Procès des attentats du 13 novembre 2015 - Le Live Tweet - Semaine QUINZE

Un article de la Grande Bibliothèque du Droit, le droit partagé.


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Retrouvez sur cette page tous les tweets du procès issus des Live tweets de @ChPiret Charlotte Piret et @sophparm Sophie Parmentier ; elles suivent ce procès pour France Inter et nous ont donné l'autorisation de compiler leurs tweets dans un objectif de consultation et archivage.


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Semaine QUINZE

Jour 59– Mardi 14 décembre - Auditions des proches des terroristes décédés et exposé sur le clan Clain

Bonjour à tous, C'est aujourd'hui la 15e semaine d'audience au procès des attentats du 13 novembre 2015. 59e journée.

L'audience reprend, mais Salah Abdeslam et Osama Krayem refusent encore de comparaître aujourd'hui. L'audience est donc immédiatement suspendue "pour les sommations d'usage" précise le président.

A suivre, les auditions des proches des terroristes décédés Chakib Arkouh et Najim Laachraoui.

Mais avant cela, l'enquêtrice 020SI, qui a déjà été entendue à cette audience, doit faire un exposé sur les frères Jean-Michel et Fabien Clain, voix des revendications des attentats du 13 novembre 2015. Cet exposé avait été reporté en raison d'une journée d'audience trop longue

Enquêtrice 020SI : "[null le clan Clain] se regroupe autour de la matriarche. Elle a trois enfants : Jean-Michel, Fabien et Anne-Diana avec un première époux et une autre fille avec un autre homme". Elle part en Syrie le 22 février 2015 où elle décède peu après d'une maladie du foie.

L'enquêtrice 0201SI débute avec Fabien Clain, né le 30 janvier 1978 à Toulouse. Il a épousé Mylène Foucre avec laquelle il a eu quatre enfants. "Fabien est d'abord de confession chrétienne et se convertit à la religion musulmane en 2000".

L'enquêtrice 020SI évoque maintenant Jean-Michel Clain, né le 29 août 1980, marié à Dorothée Maquere. "Ils ont ensemble huit enfants", indique l'enquêtrice qui cite les prénoms de chacun (sauf le petit dernier qu'elle ignore).

Enquêtrice 020SI : "cette famille vit en clan très fermé, en application de la charia". "A Toulouse, Fabien et Jean-Michel vont évoluer au sein de la mouvance radicale. Et même en devenir les figures emblématiques".

Enquêtrice 020SI : "Fabien Clain fonde une association avec son frère Jean-Michel. Ils fréquentent un groupe de salafistes et se retrouvent à la mosquée de Bellefontaine à Toulouse. Fabien pratique un prosélytisme agressif de communauté. Il vit dans une logique clanique."

Enquêtrice 020SI : "Fabien Clain va tenir un discours de plus en plus violent envers les kouffars. Les frères Clain vont ensuite se tourner vers l'étranger et fréquenter la sphère salafiste et djihadiste européenne et égyptienne."

Enquêtrice 020SI : "Jean-Michel Clain et sa femme vont vouloir s'installer au Yémen, mais ils se font refouler faute de visa. Ils vont alors s'installer au Caire. A l'époque de nombreux Français s'y installent. Ils tissent de solides amitiés qui ont leur importance par la suite".

Enquêtrice 020SI : "Fabien Clain, lui s'installe en Belgique avec femme et enfants. La Belgique apparaît à l'époque comme la plaque tournante de la propagande salafiste à l'échelle européenne. Fabien Clain est susceptible d'y avoir rencontré Farouk Ben Abes et d'autre islamistes"

Enquêtrice 020SI : "En 2006, Fabien Clain et sa famille rejoignent Jean-Michel en Egypte. Là, ils vont évoluer au sein d'un groupe de français et belges. Ils comprennent rapidement l'utilité du djihad médiatique."

Enquêtrice 020SI : "En 2008, les frères Clain reviennent en France et c'est le début des dossiers judiciaires. Pour Fabien Clain, tout d'abord le dossier Artigat, filière d'acheminement de combattants vers l'Irak. Il est jugé en juin 2009 et condamné à 5 ans d'emprisonnement"

Enquêtrice 020SI : "ensuite, il y a le dossier Farouk Ben Abbes : Fabien Clain est entendu comme témoin depuis la prison de Fleury-Merogis. Ensuite, le dossier de départ de membres de la famille Clain en Syrie, qui est toujours en cours. Enfin, le dossier du 13 novembre "

Enquêtrice 020SI : "Jean-Michel Clain, il est mis hors de cause dans le dossier Artigat. Puis, placé en garde à vue dans le dossier Farouk Ben Abbes. Puis, le dossier de départ en Syrie de la famille Clain, toujours en cours. Et enfin, le dossier des attentats du 13 novembre "

Enquêtrice 020SI : "Jean-Michel quitte le territoire national le 14 février 2014. Son trajet est Barcelone-Istanbul-Hattay. Sa famille le rejoint le 13 mars 2014, passe par Milan. Ils partent par petits groupes, pas tous en même temps, pour ne pas attirer l'attention."

Enquêtrice 020SI : "en 2014, Jean-Michel Clain aurait rejoint un groupe de combattant avec le titre d'émir. Il supervise aussi l'arrivée de combattants en Syrie. Dès 2015, il commence son activité de revendication et de menaces envers la France par le biais d'anasheeds."

Enquêtrice 020SI : "les anasheeds sont des chants pieux, ils ont toujours existé en islam, mais là, ils sont utilisés à des fins dijhadistes. Ces chants sont galvanisants, ils rendent sacrés un combat armé. Jean-Michel Clain chante des anasheeds diffusés par l'Etat islamique"

"Jean-Michel apparaît comme l'interprète des anasheeds publiés depuis 2015", indique l'enquêtrice 020SI. Elle cite par exemple celui présent sur la vidéo de revendication d'Amedy Coulibaly, auteur des attentats de Montrouge et de l'Hypercacher en janvier 2015.

Enquêtrice 020SI : "En 2013, Fabien Clain se rend plusieurs fois en Belgique, fréquente des mosquées salafistes. Puis, il cherche à financer son voyage. Il fait aussi des achats à crédits soit sur internet, soit des magasins de téléphonie à Toulouse."

Enquêtrice 020SI : "il fait une déclaration de perte de sa carte d'identité et s'en voit délivrer une nouvelle. Puis, le couple part en Syrie. Fabien réussit à passer en Turquie avec sa mère, mais Mylène est refoulée et rentre en France avec ses enfants. Elle est interpellée."

Enquêtrice 020SI : "pendant sa garde à vue, quand on lui pose la question : "souhaite-t-elle rejoindre sa famille en Syrie ?", Mylène Foucre répond : "non". Suite à sa garde à vue, elle est laissée libre. Elle prépare son nouveau départ. Elle est en Syrie le 16 août 2015."

Enquêtrice 020SI : "tous les documents d'identité de Mylène Foucre avaient été placés sous scellés, mais le dossier dit Catalogue, du faussaire belge révèle l'hypothèse que Mylène Foucre aurait bénéficié d'une fausse carte d'identité belge, comme d'autres auteurs du 13 novembre "

Enquêtrice 020SI : "en août 2015, le clan Clain s'est reformé en Syrie. Fabien et Jean-Michel Clain se consacrent au djihad médiatique en diffusant la propagande francophone de l'Etat islamique. Par exemple, la revendication des attentats du 13 novembre 2015".

Enquêtrice 020SI : "A Raqqa, les frères Clain prennent de nombreuses précautions dans leurs déplacements et leur sécurité. Ils prennent des camions, traversent des rues bâchées pour qu'il n'y ait pas de visibilité. Ils prennent toujours soin de dissimuler, crypter leurs échanges"

Enquêtrice 020SI : les frères Clain sont "tous les deux aujourd'hui présumés morts entre février et mars 2019." Le président précise qu'Anne-Diana et Jennifer Clain seront entendues demain à l'audience.

Nicolas Braconnay (avocat général) : "vous pouvez nous en dire un peu plus sur la conversion collective de cette famille catholique à l’islam ?" Enquêtrice 020SI : "ce sont d'abord les frères qui se sont tournés vers l'islam et ont participé à la conversion de la famille"

Nicolas Braconnay (AG) : "est-ce qu'ils se convertissent immédiatement à un islam rigoriste ?" Enquêtrice 020SI : "ils vont rapidement fréquenter le groupe d'Olivier Correl (Artigat) et c'est à ce moment-là que l'on peut dater la radicalisation"

Enquêtrice 020SI : "les hommes et les femmes sont séparés, ils ne vivent pas dans les mêmes pièces". "Les murs sont couverts de photos de la Mecque. Les femmes sont dissimulées sous d'épaisses burqas noires", ajoute l'avocat général qui lit un rapport de la DGSE datant de 2003.

Nicolas Braconnay (AG) : "on comprend que celui qui a le rôle le plus charismatique est Fabien Clain. Et puis son frère prend le relais pendant son incarcération jusqu'en août 2012, en entretenant le réseau." Enquêtrice 020SI : "tout à fait".

