Ces délits douaniers qui mériteraient une simple amende…

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Jean Pannier, avocat au barreau de Paris
Docteur en droit
Ancien membre du Conseil de l’Ordre
Août 2019


L’arrêt rendu par la Cour de cassation le 10 février 2009 est tout à fait conforme à la doctrine de la chambre criminelle en cette matière où la méfiance le dispute souvent au manque d’information des opérateurs...

C’est un des problèmes auquel il faudra bien s’attaquer un jour si l’on prend enfin conscience que nos voisins européens misent sur les exigences de souplesse du commerce international, tout particulièrement en ces temps de concurrence exacerbés par la mondialisation. Il appartient d’abord à la douane de faire sa révolution culturelle car le dédouanement des marchandises en France est toujours perçu comme une opération à haut risque et se délocalise massivement vers les ports du nord (Comparer : Cass. crim. 30 mars1992, Gaz. Pal. Rec. 1994, sommm. P. 41 ; Cass. crim. 31 mars 1999 pourvoi n° 96-84993, Bull. crim. 1999 n° 67 ; Cass. ccri. 6 avril 2005, pourvoi n° 04-81337, Bull. crim. 2005 n° 119).


Cassation criminelle. 11 février 2009 : X…Haroun, X…Méhir, Y…Simon c. Douanes(Pourvoi n° 07-87489, non publié, c/ C. appel Paris 25 septembre 2007).

Importation sans déclaration de marchandises prohibées.- Fausses factures présentées à l’importation.- Art. 414, 426-3 et 4246-4 C. douanes.- Valeur en douane. – Avis facultatif de la CCED

Il résulte de l’arrêt attaqué que Méhir et Haroun X..., gérants de droit et de fait de la société Comitex, ont été poursuivis, sur citations directes de l’administration des douanes, pour avoir, à l’aide de fausses factures présentées à l’importation, commis de fausses déclarations, d’une part, dans la désignation de l’expéditeur réel des marchandises et, d’autre part, dans la valeur des marchandises, faits constituant les délits douaniers réputés importation sans déclaration de marchandises prohibées ;

A justifié sa décision l’arrêt infirmatif attaqué qui a déclaré Haroun et Méhir X... coupables du chef des déclarations réputées importation non déclarée de marchandises fortement taxées et les a condamnés solidairement avec Simon Y... et la société Comitex à payer à l’administration des douanes une amende douanière de 396 628 euros et la somme de 396 628 euros à titre de confiscation en valeur aux motifs que la société Comitex a réalisé d’une part, du mois de février au mois d’octobre 1999, huit importations de produits textiles pour un montant total de 323 584 euros auprès du fournisseur Arkandale Corporation domicilié à Dublin et, d’autre part, du mois de septembre au mois de décembre 1999, trois importations de textiles pour un montant de 73 044 euros auprès du fournisseurs Jape International Ldt domicilié à Tortola aux Iles Vierges britanniques ; que les factures émises par les sociétés Jape International Ldt et Arkendale Corporation étaient des fausses factures émises par des sociétés de façade, ne s’agissant en aucun cas de “courtiers, prestataires de services en charge de négocier les prix avec les fabricants” ; qu’ainsi, les factures étaient confectionnées sur l’ordinateur des sociétés Sivantex et Comitex ; que les factures des fournisseurs asiatiques et malaysiens étaient en possession de la société Comitex alors qu’elles auraient dû normalement se trouver chez le “courtier” et portaient des mentions identiques aux précédentes quant à leur numérotation, date et montant, ce qui démontre que l’intermédiaire ne prenait aucune commission pour sa prestation ; qu’il n’existait aucun contrat ni correspondance commerciale entre le client français et les deux sociétés “intermédiaires/courtiers” ; qu’également, antérieurement à ce circuit frauduleux la société Comitex s’approvisionnait dans les mêmes proportions directement auprès des mêmes fournisseurs asiatiques avec lesquels Haroun X... étaient en relation notamment pour le choix des collections et la négociation des prix ainsi qu’il l’a admis devant les enquêteurs des douanes ; qu’enfin, la présence d’incohérences et d’irrégularités dans la facturation établie par Arkendale démontre que lors de l’établissement des factures Arkendale à Paris le rédacteur se trompait entre les différentes importations et mélangeait les données ; que dès lors quand bien même la mention de l’expéditeur n’est que facultative sur la déclaration d’importation, les fausses déclarations dans la désignation de l’expéditeur des marchandises, commises lors des opérations de dédouanement à l’aide des factures inexactes, entrent dans les prévisions de l’article 426 3° du code des douanes, ce délit s’appliquant à toutes les importations visées à la prévention qui ont été toutes effectuées à l’aide de fausses factures, peu important que sur certains IM4 apparaisse le nom du fournisseur asiatique ;

