Procès des attentats du 13 novembre 2015 - Le Live Tweet - Semaine TRENTE DEUX

Un article de la Grande Bibliothèque du Droit, le droit partagé.


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Retrouvez sur cette page tous les tweets du procès issus des Live tweets de @ChPiret Charlotte Piret et @sophparm Sophie Parmentier ; elles suivent ce procès pour France Inter et nous ont donné l'autorisation de compiler leurs tweets dans un objectif de consultation et archivage.



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Semaine TRENTE DEUX

Jour 117 – Lundi 2 mai – Audition du sociologue Bernard Rougier, de l'écrivain Mohamed Sifaoui et l'ancien juge antiterroriste Marc Trévidic

Reprise du procès des attentats du 13 novembre 2015 (et oui, c'est toujours en cours) après une semaine de suspension. 117e jour d'audience et dernière ligne droite de cette audience fleuve puisqu'on reprend avec les dernières auditions (témoins et victimes).

Aujourd'hui, trois témoins sont attendus à la barre : le sociologue Bernard Rougier, l'écrivain Mohamed Sifaoui et l'ancien juge antiterroriste Marc Trévidic. D'autres témoins sont attendus demain avant une nouvelle session d'audition de 90 victimes à partir de mercredi.

A tout à l'heure.

L'audience reprend, en l'absence cette fois de l'accusé Mohamed Abrini (et non Osama Krayem comme habituellement). "On va poursuivre les débats", annonce le président.

Le premier témoin, le sociologue et auteur du livre "Les territoires conquis de l'islamisme", Bernard Rougier s'avance à la barre. "Je vais faire une déposition en 4 points en essayant d'être aussi dynamique que possible".

Bernard Rougier explique avoir vécu au Moyen-Orient et "fréquenté un groupe de djihadistes, discuté avec eux". Cela a servi de base à son travail, explique le chercheur.

Bernard Rougier : "pourquoi les décapitations, les violences filmées, les mises en scènes macabres ? C'est une sorte de mise en scène de la loi religieuse, ce que j'appelle un positivisme religieux, qui explique que cette entité [l'état islamique, ndlr] a vocation à s'étendre."

Bernard Rougier : "dans le choix de la couleur noire [par l'état islamique, ndlr], le drapeau avec un logo tout à fait particulier, on a des éléments qui rappellent l'islam médiéval. Sur le plan idéologique, c'est du wahabisme primitif".

Bernard Rougier : "c'est une idéologie conçue dans l'extension. L'idée est celle d'une identité qui ne peut pas vivre dans la stabilité." Voilà pour le premier point développé par le sociologue à la barre.

Le deuxième point développé par Bernard Rougier est la question de la territorialisation. "Il y a, à travers des sandwicheries halal, des salles de sport, une territorialisation qui va provoquer un nouveau codage de la société occidentale".

Bernard Rougier évoque un texte très connu des djihadistes : "les annulatifs de l'islam, en bon français : les clauses annulatoires de l'islam. A savoir : si vous avez un ami juif, vous n'êtes plus musulman, si vous ne faites plus vos 5 prières, vous n'êtes plus musulman"

Bernard Rougier : "il y a un imaginaire du djihad. Il faut que chacun y croie. Et il y a un rapport particulier avec la délinquance. On peut vendre du cannabis et être un militant djihadiste. On a l'idée que le combat sacré effacera rétrospectivement tous les péchés. "

Bernard Rougier:"dans la prison comme dans les quartiers, il y a un système de rappel par lequel chacun rappelle à l'autre ses obligations, parfois via les réseaux sociaux. Vous pouvez donc vivre à Laeken, Schaerbeek, aux Buttes-Chaumont et vivre dans le temps de l'islam irakien"

Bernard Rougier évoque les différentes catégories de djihadistes : "les experts, capables de fabriquer des bombes, d'avoir une compétence de très haut niveau et ceux-là sont très rares. Les tueurs, ils peuvent disparaître, le groupe les remplacera facilement."

Bernard Rougier : "vous avez aussi les complices, chargés d'assurer la sécurisation du réseau. Et les régisseurs. Ce sont les quatre composantes indispensables. S'il manque une composante, l'acte terroriste de grande ampleur peut être manqué".

Bernard Rougier : "les éléments violents, les tueurs bas de plafond sont indispensables dans le passage à l'acte. Mais il faut que d'autres, plus intelligents, plus élaborés, avec une meilleure connaissance de l'idéologie, les incite à ce passage à l'acte."

Bernard Rougier : "cette organisation [état islamique, ndlr] est une synthèse entre l'expertise militaire des anciens militaires de Saddam Hussein et toute une infrastructure de tribunaux qui vient du Golfe avec une culture wahhabite impeccable."

Bernard Rougier : "Ce ne sont pas des gens violents par nature qui vont se réfugier dans une idéologie, c'est une idéologie ultraviolente qui va légitimer ce recours à la violence. Il y a une sophistication dans la justification de ces actions."

Bernard Rougier : "il y a cette idée [dans l'état islamique, ndlr] que si vous voulez être un vrai musulman, votre seul choix est de vous rendre dans le territoire de la charia. Il n'y a pas cette territorialisation chez Al-Qaïda par exemple."

1ere assesseure : "vous avez distingué 4 catégories : les experts, les tueurs, les complices et les régisseurs. Pensez-vous qu'une de ces catégories puisse agir sans être acquise à la cause [djihadiste, ndlr]?" Bernard Rougier : "ça me semble impossible".

Bernard Rougier : "ces groupes ne prendraient pas le risque de s'adresser à quelqu'un qui ne soit pas entièrement de confiance et qui n'ait au moins une idée, même vague, de l'opération en cours. On ne connaît pas les détails, mais simplement l'orientation".

Me Sylvie Topaloff (parties civiles) : "comment la vie sous la charia, extrêmement contraignant, peut-elle être attirante pour des jeunes gens ? Comment ça marche ?" Bernard Rougier : "on acquiert l'idée qu'on fait partie d'une élite, qu'on appartient aux meilleurs musulmans".

Bernard Rougier : "le salafisme s'appuie que la pureté du corps et l'une des pires abominations est la mixité. Le comble de la perversion dans cette vision-là, sont les boîtes de nuit. Le Bataclan à leurs yeux était l'équivalent d'une fête païenne, où les corps se mélangent"

Bernard Rougier : "ce qui est vrai du corps individuel est vrai aussi du corps social qu'il faut expurger des éléments extérieurs. Il faut faire allégeance aux vrais musulmans et rompre avec les autres. Les autres sont rejetés dans la damnation à venir."

