Auteur et salarié le cumul d'un salaire et d’une rémunération en droit d'auteur

Un article de la Grande Bibliothèque du Droit, le droit partagé.
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Dalila Madjid, avocate au barreau de Paris [1]
Février 2022




Pour un même poste, un salarié peut être amené à exercer une mission technique et une mission créatrice.


Se pose ainsi la question de savoir si, en sa qualité d’auteur d’une œuvre de l’esprit, un salarié peut-il cumuler un salaire pour l’aspect technique de son travail et une rémunération en droits d’auteur pour la phase créatrice.


A titre liminaire : les salariés créateurs d’une œuvre de l’esprit et l’importance de prévoir un contrat explicite de la transmission des droits d’auteur

En vertu de l’article L. 113-1 du code de la propriété intellectuelle, la qualité d’auteur appartient à celui sous le nom de qui l’œuvre est divulguée. En pratique, il s’agira soit de l’auteur de l’œuvre, soit en cas de cession, de celui à qui les droits ont été cédés.


Le salarié qui crée une œuvre dans le cadre de son contrat de travail est ainsi titulaire des droits sur cette œuvre.


La société-employeur doit dès lors conclure des contrats de cession avec ses salariés pour pouvoir exploiter commercialement les œuvres qu’ils ont créées.


En tout état de cause, seul le salarié est titulaire des droits d’auteur pour deux raisons :


1-Aux termes de l’article L. 111-1 du Code de la propriété intellectuelle, le contrat de travail n’emporte pas dérogation à la jouissance des droits d’auteur reconnu au salarié.


La jurisprudence est constante à ce sujet, le salarié est seul propriétaire des droits sur les œuvres qu’il a créées au sein de l’entreprise.


En effet, il a été jugé que « l’existence d’un contrat de travail conclu par l’auteur d’une œuvre de l’esprit n’emporte aucune dérogation à la jouissance de ses droits de propriété incorporelle, dont la transmission est subordonnée à la condition que le domaine d’exploitation des droits cédés, soit délimités quant à son étendue et à sa destination, quant au lieu et quant à la durée » (Cass. 1e civ. 16 déc. 1992 n°91-11480 ; 21 oct. 1997 n°95-17256)


La signature d’un contrat de cession à chaque création est indispensable, car peu importe que le contrat de travail fait mention d’une clause relative à la création d’une œuvre de l’esprit. En effet, en vertu de l’article L. 131-1 du CPI, toute cession d’une œuvre future est nulle.

2-Une attention particulière doit être apportée à la rédaction du contrat de cession. Puisque, la portée des cessions de droits d’auteur est strictement cantonnée au contenu de l’acte : les droits qui ne sont pas expressément cédés restent détenus par l’auteur. L’acte de cession devra donc mentionner la nature des droits cédés (droits d’exploitation, droits d’adaptation, de traduction) et les supports pour lesquels les droits d’exploitation de l’œuvre sont cédés.


Pour être valide, un contrat de cession doit être précis et indiquer : la cession expresse du droit de représentation, la cession expresse du droit de reproduction de l’œuvre voire sa modification/adaptation à différents supports, la durée de cession, les lieux d’exploitation autorisés et bien évidemment la rémunération de la cession.


La distinction entre la rémunération en droits d’auteur et le salaire

  • La rémunération en droits d’auteur correspond à la rémunération que perçoit un auteur en contrepartie de l’exploitation de ses droits patrimoniaux sur la propriété immatérielle de ses œuvres.

La rémunération porte bien sur la création d’une œuvre et non sur une prestation de service (conseil –direction ou coordination de projet).


La rémunération sous forme de droit d’auteur est formalisée par l’établissement d’une note d’auteur.


L’activité rémunérée est exercée en dehors de tout lien de subordination.

Peuvent bénéficier de ces droits les personnes ayant contribué à la création d’une œuvre de l’esprit et dont l’activité se rattache aux branches professionnelles énumérées à l’article R. 382-1 du Code de la sécurité sociale.

  • le salaire et la présomption de salariat :

Les auteurs relevant obligatoirement du salariat sont les personnes soumises à un lien de subordination, retenu pour identifier et qualifier un contrat de travail (salarié soumis à des directives, horaires de travail et pour lesquels l’employeur fournit les locaux) Ex : graphiste en entreprise, directeur artistique. Et dans cette hypothèse seul un salaire peut être versé.

Le lien de subordination (défini par le code du travail et le Code de la sécurité sociale), va déterminer la nature de la rémunération et donc de l’affiliation au régime des auteurs :


1-Lieu d’exercice de l’activité (hors locaux)

2-le caractère forfaitaire ou proportionnel de la rémunération.


En effet, il a été jugé « qu’un salarié artiste avait signé avec une société de production, un contrat de cession de concept audiovisuel par lequel il lui cédait l’ensemble des droits de représentation et de reproduction et des droits d’adaptation, qu’il indiquait détenir sur le concept d’émission. Il a reçu une avance récupérable sur redevances de droit d’auteur de 75.000 euros, déclarée comme droits d’auteur à l’Association pour la gestion de la sécurité sociale des auteurs » (l’AGESSA).


