Patrimoine familial et procédures collectives : l’insaisissabilité et le patrimoine d'affectation (fr)

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Auteur : Muriel Cadiou
Avocat à la cour, membre du conseil d’administration de DROIT ET PROCEDURE



Colloque sur le thème "Patrimoine familial et procédures collectives : prévention et réalisation du risque", organisé par l'Association des avocats praticiens des procédures et de l'exécution, Droit et Procédure et l'Institut français des praticiens des procédures collectives, le 11 octobre 2013



La déclaration d’insaisissabilité et le patrimoine d’affectation sont deux techniques qui concernent l'entrepreneur individuel, lequel dispose d'un patrimoine unique qui comprend ses biens personnels et ses biens professionnels.

Sans régime de protection, les créanciers personnels et professionnels peuvent indifféremment saisir ses biens personnels (notamment sa résidence principale) et ses biens professionnels.

Pour pallier à cet inconvénient, la loi du 1er août 2003 a institué la déclaration d'insaisissabilité de l’habitation principale de l’entrepreneur individuel (Articles L.526-1 et s. et R.526-1 et s. du Code de Commerce) puis la loi du 4 août 2008 a étendu son bénéfice à tout immeuble non affecté à un usage professionnel.

À cette technique s'ajoute, depuis peu, le régime de l'entrepreneur individuel à responsabilité limitée (EIRL) créé par la loi du 15 juin 2010 (articles L. 526-6 et s. et R.526-3 et s. du Code de Commerce).

Ces deux mécanismes constituent des exceptions au droit de gage général des créanciers sur l’ensemble des biens du débiteur prévu aux articles 2284 et 2285 du Code civil.


I – La déclaration d'insaisissabilité

A – Le champ d’application

- Qui est concerné ?

Cette protection concerne :

  • les personnes physiques immatriculées à un registre de publicité légale à caractère professionnel : commerçants, artisans (RCS, répertoire des métiers, registre des artisans),
  • et celles exerçant une activité agricole ou libérale y compris les auto-entrepreneurs et les entrepreneurs individuels à responsabilité limitée.


En revanche, les entrepreneurs exerçant ces activités sous forme de société (peu important le type de société et le régime de responsabilité) ne peuvent effectuer de déclaration d’insaisissabilité.

- Objet de la protection

  • les biens immobiliers personnels

L'entrepreneur individuel peut protéger des poursuites de ses créanciers professionnels :

- l’habitation principale, qu'elle soit en pleine propriété, en usufruit ou en nue-propriété,
- tout bien foncier bâti ou non bâti qu'il n'a pas affecté à son usage professionnel : résidence secondaire.

Il peut s'agir de biens immobiliers propres à l'entrepreneur, communs aux époux ou indivis.


  • Les biens immobiliers à usage mixte (mais EDD)

Si le bien immobilier n'est pas exclusivement affecté à l’habitation mais comporte également des pièces affectées à usage professionnel, seule la partie destinée à l'habitation peut être protégée par la déclaration d'insaisissabilité, à condition de désigner précisément cette partie dans un état descriptif de division.

La question s’est posée de la domiciliation : lorsque l’entrepreneur possède un local d’habitation dans lequel est domiciliée une activité professionnelle. La question s’est posée de savoir si ce local pouvait faire l’objet d’une déclaration d’insaisissabilité : la réponse est oui et la mention de cette domiciliation n’est pas nécessaire dans l’état descriptif de division.

  • Autre cas : les biens immobiliers détenus en indivision doivent également faire l’objet d’un état descriptif de division accepté par tous les indivisaires

Exception : Les parts de sociétés civiles immobilières ne peuvent faire l’objet d’une déclaration d’insaisissabilité (Rép. Min. N°52819 publiée au JO le 7 déc. 2004).


B – Les modalités de la déclaration

- Forme

La déclaration d'insaisissabilité doit être établie par acte notarié à peine de nullité.

- Contenu

  • Description détaillée des biens,
  • Indication de leur nature : caractère propre, commun ou indivis,
  • Le cas échéant, état descriptif de division si le bien est à usage mixte ou détenu en indivision.

Si l'entrepreneur est marié

Le principe est que la résidence principale constitue généralement le logement de la famille dont les époux ne peuvent disposer l’un sans l’autre à peine de nullité de l’acte en application de l’article 215 du Code civil.

