Le contentieux douanier des visites domiciliaires

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Jean Pannier, avocat au barreau de Paris
Docteur en droit
Ancien membre du Conseil de l’Ordre
Août 2019


Confrontée à une fraude réputée fugace et le plus souvent difficile à poursuivre l’administration des douanes a longtemps su convaincre le législateur de la nécessité de lui accorder des moyens d’investigation à la mesure des difficultés rencontrées. D’où la tentation d’utiliser les visites domiciliaires c’est-à-dire les perquisitions réputées fructueuses. Mais dans quelles conditions ? Il n’y a pas si longtemps un simple feu vert hiérarchique suffisait pour forcer la porte du domicile de tout un chacun soupçonné, par exemple, de posséder un compte en suisse ou des pièces et des lingots d’or. L’article 64 du code des douanes exigeait simplement que les enquêteurs des douanes soient accompagnés d’un OPJ requis pour la circonstance.

La tentation d’échapper au formalisme fut parfois la plus forte et l’on vit même se dérouler une visite domiciliaire en l’absence d’OPJ. Qu’à cela ne tienne, les enquêteurs des douanes crurent pouvoir couvrir la faute en faisant renoncer l’intéressé à cette garantie par une mention expresse au procès-verbal. Ce genre d’atteinte aux droits de la défense fut sévèrement sanctionné par la Cour de cassation [1] et, ajouté à d’autres abus comme la chasse aux bas de laine [2], inspira logiquement une réforme pour aligner le régime des visites domiciliaires des douanes sur celui des agents des impôts ou de la concurrence. L’idée était de soumettre l’ardeur des services d’enquête à une autorisation judiciaire préalable.

Mais il ne faut pas confondre « autorisation judiciaire » - laquelle était souvent purement formelle - avec un « contrôle judiciaire » réel qui peut mettre à mal certains excès, spécialement au regard de l’origine parfois douteuse des documents susceptible de susciter le froncement de sourcil du juge sollicité par les enquêteurs. Les soi-disant améliorations contenues dans la loi de finances pour 1983 modifiant l’article 64 du code des douanes furent retoquées le 29 décembre 1983 [3] par le Conseil constitutionnel. Il faudra ensuite attendre une nouvelle mouture de l’article 64 contenue dans la loi de finances pour 1986, mais elle tourna vite au jeu de massacre - surtout en matière fiscale - tant il était évident que l’aspect formel des autorisations judiciaires l’emportait sur l’exigence de contrôle effectif qui correspond pourtant beaucoup mieux à ce que l’on peut attendre de l’intervention de l’autorité judiciaire.

La Cour de cassation a ainsi fait payer très cher aux administrations poursuivantes le fait de vouloir mettre en avant l’autorité judiciaire tout en la privant d’un contrôle réel compatible avec sa fonction. Pendant la période 1986-2000 plus de 500 procédures furent ainsi passées à la trappe, principalement en matière fiscale, par la chambre commerciale de la Cour de cassation. [4] Les douaniers eurent aussi droit quelques rappels à l’orthodoxie :

« Le juge qui autorise une visite domiciliaire en application de l’article 64 du Code des douanes ne peut se référer qu’aux documents détenus par l’Administration demanderesse détenus par celle-ci de manière apparemment licite ; En ne mentionnant pas l’origine apparente des pièces n° 6, 8, 10 et 11 bis dont, ainsi l’apparence de la détention licite n’était pas établie, le juge ne permet pas à la Cour de Cassation d’exercer son contrôle au regard des texte et principe susvisés ». [5]

Il s’en suivit une pratique qui échoua tout aussi surement que la précédente – elle fut cette fois fermement dénoncée en matière fiscale – par la Cour européenne parce que, là encore, on avait fait les choses à moitié sur le plan de l’effectivité du contrôle :

