Voici l’avis du CE sur le nouveau passe sanitaire. Un avis dans la droite ligne des décisions précédentes au point que le cadre juridique général commence à en être clair, bornant la prochaine loi. (fr)

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Éric Landot, Avocat fondateur du cabinet Landot & associés [1]
Juillet 2021




Voici l’avis du CE sur le nouveau passe sanitaire franchit de nouveau la barrière du Conseil d’Etat. Et c’est normal : juridiquement, ses papiers étaient en règle… Voyons pourquoi et comment. 

Mais, déjà, voici cet avis (non contentieux) :

Avis du Conseil d’Etat, non contentieux, section sociale, 19 juillet 2021, n°403.629 [2]


Le Passe sanitaire a doublé hier, et pour la seconde fois (mais pour la 1e fois sous la forme renforcée de ce passe sanitaire), sain et sauf, le cap du Palais Royal, la première fois au contentieux et la seconde au titre d’un avis avant dépôt du projet de loi ad hoc.

Auparavant, toujours pour la Covid-19 et au titre de la même loi, l’autre cap du Palais Royal, celui du Conseil constitutionnel avait été franchi par la loi (la même que celle à l’origine du Passe sanitaire, avec entre autres un débat sur ledit Passe sanitaire), et avec une intéressante (et très limitée) réserve pour ce qui est de l’intégration de données au système national des données de santé.

Avec, à chaque fois, des enseignements sur la gestion des données en ce domaine, avec une application rigoureuse du principe de minimisation.

Bref, sur le passe sanitaire, sur les questions de big data relatifs à la Covid-19… séparation et minimisation des données expliquent les succès contentieux de l’Etat, en mai devant le Conseil constitutionnel et ensuite, deux fois, devant le Conseil d’Etat.


Rappel de la position du Conseil constitutionnel en mai 2021

Déjà, par sa décision n° 2021-819 DC du 31 mai 2021, le Conseil constitutionnel avait validé ce régime.

La seule réserve des sages de la rue Montpensier ne portait pas à proprement parler sur le passe sanitaire, ni sur les manifestations où celui-ci s’applique (point qui était contesté aussi par les auteurs du recours d’alors), mais plutôt sur le 1 ° du paragraphe I de l’article 7 de la loi prévoyant l’intégration au système national des données de santé des données recueillies dans le cadre des systèmes d’information mis en œuvre aux fins de lutter contre l’épidémie de covid‑19.


Le Conseil constitutionnel avait rappelé que la collecte, l’enregistrement, la conservation, la consultation et la communication de données à caractère personnel doivent être justifiés par un motif d’intérêt général et mis en œuvre de manière adéquate et proportionnée à cet objectif. Lorsque sont en cause des données à caractère personnel de nature médicale, une particulière vigilance doit être observée dans la conduite de ces opérations et la détermination de leurs modalités.


A l’aune de ces exigences constitutionnelles, le juge avait noté que les dispositions contestées permettent que ces données soient conservées pour une durée maximale de vingt ans après leur transfert et que les personnes mentionnées à l’article L. 1461-3 du code de la santé publique soient autorisées à y accéder. Cette durée avait dans son principe été validée car calibrée pour « améliorer les connaissances sur le virus responsable de l’épidémie de covid-19, en particulier ses effets à long terme sur la santé, et renforcer les moyens de lutte contre celle-ci ». Et le juge avait noté tant les règles strictes d’accès à ces informations que, surtout, le fait que ce « système national des données de santé ne contient ni les noms et prénoms des personnes, ni leur numéro d’inscription au répertoire national d’identification des personnes physiques, ni leur adresse ».


Par une réserve d’interprétation, le Conseil constitutionnel avait donc juste ajouté à ces règles de prudence le fait que « s’agissant des données transférées en application des dispositions contestées, sauf à méconnaître le droit au respect de la vie privée, cette exclusion doit également s’étendre aux coordonnées de contact téléphonique ou électronique des intéressés.»


Point qui ne concernait donc pas le passe sanitaire à proprement parler, mais qui était en quelque sorte connexe à celui-ci (base de données sur la même maladie et dont on aurait pu craindre une interconnexion avec le Passe sanitaire — ce qui ne fut pas du tout prévu par le législateur bien sûr — et limitation sur les données permettant une identification… point que l’on retrouvera dans la décision du CE évoquée ci-dessous en II).