La déclaration d’insaisissabilité ne constitue pas un acte de disposition mais un acte conservatoire. Elle échappe donc aux dispositions de l’article 215 du Code civil ce qui permet à l’entrepreneur individuel de ne pas avoir à recueillir le consentement de son conjoint pour procéder à cette déclaration.


- Publicité

La déclaration doit être publiée au bureau des hypothèques (dans les départements du Bas-Rhin, du Haut-Rhin et la Moselle, au livre foncier de sa situation).

Elle doit également être mentionnée sur le registre de publicité légale sur lequel est immatriculé l'entrepreneur (RCS, Répertoire des métiers, etc.).

En l'absence d'immatriculation sur un tel registre (ex les professionnels libéraux), un extrait de la déclaration doit être publié dans un journal d'annonces légales du département dans lequel est exercée l'activité professionnelle.

- Coût

Cette formalité engendre des coûts de rédaction et d'enregistrement de l'acte qui sont variables selon la valeur de l'immeuble.

Les frais fixes demandés pour cette formalité correspondent :

  • aux frais d'établissement de l'acte par le notaire : 139,93 euros TTC,
  • aux frais liés à l'accomplissement par le notaire de formalités préalables ou postérieures à l'acte (demande de cadastres, extraits d'acte, attestations, états hypothécaires, copies d'actes) : 419,79 euros TTC, auxquels il faut ajouter la somme de 23,32 euros TTC pour les demandes de publication,
  • le cas échéant, les frais liés à l'établissement d'un état descriptif de division : 466,44 euros TTC, auxquels peuvent s'ajouter les frais liés à l'accomplissement de formalités préalables ou postérieures à l'acte (419,79 euros TTC).


C - Effets de la déclaration

- Date

La déclaration d’insaisissabilité est opposable à compter de sa publication au bureau des hypothèques.


- Etendue

Les immeubles mentionnés dans la déclaration deviennent insaisissables uniquement :

  • à l’égard des créanciers professionnels c’est-à-dire dont la créance est née à l’occasion de l’activité professionnelle de l’entrepreneur individuel,
  • et ceux dont la créance est postérieure à la publication de la déclaration.

La déclaration est donc sans effet :

  • pour les créanciers personnels,
  • et pour les créanciers professionnels dont la créance est antérieure à la publication de la déclaration.

Le problème de la date de la naissance de la créance peut se poser, surtout lorsqu’il s’agit d’une créance à exécution successive.

Cas de l’entrepreneur marié :

En cas de déclaration d’insaisissabilité portant sur le logement de la famille, qu’il s’agisse d’un bien propre, commun ou indivis, le conjoint bénéficiera indirectement de cette protection contre les créanciers professionnels de son époux entrepreneur dont la créance est née postérieurement à la publication de la déclaration.

Le logement de la famille ne sera toutefois pas à l’abri :

  • des créanciers personnels des deux époux (application de l’article 1413 du Code civil, si les époux sont mariés sous la communauté légale, et de l’article 815-17 du même Code en cas de séparation de biens permettant aux créanciers non concernés par l’insaisissabilité de provoquer le partage de l’indivision).
  • des créanciers professionnels du conjoint de l’entrepreneur.

Si le conjoint est également entrepreneur, les créanciers professionnels de celui-ci pourront saisir le logement de la famille sauf s’il effectue également de son côté une déclaration d’insaisissabilité.


- Quid en cas de saisie ?

Lorsque le bien déclaré insaisissable est finalement saisi par un créancier auquel la déclaration est inopposable (personnel ou un créancier professionnel antérieur à la publication de la déclaration), la répartition du prix de vente se fera au profit de ces créanciers.

En revanche, les créanciers professionnels auxquels la déclaration d’insaisissabilité est opposable, qu’ils soient d’un rang supérieur ou inférieur au créancier saisissant ne pourront participer à la distribution. Le surplus du prix bénéficiera à l’entrepreneur.


- Quid en cas de liquidation judiciaire

Le législateur est resté muet sur la question de l’articulation du régime de la déclaration d’insaisissabilité et des procédures collectives.

La question qui s’est rapidement posée concernait l’effet de la déclaration d’insaisissabilité par rapport au liquidateur judiciaire.