« 30. La circonstance que l’autorisation de procéder à des visites domiciliaires est délivrée par un juge – de sorte qu’à première vue, un contrôle juridictionnel incluant un examen de cette nature se trouve incorporé dans le processus décisionnel lui-même – ne suffit pas à combler cette lacune... Par ailleurs, l’accès des personnes concernées à ce juge apparaît plus théorique qu’effectif. En effet – cela ressort de la jurisprudence de la Cour de cassation – les agents qui procèdent à la visite n’ont pas l’obligation légale de faire connaître aux intéressés leur droit de soumettre toute difficulté au juge (et ils ne l’ont pas fait en l’espèce), lequel n’est tenu de mentionner dans l’ordonnance d’autorisation ni la possibilité ni les modalités de sa saisine en vue de la suspension ou de l’arrêt de la visite...De surcroît, en raison d’un revirement de la jurisprudence de la Cour de cassation, les intéressés n’ont plus la faculté de saisir le juge qui a autorisé les opérations après l’achèvement de celles-ci : il ne peut plus connaître a posteriori d’une éventuelle irrégularité entachant ces opérations, une telle contestation relevant, selon la Cour de cassation, du contentieux dont peuvent être saisies les juridictions appelées à statuer sur les poursuites éventuellement engagées sur le fondement des documents appréhendés ». [6]

On ne saurait être plus sévère ni surtout plus clair, d’autant que les rappels n’avaient pas manqué : « S’il n’est pas interdit au juge de faire état d’une déclaration anonyme, dès lors que celle-ci lui est soumise au moyen d’un document établi par les agents de l’Administration et signé par eux, c’est à la condition qu’elle soit corroborée par d’autres éléments d’information qu’il décrit et analyse ». [7]

Dans l’urgence, une fois de plus car il y avait péril en la demeure, intervint alors la loi n° 2008-776 du 4 août 2008 qui tenta – de manière encore fort imparfaite si l’on en juge par les commentaires déjà publiés [8] - de répondre aux critiques de la CEDH, tout en ménageant les procédures en cours, y compris celles déjà contestées. On s’orientait donc à nouveau vers l’échec du fait de la réticence de Bercy à vouloir imposer un régime de contrôle judiciaire sans en accepter la logique. Attitude au demeurant classique, spécialement en matière douanière où le rôle du juge a longtemps été considéré avec une relative condescendance. [9]

L’article 164 de cette loi modifie les dispositions suivantes : ( Livre des procédures fiscales : Art. L16 B ; Art. L38 ; - Code des douanes : Art. 64 )

« IV. - 1. Pour les procédures de visite et de saisie prévues à l’article L. 16 B du livre des procédures fiscales pour lesquelles le procès-verbal ou l’inventaire mentionnés au IV de cet article a été remis ou réceptionné antérieurement à la date d’entrée en vigueur de la présente loi, un appel contre l’ordonnance mentionnée au II de cet article, alors même que cette ordonnance a fait l’objet d’un pourvoi ayant donné lieu à cette date à une décision de rejet du juge de cassation, ou un recours contre le déroulement des opérations de visite ou de saisie peut, dans les délais et selon les modalités précisés au 3 du présent IV, être formé devant le premier président de la cour d’appel dans les cas suivants :

a) Lorsque les procédures de visite et de saisie ont été réalisées à compter du 1er janvier de la troisième année qui précède l’entrée en vigueur de la présente loi et n’ont donné lieu à aucune procédure de contrôle visée aux articles L. 10 à L. 47 A du livre des procédures fiscales ;

b) Lorsque les procédures de contrôle visées aux articles L. 10 à L. 47 A du même livre mises en œuvre à la suite des procédures de visite et de saisie réalisées à compter du 1er janvier de la troisième année qui précède l’entrée en vigueur de la présente loi se sont conclues par une absence de proposition de rectification ou de notification d’imposition d’office ;

c) Lorsque les procédures de contrôle mises en œuvre à la suite d’une procédure de visite et de saisie n’ont pas donné lieu à mise en recouvrement ou, en l’absence d’imposition supplémentaire, à la réception soit de la réponse aux observations du contribuable mentionnée à l’article L. 57 du même livre, soit de la notification prévue à l’article L. 76 du même livre, soit de la notification de l’avis rendu par la commission départementale des impôts directs et des taxes sur le chiffre d’affaires ou par la Commission nationale des impôts directs et des taxes sur le chiffre d’affaires ;