En l’état de ces énonciations, caractérisant en tous ses éléments constitutifs l’infraction prévue par l’article 426-4 du code des douanes, la cour d’appel, qui a fait l’exacte application de l’article 414 du code précité en condamnant solidairement les prévenus à une amende douanière et à une somme pour tenir lieu de confiscation, a justifié sa décision.

Sous réserve des constatations matérielles et techniques, l’avis de la commission de conciliation et d’expertise douanière ne lie pas les juges du fond, d’autre part, selon l’article 447 du code des douanes, la juridiction compétente n’est pas tenue de renvoyer l’affaire devant la commission précitée, lorsqu’elle s’estime suffisamment informée, enfin, la valeur en douane des marchandises peut être valablement arrêtée sur la base des factures régulières émises par le fournisseur et mentionnant le prix à payer.

NOTE

Les importateurs avaient fait soutenir que les fausses déclarations ne sont punissables au titre de l’article 426 3° du code des douanes que si elles portent sur l’espèce, la valeur ou l’origine des marchandises ou sur la désignation du destinataire réel ou de l’expéditeur réel et que l’expéditeur réel étant, suivant la doctrine publiée de l’administration des douanes “la personne physique ou morale qui facture les marchandises destinées à l’expédition ou à l’exportation ou pour le compte de laquelle est établie la facture au destinataire étranger”, l’expéditeur à l’origine de l’importation n’est pas un expéditeur réel au sens de l’article 426 3° du code des douanes qui ne peut viser que les opérations d’exportations ; dès lors soutenaient-ils, en réputant importation sans déclaration de marchandises prohibées des déclarations portant sur l’expéditeur à l’origine de l’importation et non sur l’expéditeur réel au sens de l’article 426 3° du code des douanes, la cour d’appel a violé le dit article ainsi que l’article 111-4 du code pénal ;

Ils ajoutaient, d’autre part, que les déclarations accompagnées de factures inexactes ne peuvent être présumées importation ou exportation en contrebande que si leur caractère mensonger est établi ; que la circonstance que l’expéditeur soit une société de façade et qu’il ne prenne aucune commission pour sa prestation n’exclut pas que, notamment dans l’intérêt de présenter aux fournisseurs une couverture financière suffisante, cette société soit réellement à l’origine de l’expédition de la marchandise ; qu’en conséquence, en se bornant à relever que les sociétés Jape International et Arkendale n’étaient que des sociétés de façades sans contester explicitement que ces sociétés n’étaient pas les expéditeurs des marchandises, la cour d’appel a violé les textes précités ;

En outre, précisait le pourvoi, il résultait des pièces de la procédure que cinq des onze déclarations en douane visées par la prévention mentionnaient le fournisseur asiatique en qualité d’expéditeur (case 2) et un pays asiatique comme pays d’expédition (case 15) sans que les sociétés Arkendale ou Jape international n’y apparaissent ; que, dès lors, en considérant que toutes les déclarations comportaient des mentions mensongères en ce qu’elles faisaient apparaître les sociétés Arkendale ou Jape International comme expéditeur, peu important que le fournisseur apparaisse dans la déclaration, la cour d’appel a dénaturé les pièces soumises à son examen et n’a pas légalement motivé sa décision ;