La jurisprudence est progressivement venue apporter des solutions qui semblent désormais claires notamment depuis quatre arrêts rendus par la Cour de Cassation entre décembre 2009 et juin 2013.

Tout d’abord, il n’est pas contesté que le liquidateur agit dans l’intérêt de tous les créanciers et n’a pas qualité pour agir dans l’intérêt personnel d’un créancier ou d’un groupe de créanciers (article L.641-4 du Code de commerce - Cour de cassation, ch. Com., 9 novembre 2004 n° 02-13.685 - Cour de cassation, ch. Com., 13 décembre 2005, pourvoi n° 04-18.567).

Il ne fait pas non plus de doute qu’en cas de liquidation judiciaire, le liquidateur peut vendre l’immeuble déclaré insaisissable si tous les créanciers détiennent des créances personnelles ou des créances professionnelles antérieures à la publication de la déclaration d’insaisissabilité.

En revanche, la situation est plus délicate lorsqu’il y a un mélange et que certains créanciers peuvent se voir opposer la déclaration d’insaisissabilité dès lors que leur créance est une créance professionnelle postérieure à la publication de la déclaration.

Avant que la Cour de cassation ne se prononce sur cette question, la doctrine était divisée mais le courant majoritaire soutenait qu’il suffisait que la déclaration d’insaisissabilité soit inopposable à un seul créancier (c’est-à-dire qu’il y ait au moins un créancier personnel ou au moins un créancier professionnel antérieur à la déclaration) pour que l’immeuble entre dans l’actif du patrimoine à liquider et puisse ainsi être réalisé par le liquidateur.

La jurisprudence des cours d’appel était également divisée (dans le sens de l’inopposabilité de la déclaration d’insaisissabilité dès lors qu’elle ne l’est pas à l’égard de certains créanciers : CA Aix-en-Provence, Chambre 8 A, 3 décembre 2009 n°08/22422 – CA Bourges, Chambre civile, 10 mars 2011 n°10/01556 – CA Orléans, Chambre des urgences, 6 avril 2011, n°11/00312 ; Contra : CA Douai 23 sept. 2010, JCP E 2001, n°2076).

Il a fallu attendre un arrêt du 3 février 2009 pour que la Cour de cassation s’exprime et juge sur la recevabilité que le liquidateur judiciaire n’a pas intérêt à agir au sens de l’article 31 du CPC pour faire déclarer inopposable la déclaration d’insaisissabilité (Cass. ch. Com. 3 février 2009 n°08-10.303).

Mais cette décision ne permettait pas de lever les doutes concernant la faculté pour le liquidateur de procéder directement à la réalisation du bien.

Par un arrêt de principe du 28 juin 2011, la Cour de cassation est venue affirmer avec clarté que le débiteur peut opposer au liquidateur judiciaire la déclaration d’insaisissabilité et ainsi l’empêcher de vendre l’immeuble (en cas de vente, le juge-commissaire commettrait un excès de pouvoir) (Cass. Com. 28 juin 2011 n°10-15.482).

La décision du 28 juin 2011 a été confirmée par deux arrêts du 13 mars 2012 (Cass. Com. 13 mars 2012 n°11-15.438 et 10.27-087) :

  • dans le premier, il a été confirmé que le liquidateur n’avait pas qualité pour agir en inopposabilité de la déclaration d’insaisissabilité dès lors qu’il ne peut agir que dans l’intérêt de tous les créanciers, solution réaffirmée dans un récent arrêt en date du 18 juin 2013 (Cass. Com. 18 juin 2013 n°11-23.716),
  • dans le deuxième, la Cour de cassation est venue dire que « l’immeuble déclaré insaisissable n’entre pas dans le périmètre de la saisie des biens du débiteur et que le liquidateur n’avait pas qualité pour agir en réalisation de l’immeuble affecté », précision importante pour les créanciers personnels et antérieurs qui semble-t-il voient l’immeuble échapper au dessaisissement dont le débiteur est frappé et ne pas figurer à l’actif de la liquidation.