d) Lorsque, à partir d’éléments obtenus par l’administration dans le cadre d’une procédure de visite et de saisie, des impositions ont été établies ou des rectifications ne se traduisant pas par des impositions supplémentaires ont été effectuées et qu’elles font ou sont encore susceptibles de faire l’objet, à la date de l’entrée en vigueur de la présente loi, d’une réclamation ou d’un recours contentieux devant le juge, sous réserve des affaires dans lesquelles des décisions sont passées en force de chose jugée. Le juge, informé par l’auteur de l’appel ou du recours ou par l’administration, sursoit alors à statuer jusqu’au prononcé de l’ordonnance du premier président de la cour d’appel.

2. Pour les procédures de visite et de saisie prévues au 2 de l’article L. 38 du livre des procédures fiscales [1] et de l’article 64 du code des douanes réalisées durant les trois années qui précèdent la date de publication de la présente loi, un appel contre l’ordonnance mentionnée au 2 des mêmes articles, alors même que cette ordonnance a fait l’objet d’un pourvoi ayant donné lieu à cette date à une décision de rejet du juge de cassation, ou un recours contre le déroulement des opérations de visite ou de saisie peut, dans les délais et selon les modalités précisés au 3 du présent IV, être formé devant le premier président de la cour d’appel lorsque la procédure de visite et de saisie est restée sans suite ou a donné lieu à une notification d’infraction pour laquelle une transaction, au sens de l’article L. 247 du livre des procédures fiscales[ https://www.legifrance.gouv.fr/codes/article_lc/LEGIARTI000044874424] ou de l’article 350 du code des douanes [2], ou une décision de justice définitive n’est pas encore intervenue à la date d’entrée en vigueur de la présente loi.

3. Dans les cas mentionnés aux 1 et 2, l’administration informe les personnes visées par l’ordonnance ou par les opérations de visite et de saisie de l’existence de ces voies de recours et du délai de deux mois ouvert à compter de la réception de cette information pour, le cas échéant, faire appel contre l’ordonnance ou former un recours contre le déroulement des opérations de visite ou de saisie. Cet appel et ce recours sont exclusifs de toute appréciation par le juge du fond de la régularité du déroulement des opérations de visite et de saisie. Ils s’exercent selon les modalités prévues respectivement aux articles L. 16 B et L. 38 du livre des procédures fiscales et à l’article 64 du code des douanes [3]. En l’absence d’information de la part de l’administration, ces personnes peuvent exercer, selon les mêmes modalités, cet appel ou ce recours sans condition de délai.

V. - Les I à III sont applicables aux opérations de visite et de saisie pour lesquelles l’ordonnance d’autorisation a été notifiée ou signifiée à compter de la date d’entrée en vigueur de la présente loi ».

Tirant les conséquences de ce nouveau régime, la chambre criminelle de la Cour de cassation a commencé discrètement d’évacuer les pourvois par trois arrêts (non publiés) du 11 mars 2009 :

« Vu les mémoires produits en demande et en défense ;

Sur le moyen relevé d’office après avis donné aux parties et pris de l’entrée en vigueur de la loi du 4 août 2008 ;

Vu l’article 164 de ladite loi, ensemble l’article L. 38 du livre des procédures fiscales ;

Attendu qu’il résulte de ces textes que la voie de l’appel a été ouverte aux demandeurs à l’encontre de l’ordonnance en date du 24 novembre 2006 rendue par le juge des libertés et de la détention du tribunal de grande instance de … ;

Que, dès lors, le pourvoi est devenu irrecevable ».

La finalité de la réforme, résume le doyen B. Hatoux, doit répondre à l’exigence de la Cour européenne : instituer un régime de plein contentieux de l’autorisation, en fait et en droit. [10] Façon élégante de rappeler aussi que BERCY a mis le temps pour se souvenir que la Cour de cassation n’est pas un tribunal.

