Dénonciation de harcèlement moral : utilisez les mots appropriés. Le salarié doit nommer expressément de harcèlement moral les faits dont il s’estime victime lorsqu’il écrit à son employeur pour les dénoncer (fr)
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Auteur : Franc Muller, avocat au barreau de Paris
Septembre 2017
Les mots ont un sens, et il revient au salarié de qualifier précisément les actes dont il estime être victime, sous peine de les voir priver de leur efficacité juridique.
Tel pourrait être le déroutant enseignement à retenir d’un récent arrêt de la Chambre sociale de la Cour de cassation.
L’affaire concernait un salarié, licencié pour faute grave, notamment pour avoir, selon les termes de la lettre de licenciement, « essayé de détourner l’attention, de créer l’illusion d’une brimade à votre endroit en proférant des accusations diffamatoires. »
Cette énonciation faisait suite à un mail, envoyé quelques semaines plus tôt par le salarié, dans lequel il avisait son employeur de son souhait de « l’informer de vive voix du traitement abject, déstabilisant et profondément injuste » qu’il subissait.
Cet écrit constituait pour l’employeur « un dénigrement et un manque de respect manifesté par des propos injurieux, constitutifs d’un abus dans la liberté d’expression », justifiant son licenciement pour faute grave.
Le salarié avait saisi la juridiction prud’homale de la contestation de son licenciement, et soutenant qu’il avait été licencié pour avoir relaté les agissements de harcèlement moral dont il était victime.
Il requérait en conséquence que son licenciement soit jugé nul et que sa réintégration dans l’entreprise soit ordonnée.
On se souvient à cet égard que « le salarié qui relate des faits de harcèlement moral ne peut être licencié pour ce motif, sauf mauvaise foi, laquelle ne peut résulter de la seule circonstance que les faits dénoncés ne sont pas établis » (Cass. Soc. 7 fév. 2012 n° 10-18035, Cass. Soc. 10 juin 2015 n° 13-25554).
Bien que le salarié n’ait pas qualifié de harcèlement moral le traitement qu’il subissait, la Cour d’appel lui avait donné raison, et jugé que son licenciement était nul.
Elle avait retenu que les termes employés dans son courriel visaient des agissements de harcèlement moral même si cette qualification n’était pas formellement employée.
Mais la Cour de cassation censure cette décision, au motif qu’il résultait des constatations des Juges d’appel que le salarié n’avait pas dénoncé des faits qualifiés par lui d’agissements de harcèlement moral, de sorte que son licenciement n’était pas nul (Cass. Soc. 13 sept. 2017 n° 15-23045).
Cette solution paraît surprenante.
L’article 12 du Code de procédure civile dispose en effet que « le juge tranche le litige conformément aux règles de droit qui lui sont applicables. Il doit donner ou restituer leur exacte qualification aux faits et actes litigieux sans s’arrêter à la dénomination que les parties en auraient proposée. »
Or, la Cour d’appel s’était conformée à cette exigence en donnant aux faits dénoncés par le salarié la qualification de harcèlement moral ; la critique de la haute juridiction nous semble donc discutable.
En tout état de cause, et c’est véritablement la leçon à en tirer, le salarié ne doit pas hésiter à nommer expressément de harcèlement moral les faits dont il s’estime victime lorsqu’il écrit à son employeur pour les dénoncer.