Nicolas Braconnay (AG) : "vous avez parlé de Farouk Ben Abbes, auteur de menaces sur le Bataclan." Enquêtrice 020SI : "il y a des liens entre Fabien Clain et Farouk Ben Abbes. Mais pas de liens entre les menaces de 2009 de Farouk Ben Abbes et les attentats du 13 novembre 2015"

L'enquêtrice 020SI explique qu'avant le départ des Clain en Syrie, "ce sont des gens qui sont devenus encore plus prudents qu'avant. Fabien Clain avait fait sa peine, il était libre et il part avec sa femme et ses enfants."

Me Chemla (PC) : "une des idées des frères Clain auraient été de préparer des attentats en Europe confiés à des enfants nés en Syrie ?" Enquêtrice 020SI : "ces enfants sont complètement inconnus des services de renseignement européens puisqu'ils sont nés et ont grandi en Syrie".

Me Chemla (PC) : "est-ce qu'on a des nouvelles des enfants Clain?" Enquêtrice 020SI : "ils doivent se trouver normalement dans le camp où sont Mylène Foucre et Dorothée Maquere. Elles ont été vues dans un reportage de France 2." - dommage qu’on en apprenne plus via France 2

Me Chemla (PC) : "on entend en ce moment que certains essaient de sortir des camps ..." Enquêtrice 020SI : "on essaie de faire du mieux qu'on peut pour repérer ces gens. Mais c'est extrêmement difficile de suivre au jour le jour ce qu'il se passe dans les camps."

L'avocat général tient à apporter "une précision sur l'entourage des frères Clain : ils font tous l'objet de mandats d'arrêt en France. Cela ne signifie pas qu'on sait où ils se trouvent là-bas, mais en revanche sur le plan judiciaire, ils sont pris en charge en France."

Me Nogueras, avocat de Mohamed Amri, homonyme du mari d'une d'Anne-Diana Clain, tient a "faire une précision" : "il est pas marié à la soeur Clain. C'est pour les gens qui arriveraient en cours de débat. Président : "il n'y a pas d'ambiguïté, mais j'ai vu qu'il tiquait"

Fin de l'audition de l'enquêtrice 020SI. La connexion avec la salle de retransmission est coupée. L'huissier part chercher le témoin suivant, en l'occurrence le père de Najim Laachraoui, artificier des attentats du 13 novembre et kamikaze le 22 Mars 2016 à Bruxelles.

Driss Laachraoui s'est avancé à la barre : "j'habite à Bruxelles, je suis né le 1er janvier 1995, profession chauffeur, je suis pensionné [c'est ainsi qu'on dit retraité en Belgique, ndlr]." Il évoque son fils Najim Laachraoui : "un bon enfant, il travaillait bien à l'école".

Driss Laachraoui au sujet de son fils : "il a été endoctriné. Quand j'ai constaté que son niveau d'études a diminué, on n'était plus en bon termes". Président : "ça arrive à beaucoup de pères que leur fils ne soit pas à la hauteur de leur espérance, c'est même assez banal".

Président : "endoctriné, cela veut dire quoi pour vous ?" Driss Laachraoui : "c'est comme si je parlais à un mur, quoi" - c'est sur le plan politique ? religieux ? - c'est général - mais c'était sur l’islam ? - oui, c'est ça. - vous n'aviez pas la même vision que lui ? - c'est ça.

Président : "vous aviez des contacts avec lui là-bas ?" Driss Laachraoui : "oui" - vous lui demandiez de rentrer ? - c'est lui qui voulait me faire venir - et il vous disait quoi pour vous convaincre ? - il ne pouvait pas me convaincre sur ce sujet-là

Président : "on essaie de comprendre ce qu'il avait dans la tête Driss Laachraoui : "monsieur le président, mon fils était un gentil garçon. Il a été endoctriné. - endoctriné dans une mosquée ? - j'ai des doutes, à mon avis à Molenbeek. Mais je n'ai pas de confirmation.

Président : "la dernière fois que vous avez parlé à votre fils, c'était quand ?" Driss Laachraoui : "en août 2015, il a appelé juste pour demander comment ça va la famille, mais c'est tout." - après, il est rentré en Belgique en septembre, - on ne le savait pas du tout.

Première assesseure : "il apparaît que votre fils avait des compétences en explosifs. Il a notamment fait un bac en électrotechnique ..." Driss Laachraoui : "c'est des journalistes qui disent ça, c'est du bidon." [Najim Laachraoui est l'un des artificiers du 13 novembre ndlr]

Première assesseure : "certains éléments de la procédure lui attribuent un rôle de geôlier à Alep, de journalistes otages …" Driss Laachraoui : "qu'est-ce que vous voulez que je vous dise ? C'est affreux ! Quand je vois comment il était à 17 ou 18 ans"

Assesseure : "on a compris que votre fils est parti en Syrie alors qu'il n'avait pas 22 ans, il ne travaillait pas, n'avait pas de revenus. Avec quel argent, il est parti en Syrie ?" Driss Laachraoui : "ah ça, il faut demander aux gens qui l'ont endoctriné. Je ne sais pas."

Avocate de partie civile : "est-ce que dans votre famille en général, il n'y avait pas de communication ou est-ce que c'est seulement avec votre fils ?" Driss Laachraoui : "seulement avec lui."

Avocate de partie civile : "avec recul, qu'est-ce que vous pensez que vous auriez pu faire différemment pour ne pas en arriver là ? Qu'est-ce que ça a changé pour votre famille ?" Driss Laachraoui : "ça change tout, madame. C'est catastrophique, quoi. Je n'ai rien à rajouter."

Fin de l'audition du père de Najim Laachraoui. Le président voudrait entendre le témoin suivant, en l'occurrence la mère de Chakib Akrouh, assaillant des terrasses mais elle n'est pas là. "Cela fait trois heures de retard. Je crains fort qu'elle ne vienne pas."

En parties civiles, un avocat s'oppose "à ce qu'on passe outre l'absence de Mme Akrouh. Ce serait intéressant qu'on l'entende compte-tenu qu'elle maintient des relations avec l'épouse de Chakib Akrouh." Président :"elle vit en Belgique, les moyens de coercition sont donc limités"

Un autre témoin, en l'occurrence le père des frères El-Bakraoui, logisticiens du 13 novembre 2015 et kamikazes du 22 Mars 2016 à Bruxelles a fait savoir qu'il ne viendrait pas. "On a vraisemblablement un certificat médical de complaisance", regrette l'avocat général.

Face à l'absence de ces témoins, l'audience est suspendue avant l'examen d'une demande de remise en liberté de l'accusé Farid Kharkhach.

L'audience reprend. Le président entame la lecture de l'audition de Jawal El-Bakraoui, père des frères El-Bakraoui qui a donc fourni un certificat médical pour justifier son absence à l'audience. "Il était boucher au moment des faits", indique le président.

Dans l'audition lue par le président, Jawal El Bakraoui évoque ses fils : "ils sont plus que des frères, comme les deux doigts de la main. Je pense que c'est après la prison qu'ils sont devenus plus religieux. Le problème ce sont les fanatiques dans la religion."

"Qu'avez-vous pensé quand vous n'avez plus eu de nouvelles de vos fils ?", demande l'enquêteur à Jawal El-Brakraoui dans l'audition lue par le président. "Je n'ai rien pensé, on ne savait pas où ils étaient. On a demandé à droite et à gauche, mais personne ne savait."

Dans une autre audition, Jawal El-Bakraoui évoque la radicalisation de ses fils : "quand ils sont sortis de prison, je ne les ai pas reconnus. Avant, il sortait avec des copains. En sortant, ils étaient des autres. Ils ont même changé de tenue vestimentaire : finis les jeans."

Suite de l'audition de Nawal El-Bakraoui, lue par le président : "nous avons travaillé dur pour les élever, par pour ce qu'ils fassent ce qu'il s'est passé. C'est dommage. Je ne sais pas si ce sont les imams de la prison. Mon épouse ne s'en remet pas."

Me Marie Lefrancq : "ce qui est reproché à monsieur Kharkhach c'est d'avoir servi d'intermédiaire entre le faussaire des papiers et monsieur El-Kakraoui. Il n'a pas été arrêté à l'autre bout du monde, dans les rues de Caracas ou Mexico, ni dans une cave d'ailleurs."

Me Marie Lefrancq : "il a été arrêté dans la rue, à Bruxelles. Ce qui prouve qu'à aucun moment, il n'a tenté de se soustraire à la justice. Monsieur Kharkhach est père de deux enfants, un garçon de 11 ans et une fille de 5 ans, auxquels il est extrêmement attaché."

Me Lefrancq : "chaque soir, en rentrant à la maison d'arrêt de Nanterre, monsieur Kharlkhach appelle ses enfants. Et les soirs où on a fini tard, cela a été très contrariant pour lui de ne pas pouvoir passer ce petit coup de fil. En bref, c'est quelqu'un de profondément ancré".

Me Lefrancq : "monsieur Kharkhach est un père de famille qui a certes fourni des faux papiers, mais qui l'a reconnu tout de suite. La radicalisation de monsieur El-Bakraoui [logisiticien du 13 novembre à qui il a fourni ces faux papiers, ndlr], il l'a découverte en mars 2016.