Voici cette décision :

Décision n° 2021-819 DC du 31 mai 2021, Loi relative à la gestion de la sortie de crise sanitaire, Conformité – réserve [3]

Et notre article d’alors  :

Le Conseil constitutionnel délivre son « passe sanitaire » (avec une petite réserve) à la loi de sortie de crise [4]

Rappel de la position du Conseil d’Etat en tant que juge des référés, le 6 juillet 2021

La toujours très active Association La Quadrature du Net avait demandé au juge des référés du Conseil d’État de suspendre le « passe sanitaire », craignant un usage de données personnelles sensibles (état civil, justificatifs de statut vaccinal ou de résultat de test).


Le juge des référés du Conseil d’Etat relève que ce dispositif – papier ou numérique – n’est pas requis pour les activités du quotidien ou l’exercice de certaines libertés fondamentales (manifestation, réunion, exercice du culte), et ce par un rappel qui n’est pas sans évoquer celui de l’autre aile du Palais Royal, celle du Conseil constitutionnel.


En application de la loi relative à la gestion de la sortie de crise sanitaire, le Premier ministre a imposé depuis le 9 juin, la présentation d’un passe sanitaire, papier ou numérique, dans certaines situations (décret n° 2021-724 du 7 juin 2021 ; voir ici notre décryptage [5]).


Conformément à la loi, la présentation de ce document doit permettre uniquement de vérifier que le porteur remplit l’une des trois conditions requises (test négatif à la covid-19, justificatif de vaccination ou de rétablissement à la suite d’une contamination), sans pouvoir identifier quelle est la condition remplie ni les données personnelles qui y sont associées.


Le passe sanitaire n’est pas demandé pour les activités du quotidien


Le juge des référés relève que le passe sanitaire permet de réduire la circulation du virus en limitant les flux et croisements de personnes. Il est demandé uniquement pour les déplacements à destination ou en provenance de l’étranger, de Corse ou des Outre-mer, et pour l’accès à certains lieux, établissements ou événements impliquant de grands rassemblements de personnes (loisirs, foires, salons professionnels…).


Il n’est pas nécessaire à l’exercice des libertés de culte, de réunion ou de manifestation, ni aux activités quotidiennes (travail, magasins, restaurants…).


Anonymat, certes, mais aussi « principe de minimisation des données»


Sur cette question des données personnelles, on retrouve à titre individuel l’anonymat imposé par ailleurs au stade du big data par le Conseil constitutionnel.


« Toutefois, si les dispositions, citées au point 3, de second alinéa 2 du B du II de l’article 1er de la loi du 31 mai 2021, imposent que la forme des justificatifs exigibles pour certains déplacements ou pour l’accès à certains lieux, établissement ou évènements ne permette pas de connaître la nature du document ni les données qu’il contient, ces mêmes dispositions, qui ne visent qu’à empêcher les tiers de savoir si la personne est vaccinée, rétablie ou non-contaminée, n’interdisent nullement la présence dans le justificatif de données d’identité de la personne concernée. Il résulte en outre del’instruction, et notamment des échanges lors de l’audience, que ces données d’identification sont nécessaires pour contrôler que le passe présenté est bien celui de la personne qui s’en prévaut. Au point 24 de son avis du 7 juin 2021, la Commission nationale informatique et liberté (CNIL) a d’ailleurs estimé que le dispositif du passe sanitaire tel que prévu par le décret « est de nature à assurer le respect du principe de minimisation des données, en limitant strictement la divulgation d’informations privées aux personnes habilitées à procéder aux vérifications ». Par suite, le moyen tiré de la méconnaissance de la loi du 31 mai 2021 et du principe de minimisation des données doit être rejeté. »


Un régime technique et informatique qui justement évite l’accès à des données personnelles via le « big data » (et, là, on retrouve les préoccupations du Conseil constitutionnel)


Le juge des référés relève que le passe sanitaire numérique est facultatif et repose sur la conservation et le contrôle par chacun, sur son propre téléphone mobile, de certaines de ses données de santé (module « Carnet » de l’application TousAntiCovid). Ce choix limite la collecte et le traitement des données de santé sur des bases nationales et réduit les risques de piratage ou d’erreur. En outre, le contrôle des justificatifs par l’application TousAntiCovid Vérif se fait également au niveau local.