Me Topaloff : "parmi les accusés, revient l'idée selon laquelle leur combat n'est pas tant religieux que politique" Bernard Rougier : "la loi du Talion est dans le coran, donc il y a une légitimation religieuse. Mais les volontaires auraient pu aller dans d'autres organisations".

Bernard Rougier : "l'organisation Etat islamique s'est battue en dernier contre Bachar Al-Assad et elle lui a vendu du pétrole au nom d'intérêts communs bien compris. Donc si on va dans ce type d'organisation c'est forcément au nom de sa volonté hégémonique."

Me Samia Maktouf (PC) : "quel est l'impact de ce procès pour les accusés jugés aujourd'hui en l'application d’une loi écrite par l’homme ?" Bernard Rougier : "les institutions qui ne découlent pas de la loi religieuse n'ont strictement aucune valeur".

Me Maktouf (PC) : "il y a la notion de cloisonnement de l'information évoquée par les accusés" Bernard Rougier : "il y a une division des tâches au sein de la cellule, mais il n'y a pas de cloisonnement interne. Ils savent à quoi vont servir les tâches. C'est mon point de vue."

Interrogé sur le choix du Stade de France parmi les cibles des attentats du 13 Novembre 2015, Bernard Rougier : "contrairement à Ossama Ben Lasen qui adorait jouer au football, on ne joue pas au football dans l'espace de l'Etat islamique. C'est considéré comme une mécréance."

Me Chemla : "deux accusés se présentent comme ayant renoncé et retrouvé leur place dans la cellule terroriste à Molenbeek" Bernard Rougier : "pour ne pas valider le pacte pour lequel vous avez été choisi, il faut une bonne raison pour pouvoir retrouver sa place dans la cellule"

Place aux questions de la défense (les avocats généraux n'en ayant pas à poser) Me Méchin : "je suis l'avocat d'un des accusés que vous ne connaissez pas. Comment a été déterminé le cadre de votre témoignage ?" Bernard Rougier :"l'idée est d'éclairer la cour sur l'état islamique"

Bernard Rougier rappelle qu'il a 25 ans d'expérience : "il n'y a pas énormément de chercheurs qui ont eu un accès direct aux acteurs. La lecture ardue des textes en arabe a rythmé mon parcours universitaire. Et c'est à ce titre que j'ai accepté de témoigner".

Me Méchin : "Sur les 14 accusés présents quels accusés font partie du groupe état islamique ? Bernard Rougier : "je ne connais pas le dossier mais c'est une opération de l'Etat islamique et ceux qui sont ici sont au titre de leur appartenance à cette organisation"

Bernard Rougier : "je ne préjuge pas de la culpabilité de telle ou telle personne mais c'est fou dans les dossiers le nombre de détonateurs qui n'ont pas marché, de kalachnikovs qui se sont enrayées …"

Me Méchin : "vous savez si on reproche aux 14 accusés d'appartenir à l'Etat islamique ? Vous comprenez que c'est très problématique..." Bernard Rougier : "ce qui est problématique c'est que ces groupes commettent des attentats de masse. Vous ne pouvez pas diluer la responsabilité"

Me Martin Méchin (défense) qui reproche à Bernard Rougier de ne s'exprimer qu'en termes de généralités sur l'Etat islamique et pas en fonction de chacun des accusés lâche finalement : "en fait vous ne comprenez rien au système judiciaire français, c'est pathétique." Il se rassied

Bernard Rougier cite "[son] ami Didier François", ancien otage de Daech qui "a été emprisonné, battu tous les jours". "C'est tout à l'honneur des démocraties occidentales de ne pas utiliser les méthodes de nos ennemis. Car ce sont nos ennemis."

Toujours à la barre, le sociologue Bernard Rougier poursuit : "ce milieu de Molenbeek ou de Laeken est connu. Tout le monde sait qui est parti. Si quelqu'un revient et cherche une planque, il est difficile d'ignorer à quoi elle est destinée".

Me Ilyacine Maalaoui, avocat de Sofien Ayari : "j'ai l'impression que pour vous ne pas parler l'arabe discrédite une recherche sérieuse ..." Bernard Rougier : "absolument. Je pense que c'est un manquement. J'ai aussi essayé de me mettre au turc ..."

Me Maalaoui : "vos détracteurs parlent de votre fièvre identitaire" Bernard Rougier :"c'est l'engagement d'une vie, 15 ans au Moyen-Orient et parler de "fièvre identitaire" est insultant. Mais la liberté d'expression est une valeur suprême, je suis prêt à accueillir la critique".

Me Martin Vettes, avocat de Salah Abdeslam : "vous nous avez indiqué que vous avez un savoir qui vient de l'expérience et pas du dossier. Vous avez déjà eu un contact direct avec un djihadiste de l'Etat islamique ?" Bernard Rougier : "j'ai déjà eu un contact avec un sympathisant"

Me Vettes : "ma question est très simple : avez-vous déjà rencontré un djihadiste de l'Etat islamique ?" Bernard Rougier : "probablement oui, mais je ne le savais pas." - vous plaisantez ! - c'est vous qui plaisantez, vous ne connaissez pas les conditions de la recherche.

Me Vettes : "vous ne pouvez pas confirmer que vous avez rencontré un seul djihadiste de l'Etat islamique. Et ce qui m'ennuie c'est que toute votre autorité, vous la tirez de l'empirisme. Votre expertise de l'Etat islamique, elle est néante !"

Le ton monte. Président : "je suis désolé, on a des questions qui ne sont pas humiliantes ni méprisantes, je voudrais que ça continue comme ça. Point. Je suis là pour assurer la sérénité des débats. Et quand on en sort, j'interviens."

Bernard Rougier : "j'ai rencontré des sympathisants de l'Etat islamique et énormément de membres d'Al-Qaïda. Mais ils ne vont pas le dire pour des questions de sécurité. Réfléchissez un peu Maître."

Me Olivia Ronen, autre avocate de Salah Abdeslam se lève à son tour : "j'ai un peu de compassion pour vous parce que je pense que ce n'est pas votre place d'être ici. Là où s'arrête ma compassion c'est que vous avez devant nous un discours essentiellement politique."

Me Sylvie Topaloff, avocate de parties civiles à l'origine de la venue de Bernard Rougier s'insurge contre sa consœur de défense : "S'adresser comme cela à un témoin, c'est inacceptable. Inacceptable !" Me Ronen : "je ne pense pas avoir fait preuve de mépris". - Si !

