Négocier une rupture conventionnelle, étape par étape : un dispositif « gagnant/gagnant »
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Sabine Danino Sultan, avocate au barreau de Paris [1]
Juin 2023
La rupture conventionnelle est un dispositif utilisé pour mettre fin au contrat de travail liant le salarié à son employeur de façon consensuelle. Depuis son entrée en vigueur en 2008, la rupture conventionnelle connait un franc succès.
Cette popularité s'explique par de nombreux atouts : rapidité et simplicité, absence de cristallisation d'un conflit, absence de motivation de la rupture, prise en charge par l'assurance chômage, bénéfice d'un régime fiscal et social avantageux.
La rupture conventionnelle se singularise des autres modes de rupture, tels que le licenciement et la démission, puisqu’elle est fondée par un accord entre les deux parties : employeur et salarié.
Un tel dispositif amiable peut s’avérer avantageux, à la fois pour l’employeur et pour le salarié :
- Pour l’employeur, la rupture conventionnelle présente en cas de contentieux l’avantage de la rapidité. Elle assure de désamorcer une situation conflictuelle au travail et d’éviter un contentieux en préférant la négociation au licenciement.
- Pour le salarié, s’il souhaite quitter la société, sans pour autant poser sa démission. Elle donne lieu au versement par l’employeur d’une indemnité spécifique de rupture conventionnelle et présente l’avantage pour le salarié de pouvoir potentiellement bénéficier d’allocations chômage.
Le fruit d’un commun accord
Contrairement au licenciement ou à la démission, la rupture conventionnelle ne peut pas être imposée par l’une ou l’autre des parties.
L’employeur et le salarié doivent convenir d’un commun accord d’une rupture conventionnelle du contrat de travail dans le cadre d’une procédure destinée à s’accorder sur les modalités de la fin du contrat et garantir la liberté de consentement des parties.
Le plus difficile donc étant d’amorcer la demande de rupture conventionnelle…
Lorsque le contexte est conflictuel, la prudence sera d’autant plus requise ; En effet, le recours à ce type de rupture dans un climat non apaisé devra être appréhendé avec vigilance, tant on sait que le salarié dispose d’un délai pour contester la rupture conventionnelle.
De façon générale, la demande de rupture conventionnelle peut être initiée par l’employeur comme par le salarié.
Première étape : s’informer sur la politique de l’entreprise
La première étape, si l’initiative vient du salarié, consistera à vérifier si l’entreprise et coutumière de ce type de procédure. Ou si au contraire, il est de notoriété publique qu’elle en refuse systématiquement le principe. Il s’agira donc de récolter officieusement des informations sur la politique de l’entreprise.
Il est également recommandé de se renseigner sur l’état de santé de l’entreprise employeur, les projets en cours, les objectifs en termes de ressources humaines. En effet, si l’entreprise ne peut assumer les indemnités légales, la demande aura peu de chance d’aboutir.
Si au contraire, l’initiative vient de l’employeur, l’information recherchée concernera surtout l’état d’esprit du salarié ciblé et sa situation personnelle. Car certains moments de la vie du salarié ne seront pas propices pour envisager une rupture de contrat.
Une fois ces points clarifiés, il faudra évoquer la rupture.
Et forcément la question se pose de savoir comment l’évoquer sans se mettre à risque. Car encore une fois, la rupture ne peut être imposée par l’une ou l’autre des parties et l’accord du salarié est une condition indispensable (Article L.1237-11 du Code du travail). Cela étant, le Code du travail ne précise pas la forme que doit prendre la proposition de la rupture conventionnelle.
L’évoquer par écrit, risquerait de laisser une trace de la volonté de départ si la situation devait dégénérer et évoluer vers un contentieux. En effet, pour un salarié, il apparaîtra difficile de se dire affecté par un licenciement si auparavant, il a expressément fait part de sa volonté de rupture.
De même pour l’employeur, il serait peu crédible de licencier un salarié pour faute grave ou même pour motifs économiques, juste après lui avoir suggéré une rupture conventionnelle qu’il a refusé...
En effet, même si rien ne l’interdit, en pareil cas, existe toujours le risque que ce licenciement apparaisse des plus suspect pour les magistrats chargés d’examiner le litige entre les parties : le licenciement ne serait-il pas ici exclusivement fondé sur le refus par le salarié de la rupture négociée proposée, entourant par conséquent la rupture du contrat de travail d’un halo de suspicion parfois légitime ?
Les écrits laissent donc des traces et peuvent se retourner contre les parties, sauf si toutefois, elles décidaient de se faire assister dès le début, sachant que les correspondances entre avocats sont protégées par la confidentialité.
En pratique, il est donc recommandé de commencer par évoquer le principe même de la rupture conventionnelle à l’oral, de façon informelle, en s’adressant à la bonne personne. C’est-à-dire celle qui saura convaincre le décisionnaire de l’entreprise.
L’idée étant d’instaurer un climat de confiance propice à la conclusion d’une convention et non d‘organiser une forme de procès qui pourrait conduire au conflit. Cette étape est délicate et l’écueil serait d’entrer dans une « guerre d’ego » qui consisterait à batailler pour des points de détail inutiles au débat général.