Ceci d’autant que, s’agissant de déclarations portant sur une mention facultative du document administratif unifié, sans incidence sur la dette douanière, qui n’ont causé ni perte pour l’administration des douanes, ni profit pour les opérateurs et qui n’ont en rien fait obstacle aux contrôles de l’administration des douanes, la sanction d’un montant total de 793 256 euros est contraire au principe de la nécessité et de la proportionnalité des peines et porte une atteinte excessive au droit au respect des biens ;

Enfin le pourvoi soutenait qu’appliquées pour sanctionner un manquement insusceptible d’éluder un droit, l’amende et la confiscation en valeur prononcées en répression sont dénuées de toute dimension indemnitaire et constituent des peines qui, étant toutes deux de nature pécuniaire, ont un objet identique ; que, dès lors, en condamnant les déclarations litigieuses d’une amende douanière et d’une confiscation en valeur, la cour d’appel a sanctionné deux fois le même fait et a en conséquence violé le principe selon lequel nul ne peut être puni deux fois pour le même fait”.

Concernant l’avis de la CCED, le pourvoi soutenait que, d’une part, la constatation effectuée par la Commission de conciliation et d’expertise douanière au terme de laquelle la valeur douanière ne peut être déterminée au regard du dossier présenté par l’administration des douanes constitue une constatation technique au sens de l’article 447 du code des douanes ; que le juge pénal ne peut en conséquence déterminer la valeur en douane en fonction d’éléments déjà soumis à l’appréciation de la commission et sans faire état d’éléments nouveaux ; qu’en l’espèce, il résulte des propres constatations de l’arrêt que la Commission de conciliation et d’expertise douanière s’est prononcée au regard des jeux de factures, dont l’un comprenait les factures émanant de la société Clairtex et communiquées par l’administration des douanes américaines ; qu’il résulte de même de l’arrêt que la cour d’appel a déterminé la valeur en douane, pour retenir que la valeur déclarée était fausse, au regard de ces mêmes factures ; que, dès lors, en déterminant la valeur douanière au regard d’éléments déjà présentés à la Commission de conciliation et d’expertise douanière, sans faire état d’un élément nouveau justifiant une autre conclusion que celle de la commission, la cour d’appel a violé l’article 447 du code des douanes ;

En tout état de cause, lorsque, préalablement aux poursuites, la Commission de conciliation et d’expertise douanière a rendu un avis concluant à l’impossibilité, en l’état du dossier qui lui était présenté par l’administration des douanes, de se déterminer sur la valeur en douane, la juridiction pénale ne peut se prononcer sur cette valeur et doit renvoyer l’affaire à ladite Commission pour que cette dernière vide sa saisine ; or, ajoutaient-ils, en se prononçant d’elle-même sur la valeur douanière des marchandises après avoir constaté que la Commission de conciliation et d’expertise douanière, pourtant valablement saisie, n’avait effectué aucune constatation matérielle ou technique faute d’avoir disposé des éléments nécessaires, sans renvoyer l’affaire devant ladite commission, la cour d’appel a violé l’article 447 du code des douanes.

Enfin, était-il invoqué, la valeur en douane des marchandises importées est leur valeur transactionnelle, c’est à dire le prix effectivement payé ou à payer ;’en retenant que la valeur en douane des marchandises était celle résultant des factures émises par la société Clairtex sans rechercher quel était, en l’état des deux jeux de factures, le prix payé où à payer, la cour d’appel aurait violé l’article 29 du code des douanes communautaire”. (Sur les subtilités de la détermination de la valeur en douane, V. Cass. com. 8 octobre 2002, Bull. civ. IV, n° 140 ; Gaz. Pal. Rec. 2002, somm. p. 1860 ; Cass. crim. 19 septembre 2007, Bull. crim. 2007 n° 216, RTDCom. 2008, p. 436, obs. B. Bouloc).

Le droit douanier français donne toujours l’impression de vivre à l’époque du blocus continental. On peut se demander au nom de quoi car le mot d’ordre des opérateurs est redoutable : « Eviter la France et mettre en libre pratique…ailleurs » !