Me Xavier Nogueras, avocat de Mohamed Amri se lève : "bonjour, monsieur, je suis avocat et j'ai rencontré une centaine de djihadiste. Je ne m'en vante pas mais c'est incontestable, d'autant que 90% d'entre eux ont été condamnés pour leur appartenance à l'Etat islamique"

Me Nogueras : "je suis l'un des deux avocats de Mohamed Amri, vous savez qui il est ?" Bernard Rougier : "je crois que c'est celui qui est venu chercher Salah Abdeslam. Je l'ai lu dans la bande dessinée très bien faite de .... [La Cellule, par Soren Seelow, ndlr]

Me Nogueras : "j'ai l'impression que votre exercice consiste à transposer le résultat de vos études, déjà très anciennes parce qu'elles ont 25 ans, à une génération nouvelle de djihadistes, ce qui n'est pas faisable. Les opérationnels ont changé, c'est la DGSI qui le dit".

Bernard Rougier : "votre pratique professionnelle vous permet d'avoir accès à des dossiers, vous savez que pour la recherche c'est plus difficile. Donc je n'ai pas la connaissance aussi fine que vous. Mais j'ai quand même un peu lu."

Fin de l'audition de Bernard Rougier. "On va faire une suspension", annonce le président. A tout à l'heure pour l'audition de Mohamed Sifaoui.

L'audience reprend. "Monsieur l'huissier, si vous voulez bien faire entrer le prochain témoin", annonce le président. Mohamed @Sifaoui s'avance à la barre. "Désolé pour le retard, mais les assises on sait quand ça commence, pas quand ça se termine", indique encore le président.

Mohamed Sifaoui : "je travaille sur les questions djihadistes et je pense que j'ai été cité pour partager avec vous une modeste expérience de 30 ans qui m'a amené à travailler sur des textes idéologiques produits par une mouvance islamisme très prolixe."

Mohamed Sifaoui : "on est face à un phénomène très complexe qui instrumentalise une religion, ses textes et manipule des esprits, certes parfois vulnérables, souvent mal informés, dans une idéologie qui les amène à commettre l'irréparable."

Mohamed Sifaoui : "cette idéologie a été fabriquée de bric et de broc par un certain nombre de théoriciens et mise à disposition de tout un chacun."

Me Samia Maktouf, qui est à l'origine de la venue de Mohamed Sifaoui à cette audience, se lève et demande au témoin de développer le concept de "l'alliance et le désaveu". Mohamed Sifaoui : "c'est une doctrine structurante de l'idéologie djihadiste."

Mohamed Sifaoui: "L'alliance concerne le musulman, le désaveu revient à désavouer tout ce qui n'est pas musulman. A partir de 1980, cette doctrine est développée par un théoricien. Le monde islamiste voit le monde en noir et blanc : le paradis et l'enfer, le licite et l'illicite"

Mohamed Sifaoui : "il y a le bien et le mal. Cette doctrine est très binaire et donc très facile à intégrer."

Mohamed Sifaoui :"je prends le premier attentat du Stade de France. C'est un lieu dans un quartier populaire, qui attire des femmes, des enfants, beaucoup de magrébins. Et pourtant ça a été une cible."

Mohamed Sifaoui : "[le 13 Novembre des musulmans ont été touchés. Pourquoi ? Parce qu'ils ne sont plus considérés comme des musulmans. Et c'est la raison pour laquelle, ils sont tués sans état d'âme. C'est la doctrine de l'alliance et le désaveu qui va légitimer cette action."

Mohamed Sifaoui : "quelqu'un comme Mohamed Merah, dix ans après son élimination, continue à susciter des vocations. Pourquoi ? Parce que l'aspirant djihadiste est souvent incité à prendre pour modèle des héros négatifs."

Me Maktouf : "un autre terme a été beaucoup utilisé à cette audience, c'est la taqya" Mohamed Sifaoui : "c'est un concept qui implique une dissimulation où le mensonge est légitimé. Elle a été reprise par les salafistes contemporains. On l'a vu pour les attentats du 11 septembre"

Mohamed Sifaoui : "avant, on identifiait un salafiste à sa barbe. Ce n'est plus le cas parce qu'entre temps, les salafistes avaient préconisé à leurs adeptes de se raser pour ne pas attirer l'attention. Et donc utiliser ce principe de la taqya."

Mohamed Sifaoui : "le concept de la taqya a été vu dans le dossier de l'assassinat des policiers de Magnanville par Larossi Aballa. Il avait été arrêté peu avant et a échappé à une condamnation lourde et est sorti. C'est un des cas les plus frappants de taqya en France."

Mohamed Sifaoui : "à la même époque, Mohamed Merah a eu un comportement double. On a pu le voir dans des boîtes de nuit, il laissait croire qu'il buvait de l'alcool alors qu'il n'en buvait pas."

Me Maktouf : "dans l'idéologie djihadiste, les échecs sont-ils permis ?" Mohamed Sifaoui : "dans les milieux djihadistes, on a un problème avec tout. On n'aime pas les gens qui chantent, les femmes, les homosexuels, les non musulmans. Et même les jeux leur posent problème"

Alors de Me Catherine Szwarc pose des questions au témoin sur les déclarations de certains accusés à l'audience, le président intervient. "Vous ne pouvez pas savoir ce qui a été dit puisque vous n'étiez pas à l'audience, donc je vous demande de vous arrêtez là dans votre réponse"

Le président qui ajoute, visiblement agacé : "et je demande aux accusés d'un peu moins discuter dans le box. Hein, messieurs Bakkali et Ayari? Bon demain vous serez un peu séparés parce que là, vous n'arrêtez pas."

Me Frédérique Giffard interroge le témoin sur la notion de paradis. "On sait vaguement qu'il y a cette histoire de 72 houris, on ne sait pas trop si ce sont des fruits, des vierges ..." Mohamed Sifaoui : "on voit la description du paradis dans des livres [djihadistes, ndlr] ..."

Mohamed Sifaoui : "... pour eux [les djihadistes, ndlr] la question est tranchée. Même s'il y a un débat dans le monde musulman pour savoir si ce sont des grappes de raisin ou des femmes, pour les djihadistes ce sont bien des vierges."

Me Giffard : "la misère sexuelle est donc aussi un terreau sur lequel prospère le djihadisme ?" Mohamed Sifaoui : "il faut les humaniser. Je ne considère pas le terroriste comme un monstre. Quelqu'un comme Adolf Hitler était un être humain, Staline, les Khmers rouges .."

Mohamed Sifaoui : "sans parler de ceux que vous jugez, je parle de ceux que vous jugez .... avec d'abord un discours victimaire exacerbé : le musulman est toujours victime. Et l'Occident toujours diabolisé. Toujours. En toute circonstance."