Reste effectivement le problème du sort des créanciers personnels ou antérieurs (auxquels la déclaration d’insaisissabilité était inopposable) qui, en dépit de leur droit de gage général sur l’ensemble des biens du débiteur, se retrouvaient dans une situation où ils ne peuvent ni faire vendre l’immeuble par le liquidateur ni le faire saisir eux-mêmes en raison de la suspension des poursuites que ce soit dans le cadre de la liquidation ou après sa clôture (articles L.622-21, L.641-3 et L.643-11 du Code de commerce).

Le sort de ces créanciers n’est pas clair mais certains auteurs pensent qu’il leur est possible de poursuivre la réalisation forcée par la voie de la saisie immobilière, dès lors que la créance est exigible conformément au droit commun.

Enfin, la Cour de cassation a répondu à une autre question importante : une déclaration d’insaisissabilité tardive effectuée peu de temps avant l’ouverture de la procédure collective peut-elle être attaquée pour fraude par le liquidateur sur le terrain de l’action paulienne ?

La réponse apportée par le récent arrêt du 23 avril 2013 est négative, à nouveau au motif que le liquidateur n’a pas d’intérêt à agir pour représenter seulement une partie des créanciers en vue d’une action paulienne (Cass. Com. 23 avril 2013 n°12-16.035).


D – Durée de la protection dévolue par la déclaration d’insaisissabilité

Les textes ne fixant aucune limitation de durée de la déclaration, celle-ci est considérée comme indéterminée.


- Vente des biens immobiliers désignés dans la déclaration initiale

Si l'habitation principale protégée est vendue ultérieurement, le prix de la cession ne pourra pas être saisi à condition que les sommes obtenues soient réemployées dans un délai d'un an pour l'achat d'une nouvelle résidence principale.

L’insaisissabilité du prix de cession n’est évidemment opposable qu’aux créanciers professionnels dont la créance est née postérieurement à la publication de la déclaration, il reste donc saisissable par tous les autres créanciers de l’entrepreneur.

Pour que le prix de cession demeure insaisissable, l'acte d'acquisition du nouveau bien devra contenir une déclaration de remploi des fonds établie selon les mêmes conditions de validité et de publicité que la déclaration initiale d'insaisissabilité.

On peut par ailleurs déplorer l’oubli du législateur qui n’a pas étendu le bénéfice de l’insaisissabilité par remploi à tous les immeubles déclarés insaisissable autres que la résidence principale dont le produit de la vente pourra dès lors systématiquement être appréhendé.


- Renonciation

L'entrepreneur individuel peut, à tout moment, renoncer à sa déclaration d'insaisissabilité selon les mêmes modalités de validité et de publicité que la déclaration initiale.

Cette renonciation peut porter sur tous les biens ou seulement sur une partie de ces biens et peut concerner un ou plusieurs créanciers.

Elle ne vaut que pour l’avenir.


- Dissolution du régime matrimonial

Les effets de la déclaration d'insaisissabilité subsistent après la dissolution du mariage si le déclarant est attributaire des biens concernés (cela peut résulter du fait qu’il s’agisse d’un bien propre, de l’attribution d’un bien commun à l’issue de la liquidation ou de l’attribution d’un bien indivis à l’issue du partage en cas de séparation de biens).

Si le bien n’est pas attribué au déclarant, la déclaration d’insaisissabilité devient caduque. Rien ne l’empêche, s’il est lui-même entrepreneur, de procéder à une nouvelle déclaration mais elle ne produira ses effets qu’à partir de sa publication.


- Décès du déclarant

En cas de décès du déclarant, la déclaration d'insaisissabilité est révoquée et ne peut plus produire d'effet. Le conjoint survivant ne bénéficie plus indirectement de l’insaisissabilité du logement, tout comme les héritiers.

La doctrine est toutefois divisée concernant la portée de cette révocation : certains estiment que la déclaration reste opposable aux créanciers concernés depuis la date de sa publication jusqu’au décès du déclarant. D’autres considèrent que la révocation a un effet rétroactif tel que la déclaration n’aurait jamais existé.


II – La déclaration d'affectation du patrimoine

Alors que la déclaration d'insaisissabilité porte sur la protection des biens personnels à l’égard des créanciers professionnels et consiste à isoler le patrimoine personnel et le protéger,

la déclaration d'affectation du patrimoine dans le cadre du régime de l’option pour l’EIRL effectuée va consister à offrir en gage aux créanciers professionnels un patrimoine composé :

  • obligatoirement des biens, droits, obligations ou sûretés nécessaires à l'exercice de l'activité professionnelle,
  • et facultativement sur les biens, droits, obligations ou sûretés utilisés dans ce cadre.

