d’un bien comparable dans un même secteur géographique, ou encore, les documents fiscaux de la valeur foncière du bien sur les cinq dernières années etc.), en somme, le prix du marché.
Pour finir, soit le vendeur accepte le prix fixé par le juge, soit il renonce à vendre.
Quid de la rémunération de l’agent immobilier en cas de préemption ?
Lorsqu’un compromis de vente est signé avec un acquéreur potentiel et que la commune exerce son droit de préemption sur le bien, se pose la question de savoir si l’agent immobilier peut quand même percevoir sa commission.
La jurisprudence est venue affirmer que l’agent immobilier pouvait prétendre à la rémunération prévue dans le mandat en respectant certaines conditions (Cass. 3e civ., 26 sept. 2007, n° 06-17.337).
En effet, la commune acquisitrice devra verser sa rémunération à l’agent immobilier si le montant de la commission et la partie qui en est tenue, acquéreur ou vendeur, sont mentionnés dans l’engagement des parties, qu’il s’agisse d’une promesse unilatérale de vente ou d’une promesse synallagmatique de vente, ainsi que dans la déclaration d’intention d’aliéner (Cass. 1e civ. 25 nov. 2020, n° 16-22.616 ; Cass. 3e civ., 12 mai 2021, n° 19-25.226).
Comment contester la décision de préemption ?
Le propriétaire dispose d'une autre possibilité pour échapper au droit de préemption urbain, en contestant la légalité de la décision de préemption.
En effet, l'acte par lequel la commune entend se prévaloir de son droit de préemption sur un bien mis en vente, peut être contesté par le vendeur de ce bien ou par la personne qui avait l’intention de l’acquérir.
Pour ce faire, le demandeur doit, dans un délai de deux mois à compter de l’affichage de la décision de préempter en mairie, adresser un recours gracieux préalable auprès de l’autorité compétente.
En cas de refus ou du silence gardé de la mairie pendant un délai de deux mois, le propriétaire pourra saisir le Tribunal Administratif.
Il existe plusieurs moyens d'annulation qui peuvent être soulevés au titre de la légalité externe et interne de l'acte.
Dans un premier temps, il s'agira de vérifier la compétence de l'auteur de la décision, de vérifier que les délais ont été respectés et que la décision de préemption a été valablement motivée (CE, 1er déc. 1978, min. Équip. c/ Elie : Rec. CE 1978, tables, p. 969 ; CAA Nancy, 16 nov. 2006, n° 05NC00319) notamment au regard de l'article L. 210-1 du Code de l'urbanisme (CE, 16 déc. 1994, Beckert, n° 116465).
Dans un second temps le juge va observer si l'opération pour laquelle l'administration exerce son droit de préemption constitue une opération d'aménagement (article L. 300-1 du Code de l’urbanisme).
En conséquence, si la décision de préempter est annulée, la collectivité est alors considérée comme n’ayant jamais décidé d’utiliser son droit de préemption.
En conclusion, le droit de préemption urbain est un droit de priorité offert à l'autorité administrative sur l'achat d'un bien immobilier dans le cadre d'une opération d'aménagement d'intérêt général.
L'exercice de ce droit répond à des conditions strictes de motifs et de délais pour être valable.
Si vous êtes dans cette situation, veillez à ce que toutes ces conditions soient respectées et n'hésitez pas à renégocier le prix avec l'auteur du droit de préemption ou saisir le juge de l'expropriation.