Mohamed Sifaoui : "j'ai effectué une enquête sur une cellule djihadiste que j'ai filmée pendant plusieurs mois. Ce réseau devait perpétrer des attentats pendant la coupe du monde de football en 1998, assassiner le recteur de la mosquée de Paris."

Mohamed Sifaoui : "depuis je suis sous protection policière pour des menaces de mort récurrentes à cause de cette enquête journalistique. C'est là où j'ai rencontré pour la première fois les frères Kouachi [assaillants de Charlie Hebdo, ndlr]

Mohamed Sifaoui : "Il est impossible. Impossible. Impossible. De voir un réseau djihadiste faire appel à quelqu'un qui ne fait pas partie de l'alliance, qu'on puisse donner des missions à un individu qui n'est pas dans le même mood idéologique."

Mohamed Sifaoui : "il y a ceux qui renonce à l'acte terroriste parce qu'ils refusent d'aller sur ce chemin et là, il ne fait plus partie de la cellule. Mais il peut y avoir un renoncement momentané, ce n'est pas une rupture avec l'alliance, juste un moment de faiblesse."

Pas plus de question de la part des avocats généraux. Place aux avocats de la défense. Me Ilyacine Maalaoui : "est-ce qu'il est possible aujourd'hui de porter un voile sans être radicalisé ?" Mohamed Sifaoui : "j'ai une position très claire sur le voile islamiste."

Mohamed Sifaoui a été jugé pour avoir dit à Latifa Ibn Ziaten, mère d'une des victimes de Mohamed Merah qu'elle portait le voile de ceux qui avaient assassiné son fils. Mohamed Sifaoui : "heureusement, aujourd'hui en France, on peut continuer à critiquer un bout de tissu".

Mohamed Sifaoui poursuit : "les femmes qui portent le voile, souvent pas attitude mimétique, arbore un code islamiste." Me Maalaoui : "vous êtes un des témoins les plus extraordinaires que j'ai vu ici car vous avez réponse à tout. Votre analyse aujourd'hui frise l'absurde."

Me Maalaoui : "monsieur Sifaoui, vous trouvez normal de venir devant une cour d'assises en développant des éléments qui ne reposent sur rien. Le président intervient : "ce n'est pas une question, ça. C'est un jugement de valeur. Bon, monsieur répondez si vous voulez ..."

Mohamed Sifaoui : "je vais le dire avec une certaine solennité. Je pense avoir livré un discours digne, documenté. Vous n'êtes pas sans savoir qu'au-dessus de cette cour d'assises plane la mémoire de 131 victimes. Je suis venue faire un acte civique."

Me Marie Violleau : "votre venue a posé une difficulté parce que vous n'avez aucun rapport avec les faits. Vous êtes souvent invité sur les plateaux de télé ?" Mohamed Sifaoui : "oui, je suis journaliste depuis près de 35 ans. Donc la télévision, la radio, la presse écrite ..."

Mohamed Sifaoui : "je dirige une chaîne de TV sur internet qui s'appelle Islamoscope et qui a vocation à faire du décryptage de l'islam politique."

Sinon, alors qu'à 19h24 nous en sommes toujours au deuxième témoin de la journée, le président annonce qu'il vient de reporter l'audition de l'ancien juge antiterroriste Marc Trévidic à demain.

Me Violleau : "vous avez vu que la cour et le parquet ne vous ont posé aucune question, comment vous prenez ça ?" Le président intervient : "c'est déjà arrivé que la cour de pose aucune question ..." - C'est une question qui repose sur un élément factuel.

Mohamed Sifaoui : "eu égard des enjeux et de la symbolique qui entoure ce procès, je ne suis pas venu pour polémiquer. Je suis venu ici pour apporter un modeste éclairage. Si le parquet et la cour n'ont pas souhaité poser de question, je vais considérer qu'ils ont tout compris"

Me Méchin rappelle que dans le procès des attentats de janvier 2015, 6 accusés sur 11 ont été acquitté de la qualification terroriste : "cela vient en contradiction avec votre affirmation qu'il est impossible que des djihadistes se fassent aider par des gens non acquis à la cause"

Mohamed Sifaoui : "ne me faites pas dire ce que je n'ai pas dit. Quand dans une même mouvance, les salafistes se réunissent pour un même projet, ils ne peuvent pas être considérés comme des non djihadistes."

Me Orly Rezlan : "Vous avez une formation en théologie ?" Mohamed Sifaoui : "j'ai une formation en science politique. Je n'ai pas besoin d'être théologie pour travailler sur les textes islamistes qui ne sont pas religieux mais idéologiques."

Me Orly Rezlan : "pourquoi avez-vous été cité, vous pensez?" Mohamed Sifaoui :"peut-être parce que j'ai réalisé 27 documentaires, écrit une vingtaine de livres sur le sujet, réalisé une infiltration dans une cellule terroriste et que je pense avoir été l'un des rares à le faire"

Ce moment où, à 20h10, après 7 heures d'audition, un témoin lâche l'air de rien à la barre : "le colonialisme avait quelques bienfaits". (en référence à l'existence d'un état civil dans les pays du Maghreb)

Me Negar Haeri : "on vient de passer sept mois à regarder le moindre coup de téléphone, et on a l'impression que vous faites des généralités. Il y a de tels enjeux dans cette salle d'audience, la justesse est la cible que nous tentons tous d'atteindre."

Mohamed Sifaoui : "A titre personnel j'exècre les terroriste et je suis menacé depuis des années. Mais je suis venu donner une modeste expérience assez remplie, pardonnez-moi l'immodestie, qui sont assez méconnues des cours d'assises si prestigieuses soient-elles".

Mohamed Sifaoui : "je ne dirais pas que chaque musulman fait de la taqya, ce serait une insulte pour plus d'un milliard de personnes. Mais tous ceux qui sont impliqués dans des affaires de terrorisme, systématiquement, font de la taqya."

Mohamed Sifaoui : "ils se victimisent systématiquement. Quand ils demandent pardon c'est par stratégie de défense, quand ils se mettent à pleurer c'est pas stratégie de défense. C'est consubstantiel à leur idéologie."

Mohamed Sifaoui : "l'islamisme convient à des personnes destructurées, leur offre une structure et l'emmène vers une autre voie."

Mohamed Sifaoui évoque Mickaël Harpon, assaillant de la préfecture de police de Paris : "on a un homme en dérive, qui fréquente une mosquée salafiste. Et des policiers ne se disent pas qu'il peut être dangereux. Parce qu'une charge subjective qui vient anesthésier le jugement."