Me Lefrancq : "notre boussole à tous c'est le droit et il me semble nécessaire que monsieur Kharkhach doit bénéficier d'un contrôle judiciaire. Et on a tous remarqué qu'il y avait un 4e strapontin à côté des accusés déjà placés sous contrôle judiciaire. Moi j'y vois un signe."

Me Lefrancq : "pour monsieur Kharkhach, son pays c'est la Belgique. Il est très reconnaissant de ce que la Belgique a fait pour lui à la naissance de son fils, qui est né prématurément."

Me Lefrancq : "monsieur Kharkhach a toujours été là, malgré sa santé fragile, même lorsqu'il a fait des malaises. La facilité pour lui, ce serait de rester en bas. A aucun moment il n'a fait ce choix. Et ça c'est la première garantie de représentation."

Place à la 2e avocate de Farid Kharkhach, Me Fanny Vial : "vous avez un homme de 39 ans, père de 2 enfants, qui n'a jamais connu la prison. C'est sa 1ere incarcération. On vous a parlé du faussaire déjà condamné. Sa peine était de 5 ans. Ce qu'il a fait en détention provisoire."

Me Fanny Vial : "Si vous lui faisiez droit, monsieur Kharkhach voudrait pouvoir passer Noël avec sa fille qui a cinq ans. Il a été séparé d'elle quelques mois après sa naissance. Son fils a 11 ans. C'est quelque chose d'extrêmement important pour lui."

Me Fanny Vial :"vous avez une enquête en quartier d'évaluation de la radicalisation qui a été faite et qui montre qu'il n'y a aucun élément de radicalisation. Qui montre aussi qu'il y a eu un véritable travail de remise en question de la part de monsieur Farid Kharkhach."

Me Fanny Vial : "on a beaucoup entendu qu'il serait bien impossible de le remettre en liberté. Qu'on soit clairs : vous ne le libérez pas, vous avez la possibilité de lui mettre un bracelet ou sous contrôle judiciaire en l'obligeant à pointer les jours où il n'y a pas d'audience"

Me Fanny Vial : "on sait que quand on plaide une remise en liberté dans ces dossiers, on est rarement écoutés. Ce mot-là "terroristes" est pire que le coronavirus, il est pire que tout, c'est une réalité."

Me Fanny Vial : "il y a des parties civiles qui vont s'exprimer. Et on voudraient les remercier parce que beaucoup nous on fait savoir qu'elles ne s'opposeraient pas à cette demande."

Me Fanny Vial : "il y a ensuite les conditions de détention. Et la maison d'arrêt de Nanterre est tristement célèbre, avec des conditions indignes, inhumaines. Farid Kharkhach a récolté les puces et les cafards qui se trouvaient dans sa cellule, à ma demande."

Me Fanny Vial : "ces puces et ces cafards, lorsque Farid Kharkhach s'endort c'est quelque chose qui lui le terrorise avec la personnalité troublée qui est la sienne. C'est quelque chose qui va continuer à générer des malaises, à peser dans la balance"

Me Fanny Vial : "l'isolement c'est affreux. L'isolement c'est quelque chose qui peut sincèrement vous faire vaciller. Lorsque vous n'avez pas d'interaction sociale, vous êtes seul, vous ne pouvez même pas ouvrir la fenêtre, cela peut mener à des décompensations psychiatriques."

Me Vial : "il faut que les parties civiles qui nous entendent sachent que le placement sous contrôle judiciaire avec un bracelet électronique ou des conditions strictes ne veut rien dire sur la tenue du procès. Voilà ce que nous voulions dire, simplement, sans effet de manche."

Les parties civiles font savoir qu'elles n'ont pas d'opposition à cette demande de remise en liberté de l'accusé Farid Kharkhach. Nicolas Braconnay, avocat général se lève à son tour. Il rappelle les risques qui doivent être pris en compte.

Nicolas Braconnay (AG) : "le cœur de ce que vous devriez apprécier c'est l'appréciation de la situation personnelle de monsieur Kharkhach et le risque à le voir ne pas se représenter à l'audience. Ce qui impliquerait, sauf à faire une disjonction, à suspendre ce procès".

Nicolas Braconnay (AG) : "le dossier met en évidence l'absence d'activité professionnelle mais surtout une activité d'intermédiaire dans une activité de fourniture de faux papiers. Tout cela permettrait à monsieur Kharkhach de fuir aisément à l'étranger."

Nicolas Braconnay (AG) : "je ne conteste pas la fragilité de l'état de santé de monsieur Kharkhach. J'observe simplement qu'il préexistait à son placement en détention. Et qu'on ne produit pas de certificat médical jugeant son état de santé est incompatible avec la détention"

Nicolas Braconnay (AG) : "sans nier l'épreuve que l'isolement peut représenter, je voudrais préciser que le placement à l'isolement de la maison d'arrêt de Nanterre permet d'éviter la surpopulation de la maison d'arrêt incompatible avec les conditions de sécurité de ce procès".

Nicolas Braconnay (AG) : "je tempère cela en disant que monsieur Kharkhach n'est à l'isolement que depuis le mois de juin. Et que 4 jours sur 7, il est en réalité ici et pas à l'isolement. Pour toutes ces raisons, je vous demande de rejeter cette demande de remise en liberté."

Le président annonce que la cour rendra sa décision sur la demande de remise en liberté de Farid Kharkhach dans le courant de la semaine.

La dernière témoin de la journée, sœur du terroriste Chakib Akrouh n'étant toujours pas arrivée, la cour passe outre son témoignage et le président entame la lecture de ses auditions.

Fin de l'audience pour aujourd'hui. Elle ne reprendra qu'à 14h exceptionnellement demain en raison d'un mouvement de grève des magistrats et greffiers.

Jour 60– Mercredi 15 décembre – Témoignages de la sœur aînée des Clain et sa fille ainsi que la mère du terroriste du Bataclan Foued Mohamed-Aggad

Bonjour à tous, 60e journée d'audience aujourd'hui au procès des attentats du 13 novembre

L'audience ne débute qu'à 14 heures aujourd'hui en raison d'un mouvement de grève des magistrats et greffiers. A noter par ailleurs que Salah Abdeslam et Osama Krayem sont toujours absents du box et qu'il faudra le temps des sommations d'huissier désormais habituelles.

Aujourd'hui, la sœur aînée des Clain et sa fille ainsi que la mère du terroriste du Bataclan Foued Mohamed-Aggad doivent témoigner à l'audience.

L'audience reprend. Mais comme indiqué précédemment elle est immédiatement suspendue le temps des sommations d'huissier à Salah Abdeslam et Osama Krayem absents.

L'audience reprend en l'absence donc de Salah Abdeslam et Osama Krayem depuis le 25 novembre. Le président souhaite prendre tout d'abord la parole "pour manifester notre soutien aux collègues qui se mobilisent pour obtenir une nette amélioration du fonctionnement judiciaire".

Le président précise toutefois qu'il n'a "nullement l'intention de se plaindre" des conditions de ce procès du 13 novembre 2015 "Mais je sais depuis 40 ans que je fais ce métier que conditions de travail dans lesquelles nous exerçons ce métier ne sont pas toujours les meilleures"

Me Frédéric Bibal, apporte-lui aussi son soutien à cette mobilisation au nom des avocats de parties civiles, Enfin, Me Martin Vettes, avocat de Salah Abdeslam s'ajoute à ces voix au nom de la défense.

Le président demande à établir la connexion avec l'établissement pénitentiaire où est actuellement détenue Anne-Diana Clain, soeur aînée de frères Clain. Apparaissent à l'écran la cellule de visioconférence et une chaise vide. "Madame Clain arrive" assure une agent pénitentiaire

Après quelques minutes d'attente, Anne-Diana Clain arrive à l'écran. "J'ai 46 ans, je suis incarcérée à Réau". "Vous êtes la sœur de deux accusés qui ne sont pas présents", indique le président, "on a des éléments laissant penser qu'ils sont décédés, mais pas de confirmation".

Anne-Diana Clain : "je suis déçue qu'ils aient participé à cette monstruosité. Je pense que j'ai du mal à que ce soit vraiment pour moi un fait réel le fait qu'ils soient responsable de tels actes. A l'époque, j'ai cru au complot."

Anne-Diana Clain : "pour moi ils n'étaient pas mêlés à ça et juste là pour lire la revendication. J'ai cru. Mais avec le temps passé en prison et les reportages que j'ai vus, j'ai compris que c'étaient des terroristes. Donc je suis déçue. Mais cela reste mes frères."

Président : "vous avez beaucoup évolué dans vos dépositions. Vers la fin que vous avez dit que vous n'étiez pas pour ce genre d'itinéraire. Que pouvez-vous nous en dire ?" Anne-Diana Clain : "on est convertis depuis 1999. On était en recherche spirituelle depuis pas mal d'années"

Anne-Diana Clain : "on s'est convertis les uns après les autres. C'était une recherche familiale. Il y a eu moi, Fabien, sa femme, mon petit frère, ma petite soeur. Et ma mère en dernier. Et on est entrés dans un islam radical car je pense que ça nous a été présenté dès le départ"

Anne-Diana Clain : "on était dans l'extrême pratiquement depuis le début. On était tous persuadés que c'était ça l'islam. Dans l'extrême. Dans la guerre, le fait de pouvoir dominer le monde entier parce que les musulmans doivent faire la guerre."