LE patrimoine d’affectation créé un patrimoine séparé.

Les deux déclarations n'ont donc pas le même objet et peuvent être cumulées.


A – Le champ d’application

- Qui est concerné ?

  • uniquement les personnes physiques,
  • les entrepreneurs individuels,
  • les auto-entrepreneurs,

qu'ils exercent une activité commerciale, artisanale, agricole ou libérale.

- Objet de la protection : les biens professionnels

L’entrepreneur individuel va créer un patrimoine professionnel, appelé patrimoine d'affectation, qui seul peut être saisi en cas de difficultés, par dérogation au droit de gage des créanciers prévu aux articles [[CCfr : 2284| article 2284 et article 2285 du Code civil.

Ce patrimoine d’affectation va devenir le gage :

  • les créanciers professionnels dont les droits sont nés postérieurement à la déclaration d'affectation,
  • facultativement et sur option, les créanciers professionnels dont les droits sont nés antérieurement à celle-ci,

À condition que chaque créancier antérieur ait être informé individuellement par LRAR dans le mois suivant la déclaration de la constitution du patrimoine affecté ainsi que de son droit de faire opposition à cette déclaration d'affectation et du délai dont il dispose pour faire une action en justice (1 mois à compter de la lettre RAR).


- Quid des biens communs ou indivis : l’accord du conjoint ou du coindivisaire

En cas d'affectation d'un bien commun ou indivis (régime de séparation de biens, couple pacsé ayant opté pour l’indivision, concubin), l'accord exprès de son conjoint ou coindivisaire est requis, ainsi que son information préalable sur la portée de l'engagement du fait de l'entrée du bien dans le patrimoine affecté (article 526-1 du Code de Commerce).

À défaut, l’affectation est inopposable.


  • Affectation d’un bien commun

Le bien appartenant en commun aux deux époux leur appartient ensemble, en totalité.

Bien que les textes ne le précisent pas, des auteurs estiment que le bien affecté échappe aux créanciers du conjoint de l’entrepreneur par dérogation à l’article 1413 du Code civil et d’autres avancent que dès lors que l’affectation a été faite de manière unilatérale par l’entrepreneur, les créanciers du conjoint ont toujours pour gage les biens communs, même affectés.

Dans le doute, il est préférable de ne pas affecter un bien commun (simplement utilisé dans le cadre de l’activité professionnelle) qui de fait devient le gage des créanciers professionnels du déclarant et le gage des créanciers de l’épouse.

  • Affectation d’un bien indivis (indivision, séparation de biens, choix des partenaires pacsés, concubins)

L’affectation d’un bien indivis porte sur la totalité du bien mais l’EIRL n’est titulaire que des droits indivis de l’entrepreneur et non des autres indivisaires.

Par conséquent, seuls les créanciers de l’indivision peuvent saisir le bien indivis. Les autres créanciers, ne pourront pas directement le saisir mais uniquement provoquer le partage sur le fondement de l’article 815-17 du Code civil.


B – Les modalités de la constitution du patrimoine d’affectation

- Composition du patrimoine d'affectation

L'entrepreneur fait une déclaration en définissant le patrimoine d'affectation.

Il doit affecter à ce patrimoine :

  • obligatoirement, tous les biens, droits, obligations, sûretés qui sont nécessaires à l'activité de l'EIRL et dont il est titulaire,
  • facultativement, les biens, droits, obligations, sûretés qu'il utilise dans le cadre de son activité.


Précisions :

o Les biens nécessaires à l'activité sont les biens qui, par nature, ne peuvent être utilisés que dans le cadre de cette activité professionnelle (ex : un fonds de commerce ou le droit de présentation d'une clientèle, un droit au bail, du matériel et de l'outillage spécifique tel qu'une scieuse pour un menuisier, des installations et biens d'équipement servant spécifiquement à l'exercice de l'activité professionnelle comme le standard téléphonique).
o Les biens utilisés dans le cadre de l'activité ne sont pas des biens nécessaires par nature ; ils peuvent être des biens à usage mixte (professionnel et privé), comme par exemple un local d'habitation ou un véhicule.