Me Olivia Ronen : "vous êtes en train de dire à la cour d'assises que Salah Abdeslam est radicalisé ?" Mohamed Sifaoui : "ah oui, j'en suis parfaitement convaincu" - C'est quand même une vraie révélation ! - Mais enfin Me ... - C'était une taquinerie. Ce n'est pas nouveau.

Fin de l'audition de Mohamed Sifaoui. "On entendra monsieur Trévidic demain en début d'audience", annonce le président avant de suspendre pour aujourd'hui.

Jour 118–Mardi 3 mai – Audition de l'ancien juge antiterroriste Marc Trévidic

Jour 118 au procès des attentats du 13 Novembre Aujourd'hui, la cour va entendre le célèbre juge Marc Trévidic, qui a été pendant 10 ans le visage de l'antiterrorisme français, l'un des meilleurs connaisseurs du terrorisme islamiste.

Le juge Trévidic avait dû quitter son poste deux mois avant les attentats du 13 Novembre car il arrivait au bout des dix ans incompressibles dans sa spécialité. Poste qu'il avait quitté à regret. A l'été 2015, le juge avait perçu l'imminence de nouveaux attentats d'ampleur.

Six mois plus tard, à l'été 2015, le juge Trévidic interrogeait le djihadiste Reda Hame, de retour de Syrie, qui lui révélait qu'Abaaoud l'avait missionné pour frapper une salle de concert. Reda Hame, condamné depuis, qui sera entendu en visio cet après-midi après le juge.

D'autres djihadistes incarcérés seront entendus en visio aujourd'hui. Tous envoyés en France par Abaaoud pour commettre des attentats en 2015. L'un d'eux, Ayoub El Khazzani a été condamné pour l'attentat contre le Thalys en août 2015.

La cour doit enfin entendre en fin de journée le journaliste @N_Henin qui avait été pris en otage en Syrie par EI avec d'autres confrères entre 2013 et 2014.

Ce 118e jour d'audience s'annonce donc chargé. Tous les accusés sont dans le box sauf Mohamed Abrini qui le boude aujourd'hui comme hier. Osama Krayem lui est revenu.

Jour 118. L'audience reprend. "Je m'appelle Marc Trévidic, j'ai 56 ans, je suis magistrat" décline le juge Trévidic, à la barre, costume sombre et cravate rouge, air juvénile.

Comme pour chaque témoin, la cour demande s'il connaissait des accusés. "Je connaissais les frères Clain" dit le juge Trévidic. Les Clain, parmi les accusés présumés morts en Syrie

Pour trancher d'emblée avec la journée d'hier, le juge Trévidic prévient : "Je vais pas me lancer dans des grandes théories sur l'islamisme".

Et Marc Trévidic raconte son arrivée à l'antiterrorisme. D'abord au parquet. 2000. 4 magistrats et 10 policiers de la DST, "c'était rien du tout".

Marc Trévidic : "Ce qui intéressait la DST à l'époque, c'était les filières afghanes. Il y a eu aussi les projets d'attentats à New York. Un djihad international de plus en plus. On appelait les filières Ben Laden".

Marc Trévidic décrit un "modèle français" de l'antiterrorisme, un modèle efficace dit-il, pour recueillir de nombreuses informations, jusqu'à Peshawar.

Marc Trévidic parle d'un "âge d'or" et d'un système "idyllique" pour contrer les terroristes. Puis il y a septembre 2001. La DST passe de 10 à 50 personnes.

Seuls les gendarmes sont les absents. Marc Trévidic le regrette. "Je pense qu'ils auraient pu aider quand le bateau a pris l'eau en 2013"

Marc Trévidic parle de 2004. Attentats en Espagne. Atocha. 200 morts. Puis 2005. Les Anglais, "ils ont l'habitude de se prendre des bombes".

En France en 2006, Marc Trévidic découvre un autre visage du terrorisme en France. Il est surpris par "une autre génération, des petits jeunes, fruit du djihad médiatique qui a commencé en 2003, des gens qui avaient pas des kalach mais des caméras" £M

Marc Trévidic : "Je me retrouve avec des dossiers, trois petits jeunes de Tours qui se montent la tête devant des vidéos. Cette radicalisation par internet est très inquiétante. On l'a pas découverte en 2015"

Marc Trévidic estime que cette radicalisation par internet a commencé en 2006 et 2007. Et "c'est à cette époque que va naître l'idée d'empêcher judiciairement des départs"

Marc Trévidic : "On va les considérer comme des terroristes pour pas qu'ils le deviennent". Pour la première fois, "on allait poursuivre des gens parce qu'ils avaient l'intention de partir" en terre de djihad.

Avant, la justice française ne poursuivait que les revenants de zone de djihad. On a donc poursuivi en amont. L'AMT, association de malfaiteurs terroriste a alors largement commencé à évoluer"

Marc Trévidic : "Il y a les nouveaux terroristes mais aussi les anciens." Et il cite le groupe Artigat avec les frères Clain ou Thomas Barnouin, des "gens qui vont en Egypte, radicalisés de façon profonde"

Marc Trévidic, sur Artigat : "J'ai jamais perçu de vrai chef. Il y avait Olivier Corel le théoricien qui mettait pas la main à la pâte et quelques excités qui voulaient partir". Les frères Clain n'en faisaient pas partie à ce moment-là.

Rappelons que les frères Fabien et Jean-Michel Clain accusés à ce procès 13Novembre ont lu/ chanté entre autres la revendication des attentats au lendemain des attaques.

Le juge Trévidic cite le juge Jean-Louis Bruguière qui fut longtemps le nom de l'antiterrorisme français. Autre nom, autre époque, autre méthode que Trévidic. Ce qu'il ne dit pas, à la barre.

Alors que le juge Trévidic parle à la barre, grand silence dans la salle d'audience. Chacun l'écoute. Dans le box aussi, les accusés sont hyper attentifs, pas de bavardages entre eux aujourd'hui.

Le juge Trévidic raconte le djihad médiatique et autre point "qui a un impact sur 2013-2015, on est dans la logique tout renseignement, il y a rien de plus fort que le renseignement, le problème c'est qu'on se rend compte que non, on arrête les gens avec des preuves judiciaires"

Marc Trévidic : "On a en Europe des groupes qui s'affichent qui réclament la charia en France". Il cite Forsane Alizza en France, Sharia4Belgium en Belgique.

Marc Trévidic : "Et puis quelque chose qui m'a marqué, on continue de faire semblant qu'on est invulnérables". Il entend dire qu'il n'y a pas eu d'attentats en France depuis 1995. "Et puis est arrivé Mohamed Merah". 2012

Marc Trévidic rappelle que ça arrive à la pire période, peu avant l'élection présidentielle, période électorale. Le juge rappelle les propos de Bernard Squarcini (DCRI) qui disait qu'il n'y avait pas de menace en France or "il savait ce qu'il en était"...

