Un salarié peut-il tout écrire dans un mail personnel envoyé à partir de son ordinateur professionnel ?

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Franc Muller, avocat au barreau de Paris [1]
Septembre 2024


Lorsque le courriel est identifié comme étant personnel, il bénéficie du secret des correspondances

Une distinction fondamentale selon que le mail est identifié comme personnel ou non

Un salarié peut-il librement tenir des propos graveleux, insultants, sexistes, ou autres du même acabit, à l’égard de ses collègues dans un courriel qu’il envoie à partir de son ordinateur professionnel ?

La Cour de cassation procède à une distinction fondamentale.

Si le message envoyé est identifié comme ayant un caractère privé (personnel), le salarié peut effectivement s’épancher sans limite.

En revanche, si tel n’est pas le cas, et faute d’être identifié comme personnel, le message envoyé à partir de l’ordinateur professionnel est présumé avoir un caractère professionnel de sorte que l’employeur peut accéder à son contenu, et sanctionner le salarié si les propos qu’il contient sont excessifs, injurieux ou diffamatoires.

Il est donc primordial pour le salarié qui envoie un mail à partir de son ordinateur professionnel, qu’il souhaite soustraire à la vue de l’employeur, d’indiquer en toutes lettres dans l’objet de ce message qu’il est personnel.

Dans ce cas, la Cour régulatrice a récemment encore affirmé que « l’employeur ne peut, pour procéder au licenciement d’un salarié, se fonder sur le contenu de messages, qui, même s’ils avaient été envoyés au moyen de la messagerie professionnelle, relevaient de la vie personnelle du salarié » (Cass. Soc. 6 mars 2024 n° 22-11016).

Respect de l’intimité de la vie privée et secret des correspondances

L’identification d’un message électronique comme étant d’ordre privé confère une protection au salarié.

La formule, désormais bien rodée, employée par la jurisprudence est la suivante : « le salarié a droit, même au temps et au lieu de travail, au respect de l’intimité de sa vie privée. Celle-ci implique en particulier le secret des correspondances. L’employeur ne peut dès lors, sans violation de cette liberté fondamentale, utiliser le contenu des messages personnels émis par le salarié et reçus par lui grâce à un outil informatique mis à sa disposition pour son travail, pour le sanctionner.

Le mail, tout comme un message provenant d’une messagerie instantanée, qui est expressément signalé comme privé relève donc du secret des correspondances.

Le mail, tout comme un message provenant d’une messagerie instantanée, qui est expressément signalé comme privé relève donc du secret des correspondances.

Le secret des correspondances s’applique aussi bien à une lettre qu’à un mail et bénéficie d’une protection juridique forte, sa violation constituant au demeurant un délit passible de sanctions pénales.

La solution dégagée s’applique quels que soient les propos qui ont pu être tenus par leur auteur dans son courrier électronique, et quelle que soit sa position hiérarchique dans l’entreprise.

La violation par l’employeur de ces exigences, et le licenciement disciplinaire du salarié fondé sur le contenu de messages en méconnaissance du droit au respect de l’intimité de la vie privée du salarié, est nul

Lorsque l’employeur a pris connaissance du contenu des messages personnels envoyés par le salarié à partir de son ordinateur professionnel, il se rend coupable d’une violation du droit au respect de l’intimité de la vie privée du salarié.

Dès lors, le licenciement de l’intéressé pour un motif disciplinaire (qui sera souvent une faute grave) fondé sur le contenu du mail, obtenu dans des conditions illicites, est atteint de nullité, pour avoir enfreint une liberté fondamentale (le droit au respect de l’intimité de la vie privée).

On rappellera en effet que la sanction du licenciement prononcé en violation d’une liberté fondamentale (liberté religieuse, liberté d’expression… et droit au respect de l’intimité de la vie privée) est la nullité.

Cette règle s’applique alors même que la lettre de licenciement ne reposerait que partiellement sur le contenu des messages, l’employeur invoquant par ailleurs d’autres motifs pour justifier l’éviction du salarié.

C’est cette décision, importante, qu’a rendu la Chambre sociale de la Cour de cassation (Cass. Soc. 25 sept. 2024 n° 23-11860 [2]).

Elle réserve cependant une seule exception, en réaffirmant, qu’un motif tiré de la vie personnelle du salarié ne peut justifier, en principe, un licenciement disciplinaire, sauf s’il constitue un manquement de l’intéressé à une obligation découlant de son contrat de travail.

Les faits de l’affaire, et l’indifférence au niveau hiérarchique élevé du salarié

L’affaire ayant donné lieu à cet arrêt concernait un cadre dirigeant de l’entreprise, exerçant les fonctions de « directeur général en charge de la vente, du marketing et de la logistique ».

Celui-ci avait envoyé à un de ses subordonnés ainsi qu’à des destinataires extérieurs à l’entreprise, à partir de sa messagerie professionnelle, « des messages qui ne pouvaient être analysés sous l’angle d’un simple humour dès lors que l’illustration et les propos tenus étaient particulièrement vulgaires et dégradants pour les femmes et que les messages litigieux avaient une connotation sexuelle avérée ».

L’identification des messages comme personnels faisait obstacle au pouvoir disciplinaire de l’employeur, et ce quelle que soit la position hiérarchique de leur auteur.

En effet, cette conversation de nature privée n’était pas destinée à être rendue publique et ne constituait pas un manquement du salarié aux obligations découlant du contrat de travail.

C’est au terme d’un parcours judiciaire de neuf années [3], que ce salarié, qui avait été licencié pour faute grave, a obtenu la nullité de son licenciement.