Quand une grève est-elle abusive ?

Un article de la Grande Bibliothèque du Droit, le droit partagé.
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Eric Rocheblave, avocat au barreau de Montpellier [1]


Le droit de grève est un droit constitutionnellement reconnu et garanti comme une concertation collective et concertée du travail en vue d’appuyer des revendications professionnelles mais l’exercice de ce droit ne doit pas dégénérer en abus notamment par la commission d’actes illicites (Cour d’appel de Nouméa – ch. Sociale 29 juillet 2021 / n° 18/000707)[2].

La grève peut dégénérer en abus lorsqu’elle constitue une entrave grave à la liberté du travail ou lorsqu’elle se traduit par une désorganisation de l’entreprise entraînant un préjudice excessif.

Ainsi une grève peut être licite en son principe mais entraîner par ses modalités un trouble manifestement illicite.

En cas de mouvement illicite ne correspondant pas à la définition de la grève, les salariés y participant commettent une faute professionnelle et sont privés de la protection légale accordée aux salariés exerçant normalement leur droit de grève. Ils peuvent donc être sanctionnés par l’employeur dans les conditions de droit commun.

Même si le mouvement répond à la définition de la grève, le juge peut considérer que l’exercice du droit de grève a dégénéré en abus en raison des circonstances dans lesquelles le droit de grève a été exercé. Il y a abus du droit de grève lorsque celle-ci entraîne ou risque d’entraîner la désorganisation de l’entreprise elle-même et non sa seule production (ou son niveau d’activité). Le mouvement collectif devient alors illicite et les salariés demeurant grévistes perdent le bénéfice de la protection légale ; ils peuvent alors être sanctionnés ou licenciés dans les conditions de droit commun (Cour d’appel de Riom – ch. civile 04 SOCIALE 27 avril 2021 / n° 20/00950 - Cour d’appel de Riom – ch. civile 04 SOCIALE 6 octobre 2020 / n° 20/00326).

Des actes illicites ayant désorganisé la production ne suffisent pas à caractériser un abus du droit de grève dès lors qu’il n’est pas établi qu’il en est résulté un risque de désorganisation de l’entreprise elle-même. Le seul fait que certains salariés grévistes commettent des actes illicites au cours d’un mouvement de grève ne suffit pas à disqualifier de façon générale celui-ci en grève illicite ou abusive, sauf si, par leur fréquence ou leur généralisation, ces faits, notamment d’atteintes aux personnes ou aux biens, caractérisent un abus du droit de grève.

L’exercice du droit de grève suspend l’exécution du contrat de travail et les parties au contrat de travail, employeur et salarié, sont dispensées des obligations contractuelles qui leur incombent en principe.

Pendant l’exercice du droit de grève, le salarié bénéficie d’une protection particulière dans le sens où, d’une part, il ne doit subir aucune discrimination, notamment en matière de rémunération et d’avantages sociaux, d’autre part, sauf faute lourde, il ne peut être ni sanctionné ni licencié à raison de l’exercice du droit de grève.

L’exercice du droit de grève ne peut pas justifier une sanction disciplinaire, sauf faute lourde imputable au salarié. À défaut, la sanction disciplinaire est nulle. Cette nullité s’applique à toute sanction disciplinaire prononcée pour avoir participé à une grève ou pour avoir commis au cours d’une grève un fait ne pouvant pas être qualifié de faute lourde. Seuls les salariés grévistes ayant personnellement et activement participé aux actes fautifs peuvent être sanctionnés pour faute lourde ; les autres salariés grévistes n’ont pas à répondre de ces actes (Cour d’appel de Riom – ch. civile 04 SOCIALE 6 octobre 2020 / n° 20/00324).

La faute lourde, condition de la légitimité de la sanction disciplinaire ou du licenciement d’un salarié gréviste, qu’il appartient à l’employeur d’établir, est une faute commise dans l’intention de nuire à l’employeur ou de désorganiser l’entreprise. La faute lourde peut notamment résulter de l’entrave à la liberté du travail, d’actes de violence sur les personnes, d’actes de dégradation sur les biens, de violation des règles de sécurité au cours d’un mouvement de grève. Toutes les formes de violence peuvent caractériser une faute lourde.

Seuls les salariés exerçant normalement leur droit de grève bénéficient de cette protection contre le licenciement ou la sanction disciplinaire. En sont exclus les salariés participant à un mouvement illicite ne répondant pas aux conditions de la grève ou à un mouvement de grève ayant dégénéré en abus.

Le droit de grève n’emporte pas celui de disposer arbitrairement des lieux de travail. L’occupation des lieux de travail par les salariés grévistes est abusive ou illicite notamment lorsqu’elle entrave gravement la liberté du travail, vise à désorganiser l’entreprise ou porte gravement atteinte à la sécurité des personnes ou des biens. À l’inverse, une occupation symbolique, pacifique, bénigne et très momentanée ne constitue pas par principe un abus du droit de grève (Cour d’appel de Riom – ch. civile 04 SOCIALE 6 octobre 2020 / n° 20/00326 - Cour d’appel de Nouméa – ch. Sociale 29 juillet 2021 / n° 18/000707)[3].

Une entrave à la liberté du travail des non-grévistes constitue un abus du droit de grève (Cour de cassation – Chambre sociale 27 novembre 2007 / n° 06-41.272, n° 06-41.274, n° 06-41.275)[4].

Le caractère illimité d’une grève ne caractérise pas en soi un trouble manifestement illicite (Cour d’appel de Paris – Pôle 6 – Chambre 2 17 novembre 2022 / n° 22/04960).

Tout mouvement collectif a, par nature voire même vocation, un impact financier sur la structure qui le subit, laquelle peut être plus ou moins paralysée selon l’importance de l’effectif gréviste (Cour d’appel d’Aix-en-Provence – Chambre 1-2 20 octobre 2022 / n° 21/11654).