A la suite d’un contrôle, l’URSSAF a notifié à la société, une mise en demeure portant sur plusieurs chefs de redressement et à notamment, réintégré l’avance versée à l’intéressé dans l’assiette des cotisations dues par la société au titre du régime général.


Pour la Cour de cassation «les juges d’appel auraient dû rechercher si l’œuvre en cause ayant donné lieu au versement de droits d’auteur avait été élaborée ou non dans le cadre d’un lien de subordination» . (Cass. Civ. 2e 20 déc. 2018 n°17-24.618).


Pour le calcul des cotisations des assurances sociales, des accidents du travail et des allocations familiales, sont considérées comme rémunérations toutes les sommes versées aux travailleurs en contrepartie ou à l’occasion d’un travail accompli dans un lien de subordination, ce lien étant caractérisé par l’exécution d’un travail sous l’autorité d’un employeur qui a le pouvoir de donner des ordres et des directives, d’en contrôler l’exécution et de sanctionner les manquements du subordonné.


En somme, si la création originale est réalisée en dehors de tout lien de subordination, cela conforte le versement d’une rémunération en droits d’auteur et non d’un salaire.


La possibilité de cumuler une rémunération en droit d’auteur et un salaire

Dans certains cas, un auteur peut cumuler des formes de rémunération différentes :

1/ un salaire pour la réalisation technique de l’œuvre,


2/ une rémunération en droits d’auteur pour l’exploitation de cette œuvre.


Il est souvent donné l’exemple du chorégraphe ou du metteur en scène, qui perçoit un salaire en sa qualité de maître de ballet ou de metteur en scène, correspondant à la préparation spectacle et au travail de répétition et une rémunération en droits d’auteur au titre de l’exploitation de l’œuvre chorégraphique ou mise en scène.


Dans le Code du travail, il existe des dispositions qui prévoient le cumul entre ces deux rémunérations, mais exclusivement pour les artistes du spectacle, par exemple l’article L. 7121-8 du Code du travail précise que la rémunération proportionnelle n’est pas un salaire. Il existe également des dispositions relatives aux mannequins, qui cumulent un salaire et des redevances pour l’utilisation de leur image.


En tout état de cause, un contrat de travail établi entre l’employeur et l’auteur doit distinguer ces deux types de rémunération. Cependant lorsque le contrat prévoit une rémunération globale sans faire de distinction entre salaire et droit d’auteur, la totalité de la rémunération sera qualifiée de salaire.


Sur les risques d’un contrôle et d’un redressement URSSAF

En application du code de la sécurité sociale, toute somme versée en contrepartie d’un travail est présumée être un salaire, soumis au paiement de cotisations sociales.


Lorsqu’un employeur obtient de son salarié une cession de droits d’auteur sur une œuvre créée dans le cadre du travail, il doit lui attribuer une contrepartie financière distincte du salaire.


Cette contrepartie qualifiée de droit d’auteur échappe au paiement de cotisations sociales auprès de l’URSSAF, qui conteste alors régulièrement cette qualification pour des sommes qu’elle estime être en réalité des salaires et demande leur réintégration au sein de l’assiette des cotisations.


Dans une décision du 20 décembre 2018, la Cour de cassation a précisé que, dans le cadre d’une telle contestation l’employeur doit justifier du fait que la somme qu’il qualifie de droit d’auteur n’est pas un salaire. En l’espèce, une société de production d’une émission a versé des droits d’auteur à l’un de ses salariés ayant participé à sa conceptualisation. La Cour a considéré que « l’employeur ne parvenait pas à démontrer que le concept de l’émission constituait une œuvre originale éligible à la protection du droit d’auteur. Dés lors, la rémunération versée à son salarié ne pouvait être qualifiée de droit d’auteur mais correspondait à un salaire soumis au paiement de cotisation sociale» . (Cass. 2e civ. 20 déc. 2018 n°17-24618)


Aux termes d’un arrêt du 18 janvier 2018, la cour d’appel de Paris a été amenée à se prononcer sur la réintégration dans l’assiette des cotisations sociales de sommes versées au titre de droits d’auteur à des metteurs en scène, costumiers, éclairagistes et décorateurs par le Théâtre national de l’Opéra comique. Alors que le tribunal des affaires de la sécurité sociale a confirmé l’intégralité du redressement opéré, la Cour d’appel a précisé « qu’il était nécessaire de distinguer la rémunération attribuée aux metteurs en scène qui se divise effectivement en un salaire relatif au travail matériel et des droits d’auteur concernant le travail créatif, de celles attribuées aux costumiers, éclairagistes et décorateurs dont le travail ne comporte pas de séparation entre l’activité technique et l’activité créatrice. Que les conditions réelles d’exécution de ces contrats ne sont pas celles d’une activité créatrice effectuée en toute indépendance. Et que ces contrats ne contiennent pas tous des clauses de cession de droit et ne prévoient pas toujours de rémunération spécifiques. Ainsi, pour ces derniers, la réintégration était effectivement justifiée, tandis que pour les premiers, seule la partie correspondant au salaire était soumise au paiement des cotisations sociales» .