Anne-Diana Clain : "mes frères étaient chanteurs. Ils ont toujours chanté des anasheeds religieux, mais ça s'est aggravé une fois qu'ils étaient là-bas. Quand Jean-Michel est parti, c'était 8 mois avant la proclamation de l'Etat islamique."

Président : "mais avant qu'ils partent, ils avaient déjà des propos violents et haineux envers les mécréants ?" Anne-Diana Clain : "ils avaient le sourire, bonjour à tout le monde. Je ne vois pas le côté haineux. Mais c'est vrai que c'était nous les croyants qui avaient compris."

Anne-Diana Clain : "c'est une fois en prison que je me suis rendue compte qu'il y avait plein d'interprétations du Coran. Mais à l'époque, je le voyais pas comme ça. Je n'ai pas cherché à comprendre. Et mes frères non plus."

Anne-Diana Clain : "au début de l'Etat islamique, on ne pensait pas du tout que c'était un Etat terroriste. Il m'a fallu du temps pour réaliser. Même Al-Qaïda, je ne le voyais pas comme des terroristes. Il a fallu que je rentre en prison pour comprendre."

Anne-Diana Clain : "on était tellement radicalisés. On n'avait pas la télé, on ne regardait pas les informations. Même quand il y a eu l'attentat [du 13 novembre 2015 ndlr], j'ai pas vu l'ampleur de la gravité des choses. Pour moi, c'était un complot."

Anne-Diana Clain au sujet des attentats du 13 novembre 2015 : "à l'époque je pensais que la France bombardait des civils là-bas et que eux faisaient la même chose. J'ai cru ça. Et en même temps, je croyais au complot. C'est contradictoire. C'était assez flou dans ma tête."

Président : "vous avez semble-t-il un libre arbitre aujourd'hui et une capacité de raisonnement. Comment expliquer que vous n'ayez pas eu ce recul avant ?" Anne-Diana Clain : "on était dans pratique religieuse extrême. Et c'était une vérité absolue. Pour moi tout était vrai."

Anne-Diana Clain : "maintenant c'est clair que j'ai pris une grosse claque quand j'ai compris que les hadiths étaient des interprétations et que chacun pouvait y mettre ce qu'il voulait. Mais c'est vrai que pour l'attentat de Charlie Hebdo, j'ai cautionné."

Le président lit le texte d'un chant écrit par les frères Clain : "il nous faut taper la France, il est temps de l'humilier. Il nous faut de la souffrance et des corps par milliers." C'est écrit dans quelle religion, ça ?" Anne-Diana Clain : "je ne sais pas …"

Président : "il y a eu des vidéos d'exaction de l'Etat islamique ..." Anne-Diana Clain : "je regardais pas les vidéos. J'étais ignorante, une mère au foyer. Je m'occupais de mes enfants." - mais vous aviez des contacts ? - c'était purement familial. Ils me disaient de venir

Président : "qui était sur place de votre famille ?" Anne-Diana Clain : "mes frères, mes belles-sœurs, ma petite sœur avec sa famille, tous les enfants de mes frères, ma mère, ma plus grande fille et ses enfants, ma fille Fanny ... c'est vraiment toute la famille quoi."

Anne-Diana Clain : "j'ai des nouvelles. J'ai eu une lettre de la Croix-Rouge cette semaine. Et j'ai des nouvelles par mes enfants quand ils viennent me voir au parloir. J'ai eu sept décès, je les ai appris au parloir. J'ai des nouvelles de ma fille et son fils en Syrie."

Anne-Diana Clain : "je pense que mon mari n'était pas autant radicalisé que mes frères. Mais il a été la cause de notre conversion. Après, mes frères fréquentaient des gens sur Toulouse ... des salafistes quoi. Ce qui a fait qu'on est entrés dans un islam radical."

Anne-Diana Clain : "je pense que pour les musulmans extrêmes comme j'ai pu l'être à l'époque, je suis devenue une mécréante. Il y a plein de hadiths auxquels je ne crois plus du tout. Du coup, même avec mon mari en ce moment c'est pas trop ça parce que pour lui je m'égare en fait"

Anne-Diana Clain : "avec ma fille qui est en prison [Jennifer qui doit être entendue à l'audience après elle ndlr], on s'écrit. Donc j'essaie un peu de lui faire comprendre à quel point on a pu être trompés sur plein de sujets. Mais je pense que de vive voix ce sera mieux."

1ere assesseure : "vous dites que vous êtes partis en Syrie pour vivre votre religion. Qu'est-ce qui vous en empêchait en France ? Anne-Diana Clain : "le but ultime c'était de vivre dans un Etat où il n'y avait que des musulmans, pour nous préserver. C'est ce que j'ai cru à l'époque"

Anne-Diana Clain : "je pense qu'on a été victimes d'une idéologie. Mais on est responsables de nos actes et je ne cautionne pas du tout les actes que mes frères ont pu faire. J'ai du mal encore à faire face à leur rôle de terroriste, d'avoir fait autant de mal à autant de gens"

Assesseure : "vous avez vécu un an en Bulgarie. Pour quelle raison ?" Anne-Diana Clain : " on n'avait pas de papiers pour aller en Syrie. C'était mes frères qui se chargeaient d'en trouver." - donc au moment des attentats du 13 novembre 2015, vous êtes en Bulgarie ? - c'est ça.

A noter qu'Anne-Diana Clain et sa famille (son mari et quatre de leurs six enfants) sera ensuite interpellée début juillet 2016 alors qu'ils tentent une nouvelle fois de se rendre en Syrie. Leurs deux autres filles sont pour l'une incarcérée, pour l'autre dans un camp en Syrie.

Assesseure : "quand avez commencer à prendre du recul ?" Anne-Diana Clain :"en 2019, quand mes frères sont morts. Je l'ai appris à la télé. J'ai pris une grosse claque. J'ai eu un suivi avec des psychologues, un binôme de soutien. Ça m'a permis d'ouvrir les yeux."

Anne-Diana Clain au sujet de son mari : "c'était l'homme de ma vie et pour moi c'était lui qui décide." Elle sourit. "J'ai changé d'avis, hein. Je ne suis plus du tout d'accord avec ça. J'ai l'impression d'avoir été une gamine."

Anne-Diana Clain explique que lorsque ses frères sont partis en Syrie, leur mère "a voulu partir avec eux. Elle a voulu rejoindre ses enfants et ses petits-enfants." A l'époque, elle a déjà des problèmes de santé. Elle décède d'ailleurs en Syrie quelques mois plus tard.

Me Chemla (PC) : "vous êtes sensée, vous vous exprimez remarquablement. On essaie juste de comprendre comment vous et toute votre famille avez basculé ?" Anne-Diana Clain : "c'est pour cela que je vous ai dit qu'on a été victime d'une idéologie."

Me Chemla : "vous savez pourquoi votre gendre Kevin Gonot a été condamné à mort en Irak ?" Anne-Diana Clain : "il est condamné à mort pour avoir combattu en Irak. Mais ce que je sais c'est qu'il était dans un camp en Syrie et ils l'ont emmené en Irak pour le condamner à mort."

Me Szwarc (PC) : "vous avez dit que c'était dommage que vous frères ne soient pas là ..." Anne-Diana Clain : "c'est dommage qu'ils ne soient pas confrontés à la réalité de ce qu'ils ont pu faire. Qu'ils n'ont pas pu comprendre comme moi. Parce que c'est terrible en fait."

Avocat de partie civile : "vous avez fait du prosélytisme ?" Anne-Diana Clain : "oui, avec mes enfants ?" - et votre entourage ? - je ne voyais plus grand monde. Elle ajoute : "je trouve dommage que les enfants paient pour les conneries des adultes."

Fin de l'audition d'Anne-Diana Clain. On se connecte maintenant avec la prison de Beauvais où est incarcérée la fille aînée d'Anne-Diana Clain, Jennifer qui doit aussi être entendue aujourd'hui.

La connexion avec la maison d'arrêt de Beauvais est établie. Mais Jennifer Clain n'est pas encore arrivée dans la salle de visioconférence. La cour patiente donc.

Finalement, le président annonce qu'il va falloir quinze minutes avant que la détenue arrive devant la caméra. "Donc on va faire une suspension de 15 minutes précises. Mais vous ne sortez pas passer une demi-heure sur les marches du palais comme vous avez l'habitude de le faire"

L'audience reprend avec l'audition de Jennifer Clain. "Vous êtes en attente de jugement, c'est ça ?" l'interroge le président. Jennifer Clain : "oui, c'est ça." - pour des faits de ? - terrorisme - vous avez un lien avec des accusés ? - mes oncles Fabien et Jean-Michel

Jennifer Clain : "moi, je n'étais pas au courant que les attentats allaient avoir lieu. Je l'ai appris le lendemain. Avec mes oncles, je n'en ai jamais parlé. J'ai juste parlé avec la femme de Fabien de la revendication. Elle m'a dit qu'il avait été obligé de la faire."