Marc Trévidic lui savait qu'on était vulnérables. Et il est alors surtout frappé par les réactions aux attentats de Merah. Il dit à la barre avoir vu des gens qui se réjouissaient "d'une petite fille morte d'une balle dans la tête". Il est alors "estomaqué" et très inquiet.

Une de ses collègues qu'il ne citera pas lui dit "on a déjà perdu". Ce qui est très inquiétant, c'est que Mohamed Merah devient un héros pour certains djihadistes.

Puis le juge Trévidic parle d'un autre dossier de cette année 2012, "je suis désolé pour les parties civiles mais un dossier comme un autre", le dossier de jeunes qui voulaient partir au Yémen. Parmi eux, S. Amimour, qui deviendra l'un des kamikazes au Bataclan le

Le juge Trévidic, voix un peu émue : "Après ce qui s’est passé, ce massacre au Bataclan, on peut que regretter de pas l’avoir mis en prison". Car Samy Amimour avait été placé sous contrôle judiciaire, qu'il avait enfreint ensuite et était parti en Syrie...

Le juge Trévidic : "Ces jeunes parfois on les mettait en prison, parfois on le mettait pas". Il précise que ce n'est pas lui qui avait fait l'interrogatoire de S. Amimour mais un de ses collègues.

Le juge Trévidic : "Samy Amimour, je l'ai pas connu, je ne cherche pas d'excuses, c'est moi qui ai validé son contrôle judiciaire" Il précise qu'à l'époque, la prison n'était pas non plus idéale pour ce type de profils. Et qu'il n'y avait pas de bracelet électronique

Le juge Trévidic rappelle que le bracelet électronique n'évite pas tout. "On a vu ce qu'il s'est passé avec le père Hamel" assassiné entre autres par un radicalisé sous bracelet électronique. En 2016.

Puis le juge Trévidic raconte "l'appel de la Syrie. Tout le monde est parti. J'avais jamais vu ça".

Le juge Trévidic parle comme un livre. Il est la mémoire vivante de ces années du terrorisme islamiste. Son discours est limpide, passionnant. Toujours le même silence recueilli dans la salle d'audience. Y compris dans le box. Les accusés le regardent et l'écoutent.

Marc Trévidic parle de ce qu'on a appelé "Artigat 2", "tous ceux que j'avais eus en 2007 sont sortis de prison. Ils se réunissent à nouveau, ils connaissent tout, on met des micros dans les voitures, clairement, ils se foutent de nous dans les micros et les enlèvent"

Marc Trévidic décrit "l'impossibilité de traiter tous ces départs" vers la Syrie et même les retours dont ils se rendent compte après coup. Services de police et de justice sont dépassés. "On ne contrôle plus rien"

Et la menace augmente. Marc Trévidic : "On sait qu'on nous en veut. On a tous les signaux au rouge. Les enquêteurs sont dans le même état que les juges, on sait qu'on va avoir des attentats et on peut rien faire"

Et Marc Trévidic dit que si certains attentats échouent c'est grâce à "la chance, Ghlam se tire dessus", ou le Thalys, des voyageurs neutralisent le tireur.

Marc Trévidic : "En août 2015, je reçois Reda Hame, il va parler très franchement, il dit j'ai accepté la mission pour pouvoir déserter et va décrire la situation, les attentats en France, je dois attendre les consignes"...

Marc Trévidic : "Tout n'était pas clair, c'était bizarre la rapidité avec laquelle Abaaoud l'avait renvoyé". Abaaoud qui avait missionné ce djhadiste pour frapper une salle de concert. C'était donc en août 2015.

Marc Trévidic : "Après, moi, je ne sais pas ce qu'il s'est passé, j'ai terminé le 15 août" 2015 conclut le juge Trévidic, la gorge serrée.

Après, en septembre 2015, on l'avait envoyé pour un nouveau poste. Les affaires familiales à Lille. Ce qu'il ne dit pas à la barre. Il est aujourd'hui à Versailles. Mais depuis 7 ans ne s'est jamais caché de sa passion pour la matière terroriste, qu'il a donc quittée à regret.

Le président Périès a une unique question pour le juge. Marc Trévidic : "On sait que Abaaoud veut taper la France et la Belgique. Il aurait fallu avoir des mesures radicales franco-belges, avoir une politique commune antiterroriste, quelque chose de très puissant"

Marc Trévidic rappelle qu'on "a toujours l’idée qu’ils sont très mauvais et que nous on est très bons. Il y a une déloyauté vis-à-vis des Belges. Quand on voit qu'Abaaoud se retrouve à St-Denis, c'est qu'on a pas été très bons non plus..."

Marc Trévidic : "Je crois que tout le monde était noyé, on n'a pas pu prendre des mesures draconiennes pour régler ce problème franco-belge. On ne peut pas non plus bloquer l'autoroute du Nord avec tous ses camions pour des contrôles massifs"...

La 1ère assesseure a une question sur la radicalisation d'Amimour. Son père à la barre, avait dit qu'il ne l'avait pas perçue. Vrai ? demande la magistrate à Marc Trévidic ?

Marc Trévidic : "Moi j’arrive pas à rentrer dans la tête des gens. Ce serait super !" Il rit, d'un petit rire qui revient souvent entre ses phrases. "Mais je me suis toujours astreint à jauger avec des critères objectifs" dit le juge.

Le juge Trévidic donne un exemple de critère objectif : "Une personne qui a coupé des têtes à Raqqa a plus de chances d’être dangereuse qu’une personne qui n'a jamais touché une arme". Il dit aussi qu'il y a les intelligents et les autres, ceux qui dissimulent...Marc Trévidic sur les départs en Syrie, puis les attentats de 2015 : "Tout est lié à l’inadéquation des moyens par rapport à la menace à un moment donné"

Une autre magistrate l'interroge sur cette "organisation terroriste très structurée en amont mais qui a commis quelques ratages au moment de passer à l'acte"

Marc Trévidic : "J’ai connu l’époque Al Qaïda et EI, ça n’a rien à voir. Al Qaïda, des cours de taqya, des agents dormants, ils passaient tous par Londres. Hors de question de prendre des femmes, des mineurs. C’était pas la même catégorie de mon point de vue"

Marc Trévidic : "L’#EI a ouvert les vannes totalement. Ils ont dit vous pouvez tous venir". Certains, "on en rirait presque, l’un dans mon bureau était arrivé à Raqqa avec une cigarette et s'était pris un coup de bâton" !