Ceci posé, on peut considérer qu’avec la fin du contrôle des changes [11] et le retrait de l’or, sous toutes ses formes, de la liste des marchandises frappées par la terrible présomption de contrebande de l’article 215 du Code des douanes [12], les enquêteurs des douanes seront beaucoup moins tentés que leurs collègues des impôts d’opérer des visites domiciliaires chez les particuliers, orientant de préférence leurs investigations vers les locaux professionnels.

En effet, tout en étant soumis au régime spécifique de l’article 63 ter du Code des douanes qui ouvre les portes avec beaucoup plus de facilité, les locaux professionnels offrent déjà aux agents des douanes une très séduisante perspective pour s’affranchir, une fois dans la place, du formalisme rigoureux de l’article 64 et donc de l’autorisation judiciaire et de ses aléas.

Le raisonnement est d’une grande simplicité et surtout d’une redoutable efficacité. L’article 63 ter n’exige même pas la présence d’un officier de police judiciaire pour pénétrer dans les locaux professionnels. [13] Il suffit donc de pousser la porte de l’entreprise ou des locaux professionnels du commerçant et de rechercher la présence d’articles susceptibles de déclencher une procédure de flagrant délit qui est la solution magique pour éviter les tracas d’une demande d’autorisation judiciaire. Ce cas est prévu par l’article 64 du Code des douanes, depuis toujours d’ailleurs, et la visite domiciliaire peut alors commencer dans la plus grande facilité. A partir de pas grand-chose si l’on veut.

S’agit-il d’un détournement de procédure ? Formellement non puisque l’hypothèse du flagrant délit résulte de la rédaction même de l’article 64. C’est à la chambre criminelle de la Cour de cassation qu’il appartiendra d’en décider, spécialement quand la ficelle paraitra un peu grosse. (Cf. pour un cas concret : Cass. crim : 5 août 2004, Bull. crim. n° 185) Quoi qu’il en soit, note le professeur J.-H. Robert, cette facilité vide de sa substance le texte de l’article 64 censé apporter des garanties supplémentaires. [14] « Flexible droit », écrivait le doyen Jean Carbonnier.

Références

  1. Cass. crim. 2 juin 1986, JCP, 1987. II 20752 note J. Pannier
  2. Voir notre étude « Les abus de la présomption de contrebande du Code des douanes » Droit pénal juin 2009, p. 9
  3. A. Viala, Le régime des visites domiciliaires en matière fiscale et douanière. Gaz. Pal. Rec. 1990 p. 232
  4. Contrôle accru du juge sur les demandes de visites domiciliaires en matière fiscale ou économique. De la pertinence des présomptions à la régularité de leur origine. Conclusions Michel Jéol, note René Texidor. D. 1992 jur. p.122
  5. Cass. com. 27 juin 2000, pourvoi n° 99-30183 (Non publié au bulletin)
  6. CEDH (3e sect.) 21 février 2008. Gaz. Pal. 21-22 mai 2008 note J. Pannier
  7. Cass. Crim. 19 mai 2004, Bull. crim. n° 130 ; Rev. sc. crim. 2005, p. 387, obs. J. Buisson ; Rev. sc. crim. 2005, p. 578 obs. H. Matsopoulou ;
  8. H. Matsopoulou. D. 2008 p. 2814
  9. Cl. J. Berr. Une renaissance jurisprudentielle des « défenses faites aux juges ». D. 1997 p. 226
  10. B. Hatoux. RJF. 5/08 p. 454 et RJF. 6/08 p. 552
  11. J. PANNIER, Contrôle des changes et droit communautaire, Les Petites Affiches 13 septembre 1991 n° 110 p. 18
  12. J. PANNIER. Les abus de la présomption de contrebande du code des douanes, Dr. pén. 2009. Etude 12 ;
  13. Rennes (3e ch. correct.)9 septembre 2004, Gaz-Pal. 2 avril 2005, note S. Rideau-Valentini
  14. Cass. crim. 5 novembre 2003, Bull. crim. n° 209 ; Dr. pén. 2004, com. n° 24, obs. J.-H. Robert ; Rev. sc. crim. 2004, p. 658, obs. H. Matsopoulou