Jennifer Clain, 30 ans aujourd'hui : "j'étais en Syrie avec Daech de juillet 2014 à décembre 2017. J'ai vu quelques fois mes oncles. Je sais juste qu'ils travaillaient dans les médias. Peu après les attentats, je me suis disputée avec eux et je ne les ai pas vu pendant un an"

Jennifer Clain au sujet de Fabien et Jean-Michel Clain : "ils travaillaient à la radio au début. Et puis ils s'occupaient de tout ce qui était médias européens de Daech." Président : "c'était du prosélytisme?" Elle sourit. "Oui, clairement".

Président : "vous avez vu des vidéos d'exactions?" Jennifer Clain : "tout ce qu'il s'est passé là-bas, j'ai vu. J'ai vu pratiquement toutes les vidéos que Daech a sorti." - c'était des projections organisées? - il y avait des écrans géants en plein centre ville de Raqqa.

Jennifer Clain : "il y avait aussi des exactions en plein milieu de la rue. Mais moi je n'y ai jamais assisté. Ceux qui ne voulaient pas voir ne venaient pas. Mais la majeure partie des gens qui étaient là-bas approuvaient. En tous cas au début. Et mes oncles approuvaient aussi."

Jennifer Clain : "sincèrement, tout le temps que j'ai passé à Daech, j'ai toujours cru que les médias avaient grossi ça [leur participation dans la préparation des attentats du 13 novembre 2015] et qu'ils n'avaient rien à voir là-dedans."

Jennifer Clain marque un temps d'arrêt puis explique : "je me suis fâchée avec mes oncles parce qu'ils m'ont menti sur un sujet grave. Ils ont fait arrêter par Daech des personnes que je connaissais parce qu'ils pensaient que ces personnes pouvaient se rebeller."

Jennifer Clain : "vers 2017, les étrangers se sont divisés en deux groupes. Beaucoup de personnes, dont moi, avaient vu que Daech n'était pas ce qu'ils prétendaient être. J'étais opposé à mes oncles sur ce sujet. Et je leur ai caché que j'allais partir de Daech."

Jennifer Clain : "le problème c'était pas les attentats ou quoi mais c'était que les dirigeants faisaient beaucoup de choses dans leur intérêt personnel plutôt que pour Dieu." Président : "la corruption, quoi." - voilà.

Président : "vous avez encore des contacts là-bas?" Jennifer Clain : "avec ma sœur qui est dans un camp et la femme de Fabien aussi. J'ai reçu une lettre."

Président : "vous avez d'autres proches là-bas ?" Jennifer Clain : "J'ai mon mari qui est en Irak, dans une prison". Quand je suis sortie de Daech, on était une vingtaine. Tous les hommes ont été arrêtés par les Kurdes donc ils sont emprisonnés là-bas."

Président : pourquoi vous avez voulu quitter Daech? Jennifer Clain : dès le début, il y avait des choses qui m'avaient gênées. Mais c'est difficile de reconnaître qu'on a tout quitté et qu'on s'est trompé. - c'était par rapport aux exactions ? - ça là-bas, ça ne me gênait pas.

Président : "et incendier un pilote dans une cage ?" Jennifer Clain : "à l'époque, ça me semblait tout à fait normal. IL avait envoyé des bombes incendiaires qui faisaient exactement la même chose. - C'est à l'imparfait. - pratiquement tout est à l'imparfait concernant Daech.

Jennifer Clain : "chez Daech, je ne pensais plus par moi-même en fait. C'était seulement le groupe. Et puis je commençais à remettre en doute, c'était dangereux pour ma vie. Franchement, ça ressemble énormément au régime nazi. Même si à l'époque, je ne le voyais pas comme ça."

1ere assesseure : "vous vous êtes mariée avec Kevin Gonot?" Jennifer Clain : "j'avais 15 ans et demi." - ça s'est passé où? - chez ma mère - vous avez combien d'enfants avec votre mari? - 5 enfants - ils ont quels âges? - 14, 12, 10, 9 et 5 ans.

Kaltoum A. "Foued [Mohamed-Aggad, terroriste du Bataclan, ndlr] me disait qu'il vivait dans une villa, mangeait super bien. Mais Karim [son frère, rentré de Syrie, ndlr] racontait à sa maman que dans la villa ils étaient 110 et qu'ils mangeaient du pain et de l'huile".

Kaltoum A. : "au bout de deux semaines, ils ont perdu deux amis à eux. La bande s'est éparpillée. Foued, lui s'est inventé un monde. Il n'a pas eu d'affection, son père était un homme violent. Il a trouvé son nouveau but dans sa vie là-bas."

Kaltoum A. "le problème c'est que Foued n'appelait jamais sa mère, il m'appelait moi. Et sa mère me harcelait pour avoir des nouvelles de son fils. Alors j'ai coupé tout lien, j'ai essayé de tout oublier. Jusqu'au jour où j'ai appris ce qu'il avait fait à la télé."

Kaltoum A. : "c'était un homme hyper joyeux, gentil. Et puis d'un coup, il s'est mis à être violent mais sans me porter réellement de gros coups. Et, je l'ai compris bien trop tard, il arrivait à me faire comprendre que c'était de ma faute. Il m'avait écartée de tout le monde."

Kaltoum A., ex-petite amie de Foued Mohamed-Aggad, terroriste du Bataclan : "il regardait des vidéos sur Youtube et c'était beaucoup d'endoctrinement. Il voulait me faire porter le voile. Il me coupait mes talons, me déchirait mes vêtements qu'il trouvait trop courts."

Kaltoum A. évoque les appels de Foued Mohamed-Aggad quand il est en Syrie : "c'était des appels courts et brefs parce qu'il était surveillé. Il était obligé de faire croire que j'étais son épouse pour pouvoir m'appeler. Je prenais ses appels par curiosité et rassurer sa mère."

Kaltoum A. "j'ai connu des personnes qui ne pratiquaient pas du tout la religion. Il n'y avait pas un tapis de prière, rien. Mais le fait qu'elles [sa mère et sa soeur] se soient radicalisés, portent le voile me fait penser que Foued [Mohamed-Aggad] y est pour quelque chose."

Kaltoum A. explique que pour son entourage "Foued était la personne la plus gentille. Tout le monde l'aimait bien". Si elle avait raconté, dit-elle, ce qu'elle subissait, "on m'aurait pris pour une menteuse." "Mais il était violent avec moi, je me suis réfugiée chez une copine".

Kaltoum A. raconte les violences du père de Foued Mohamed-Aggad : "il restait toute la soirée sur son canapé. Foued devait lui chercher ses bières. Et il battait sa femme et ses enfants."

Fin de l'audition du témoin. L'audience est suspendue jusqu'à demain 12h30.

Jour 61– Jeudi 16 décembre - Auditions de Rafik E.H, associé de Brahim Abdeslam dans le café des Béguines à Molenbeek et de Bilal E.S, autre habitant du quartier de Molenbeek

Bonjour à tous, C'est aujourd'hui le 61e jour d'audience au procès des attentats du 13 novembre 2015.

L'audience reprend ... mais est immédiatement suspendue pour les sommations d'huissier aux accusés Salah Abdeslam et Osama Krayem, comme c'est le cas depuis le 25 novembre. LT à suivre ... une fois ces procédures effectuées.

L'audience a repris pour de bon cette fois. Avec, tout d'abord, le rejet de la demande de remise en liberté de l'accusé Farid Kharkhach. La cour considère en effet que sa remise en liberté pourrait nuire au bon déroulement du procès, notamment du fait du risque de fuite au Maroc.

Place à l'audition du premier témoin de la journée : [null Rafik E.H]. Il est entendu par visioconférence depuis les locaux du parquet fédéral belge, la même salle que celle dans laquelle les policiers belges ont témoignés.

Rafik E.H était [null associé de Brahim Abdeslam dans le café des Béguines], [null à Molenbeek]. De ce fait, il connaît la majorité des accusés de ce procès. "Mais c'était "bonjour, bonjour, voilà", précise d'emblée le témoin.

Président : "il ressort du dossier que ce café servait à vendre des boissons mais aussi des produits stupéfiants ..." Rafik E.H. : "oui, ça arrivait. Mais c'était surtout Brahim [Abdeslam, ndlr]

Président : "est-ce qu'il y avait d'autres choses qui se déroulaient dans ce café ?" Rafi E.H : "à part Brahim qui regardait de temps en temps des vidéos sur Youtube ..." - des vidéos de ... - de truc de terrorisme, je sais pas comment on dit ...

Président : "il y avait d'autres gens qui regardaient ces vidéos ? Rafik E.H : Mohamed Amri, Hamza Attou, Ali Oulkadi, Salah aussi des fois ... - c'était quoi comme vidéos ? - la vidéo que Brahim [Abdeslam ndlr] regardait le plus c'est celle ou Abaaoud trainait des cadavres

Rafik E.H : "quand il y avait des clients qui entraient, Brahim se faisait discret, il fermait l'ordinateur portable. Il y avait aussi des vidéos d'entraînement à la guerre. Ils regardaient à plusieurs. Mais moi je regardais pas les vidéos, j'étais plus occupé avec les clients."