Le juge Trévidic se souvient de tous ceux qui étaient partis à Raqqa et ont voulu déserter aussitôt. Dont cet homme, mais "quand il a voulu déserter, sa femme lui a tiré dessus"

Le juge Trévidic note "le côté bravache" de tous ceux qui sont partis rejoindre EI "Moi, j’ai jamais vu quelqu’un d’Al Qaïda se mettre sur Facebook et dire Coucou, c’est moi !" Ce qui était donc le cas de tous ceux qui se photographiaient kalach à la main.

Ce côté bravache, c'était aussi pour dire "on brûle nos passeports, on ne reviendra pas" Le juge Trévidic estime que clairement, EI et Al Qaïda, "pas du tout la même mentalité"

En une phrase, le juge Trévidic résume les djihadistes qui sont partis en Syrie rejoindre EI : "Ils ont été formés à l’émotion de la vidéo", pas dans les livres (comme Al Qaïda).

Le juge Trévidic note une autre différence. EI donnait l'impression de pouvoir envoyer indifféremment plusieurs djihadistes frapper, se moquant de l'attentat manqué. Si ça rate, on en envoie un autre frapper dans l'esprit d'Abaaoud, dit Trévidic.

Alors que c'était pas le cas d'Al Qaïda, "avant le 11 septembre" on choisit les terroristes qui vont partir frapper. Autrement selon le juge Trévidic.

Le juge à qui une avocate de parties civiles, Virginie Leroy demande si la police a laissé partir volontairement des djihadistes en Syrie en 2013-2014... Le juge, embarrassé, se souvient que les policiers disaient qu'ils n'arrivaient pas à retenir les velléitaires.

Du coup, le juge Trévidic a pu entendre dire : "On a qu'à les laisser partir, on les tuera là-bas avec des bombardements, moi je trouvais pas ça très sympa pour les populations locales"

L'avocate l'interroge sur Samy Amimour, kamikaze du 13 Novembre, qui a donc enfreint son contrôle judiciaire. On ne s'est pas inquiété avant qu'il ne parte ? Le juge Trévidic rappelle qu'à l'époque, il n'y avait pas eu d'attentats, on ne s'inquiétait pas au moindre non-pointage.

Et puis le juge rappelle que dans les maisons d'arrêt, il y avait aussi beaucoup de radicalisation. Radicalisation extrême, même. Marc Trévidic : "J'ai vu des gens préparer des attentats en prison avec un téléphone portable"

L'avocate l'interroge sur Reda Hame qui en août 2015 disait qu'il était missionné pour frapper une salle de concert et attendre les forces de l'ordre et faire le plus de morts possibles. Ce qu'il s'est passé le 13 Novembre au Bataclan

L’avocate : "Reda Hame c’est la dernière mise en examen que vous allez faire, en août 2015. Et en 2009, le Bataclan avait été évoqué comme une cible entre le dossier de Farouk Ben Abbes. Est-ce que le lien aurait été possible ? Et qu’est-ce qu'il aurait pu être fait?"

Marc Trévidic : "Je ne me souvenais pas en août 2015 que le Bataclan avait été cité par Farouk Ben Abbes. Moi, quand il [Reda Hame, ndlr] a dit ça, j’ai discuté avec la DGSI : “il y a Rock en Seine bientôt, il faudrait peut-être regarder de ce côté-là".

Et puis le 2 septembre, le juge Trévidic prend donc son poste de juge aux affaires familiales à Lille. "Donc j’étais un peu démobilisé. Et je ne sais pas ce qu’il s’est passé après"...

Marc Trévidic : "Je sais que la DGSI voulait se faire passer pour Reda Hame auprès d’Abaaoud. C’était leur projet. Mais je ne sais pas ce qu’il s’est passé après"...

Le juge Trévidic a une question que commence à poser Me Mouhou, avocat de parties civiles. Me Mouhou qui commence par dire "on redescend sur terre", sans qu'on ne comprenne pourquoi, et il se met à poser une question qui dure depuis plusieurs minutes sans qu'on ne la comprenne...

Le président Périès finit par l'interrompre. "Je la contextualise", rétorque Me Mouhou. Le président, air las : "On avait remarqué, oui"

Me Mouhou demande au juge s'il n'a pas eu une certaine "naïveté", par exemple sans mettre Amimour en prison ? Marc Trévidic : "C’est dur pour un juge de se dire je vais mettre tout le monde en prison, je vais pas analyser tous les cas individuels"

Marc Trévidic : "Avec tout ce qu’il s’est passé, évidemment que je regrette de ne pas avoir mis en prison Samy Amimour"

Me Olivier Morice, autre avocat de parties civiles, se lève à son tour : "Ce que nous avons entendu aujourd'hui est exceptionnel parce que vous n’avez pas eu peur de protéger une institution ou les institutions"

Me Olivier Morice : "Sur  France Inter le 22 novembre 2015, vous disiez, il y a des failles, c’est évident, sinon il n’y aurait pas eu un attentat de cette ampleur", alors pourquoi si difficile pour l'Etat de le reconnaître ?

Marc Trévidic : "C'est avouer son échec" Le juge, qui à la barre, n'a pas eu de mal à reconnaître le sien avec Amimour. En expliquant ses choix et leurs raisons.

Marc Trévidic interrogé sur la taqqya, cette technique de dissimulation, la ruse, utilisée par des terroristes.

Marc Trévidic rappelle qu'il y "a eu des cours de taqqya dans les camps d'Al Qaïda pour apprendre à vivre comme un mécréant"

Marc Trévidic : "La taqqya c’est une technique logique pour vivre dans la société avant de passer à l’action. Devant un juge, j’appelle ça mentir"

Le juge Marc Trévidic, lucide : "Une cour d’assises ou un tribunal correctionnel, c’est aussi le lieu du mensonge".

Le juge Trévidic qui après avoir été procureur, puis juge d'instruction antiterroriste (jusqu'en août 2015), puis juge aux affaires familiales à Lille, est aujourd'hui président de cour d'assises en région parisienne.

Le juge Trévidic : "On a cette question, en matière de terroriste, est-ce qu'on peut être convaincu par la cause et en dehors quand même des actes ?" En réponse à

@NoguerasXavier sur l'évolution de l'infraction de l'association de malfaiteurs terroriste (AMT).

@NoguerasXavier: "Y a clairement un avant et un après Merah. On peut aujourd'hui à 30 années de réclusion criminelle une personne simplement en estimant qu'elle ne pouvait ignorer la radicalisation"...