Oui mais est-ce raisonnable d’en passer par l’application TousAnti-Covid dédiée ? Une réponse positive s’impose à cette question au sortir de l’audience, pose le Conseil d’Etat, via une explication qui suscite l’intérêt :


« D’autre part, il résulte de l’instruction, et notamment des échanges lors de l’audience, que le choix de conserver ces données sensibles dans le module « Carnet » du traitement TousAntiCovid vient – outre de contraintes techniques tenant à l’urgence de mettre en œuvre le passe sanitaire – du souhait d’éviter de créer, au niveau national, un traitement générant le passe sanitaire, en croisant les données issues du système d’information national de dépistage N° 453505 7 (« SI-DEP ») et celles contenues dans le traitement automatisé de données à caractère personnel « Vaccin Covid ». En outre, le risque de captation illégale des données de santé figurant sur le téléphone mobile, qui suppose que le QR code soit présenté par le propriétaire du téléphone à un individu doté d’un logiciel malveillant capable de lire les données de santé qui y figurent, semble peu élevé. En conséquence, le choix d’offrir un système décentralisé, limitant la constitution de traitements ou bases nationales de données de santé, au prix de la conservation, par la personne concernée, sur son propre téléphone mobile, de certaines de ses propres données de santé, remplit un motif d’intérêt public dans le domaine de la santé publique et n’est pas manifestement contraire au principe de minimisation. Par suite, à supposer même qu’il soit possible, comme le soutient le requérant, d’inscrire sur les téléphones mobiles, grâce à un traitement national, un certificat ne contenant pour qualifier l’état de santé de la personne qu’un feu rouge ou un feu vert, il résulte de tout ce qui a été dit que le Gouvernement n’a pas fait une appréciation erronée des exigences combinées des articles 5, paragraphe 1, et 9, paragraphe 2 sous i) du RGPD en autorisant l’inscription de ces données de santé dans le traitement. »


Des contraintes limitées et entravant pas, ou peu, les libertés publiques au regard de l’intérêt public de présentation de la santé de la population, avec application du principe de minimisation


Le juge estime que le passe sanitaire répond à un motif d’intérêt public pour la préservation de la santé de la population et que les données collectées le sont de façon limitée et appropriée par rapport aux objectifs poursuivis (principe de minimisation).


Pour ces différentes raisons, le juge des référés estime que le passe sanitaire ne porte pas une atteinte grave et illégale au droit au respect de la vie privée et au droit à la protection des données personnelles.


Voici cette décision :

CE, ord., 6 juillet 2021, 453505 [6]


Et maintenant, l’avis (non contentieux) favorable, avec réserves, du Conseil d’Etat, sur un projet de loi, rendu hier

Rebond épidémique

Le Conseil d’Etat observe tout d’abord le rebond de la pandémie actuelle, avant que de « vérifier que les mesures prévues assurent, au regard des risques liés à la propagation du virus, en l’état des connaissances scientifiques, une conciliation conforme à la Constitution des nécessités de la lutte contre l’épidémie avec la protection des libertés fondamentales reconnues à tous ceux qui résident sur le territoire de la République ».


Le Conseil d’Etat estime à ce sujet « que le contexte sanitaire actuel et son évolution prévisible justifient le maintien jusqu’au 31 décembre 2021 des dispositions organisant le régime de sortie de l’état d’urgence sanitaire et permettant l’édiction des mesures de police sanitaires nécessaires à la lutte contre l’épidémie».

Situations martiniquaises et réunionnaises

Le Conseil d’Etat reconnaît aussi que des mesures spécifiques (prorogation de l’état d’urgence sanitaire jusqu’au 30 septembre 2021, avec quelques réserves) seront à prendre en effet dans les territoires de La Réunion et de la Martinique, notamment en raison de la diffusion du variant Delta et de la forte dégradation sanitaire qui s’y constate.


Passe sanitaire : ce que prévoit le projet de loi

Sur le Passe sanitaire, le Gouvernement envisage :

  • de reporter au 31 décembre 2021, le terme prévu pour l’application de ce cadre juridique, actuellement fixé au 30 septembre prochain. Ce point est validé par le Conseil d’Etat
  • d’étendre ce cadre juridique à de nombreuses activités de la vie quotidienne, tant pour le public que pour les professionnels et bénévoles qui y interviennent :


-les déplacements de longue distance par transport public au sein du territoire national ;

-l’ensemble des activités de loisirs ainsi que des foires et salon professionnels ;

-les activités de restauration ou de débit de boisson ;

-les établissements accueillant des personnes vulnérables, sauf en cas d’urgence ;

-les grands centres commerciaux.


Passe sanitaire : le Conseil d’Etat commence par rappeler qu’il doit effectuer un contrôle de proportionnalité, d’une part, et que doivent être respectées quelques bornes infranchissables, d’autre part.