Président : "est-ce que vous aviez constaté également un changement de comportement de Salah Abdeslam ?" Rafik E.H : "chez lui, on n'avait rien remarqué. Mais Salah, on n'a jamais trop discuté avec lui. Moi j'ai rien à voir avec lui."

Rafik E.H "quand Brahim était là, on n'avait pas le droit de descendre à la cave. Une fois, je suis descendu sans faire exprès, j'ai vu qu'il discutait avec Abaaoud [par Skype depuis la Syrie, ndlr]. Brahim m'a dit de dégager. Président : "Et Brahim était seul ?" - oui.

Président : "vous étiez d'accord avec ce que Brahim disait ?" Rafi E.H : "non, c'est pour ça qu'après je suis parti au Maroc. - et vous en avez pas discuté avec Mohamed Amri [accusé qui travaillait également au café, ndlr] pour savoir ce qu'il en pensait ? - non, avec personne

Rafik E. H évoque une (autre ?) fois : "je suis descendu sans demander la permission. J'ai vu qu'ils étaient en train de parler avec Abaaoud, je suis remonté". Président :" en audition, vous avez dit qu'il y avait Brahim, Salah, Abrini et Gégé [Ahmed Dahmani, ndlr] ?" - oui

Président : "vous avez attribué la radicalisation de Brahim Abdeslam à Abdelhamid Abaaoud, c'est bien cela ?" Rafik E.H : "oui". - à supposer que Salah ai eu aussi un changement, c'est Brahim qui avait de l'influence sur Salah ? - oui, Salah c'était juste un suiveur ...

La 1ere assesseure évoque le départ pour la Syrie de Brahim Abdeslam où il va suivre un entraînement notamment. "Vous étiez au courant ?" Rafik E.H : "je n'étais pas au courant parce qu'à la base je devais y aller avec lui, mais en vacances. Pas en Syrie."

Une assesseure fait projeter une photo de quatre jeunes hommes dans le café des Béguines. Sur la photo : Hamza Attou, accusé du procès, Brahim Abdeslam, le témoin et un 4e homme. Derrière eux, la porte qui mène à la cave du café où Brahim Abdeslam passait ses appels à Abaaoud.

L'avocat général Nicolas Le Bris se lève : "Brahim Abdeslam est votre meilleur ami ?" Rafik E.H : "c'est ça." - sur l'activité de vente de stupéfiants de Brahim, il pouvait vendre jusqu'à une plaquette par jour, c'est ça ? - et même des jours, il pouvait vendre deux plaquettes.

Nicolas Le Bris (AG) : "sur la diffusion des vidéos [de propagande de l'Etat islamique ndlr], est-ce que les gens se réunissaient spécifiquement ?" Rafik E.H : "non c'était Brahim, quand il arrivait, il mettait les vidéos et les autres qui étaient là étaient obligés de regarder."

Nicolas Le Bris (AG) : "Brahim Abdeslam a été entendu par la police après son séjour en Syrie. Vous vous souvenez de ce qu'il a dit en sortant du commissariat ?" Rafik E.H : "il a dit : "s'ils auraient [sic] su où j'étais, ils m'auraient pas relâché."

Me Chemla (PC) : "sur le voyage de Brahim Abdeslam, tout le monde était convaincu qu'il partait en Syrie ou pas ?" Rafik E.H : "je ne sais pas ..." - est-ce que vous pensiez le revoir au retour ? - moi je pensais rien, j'étais pas intéressé dans leurs délires.

Me Chemla (PC) lit une précédente audition du témoin : "vous avez dit qu'au retour de Brahim Abdeslam [de Syrie, ndlr] tout le monde était surpris car personne pensait le revoir". Rafik E.H. : "tout le quartier, on était tout le temps ensemble, savait qu'il était parti en Syrie."

Me Nogueras : "monsieur le président, on est un peu gênés sur les bancs de la défense". L'avocat de Momahed Amri évoque la présence d'un représentant du parquet à côté du témoin. "Est-ce qu'il a travaillé dans le cadre de cette enquête ?" Le magistrat belge : "non, monsieur"

Me Nogueras : vous vous souvenez de votre numéro de l’époque ? Rafik E.H. : non - alors pourquoi quand l'avocat général parle de votre ligne qui termine par 1748, vous dites "c'est ça» ? - si vous le dites, c'est ça. - j'ai l'impression que vous dites ce qu'on a envie d'entendre.

Me Nogueras : "quand vous dîtes que monsieur Amri participait aux visionnages des vidéos [de propagande de l'Etat islamique, ndlr] c'est parce qu'il est barman comme vous ou parce qu'il vient les visionner comme les autres ?" Rafik E.H : "je ne sais, parce qu'il est barman".

Me Haeri, autre avocate de Mohamed Amri se lève à son tour. Mais au milieu des questions, il indique :"on peut faire une pause, je veux m'arrêter, moi je ne réponds plus rien. Président : "on a presque fini, si vous pouvez faire un petit effort, après vous pourrez repartir ..."

Me Haeri : "j'aimerais comprendre ce qui fait qu'on soit obligé de se séparer d'une personne à des milliers de kilomètres quand on est en désaccord avec lui. Qu'est-ce que ça dit de Brahim Abdeslam ? Le fait que vous soyez obligé d'aller si loin» ? Rafik E.H : "personne m'a obligé"

Me Haeri : "on a le sentiment que Brahim Abdeslam suscitait une crainte de la part des uns et des autres ?" Rafik E.H : "non" - il ne vous inquiétait pas, il ne vous impressionnait pas ? - je n'ai pas compris votre question, madame.

Le témoin n'a vraisemblablement plus envie de répondre aux questions. Me Nogueras tente "encore une sur les vidéos. Voyez monsieur, il faut être précis. Si vous ne vous souvenez pas, on préfère que vous le disiez. Vous avez parlé de vidéos projetées sur la télévision du café..."

Rafik E.H : "je fumais des joints, je me souviens pas." Me Nogueras (défense) : "c'est peut-être un peu indélicat mais c'était quoi votre consommation à l'époque ? - Je fume toujours des joints ... - ça j'ai cru comprendre. A l'époque, c'était quoi ? - 2 ou 3 joints par jour

Me Judith Levy, avocate de l'accusé Ali Oulkadi : "pouvez-vous nous préciser qui était dans la voiture qui a conduit Brahim Abdeslam pour partir en Syrie?" Rafik E.H : "moi, Ali Oulkadi et un certain Jamal" - c'est pas tout à fait ce que vous aviez dit jusqu'à présent ...

Me Judith Levy (défense) : "est-ce que vous avez entendu Brahim dire à Ali Oulkadi : "je pars en Syrie"?" Rafik E.H : "non" - et vous, il vous l'a dit clairement ? - non - donc en fait, vous ne vous parlez pas beaucoup.

Me Paci (défense) : "si les vidéos diffusées par Brahim Abdeslam ne vous intéressaient pas, comment expliquez-vous qu'on retrouve dans votre téléphone des vidéos sur le combat, l'état islamique dans votre téléphone ?" Rafik E.H : "je regardais de temps en temps comme les autres."

Me Ronen, avocate de Salah Abdeslam revient à son tour sur la composition de la voiture qui accompagne Brahim Abdeslam pour son départ en Syrie. Cette fois, Rafik E.H indique qu'il y avait "Brahim, moi, Ali Oulkadi et la 4e personne je me souviens plus si c'était Attou ou Jamal"

Fin de l'audition du 1er témoin. L'audience est suspendue "le temps que l'autre témoin prenne place. A tout à l'heure pour la Belgique", indique le président.

L'audience reprend avec le 2e témoin de la journée. [null Bilal E.S, autre habitant du quartier de Molenbeek] parle à toute vitesse. Mais il n'a rien su, assure-t-il. «Ça me choque. Même après 6 ans, ça me choque. J'ai toujours pas de réponse. Et moi-même j'essaie à comprendre."

Bilal E.S : "Brahim, je le connaissais de vue car c'était un Molenbeekois comme moi. Puis, il a ouvert le café des Béguines et moi je voulais pas le fréquenter car j'ai quand même une image, je voulais pas qu'on me voit dans un café où il y a de la drogue, tout ça."

Ce moment où le témoin continue à parler dans le vide, le micro coupé. Le président : "il ne faut pas toucher au micro, je crois". Le témoin, micro allumé : "excusez-moi, je n'ai pas l'habitude".

Bilal E.S : "Hamza Attou, je lui ai dit qu'il devait partir de ce café, qu'il avait 20 ans, qu'il pouvait encore faire une formation au lieu de perdre son temps à vendre du shit dans ce café alors que les autres s'en battaient les steaks de lui. Et le mec m'a jamais écouté !"