Se posait alors la question de la proportion du salaire et des droits d’auteur au sein de la rémunération globale des metteurs en scène. L’URSSAF contestait la répartition effectuée par le Théâtre en ce que le travail d’exécution matériel détiendrait nécessairement une place prépondérante à hauteur de 60 % de la rémunération globale. La cour d’appel a décidé que « la répartition dépendait de la personnalité de l’auteur, l’originalité de l’œuvre, le succès attendu, le contenu du contrat de cession des droits etc ». En l’espèce, les juges parisiens ont conclu que « rien ne justifiait qu’il soit considéré que le Théâtre ait attribué une part excessive de droits d’auteur à ses metteurs en scène. Le redressement devait donc être annulé» . (CA Paris Pôle 6 ch.12, 18 janv. 2018 n°14/02884)


Dans un autre arrêt du 8 juin 2018, la Cour d’appel de Paris a confirmé un jugement qui a validé un redressement URSSAF, il était reproché à la société de ne pas avoir pu renverser la présomption du réalisateur salarié qui était rémunéré en droit d’auteur.

De plus, il lui était reproché l’absence de contrat faisant l’objet de déclaration au titre des droits d’auteur à l’Agessa, qu’aucun salaire n’a été prévu pour la partie technique de la réalisation de sorte qu’il est impossible au niveau financier de faire la part entre la rémunération de la partie technique et de celle relative à la partie intellectuelle. Et tous donnent lieu à versement de sommes forfaitaires sans que la société n’invoque d’exception au principe des droits proportionnels aux recettes. (CA Paris 8 juin 2018 n°14/12542)


Aussi, il a été jugé dans un arrêt de la cour d’appel de Paris, que le régime de la sécurité sociale des artistes auteurs ne s’appliquant qu’à la fraction de la rémunération qui est qualifiée de droits d’auteur « il appartient à l’employeur de formaliser préalablement la cession des droits d’auteur par l’établissement d’un contrat conclu dans les conditions de forme et de fond édictées par les dispositions des articles L 131-1 et suivants (cession globale des œuvres futures est nulle) et L 131-2 et suivants du code de la propriété intellectuelle (les contrats par lesquels sont transmis des droits d’auteur doivent être constaté par écrit) » ;


Qu’en l’espèce, faute pour la société d’avoir formalisé cette cession préalablement au versement des cotisations à l’AGESSA, la distinction entre la rémunération en salaires et la rémunération en droits d’auteur n’a pu être opérée de sorte que c’est à bon droit que l’URSSAF a requalifié en salaires passibles des cotisations dues dans le cadre du régime général, les sommes versées à tort en droit d’auteur aux salariés. (CA Paris Pôle 6 Ch. 12 3 avril 2014 n° 12/08210)

Et enfin, la Cour de cassation, a cassé la décision des juges du fond, suite à un redressement URSSAF, aux motifs : « Qu’en statuant ainsi, sans répondre aux conclusions de la société qui faisait état de l’exercice par M. X… et Mme Y… d’activités artistiques au profit de sociétés dont ils sont uniques actionnaires et dirigeants dans des conditions impliquant leur inscription au registre du commerce et excluant tout lien de subordination, la cour d’appel n’a pas satisfait aux exigences du premier des textes susvisés ». (Cass. 2e civ. 9 mars 2017 n°16-11700).


Sur la protection sociale de l’auteur

Tout diffuseur (en l’occurrence l’employeur) amené à rémunérer un auteur a l’obligation de s’identifier auprès de l’AGESSA ou de la Maison des Artistes (MDA) en remplissant un formulaire de déclaration d’existence. '(article L. 382-4 du Code de la sécurité sociale)


Ainsi, les cotisations et contributions sont obligatoirement dues à l’Agessa ou à la MDA : cotisation sociale, CSG, CRDS (8,61 % du brut environ) pour le compte de l’auteur.


Conclusion

Pour résumer, il est possible qu’un salarié cumule un salaire pour la phase technique de sa mission et une rémunération sous forme de droit d’auteur pour la phase créatrice de sa mission, à condition bien évidemment que l’œuvre soit originale.


La rémunération des droits d’auteur doit être formalisée par l’établissement d’une note d’auteur.


Néanmoins et au vu de la jurisprudence, il convient de signer un contrat de travail au préalable distinguant les deux missions techniques et créatrices et les deux rémunérations différentes.


Mais, il convient également de signer à chaque création un contrat de cession entre les salariés et la société, rédigé avec soin avec toutes les clauses obligatoires.


Par ailleurs, la mission créatrice devra être effectuée en dehors de tout lien de subordination, à défaut de quoi la présomption salariale s’appliquera.


Et enfin, il est important de se ménager des preuves relatives aux créations réalisées, ces créations devront être effectuées en dehors de tout lien de subordination et doivent être originales afin de bénéficier de la protection du droit d’auteur.