Le Conseil d’Etat souligne cependant qu’une :


« telle mesure, en particulier lorsqu’elle porte sur des activités de la vie quotidienne, est susceptible de porter une atteinte particulièrement forte aux libertés des personnes concernées ainsi qu’à leur droit au respect de la vie privée et familiale.»


Le Conseil d’Etat n’est pas dupe sur le fait que cela peut :


« avoir des effets équivalents à une obligation de soins et justifie, à ce titre, un strict examen préalable de nécessité et de proportionnalité, dans son principe comme dans son étendue et ses modalités de mise en œuvre, au vu des données scientifiques disponibles».


NB: à ceux qui disent que cela revient à une obligation vaccinale déguisée (ce qui n’est pas totalement faux en pratique), on signalera que de toute manière celle-ci a été assez largement déverrouillée par la CEDH récemment (décision n° 47621/13 du 8 avril 2021, Vavricka c. République tchèque, paragr. 265 à 311).


Le Conseil d’Etat souligne ainsi que :


«l’application du « passe sanitaire » à chacune des activités pour lesquelles il est envisagé de l’appliquer doit être justifiée par l’intérêt spécifique de la mesure pour limiter la propagation de l’épidémie, au vu des critères mentionnés précédemment et non par un objectif qui consisterait à inciter les personnes concernées à se faire vacciner. « Le Conseil d’Etat considère, en conséquence, que les enjeux sanitaires doivent être mis en balance avec les conséquences de la mesure pour les personnes vaccinées et non vaccinées ainsi que pour les professionnels concernés.»


Bref on a une mesure de police donc il faut un contrôle de proportionnalité. Rien de neuf sous le soleil de la pandémie.


C’est là que cela devient intéressant car le Conseil d’Etat rappelle à cette occasion quelques bornes. Il n’est pas question que ce dispositif :


« – ne puisse avoir pour effet, sauf dans des situations exceptionnelles, de remettre en cause la possibilité pour l’ensemble de la population d’accéder à des biens et services de première nécessité ou de faire face à des situations d’urgence ;

« – ne porte pas une atteinte contraire aux normes constitutionnelles et conventionnelles au respect des libertés syndicales, politiques et religieuses non plus qu’au droit de manifester sur la voie publique ;

« – ne porte pas au droit des intéressés au respect de leur vie privée, une atteinte disproportionnée en particulier en les contraignant à révéler une précédente contamination ou à dévoiler très fréquemment leur identité dans les activités de la vie quotidienne ;

« – ne crée pas de différences de traitement dépourvues de justifications objectives entre les activités soumises au dispositif et celles qui n’y sont pas soumises.»


Il y a donc un contrôle de proportionnalité (classique) avec quelques bornes infranchissables (bien sûr).


Selon le CE, le projet de loi respecte ces conditions pour ce qui est du passe sanitaire pour de nombreuses activités (loisirs, sanitaires et sociaux…) avec quelques réserves (centres commerciaux ; maintien toujours des trois possibilités de se justifier ; évolutivité du dispositif en cas de retour à une moindre pandémie  ; éventualité d’un passage aux tests payants…).

Juste ensuite, ou presque, le Conseil d’Etat, estime que le dispositif prévu par le projet de loi respecte ces bornes et n’est pas disproportionné :

« Le Conseil d’Etat estime qu’au vu des éléments communiqués par le Gouvernement ainsi que des avis du Conseil scientifique précédemment mentionnés, le fait de subordonner l’accès à des activités de loisirs, à des établissements de restauration ou de débit de boissons et à des foires et salons professionnels à la détention d’un des justificatifs requis est, en dépit du caractère très contraignant de la mesure pour les personnes et les établissements concernés, de nature à assurer une conciliation adéquate des nécessités de lutte contre l’épidémie de covid-19 avec les libertés, et en particulier la liberté d’aller et venir, la liberté d’exercer une activité professionnelle et la liberté d’entreprendre.»


Idem pour la présentation d’un « passe sanitaire » pour l’accès à certains établissements de santé, médico-sociaux et sociaux. Mais le Conseil d’Etat :

  • suggère vivement qu’ensuite le pouvoir réglementaire calibre ce point « en fonction de la vulnérabilité du public accueilli » (logique).
  • semble conditionner son avis favorable au fait que le projet de loi « précise que les personnes prises en charge dans ces établissements ne seront pas soumises à l’exigence de détention d’un tel justificatif, s’agissant de l’accès à des services de première nécessité » (ce qui fixe une borne claire pour les futurs débats parlementaires).


En revanche, le Conseil d’Etat formule sa déjà fameuse réserve sur les centres commerciaux, sur laquelle, depuis hier soir, en général sans avoir le texte du CE, tous les commentateurs ne cessent de gloser.