Bilal E.S évoque Brahim Abdeslam comme "quelqu'un qui a jamais fait le ramadan, qui passait la journée à boire et à vouloir sortir dans des bars pour aller voir des filles". "Du jour au lendemain, il a dit : je vais me mettre à prier. Moi, au début, j'ai dit : ça peut être bien"

Dans le box, Mohamed Abrini se lève, veut parler :"juste 5 secondes". "Non, ce sera après, monsieur Abrini", répond le président. L'accusé insiste. "Ce n'est pas comme ça que ça se passe, demandez à vos conseils", répond le président.

Bilal E.S: "le pauvre Mohamed Amri avait racheté la voiture de Brahim [Abdelsam ndlr]. Et comme Brahim lui avait fait un bon prix, il était redevable en fait. Président : "et il regardait les vidéos [de propagande de Daech ndlr] ?" - Amri, lui était pas spécialement devant le PC

Président : "avez-vous assisté à des conversations entre Brahim Abdeslam et Abdelhamid Abaaoud qui se trouvait alors en Syrie ?" Bilal E.S : "moi, j'ai jamais vu ça. Jamais."

Président : "pour vous c'est Salah qui a influencé Brahim dans le changement au niveau de la religion ?" Bilal E.S : "pour moi, oui". Il raconte qu'un jour Salah Abdeslam lui a demandé "de louer une voiture". Mais je lui ai dit "je sais pas ce que tu vas faire".

Président : Salah Abdeslam "vous a dit où il voulait aller [avec cette voiture de location ndlr] ?" Bilal E.S : "il m'a dit qu'il voulait aller dans les pays de l'Est. Je crois que c'est la fois où il est allé en Hongrie [récupérer des membres des commandos terroristes, ndlr]"

Bilal E.S évoque une conversation avec Salah Abdeslam. Il m'a dit : "Salam" - Salam - Tu as le temps ? - Oui, je fais ramadan. - Il m'a dit : "prends soin de toi, l'islam c'est important. La prière à l'heure. Il m'a vraiment fait des rappels sur l'islam. L'islam. L'islam.

Bilal E.S explique qu'Hamza Attou lui a raconté être allé chercher Salah Abdeslam à Paris et avoir appris dans la voiture qu'il avait participé aux attentats du 13 novembre 2015 "Moi je lui ai dit : tu aurais dû arrêter la voiture, lui dire pars, fieu [mec, en Belgique ndlr]".

Bilal E.S poursuit : "pour moi, tu peux pas rester. Tu sais bien que tu as un terroriste dans la voiture, il te l'a dit. Tu dois le laisser aller. Ou même faire un petit clin d'oeil au policier pour montrer qu'il y a un truc qui va pas et qu'il faut renforcer le contrôle."

1ere assesseure : "vous avez vu des vidéos de propagande de l'Etat islamique dans ce café ?" Bilal E.S : "en rentrant, oui, j'ai vu." Mais il y avait des gens derrière le PC, et il y avait des gens qui jouaient au bongo, des gens derrière le comptoir, des gens à table."

1ere assesseure : "et le groupe qui regardait les vidéos c'était qui ?" Bilal E.S : "Brahim, Salah et Ahmed". - Ahmed Dahmani [autre accusé du procès, jugé en son absence car détenu en Turquie] ? - oui - vous avez dit qu'on le voyait en allant aux toilettes - oui, c'est ça.

Bilal E.S : "tout vient de la Golf que Mohamed Amri a acheté à Brahim [Abdeslam, ndlr]. Depuis qu'il a acheté cette Golf [au bon prix de 1500 euros a-t-il précisé précédemment, ndlr], Mohamed Amri était redevable. Il faisait tout ce que demandaient les frères Abdeslam."

Nicolas Le Bris (avocat général) : "vous avez dit que lorsque les vidéos étaient diffusées au café des Béguines, il y avait des discussions entre eux ?" Bilal E.S : "c'était surtout Brahim [Abdeslam ndlr] qui était excité, il disait que c'était injuste, des enfants étaient tués."

Me Judith Lévy, avocate d'Ali Oulkadi : "vous avez dit que dans le café, il y a les vidéos mais des gens qui font autre chose". Bilal E.S : "à part les gens qui regardaient des vidéos, il y avait une bonne ambiance. On parlait entre nous, on aimait le foot. On jouait aux cartes."

Me Stanislas Eskenazi, avocat de Mohamed Abrini : "Mohamed Abrini s'est levé au moment où vous déposiez parce qu'il ne se souvient pas de vous". Bilal E.S : "j'ai dit que je ne le connaissais pas, hein. J'ai toujours voulu lui parler, c'est lui qui voulait pas".

Me Eskenazi (défense) : "dans le café des Béguines, on pouvait boire de l'alcool, venir saoul ?" Bilal E.S : "si je voulais sortir ma bouteille, je pouvais." "Merci pour ce conte en milieu extrémiste musulman", ironise l'avocat. Le président :"toujours un petit commentaire ..."

Me Negar Haeri, avocate de Mohamed Amri : "qu'est-ce qui fait que vous n'avez pas été en mesure de comprendre la dangerosité de Brahim Abdeslam ?" Bilal E.S : "c'était quand même un garçon qui rendait beaucoup de services, qui aidait les vieilles dames à monter leurs sacs"

Fin de l'audition du deuxième témoin. Le représentant du parquet belge intervient : "monsieur le président, je viens d'apprendre que le dernier témoin a réfléchi et ne va pas se présenter." "Ah, c'est une réponse définitive ?" interroge le président. "Oui, on a pris acte."

"Bon, voilà. On est un peu surpris", indique le président au sujet de la défection du dernier témoin. "Il y a quatre auditions, donc on fera peut-être les lectures demain ..." La première assesseure insiste pour que ce soit ce soir. "Je sens que je vais déléguer la lecture ..."

Le témoin absent et dont la cour lit les auditions était l'associé de Mohamed Abrini, accusé de ce procès, dans le snack Delinice. Il décrit Abrini comme se servant dans la caisse, mais aussi "un voleur, le soir". "Brahim, Salah, Abrini avaient des propos radicaux", ajoute-t-il.

Devant les enquêteurs, ce témoin a reconnu : "je me suis posé des questions sur l'Etat islamique. La moitié du quartier y est parti, c'est normal. Comme tout le monde, je regardais des vidéos censurées par la télévision. Des vidéos avec Abdelhamid Abaaoud. C'était de la curiosité"

Fin de la lecture des auditions du témoin absent. "On reprend demain à 12h30 pour la dernière audience de cette année", indique le président. "L'audience est levée pour aujourd'hui".

Jour 62– Vendredi 17 décembre - Auditions Patrick Calvar, ancien patron de la DGSI, ainsi qu'un expert sur les faux passeports

Bonjour à tous, 62e et dernière journée d'audience de 2021 au procès des attentats du 13 novembre 2015.

Aujourd'hui, on doit notamment entendre Patrick Calvar, ancien patron de la DGSI, ainsi qu'un expert sur les faux passeports. Mais les accusés Osama Krayem et Salah Abdeslam refusent toujours de comparaître dans le box. Et un troisième accusé, qui comparaît libre est en retard.

L'accusé qui comparait libre et qui était coincé dans le RER en grève vient d'arriver à l'audience. Celle-ci va pouvoir reprendre ... pour être suspendue le temps des sommations d'huissier à Salah Abdeslam et Osama Krayem. LT à suivre une fois ces procédures effectuées.

L'audience reprend pour de bon. Avec l'audition de Patrick Calvar, ancien patron de la DGSI qui s'avance à la barre. "N'hésitez pas à me demander de monter le ton de ma voix car j'ai l'habitude de parler assez doucement". "Je suis né le 26 novembre 1955."

Patrick Calvar : "avant de répondre aux questions, je souhaitais vous parler de la direction générale de la sécurité intérieure, en particulier en novembre 2015, les moyens qui étaient à sa dispositif et les méthodes de renseignement que nous utilisions à l'époque."

Patrick Calvar : "J'ai servi pendant 40 au sein de la police nationale et pendant 25 ans j'été impliqué dans la lutte contre les terrorismes. Toutes ces années ont été marquées par un certain nombre d'attentats."

Patrick Calvar : "je pense à toutes les victimes et je n'oublie pas que le terrorisme islamiste tue avant tout des musulmans dans leurs propres pays. Tous ces attentats ont été des échecs pour nos services."

Patrick Calvar : "je voudrais dire aux parties civiles qu'elles ne doivent jamais douter de l'engagement total des services. Je sais que les mots n'effacent jamais la douleur mais je voudrais dire ce qu'est notre travail pour qu'elles le comprennent mieux, hors polémique."

Patrick Calvar : "les missions de la DGSI sont la protection des intérêts fondamentaux. C'est un service qui dispose également d'une capacité de police judiciaire. Et nous avons toujours eu des relations de très grande confiance avec la section antiterroriste du parquet de Paris"

Patrick Calvar : "si nous avions quelqu'un qui acceptait de travailler pour nous avec tous les risques qui étaient les siens et qui à un moment pouvait entrer dans une association de malfaiteurs terroristes, nous n'aurions jamais pu le sortir judiciairement de cette affaire."

