L’obligation de quitter le territoire français, vers de nouvelles mesures ?
France > Droit des étrangers
Par Valentine Léger
Juriste au Centre de documentation du Barreau de Paris
Le 8 février 2023
L’obligation de quitter le territoire français communément appelée OQTF est une décision prise par le préfet obligeant une personne à quitter la France par ses propres moyens dans un délai de 30 jours. Ce sera notamment le cas lors du refus de délivrance de titre de séjour ou de séjour irrégulier en France. Dans des situations limitées, l’OQTF sera sans délai, notamment lorsque la personne représente une menace pour l’ordre public [1].
L’OQTF peut être prononcée à la suite du refus de délivrance ou de renouvellement d’un titre de séjour, au rejet d’une demande d’asile ou à un contrôle d’identité révélant le séjour irrégulier d’une personne.
L’OQTF doit mentionner deux autres décisions : le délai du départ volontaire et le pays de destination. La préfecture pourra ajouter une interdiction de retour sur le territoire français, un placement en centre de rétention administrative ou une assignation à résidence, mesures susceptibles de recours devant le tribunal administratif par l’étranger.
En vertu de l’article L.511-4 du CESEDA [2] , certaines personnes étrangères sont protégées contre les OQTF, tels que les mineur.e.s isolé.e.s, les personnes qui ont un.e enfant de nationalité française à condition de contribuer à son entretien et son éducation ou encore, les personnes gravement malades qui ne peuvent pas se faire soigner dans leur pays.
Les récentes actualités sont vives sur le sujet : un homme qui a blessé six personnes à Paris Gare du Nord en janvier dernier et qui était sous le coup d’une OQTF ; la tragique affaire Lola où la suspecte était sous une OQTF ; ou encore, certains figurants du film Tirailleurs qui se retrouve avec une OQTF.
Selon les chiffres du ministère de l’Intérieur, cités dans un rapport du Sénat, seulement 6,9% des OQTF ont été exécutées en 2020 et 5,6% au premier semestre 2021 [3].
Le Conseil d’Etat, au cœur de l’actualité sur le sujet de l’OQTF
Dans sa décision du 9 novembre 2022 (CE, 19 novembre 2022, n°468917 [4]), le Conseil d’Etat s’interrogeait sur le fait de savoir si la création d’une zone d’attente temporaire au sein d’une base militaire porte une atteinte grave et manifestement illégale à une liberté fondamentale. Le juge des référés du Conseil d’Etat retient que la création d’une telle zone ne porte pas une atteinte grave et manifeste au droit au recours effectif au motif que les entretiens ont pu être menés par l’Office français de protection des réfugiés et apatrides, ce qui a conduit à ce que soixante-six personnes soient admises à entrer sur le territoire afin de présenter une demande d’asile [5].
Dans une décision du Conseil d’Etat en date du 22 décembre 2022 (CE, 22 décembre 2022, n°458724 [6]), l’interrogation résidait dans le fait de savoir si les étrangers faisant l’objet d’une OQTF ou dont la demande d’asile a été définitivement rejetée avaient droit au dispositif d’hébergement d’urgence. Par principe, ils n’ont pas à bénéficier de ce dispositif. Cependant, l’article L.345-2-2 du Code de l’action sociale et des familles prévoit que « toute personne sans abri en situation de détresse médicale, psychique ou sociale a accès, à tout moment, à un dispositif d'hébergement d'urgence ». Le Conseil d’Etat s’est alors fondé sur cet article pour rendre sa décision : les étrangers faisant l’objet d’une OQTF ou dont la demande d’asile a été définitivement rejetée ont droit au dispositif d’hébergement d’urgence s’ils sont en situation de détresse. A ce titre, le Conseil d’Etat avait déjà jugé que l'hébergement d'urgence ne peut être ordonné qu'en cas de circonstances exceptionnelles, notamment en cas de risque grave pour la santé (CE, Sect., 13 juillet 2016, n°400074 [7]).
Cinq jours plus tard, le 27 décembre 2022 (CE, 27 décembre 2022, n°465365 [8]), le Conseil d’Etat indique s’agissant des titres de séjour en Ukraine que « pour pouvoir prétendre au bénéfice de la protection temporaire, les ressortissants de pays tiers, autres que l’Ukraine, doivent en principe être titulaires d’un titre de séjour permanent délivré conformément au droit ukrainien ». En d’autres termes, les étrangers sans titre de séjour permanent qui résidaient en Ukraine lors de l’invasion russe ne bénéficient pas automatiquement de la protection temporaire en France [9].
La CJUE, dans sa continuité jurisprudentielle sur l’obstacle à l’éloignement en cas de maladie grave
Dans une décision du 22 novembre 2022 de la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE, 22 novembre 2022, affaire C-69/21 [10]), un demandeur d’asile au Pays-Bas devait être éloigné vers la Russie mais il alléguait être atteint d’une maladie grave lui faisant prendre un traitement interdit en Russie. La question qui se pose était alors de savoir si être gravement malade constitue un obstacle à l’éloignement. La CJUE répond par l’affirmative au motif que l’augmentation de la douleur peut porter atteinte à l’intégrité physique de la personne ou à sa vie privée. Il faut qu’il existe un risque réel que la douleur augmente de manière « rapide, significative et irrémédiable ». Cette cour considère que l’État doit non seulement garantir le traitement de la douleur pendant le transfert mais aussi une fois dans le pays de destination [11].
L’absence de document d’identité valide dans le cadre d’une mesure d’éloignement jugée par la Cour de cassation
Dans une décision du 14 décembre 2022 (Civ.1, 14 décembre 2022, n°21-20.885 [12]) rendue par la première chambre civile de la Cour de cassation, il était question de trancher la question suivante : est-ce que l’absence d’un document d’identité ou de voyage en cours de validité constitue une obstruction continue à l’exécution de la mesure d’éloignement ? La Haute juridiction a considéré que cela n’était pas caractéristique d’un acte d’obstruction à la mesure d’éloignement au motif que, bien que le document d’identité de l’intéressé n’était plus valable, il n’existait aucune contestation sur son identité et sa nationalité [13].
Un nouveau projet de loi sur l’OQTF
L’exécutif présentait ce mercredi 1er février 2023, en Conseil des ministres, son projet de loi sur l’immigration. Le gouvernement veut « simplifier les règles du contentieux » qui engorge les tribunaux administratifs notamment en instaurant un juge unique qui prendrait les décisions seul, ce qui permettrait d’accélérer les procédures d’asile et d’expulser plus rapidement. L'exécutif veut également « conditionner la première délivrance d'une carte de séjour pluriannuelle à la maîtrise d'un niveau minimal de français » alors qu’actuellement, il suffit d’une simple participation à une formation linguistique. La mesure vise à « inciter les étrangers qui souhaitent demeurer durablement sur le territoire à se mobiliser davantage dans leur apprentissage du français ». Entre autres mesures, le ministre du travail, Olivier Dussopt avait évoqué l’idée de permettre aux demandeurs d’asile de travailler dès leur arrivée sur le sol français dans l’attente de la décision de l’Office français de protection des réfugiés et apatrides [14].
Ces mesures entreront-elles en vigueur ? Seul l’avenir nous le dira…