Voici la formulation de cet avis. La Haute Assemblée y note que, s’agissant de :


« l’application de cette mesure aux grands centres commerciaux, que les éléments communiqués par le Gouvernement, notamment les données épidémiologiques et les avis scientifiques, ne font pas apparaître, au regard des mesures sanitaires déjà applicables et en particulier des exigences qui s’attachent au respect des gestes barrières, un intérêt significatif pour le contrôle de l’épidémie alors qu’elle contraint les personnes non vaccinées, en particulier celles qui ne peuvent l’être pour des raisons médicales, à se faire tester très régulièrement pour y accéder. Il constate que cette difficulté est susceptible de concerner tout particulièrement l’acquisition de biens de première nécessité, notamment alimentaires, et cela alors même qu’aucun autre établissement commercial ne serait accessible à proximité du domicile des intéressés. Il en déduit que cette mesure porte une atteinte disproportionnée aux libertés des personnes concernées au regard des enjeux sanitaires poursuivis. Le Conseil d’Etat relève en outre que la différence de traitement qui en résulte pour les établissements similaires selon qu’ils sont inclus ou non dans le périmètre d’un grand centre commercial n’est, en l’état des éléments communiqués, pas justifiée au regard du principe d’égalité, compte tenu des objectifs de santé publique poursuivis. Il ne retient pas, en conséquence, cette disposition.»


Une autre réserve a été moins commentée alors qu’elle est d’importance :


« 19. Le Conseil d’Etat appelle l’attention du Gouvernement sur la circonstance que l’appréciation ainsi portée sur le caractère proportionné de l’atteinte aux libertés fondamentales résultant de l’application du dispositif devrait nécessairement être réévaluée, soit en cas d’amélioration des perspectives sanitaires concernant les hospitalisations et admissions en soins critiques, soit s’il était décidé de rendre payants les tests de dépistage ou encore de limiter leur durée de validité. »


Idem pour les déplacements de longue distance, mais avec des vives recommandations d’ajouts dans la loi et de quelques mesures de prudence dans les textes réglementaires.

Le Conseil d’Etat a ensuite validé le recours à l’un de ces justificatifs pour les déplacements de longue distance au sein du territoire national, sous réserve toutefois :


  • de l’insertion dans la loi de dispositions spécifiques pour des déplacements en urgence pour nécessités impérieuses
  • de l’insertion dans les textes réglementaires de précisions sur les trajets concernés « de façon à n’inclure dans le champ de la mesure que ceux

d’une durée suffisamment longue pour faire naître un risque sanitaire accru et à veiller à limiter les cas dans lesquels elle trouverait à s’appliquer à des trajets quotidiens.»

  • de sécuriser la possibilité pour les personnes de se prévaloir de test de dépistage (donc recours aux trois justificatifs alternativement et non de certains d’entre eux… Une concession aux antivax).


Les cas de ceux qui travaillent ou œuvrent dans les lieux où s’appliquera ce passe sanitaire.

Le Conseil d’Etat ne voit pas de contrainte excessive dans le fait d’imposer la détention du « passe sanitaire » à l’ensemble des professionnels et bénévoles intervenant où le dispositif trouvera à s’appliquer… parce qu’il pourront, s’ils ne sont pas vaccinés, et hors les périodes post-maladie où l’on est immunisé… présenter un certificat de dépistage négatif et que seuls ceux d’entre eux qui s’abstiendraient de présenter un tel certificat pendant une période de deux mois consécutifs s’exposeraient à un licenciement ou à une cessation de fonction.


Bref, les antivax ont intérêt à aimer la pratique des tests PCR ou équivalent. Bien fait pour eux répondront beaucoup. Scandale absolu répondront les antivax. La polémique ne va pas décroître de sitôt, notamment sur les réseaux sociaux où les conspirationnismes les plus sombres ne cessent de tourner en boucle.


Le Conseil d’Etat estime que des dérogations médicale (pour ceux qui ne peuvent se faire vacciner) et d’âge s’imposent (reprise de la position de la DDD à ce sujet).

Le Conseil d’Etat relève également que le projet de loi ne prévoit pas d’exempter de l’obligation de détenir un « passe sanitaire » les personnes dans l’impossibilité de se faire vacciner :


  • soit en raison de leur jeune âge (voir l’avis de la Défenseure des droits [DDD] n° 21-06 du 17 mai 2021)
  • soit pour des motifs médicaux (pour pouvoir se faire vacciner notamment). Sur ce second point, le Conseil d’Etat propose d’introduire dans le projet de loi :

« une disposition permettant d’aménager par voie réglementaire le dispositif pour les personnes justifiant d’une contre- indication médicale à la vaccination.»