Patrick Calvar : "c'est ça la réalité. Nous n'aurions jamais été en capacité de pénétrer physiquement un réseau. L'autre source de renseignement ce sont les infiltrations techniques."

Patrick Calvar : "le troisième moyen d'acquisition du renseignement c'est ce que nous appelons la coopération nationale. Et dès avril 2012, nous avions en place une task force sur la Syrie. Et nous avons monté avec la DGSE une cellule commune. On est montré d'un cran en 2015."

Patrick Calvar : "en juin 2015, nous avons monté une cellule ALLAT qui regroupe tous les services de renseignement. Tous les cas étaient mis sur la table, était décidé de la stratégie à mettre en œuvre. Il fallait éviter les angles morts et surtout éviter les compétitions".

Patrick Calvar : "les fiches S ont fait beaucoup de littérature. C'est quoi une fiche S? C'est un outil, une alerte. Si monsieur se trouve en vacances, cela ne va pas m'alerter. Si monsieur se trouve dans un aéroport pour prendre un avion vers Istanbul, ça va m'inquiéter."

Patrick Calvar : "à l'époque, nous avions environ 9000 fiches S dans ce domaine. Pour votre information, 11 des personnes impliquées dans cette affaire étaient fichées S par la France. En France, les fiches S sont inscrites dans le FPR, le fichier des personnes recherchées."

Patrick Calvar : "nos fiches S ont aussi été inscrites dans le SIS, c'est-à-dire dans l'espace Schengen. Mais nombre de services de renseignement des autres pays ne sont pas des services de police donc n'ont pas la capacité à consulter ou à mettre des fiches S."

Patrick Calvar : "au matin du 13 novembre 2015, nous avions 568 individus français ou résidents en France présent en zone irako-syrienne dont 199 femmes et 16 mineurs combattants. 247 individus de retours sur le territoire national, 141 individus présumés morts."

Patrick Calvar : "nous avions aussi 256 individus en transit dans un pays tiers, 707 individus ayant exprimé l'intention de se rendre en Syrie. Soit un total de 1760 individus formellement identifiés auxquels il faut ajouter tous ceux que nous ne connaissions pas."

Patrick Calvar : "sur le plan de l'activité judiciaire, nous avions 156 enquêtes ouvertes, 275 individus interpellés dont 131 écroués."

Patrick Calvar : "j'ai entendu tellement de choses depuis le 13 novembre 2015. Je n'ai jamais pris la parole publiquement. Nos mots ne les consoleront jamais mais je voudrais qu'elles comprennent qui nous étions, comment nous travaillions."

Patrick Calvar : "[Abdelhamid] Abaaoud est entré dans nos radars après la fameuse vidéo où il tractait des cadavres. Mais je vous rappelle que nous sommes un service d'action nationale et nous n'avons pas d'action en dehors de notre territoire."

Patrick Calvar : "ils arrivent le 12 novembre 2015, ils frappent le 13. Ils n'ont aucune base de repli. On le verra avec Abdelhamid Abaaoud et Chakib Akrouh [survivants du commando des terrasses après le 13 novembre ndlr]. Ce qui veut dire que nous étions aveugles."

Patrick Calvar : "je sais que mes camarades belges ont été souvent critiqués, très critiques. Je sais qu'il est toujours facile de réécrire l'histoire après. Moi, je ne me le permettrais jamais. Car je sais l'abnégation de ce métier."

Patrick Calvar : "moi je vais être très franc avec vous. Qu'est-ce qu'on veut ? Plus de sécurité ? Plus de liberté ? Si on veut plus de sécurité, il va falloir entrer plus de technologie. C'est possible, mais il faut qu'on accepte plus de restrictions de nos libertés individuelles."

Patrick Calvar : "on sait que chez les terroristes, les cibles sont souvent d'opportunité avec l'objectif de faire un maximum de victimes. L'idée est toujours la même : je frappe pour faire un maximum de victimes et donc avoir un maximum d'impact sur la population"

Patrick Calvar : "pour moi ce qui s'est passé au Bataclan est malheureusement, tristement, une cible d'opportunité. Comme le Stade de France l'a été. Comme les terrasses l'ont été."

Patrick Calvar : "on dit toujours : les services ne se parlent pas. Faux. Les services se parlent toute la journée. Par contre les systèmes ne sont pas harmonisés. Mais, je vous le dis : si vous voulez un contrôle aux frontières, ce n'est pas avec Frontex que vous le ferez"

Patrick Calvar : "je pense que cette lutte contre ce fléau qui est moins d'être terminé et il y en a d'autres, bah il va falloir faire un choix sur nos libertés et ce qu'on souhaite."

Me Maktouf (PC) interroge le témoin sur la stratégie adoptée sur les frères Clain. Patrick Calvar : "on a eu des longues discussions. Les Clain nous les connaissions parfaitement. Les laisser partir volontairement [en Syrie, ndlr] : non. Mais certains sont partis en voiture."

Patrick Calvar : "j'ai été particulièrement surpris d'apprendre qu'[Abdelhamid] Abaaoud se trouvait sur notre territoire. Et pour moi c'était incroyable qu'ils aient fait cette action [les attentats ndlr] sans capacité de se réfugier, notamment venant de quelqu'un comme Abaaoud."

Patrick Calvar : "si vous voulez me faire dire que nous sommes passés à travers plusieurs fois, que parfois nous nous sommes trompés dans les appréciations, je vous crois." Me Szwarc (PC) : "je voulais savoir si vous étiez susceptible de reconnaître certaines erreurs, merci."

Le président intervient : "je vous rappelle que nous sommes là pour évaluer les charges sur les accusés par pour faire le procès de quelque institution que ce soit. Nous ne sommes pas commission parlementaire. Je crois qu'on a tendance à l'oublier depuis un certain temps."

Patrick Calvar revient sur Abdelhamid Abaaoud : "je suis tombé de l'armoire quand on m'a dit qu'il était réfugié dans un buisson. Je me suis dit : on recherche un type qui est responsable de la mort de dizaines de personnes. Je ne sais pas comment fonctionnent ces gens-là."

Patrick Calvar énumère les 11 fichés S liés aux attentats du 13 novembre 2015 : "Abaaoud, Akrouh [2 membres du commando des terrasses, ndlr] les frères Clain, Mostefai, Amimour, Mohamed-Aggad [3 membres du commando du Bataclan, ndlr], Chouaa, Abrini, Krayem, Laachraoui."

Me Delas : "vous avez fait le distinguo entre la phase non-judiciaire et la phase judiciaire et vous nous avez dit que vous étiez moins efficace en phase judiciaire" Patrick Calvar : "la difficulté qu'on a c'est qu'on puisse apporter au parquet des éléments suffisamment probants"

Camille Hennetier (avocate générale) : à partir de quand la France est devenue une cible prioritaire de l'Etat islamique ? Patrick Calvar : "je pense que le terrorisme est la conjugaison d'une terre de djihad et d'un mal-être profond dans une société."

Patrick Calvar : "depuis longtemps, nous avons un souci dans le rapport à l'islam. Dans la confusion entre islamisme et islam. Nous avons aussi souffert d'une crise d'identité profonde d'un certains nombres de jeunes d'origine marocaine, tunisienne, algérienne."

Patrick Calvar : "nous avions énormément de Français et de francophone sur zone [irako-syrienne, ndlr] et donc ça a créé une cible. D'autant qu'elle est emblématique. Les autres cibles emblématiques c'est Israël et les Etats-Unis, mais c'est difficile d'attaquer les Etats-Unis"

Patrick Calvar : "la Belgique a toujours eu tendance d'exporter son terrorisme vers nous. Rappelez-vous les attentats du GIA en 1995, ils venaient aussi de Belgique."

Patrick Calvar : "vous frappez de là ou vous venez. On a le terrorisme qu'on mérite."

Me Xavier Nogueras (défense) : "pourquoi selon vous ces terroristes disent qu'ils frappent la France parce que la France est intervenue [en Syrie, ndlr] ?" Patrick Calvar : "j'en pense que c'est l'expression de la haine la plus pure. Ces gens-là haïssent ce que nous sommes."

Fin de l'audition de Patrick Calvar. "On va enchainer", avertit le président en lançant la vidéoconférence avec une experte "qui va témoigner en visio depuis Lyon en raison de problèmes de transport".

La connexion est établie avec Lyon pour l'audition de Sophie Carliez, "technicienne en chef de police technique et scientifique". Elle a été chargée au cours de l'instruction d'analyser les faux passeports syriens des terroristes du 13 novembre

L'experte détaille les éléments de fabrication d'un passeport : "une couture au centre, chaque page est en fait une double porte, elles comportent un filigrane et des fibres mises de façon aléatoires qui apparaissent sous une lumière fluorescente."

Après un exposé bref de l'experte et en l'absence de questions des avocats de parties civiles et de la défense, l'audition s'achève.

Le président : "il y a une autre demande ? J'ai cru qu'il y avait un regain d'activité sur le banc des parties civiles. Non ? Tant mieux. Je crois que nous avons tous besoin de respiration. Cette audience va être suspendue quelques jours. Je vous donne rendez-vous le 4 janvier."