- Evaluation du patrimoine

En principe, chaque élément de ce patrimoine affecté doit être évalué par l'entrepreneur, à la valeur vénale ou, en l'absence de valeur de marché, à la valeur d'utilité. Celle-ci doit figurer dans l'état descriptif accompagnant la déclaration d'affectation du patrimoine de l'EIRL.

Mais, tout bien autre que des liquidités d'une valeur supérieure à 30 000 € doit être évalué par un commissaire aux comptes, un expert-comptable, une association de gestion et de comptabilité, ou par un notaire (uniquement pour un bien immobilier).


- Forme et contenu de la déclaration

La création d'un patrimoine d'affectation implique de faire une déclaration.

Celle-ci doit préciser :

  • l'objet de l'activité à laquelle le patrimoine est affecté,
  • comporter un état descriptif des biens affectés à l'activité professionnelle comportant les éléments d’actif et de passif (en nature, qualité, quantité, valeur, nature des sûretés, encours des dettes),
  • l'accord exprès du conjoint ou du coïndivisaire,
  • l’acte notarié publié au bureau des hypothèques si le bien affecté est un immeuble et, le cas échéant, un rapport d'évaluation.


- Obligations déclaratives

La déclaration d'affectation est déposée par l'entrepreneur au centre de formalités des entreprises (CFE) qui se chargera de la transmettre :

  • au Registre du commerce et des sociétés (RCS) pour les commerçants,
  • au Répertoire des métiers (RM) pour les artisans,
  • au Registre tenu par la chambre d'agriculture pour les exploitants agricoles,
  • au Registre spécial des agents commerciaux (RSAC) tenu au greffe du tribunal de commerce pour les agents commerciaux,
  • au greffe du tribunal de commerce pour les auto-entrepreneurs dispensés d'immatriculation et pour les professionnels libéraux (ou pour ces derniers, au tribunal de grande instance en Alsace-Moselle).


- Coût des formalités

o A la création : si la déclaration d'affectation est simultanée à la demande d'immatriculation au Répertoire des métiers pour les artisans, au Registre du commerce et des sociétés pour les commerçants, au Registre spécial des agents commerciaux pour ces derniers, la formalité de dépôt sera gratuite. Seuls sont dus les frais d'immatriculation de l'entreprise au registre de publicité légale.

o Le dépôt de la déclaration est payant pour les auto-entrepreneurs dispensés d'immatriculation (personnes exerçant une activité artisanale accessoire sans être immatriculées au Répertoire des métiers ; commerçants non immatriculés au RCS) et les professionnels libéraux : 55,97 €.

o En cours de vie de l'entreprise individuelle : si le dépôt de la déclaration se fait ultérieurement, des frais sont dus (42 € pour les personnes exerçant une activité artisanale ou une activité agricole ; 55,65 € pour les commerçants, 49,75 € pour les agents commerciaux et 55,97 € pour les auto-entrepreneurs et professionnels libéraux).

L'acte d'affectation d'un bien immobilier établi obligatoirement par le notaire coûte 139,93 € (ce tarif inclut les formalités de publicité au bureau des hypothèques). Lorsque la situation juridique de l'entrepreneur présente une particulière complexité, le notaire peut facturer, après en avoir informé son client au préalable, des honoraires au titre des conseils, recherches et toutes autres démarches excédant ses diligences habituelles en la matière.

Le coût d'évaluation d'un bien immobilier par un notaire a été fixé par décret à 139,93 €. Le tarif d'évaluation des biens par les autres professionnels est librement fixé.


C - Effets de la déclaration

A compter de la déclaration d’affectation, le patrimoine de l’entrepreneur est scindé en 2 parties :

  • le patrimoine non affecté composé de tous les éléments d’actif et passif de l’entrepreneur qui ne sont pas pris en compte dans le périmètre de l’affectation,
  • le patrimoine affecté qui est décrit dans la déclaration.

A partir de la déclaration d’affectation, le droit de gage des créanciers de professionnels se limite à l’actif du patrimoine affecté.

En principe ce droit de gage ne concerne que les créances nées postérieurement au dépôt de la déclaration. Toutefois, l’entrepreneur peut avoir opté pour une opposabilité de l’affectation aux créanciers antérieurs à condition de les avoir informés et de leur avoir offert un droit à opposition.