Pour les professionnels qui basculeraient ou non dans l’obligation vaccinale – sur les conséquences pour les agents (publics ou privés) qui refuseraient cette vaccination…

Sur ce point, nous préférons citer l’avis lui-même car celui-ci est calibré au trébuchet :


« 30. Le projet de loi entend instituer une obligation de vaccination contre la covid-19 pour les professionnels au contact direct des personnes les plus vulnérables dans l’exercice de leur activité professionnelle ainsi qu’à celles qui travaillent au sein des mêmes locaux.


En premier lieu, le Conseil d’Etat note que le projet de loi dresse précisément la liste des personnes concernées à travers leur lieu de travail et leur profession. Entrent dans le champ prévu pour l’obligation vaccinale les professionnels médicaux et paramédicaux, du champ sanitaire et médicosocial, exerçant en établissement ou en libéral, ainsi que les professionnels, étudiants ou élèves qui travaillent dans les mêmes locaux. Entrent également dans le champ de l’obligation vaccinale les professionnels susceptibles d’être en contact dans le cadre de leur activité avec des personnes vulnérables, comme les pompiers, les personnels intervenant dans des missions de sécurité civile, les personnels employés au domicile de certains bénéficiaires de l’allocation personnalisé d’autonomie ou de la prestation de compensation du handicap, les professionnels du transport sanitaire ou du transport conventionné avec l’assurance maladie, ou bien encore les prestataires de service et les distributeurs de matériels destinés à favoriser le retour à domicile et l’autonomie des personnes malades ou présentant une incapacité ou un handicap. Le Conseil d’Etat considère toutefois que s’agissant des personnels employés à domicile, au regard de l’objectif de santé publique poursuivi, la disposition doit être élargie aux personnes âgées de plus de 70 ans et à l’ensemble des personnes en situation de handicap.

En deuxième lieu, le Conseil d’Etat relève que le Gouvernement ne souhaite pas inclure dans le champ de l’obligation vaccinale les personnes intervenant ponctuellement, à titre professionnel ou bénévole, au sein des locaux dans lesquelles travaillent les personnes soumises à l’obligation vaccinale. Outre des modifications qui s’expliquent d’elles-mêmes, le Conseil d’Etat estime que la liste des personnes établie par le projet de loi est suffisamment précise, repose sur un critère objectif en rapport avec l’objet du projet de loi et n’est pas manifestement inappropriée à l’objectif de protection de la santé poursuivi. Toutefois, le Conseil d’Etat suggère, pour renforcer la clarté et l’intelligibilité du texte, d’introduire une disposition prévoyant expressément que les personnes mentionnées à l’alinéa précédent ne sont pas soumises à l’obligation vaccinale.


31. Par ailleurs, le Conseil d’Etat constate que le Gouvernement n’inclut pas dans le champ de l’obligation vaccinale les résidents ou patients des établissements, structures ou services dans lesquels exercent ou travaillent les professionnels mentionnés au point précédent. Le Conseil d’Etat s’est interrogé sur l’éventuelle atteinte à l’objectif constitutionnel de protection de la santé de cette obligation asymétrique. Toutefois, compte tenu, d’une part, du niveau de la couverture vaccinale des personnes les plus vulnérables et, d’autre part, des conséquences sanitaires et sociales induites par une obligation de vaccination pour les plus vulnérables qui refuseraient la vaccination, le Conseil d’Etat estime que ce choix n’est pas manifestement inapproprié avec l’objectif de protection de la santé poursuivi par le projet de loi.»

[…]

Puis, côté conséquences :

