Dépassement des durées maximales de travail et indemnisation

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Franc Muller, avocat au barreau de Paris [1]
Février 2022


Le dépassement de la durée de travail maximale ouvre droit à indemnisation, indépendamment du paiement des heures supplémentaires

Le dépassement de la durée maximale de travail ouvre droit à indemnisation

Le dépassement de la durée maximale de travail hebdomadaire ouvre droit à une indemnisation, sans que le salarié ait à démontrer l’existence d’un préjudice spécifique, celui-ci résultant nécessairement de cette surcharge de son temps de travail.


Cette nouvelle décision de la chambre sociale de la Cour de cassation est la bienvenue dans un contexte où l’exigence de la démonstration d’un préjudice a tendance à devenir l’unique critère d’appréciation des juridictions prud’homales.


Le Code du travail précise les durées de travail quotidienne et hebdomadaire admissibles.


La durée quotidienne de travail effectif par salarié ne peut excéder 10 heures(article L 3121-18 [2]).


Au cours d’une même semaine', la durée maximale hebdomadaire de travail est de 48 heures (article L 3121-20 [3]), sachant qu’elle ne peut excéder 44 heures calculée sur une période quelconque de douze semaines consécutives (article L 3121-22 [4]).


De nombreux salariés ont une durée de travail qui excède, de manière exceptionnelle ou habituelle, ces durées de travail prescrites par la Loi.


Ils sont donc fondés à demander, outre le paiement des heures supplémentaires qu’ils ont exécutés, une indemnité en raison de ce temps du travail excédentaire qu’ils ont réalisé.


L’affaire soumise à la Cour de cassation concernait un salarié, chauffeur-livreur, qui avait travaillé sans compter ses heures, mais dont l’employeur avait rompu la période d’essai en raison « d’une insuffisance de résultats ».


Il demandait au Juge prud’homal de condamner son employeur à lui verser une indemnité pour violation de la durée maximale du travail, au titre d’une semaine où il avait travaillé 50,45 heures.


La démonstration de l’existence d’un préjudice n’est ici pas nécessaire

Sa demande avait été rejetée par la Cour d’appel, qui lui reprochait de ne pas avoir démontré très exactement en quoi ces horaires chargés lui avaient porté préjudice.


Rappelons que depuis un détestable arrêt d’avril 2016, les Juges font peser une exigence forte sur les salariés en leur intimant d’établir l’existence d’un préjudice propre, celui-ci ne pouvant résulter du seul manquement commis par l’employeur (Cass. Soc. 13 avril 2016 n° 14-28293 [5]).


Or, cette règle est ici écartée par la Chambre sociale de la Cour de cassation, qui, s’appuyant sur une directive européenne (directive 2003/88 [6] concernant certains aspects de l’aménagement du temps de travail) et sur son interprétation par le Juge communautaire qui retient que le dépassement de la durée moyenne maximale de travail hebdomadaire constitue en tant que tel une violation sans qu’il soit besoin de démontrer l’existence d’un préjudice spécifique, énonce que le seul constat du dépassement de la durée maximale de travail ouvre droit à réparation (Cass. Soc. 26 janv. 2022 n° 20-21636 [7]).

Quid pour les salariés en forfait jours ?

Cette affaire concernait un salarié dont la durée de travail ne ressortait pas d’un contrat de travail soumis à une convention de forfait en jours sur l’année.


Cela étant, les salariés dont la relation de travail est régie par une convention de forfait jours ne dérogent pas aux exigences légales.


La Cour de cassation se montre, avec constance, sourcilleuse sur le fait que « toute convention de forfait en jours doit être prévue par un accord collectif dont les stipulations assurent la garantie du respect des durées maximales raisonnables de travail ainsi que des repos, journaliers et hebdomadaires » (Cass. Soc. 16 oct. 2019 n° 18-16539 [8]).


A défaut de répondre à cet impératif, la convention de forfait en jours conclue est nulle, cette annulation permettant au salarié de prétendre au paiement des heures supplémentaires qu’il a accomplies.


Qu’en est-il en cas de dépassement du nombre de jours prévus par la convention ?

La convention détermine le nombre de jours de travail par an, ainsi que le nombre de jours de RTT auquel le salarié aura droit.


Mais lorsque le salarié travaille un nombre de jours annuels supérieur à ce que la convention stipule, ce dépassement a-t-il pour conséquence de provoquer l’annulation du forfait jours et le paiement d’heures supplémentaires qui en découle le cas échéant… ?


Ce n’est pas la solution retenue par la Cour régulatrice.


Elle considère que la validité du forfait jours n’est pas remise en cause par ce dépassement.


Elle a en effet jugé que « la circonstance que le cadre dépasse le nombre de jours prévus par le forfait n’emporte ni la nullité de la convention de forfait, ni son absence d’effet » (Cass. Soc. 24 oct. 2018 n° 17-12535 [9]).


En revanche, le salarié est fondé à obtenir des dommages intérêts liés au dépassement du forfait en jours (Cass. Soc. 4 nov. 2021 n° 19-25615 [10]).


Qui plus est il importe de souligner que l’article L 3121-61 du Code du travail [11] dispose que lorsqu’un salarié ayant conclu une convention de forfait en jours perçoit une rémunération manifestement sans rapport avec les sujétions qui lui sont imposées, il peut, nonobstant toute clause conventionnelle ou contractuelle contraire, saisir le juge judiciaire afin que lui soit allouée une indemnité calculée en fonction du préjudice subi, eu égard notamment au niveau du salaire pratiqué dans l’entreprise, et correspondant à sa qualification.