Quid des créanciers personnels ?

Les créanciers personnels dont la créance est née antérieurement à la déclaration peuvent appréhender le patrimoine affecté et non affecté sauf si l’entrepreneur a opté pour l’opposabilité de la déclaration, dans ce cas leur gage sera limité au patrimoine affecté.

A l’égard des créanciers personnels de l’entrepreneur, la loi prévoit que ceux dont les droits sont nés postérieurement à la déclaration ont pour gage le patrimoine non affecté (article L.526-12 al. 1 et 8 Code de commerce).

Rien n’est dit dans les textes sur les créanciers du conjoint de l’entrepreneur, ni de ceux envers lesquels les créanciers sont solidairement tenus. LA logique veut que la déclaration d’affectation leur soit inopposable.


EIRL et procédure collective

Il faut raisonner patrimoine par patrimoine c’est-à-dire que l’entrepreneur peut faire l’objet de deux voire trois procédures collectives distinctes, l’une à l’égard de son patrimoine professionnel non affecté, une à l’égard de son patrimoine affecté, le tout sans préjudice d’une éventuelle procédure de surendettement.

L’affectation du patrimoine peut être remise en cause par le biais d’une procédure pour confusion de patrimoine en cas d’imbrication des patrimoines ou flux financiers anormaux ou si l’entrepreneur commet une fraude, un manquement grave aux règles concernant la constitution du patrimoine d’affectation ou à ses obligations comptables.


Transmission du patrimoine affecté

Le patrimoine d'affectation peut être transmis dans son intégralité.

Dans ce cas, les conséquences varient selon qu'il est transmis à une personne physique (maintien de l’affectation) ou à une personne morale (affectation non maintenue). Précision : dans les deux cas, le patrimoine affecté n'est pas liquidé.

Les biens constituant le patrimoine d'affectation peuvent être transmis également isolément.

Dans ce cas, les règles propres à la nature des biens vendus s'appliquent. Par exemple : il faut respecter les règles relatives à la cession d'un fonds de commerce, à la cession d'un droit au bail, d'un brevet, etc.


Disparition du patrimoine affecté : Renonciation à l’affectation ou décès

La déclaration ne produit plus d’effets sauf en cas de cessation de l’activité professionnelle concomitante à la renonciation ou en cas de décès, les créanciers ont alors pour seul gage le patrimoine qu’ils avaient au moment de la renonciation ou du décès.

Un héritier ou ayant droit peut reprendre l’activité professionnelle à laquelle le patrimoine est affecté, afin que l’affectation ne cesse pas, sous réserve des règles du droit des successions, et ce en faisant porter une mention spécifique sur le registre où a été déposée la déclaration. Une fois le partage successoral effectué et certains biens affectés vendus, il devra déposer une déclaration de reprise.


Comparatif EIRL - Déclaration d'insaisissabilité

Déclaration d'insaisissabilité EIRL
Effets Protection de tous les biens fonciers bâtis et non bâtis personnels de l'entrepreneur individuel Affectation en garantie un patrimoine professionnel spécifique
A faire Acte notarié
Publication de la déclaration au bureau des hypothèques
Mention sur le registre de publicité légale sur lequel est immatriculé l'entrepreneur
Déclaration d'affectation à remplir (état descriptif, accord exprès du conjoint ou du coïndivisaire, acte notarié publié au bureau des hypothèques si le bien affecté est immeuble, rapport d'évaluation)
Dépôt de la déclaration au CFE qui se chargera de la transmettre
Ouverture d'un compte bancaire spécifique
Dépôt des comptes annuel
Obligations Aucune Comptabilité séparée
Compte bancaire séparé
Dénomination
Modifications possibles dans le temps Oui Oui


Conclusion

La protection du patrimoine personnel peut se révéler illusoire dans la mesure où certains créanciers, notamment les banques, exigent souvent l’engagement personnel du dirigeant sur ses biens propres.

En cas de procédure judiciaire avec faute de gestion, les tribunaux peuvent déclarer les dirigeants responsables, d’où l’importance du choix du régime matrimonial et de l’intérêt d’adopter le régime de la séparation de biens.


Voir aussi

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