« Sur l’interdiction des professionnels d’exercer leur activité en cas de non-respect de l’obligation de vaccination 33. Le projet de loi prévoit que les professionnels soumis à l’obligation vaccinale doivent, pour continuer à exercer leur activité à compter de l’entrée en vigueur de la loi, présenter les documents mentionnés au point 32. A titre transitoire, le projet de loi autorise qu’ils puissent également présenter, jusqu’au 15 septembre 2021, le résultat d’un examen de dépistage virologique ne concluant pas à une contamination par la covid-19, réalisé depuis moins de 72 heures. A partir du 15 septembre 2021, le projet prévoit qu’ils présentent le justificatif de l’administration des doses de vaccins requises pour obtenir, selon leur situation et le type de vaccin, le justificatif vaccinal complet. Le Conseil d’Etat estime que le législateur peut, compte tenu de la finalité de santé publique qu’il poursuit, sans méconnaître le 5ème alinéa du Préambule de 1946, soumettre la poursuite de l’exercice de l’activité professionnelle des personnes mentionnées au point 30 à la transmission des documents établissant qu’elles respectent l’obligation vaccinale contre la covid-19 (Conseil constitutionnel, décision n° 2011-119 QPC du 1er avril 2011). 34. Le projet de loi prévoit ensuite que les documents mentionnés au point 32 sont transmis par les salariés et les agents publics à leur employeur et qu’à défaut, ils sont informés par ce dernier de la suspension de leurs fonctions ou de leur contrat de travail, qui s’accompagne de l’interruption du versement de leur rémunération. Sans préjudice du dernier alinéa du présent point, le Conseil d’Etat estime que le législateur peut créer un motif spécifique de suspension des fonctions et des contrats de travail, impliquant l’interruption du versement de la rémunération. Il considère toutefois que cette suspension n’est admissible, même si elle est justifiée par un objectif de santé publique, que dans la mesure où elle est assortie de garanties pour la personne concernée telles que l’information sans délai de cette décision et de la convocation à un entretien permettant d’examiner les moyens de régulariser la situation. Toutefois si la question posée par ces dispositions du projet de loi a bien été soumise pour avis à la CNNCEFP, comme cela a été dit au point 3, le Conseil d’Etat constate que ces dispositions concernent également les trois versants de la fonction publique et les personnels médicaux, odontologistes et pharmaceutiques, et auraient dû être soumises pour avis au Conseil commun de la fonction publique (CCFP) et au Conseil supérieur des personnels médicaux, odontologistes et pharmaceutiques. Le Conseil d’Etat tire les conséquences de l’absence de consultation sur le projet de loi aux points 35 et 36. 35. Le projet de loi prévoit, en troisième lieu, que le fait pour un salarié ou un agent public de ne plus pouvoir exercer son activité pendant une durée supérieure à deux mois pour le motif mentionné au point 33, constitue un motif de cessation définitive des fonctions ou de licenciement S’agissant, d’une part, des salariés, le Conseil d’Etat note qu’il résulte de la jurisprudence du Conseil constitutionnel qu’il est loisible au législateur de créer un motif spécifique de cessation de fonction ou de licenciement à condition de garantir à la personne concernée le respect des droits de la défense (Conseil constitutionnel, décision n° 2006-535 DC du 30 mars 2006, cons. 20 et 21 ; décision n° 2017-665 QPC du 20 octobre 2017, paragr. 6 à 13). Le Conseil d’Etat relève également que la convention n° 158 de l’Organisation internationale du travail (OIT) exige que les Etats signataires prévoient une procédure contradictoire avant le licenciement. Le Conseil d’Etat estime ainsi nécessaire de compléter le projet de loi afin de rendre applicable à ce nouveau motif de licenciement les procédures prévues pour le licenciement mentionné à l’article L. 1232-1 du code du travail et, pour les salariés protégés, aux dispositions du livre IV de la deuxième partie du code du travail. S’agissant, d’autre part, des agents publics, le Conseil d’Etat considère, pour les raisons déjà énoncées au point 34, que les dispositions mentionnées au premier alinéa du présent point auraient dû être soumises pour avis au Conseil commun de la fonction publique et qu’il ne peut dès lors les retenir en ce qu’elles s’appliquent aux agents publics. Comme pour les salariés, ces dispositions appellent en outre des compléments, de façon à assortir des garanties nécessaires la procédure spéciale de licenciement ainsi prévue, de même que la suspension sans rémunération mentionnée plus haut, qui ne se rattachent pas à des procédures existantes en droit de la fonction publique. Par suite, en l’absence de saisine des instances consultatives mentionnées au point 34, et faute de pouvoir différer son avis dans l’attente de ces consultations, le Conseil d’Etat considère que les dispositions relatives aux agents publics ne peuvent pas être retenues. Il en déduit qu’au regard de l’objectif de santé publique poursuivi et au champ de l’obligation, le maintien d’un régime spécifique d’interdiction d’exercer et de suspension de la rémunération, qui ne s’appliquerait qu’aux aux seuls salariés, serait contraire au principe constitutionnel d’égalité. En conséquence, il ne retient pas non plus ces dispositions. Il note que la violation de l’obligation vaccinale peut être, le cas échéant, sanctionnée dans le cadre des procédures disciplinaires de droit commun. Si le Gouvernement décidait de maintenir ces dispositions dans le projet de loi ou d’en proposer le rétablissement par amendement au Parlement, dès lors que la consultation du Conseil commun de la fonction publique résulte d’une obligation législative dont la méconnaissance n’est pas sanctionnée par le Conseil constitutionnel, le Conseil d’Etat l’invite à en compléter la rédaction pour tenir compte des observations faites ci-dessus. Sur les sanctions pénales de méconnaissance de l’interdiction d’exercer par un professionnel et de méconnaissance de l’obligation de contrôle par un employeur de l’obligation vaccinale 36. Le projet de loi prévoit tout d’abord que la méconnaissance de l’interdiction d’exercer est sanctionnée dans les mêmes conditions que celles prévues à l’article L. 3136-1 du code de la santé publique pour le fait pour toute personne de se rendre dans un établissement recevant du public en méconnaissance d’une mesure édictée sur le fondement du 5° du I de l’article L. 3131-15 du même code, à savoir une contravention de quatrième classe. La sanction peut être portée en cas de trois récidives dans un délai de 30 jours par une peine allant jusqu’à six mois d’emprisonnement et de 3 750 € d’amende ainsi que de la peine complémentaire de travail d’intérêt général, selon les modalités prévues à l’article 131-8 du code pénal et selon les conditions prévues aux articles 131-22 à 131-24 du même code. Le Conseil d’Etat estime que ces dispositions n’appellent aucune observation particulière. Le Conseil d’Etat ne retient pas cette disposition par voie de conséquences de ce qui est dit au dernier alinéa du point 34. »