En somme, que l’initiative vienne du salarié ou de l’employeur, il faudra expliquer que cette solution sera mutuellement profitable, dans un état d’esprit « gagnant-gagnant ».
En tout état de cause, l’employeur comme le salarié disposent d’une liberté absolue pour refuser la rupture amiable.
Ainsi, la rupture conventionnelle n’est pas un dû pour le salarié : et l’employeur pourra toujours suggérer de démissionner, ce qui peut l’arranger davantage puisqu’il n’aura alors aucune indemnité à payer.
De son côté le salarié n’est jamais tenu d’accepter la rupture proposée par son employeur.
Le refus de signer une rupture conventionnelle ne saurait être considéré comme fautif et aucune sanction disciplinaire ne peut en découler. En outre, il est à noter qu’une rupture conventionnelle avortée, n’est pas un obstacle à la mise en œuvre d’un licenciement.
Une fois que les parties s’accordent sur le principe de la rupture conventionnelle, viendra alors le temps des discussions sur les modalités, c’est-à-dire, les conditions de cette rupture et de confirmer la date de rupture du contrat de travail.
Négocier les modalités d’une rupture conventionnelle
Il est de bon ton d’attendre que le principe de la rupture soit accepté pour discuter de ses modalités, à savoir notamment le sujet du montant de l’indemnité spécifique qu’il n’est pas conseillé d’aborder lors du premier entretien.
Contrairement à l’indemnité de licenciement, l'indemnité de rupture conventionnelle est due y compris pour une ancienneté du salarié de moins de 8 mois.
Ce montant ne peut être inférieur au montant de l’indemnité légale de licenciement ou à l’indemnité de licenciement prévue par la convention collective, si cette dernière est plus favorable, pour le salarié, que l’indemnité légale. Le calcul s’effectue sur la base de la rémunération mensuelle moyenne des 12 derniers mois (ou des 3 derniers, si elle est plus favorable).
D’un point de vue fiscal, l’indemnité est exonérée d’impôt sur le revenu pour le salarié qui la perçoit si elle correspond à l’indemnité légale ou conventionnelle. En revanche, l’indemnité de rupture conventionnelle peut être soumise à l’impôt sur le revenu si les indemnités dépassent certains seuils, notamment si l’indemnité de rupture est supérieure à deux fois la rémunération annuelle brute perçue par le salarié au cours de l’année civile précédant la rupture.
Elle est également soumise à impôt pour les salariés bénéficiant d’une retraite (à taux plein ou à taux partiel).
Cela étant, le salarié pourra négocier une indemnité plus importante s’il met en avant des arguments lui permettant de prétendre à « mieux ». Là encore, la marge de négociation sera plus ou moins importante selon celui ou celle qui initie la rupture, et en fonction de ce qui la motive réellement. Par exemple, un salarié aura assurément plus de marge de manœuvre si la rupture conventionnelle masque un licenciement économique, et en ce cas précis, il sera recommandé de négocier pour obtenir ce qu’il aurait reçu en cas de licenciement économique.
Si c’est le salarié qui est demandeur de la rupture, ses capacités de négociation seront forcément plus faibles, mais pas nulles. Notamment s’il justifie d’éléments qui pourraient nourrir un contentieux et coûter cher à l’employeur : un supérieur harcelant, des erreurs de paie répétées, des heures supplémentaires non payées, un abus de chômage partiel etc.
Toutefois, il faudra toujours garder à l’esprit que l’employeur n’est pas tenu d’accepter le montant convoité par le salarié. Il peut tout à fait consentir à une rupture conventionnelle, mais en se contentant de verser le minimum légal ou prévu par la convention collective.
Là encore, il s’agira de maîtriser subtilement l’art de la persuasion sans pour autant rentrer dans un rapport de force. Plus subtile que la menace, l’intimidation amènera par exemple la partie adverse à s’interroger sur les conséquences d’un échec de la négociation.
Un formalisme souple
Contrairement à un licenciement, une rupture conventionnelle n’a pas à être motivée. En effet, il ne sera demandé aucune justification pendant la procédure d’homologation.
De même, aucun préavis n’est prévu, étant donné qu’il s’agit d’un accord trouvé entre les deux parties. Il existe tout de même deux délais à prendre en compte entre la signature de la rupture et la fin effective du contrat : l’entreprise et le salarié ont 15 jours après la signature de la convention de rupture de contrat de travail pour se rétracter et annuler la procédure.
Ensuite, il faut compter 15 jours pour obtenir l’homologation de la rupture conventionnelle par la DRIEET (Directions régionales de l'économie, de l'emploi, du travail et des solidarités). Un téléservice prévu pour cette demande doit obligatoirement être utilisé : TéléRC - Service de saisie d'une demande d'homologation de rupture conventionnelle individuelle.
Le contrat de travail peut être rompu, au plus tôt, le lendemain du jour de l'homologation, celle-ci pouvant être soit expresse, si celle-ci a fait l’objet d’une acceptation, soit tacite, dans le silence de la DREETS.