Autorisation d’absence pour les agents

Afin de faciliter les vaccinations des salariés et des agents publics, le projet de loi créée une autorisation d’absence leur permettant de se rendre à leurs rendez-vous médicaux de vaccination, sans que ces absences n’emportent d’effets sur leur rémunération, leur droit à congés ou au calcul de leur ancienneté.


Autres points.


Par ailleurs, l’avis du CE :


  • rappelle les règles d’anonymat et de gestion des données médicales (rien de neuf sur ce terrain ; attention les points à ce sujet se trouvent dans divers points de l’avis — puisque celui-ci reprend l’ordre des dispositions prévues par ce projet — donc il faut un certain temps avant que d’en avoir une vision d’ensemble)
  • valide le régime de sanctions pénales (qui avait déjà été corrigé après un premier échange avec la Haute Assemblée en fait : la sanction d’un an de prison et 9 000 euros d’amende ne serait pas due dès la première incartade mais que pour qui aura été verbalisé à plus de trois reprises dans un délai de trente jours).
  • approuve le régime des mesures d’isolement et de quarantaine (rien de très neuf là encore, le droit étant clair depuis la décision du Conseil constitutionnel, n° 2020-800 DC du 11 mai 2020 et le régime proposés reprenant les dispositifs antérieurs, dont on soulignera d’ailleurs à titre personnel qu’ils sont infiniment plus libéraux et moins contrôlés que dans nombre de pays…). Le Conseil d’Etat propose juste d’ajouter au projet de loi la précision selon laquelle le placement en isolement cesse de s’appliquer avant l’expiration du délai de dix jours si un nouveau test réalisé fait apparaître que les intéressés ne sont plus positifs au virus de la covid-19.


Il appelle aussi l’attention du Gouvernement sur la nécessité de préciser les conditions de réalisation des contrôles, afin que celles-ci ne portent pas une atteinte excessive au droit des intéressés au respect de leur vie privée et sur ce point, le Conseil d’Etat propose toute une série de mesures (pas de contrôles nocturnes etc.)


  • valide les modes de preuve du respect de l’obligation de vaccination mais avec quelques ajustements. Le Conseil d’Etat suggère notamment (et fort heureusement…) au Gouvernement de prévoir une présentation de ces documents sous une forme qui ne permettra pas à la personne chargée du contrôle de connaître l’origine de l’immunisation.
  • propose des ajustements pour ce qui est des sanctions pénales à l’encontre des personnes qui méconnaissent l’obligation légale qui s’impose à elles de contrôler le respect de l’obligation vaccinale présentée au point 33 (voir ci avant pour les agents).
  • valide l’extension des missions de l’ONIAM pour ce qui est de la réparation des préjudices imputables à la vaccination obligatoire contre la covid-19 (logique)
  • valide les dispositions ultramarines prévues.


Mais, déjà, voici cet avis (non contentieux) :

*Avis du Conseil d’Etat, non contentieux, section sociale, 19 juillet 2021, n°403.629 [7]