Rappelons que Mohamed Merah avait assassiné 7 personnes lors de trois attentats à Toulouse et Montauban en tirant seul. Mais son frère Abdelkhader avait été jugé pour complicité. Un autre homme qui avait vendu les armes aussi jugé et condamné.

Pour l'infraction de l'association de malfaiteurs terroriste, la question est de savoir si des complices quand il y en a connaissaient le degré de radicalisation du terroriste. Dans le procès des attentats de janvier 2015, plusieurs accusés ont été acquittés pour ce T de AMT.

Certains accusés avaient été reconnus coupables d'association de malfaiteurs pour des armes fournies mais pas association de malfaiteurs terroriste car on n'a pas prouvé leur connaissance des attentats.

Et en conclusion,  @NoguerasXavier remercie "beaucoup beaucoup" le juge Trévidic qu'il connaît bien. Le juge qui reçoit plein de mercis dans cette salle d'audience.

@MeJonathanDeTa1 lui demande s'il estime normal que des témoins  à Paris soient prévenus dans un procès belge Paris Bis. Marc Trévidic aurait milité pour un procès unique. "Mais peut-être que les parties civiles n'auraient pas été d'accord" avait dit le juge Périès.

Me Méchin a une question : tous les membres d'un groupe criminel sont-ils forcément radicalisés si projet terroriste ? Ce qu'affirmait hier un témoin. Marc Trévidic a vu des délinquants de droit commun faire des braquages avec des radicalisés et "chacun prend sa part du butin".

Marc Trévidic qui ajoute que ce n'est pas écrit terroriste sur la tête des gens ! Et qui donne l'exemple d'un délinquant "avec ses Ray Ban et ses commerces et qui était pourtant fortement radicalisé"

Le juge Trévidic interrogé par une autre avocate de la défense, Me @MeArabtigrine. Question compliquée. Il répond de manière limpide.

Marc Trévidic : "Quand un meurtrier tue, il peut nier, mais il sait que c'est mal. Quand un terroriste tue, il pense que c'est juste".

Olivia Ronen, avocate de Salah Abdeslam se lève. Le juge Trévidic lui répond : "Je sais très bien qu’il y a beaucoup de familles endeuillées qui peuvent estimer qu’on a été naïfs. Mais on n'a pas eu de prisonniers en tenue orange" (comme à Guantanamo).

Le juge Trévidic : "C’est le drame de l’antiterrorisme, en 2000 on disait il y aura zéro attentat, comme si on pouvait éviter tous les vols, les meurtres ! C’est un leurre".

Le juge Trévidic : "Disons la vérité, ces jeunes terroristes utilisent aussi la violence politique. Il y a des guerres dégueulasses dans le monde".

Le juge Trévidic : "On ne peut pas limiter tout risque".

Le juge Trévidic : "Sinon, on est prisonnier de nous-mêmes".

Le juge Trévidic : "La justice c’est l’art de l’équilibre. Il faut savoir punir justement".

Le juge Trévidic que l'avocate de Salah Abdeslam remercie "beaucoup pour cette déposition". Le président Périès conclut avec un bref merci. Marc Trévidic quitte la barre d'un pas rapide. Il sera resté plus de 3 heures 30 durant lesquelles la salle aura été captivée.

Et pendant que la pause se poursuit et est sur le point de s'achever, l'accusé Mohamed Abrini est finalement venu s'installer dans le box. Le box qu'il boudait depuis hier, mais le président Périès l'avait incité à "changer d'avis pour la 2e partie d'après-midi"

La cour va maintenant entrer en visio avec des djihadistes condamnés dans d'autres procès et tous liés à Abdelhamid Abaaoud.

Président Périès : "On va tout de suite se mettre en relation avec la prison de Lille" Et on voit une image de pièce en visio. On attend que le détenu Bilal Chatra apparaisse.

Bilal Chatra est "l'éclaireur" algérien qui avait ouvert la voie à Abaaoud à l'été 2015 par la route des Balkans. Il avait été arrêté. A été condamné en 2020 dans le procès de l'attentat du Thalys perpétré à l'été 2015. Condamné à 27 ans de réclusion criminelle.

Et Bilal Chatra vient s'asseoir sur une chaise. On le voit tout flou. Le président Périès se fâche et d'un ton très autoritaire contre les surveillants de prison : "c'est pas possible, on le distingue à peine !"

Le président Périès, las : "Bon, ben on va faire comme ça. Bonjour Monsieur. Veuillez indiquer à la cour vos nom, prénom, domicile, svp" "Chatra Bilal" dit le jeune détenu avec un accent.

On le voit tout flou. Les surveillants n'ont pas réussi à corriger l'image. Mais on distingue sa jeunesse. Visage imberbe. Veste de survêtement. Mains dans les poches. Bilal Chatra est assis sur une chaise dans une pièce de couleur mauve, prison de Lille. #13Novembre

Le président Périès lui demande de parler avec franchise. "J'ai rien à dire, je garde silence" dit Bilal Chatra. Le juge : "Vous voulez pas répondre aux questions, c'est ça ?" Bilal Chatra : "Oui"

Le président Périès tente quand même de lui poser une question, lui demande s'il peut parler d'accusés de ce procès  qu'il aurait rencontrés en Syrie ? Mais Bilal Chatra répète qu'il n'a "rien à dire"

"Bon ben j'ai plus de question alors !" convient Jean-Louis Périès. Une avocate de parties civiles, Me Rimalhlo pose à son tour une question sur Abaaoud. Bilal Chatra n'a rien à dire. Il le répète.

Elle lui demande quand même s'il a rencontré Mohamed Abrini (revenu dans son box pour écouter donc) en Turquie. "Non", dit Bilal Chatra.

Elle tente d'autres questions. Bilal Chatra : "Je ne réponds à aucune question"

Jean-Louis Périès, ironique : "Merci monsieur pour toutes ces précisions !"

Et on coupe la visio et Bilal Chatra disparaît de l'image.

Et le président Périès annonce que Reda Hame, que l'on devait aussi entendre, ne veut pas de visio. "Il est malade, quelque chose de ce goût-là" commente le magistrat.

Et commence la visio avec Ayoub El Khazzani, "3-9-89" dit-il pour sa date de naissance. Il apparaît tee-shirt blanc sous une chemise de jean clair ouverte. Il porte une barbe, cheveux tirés en arrière. Il a été condamné pour l'attaque dans le Thalys en août 2015. Il a fait appel

Il parle avec un fort accent. Ayoub El Khazzani, marocain, a été condamné à la réclusion criminelle à perpétuité pour l'attentat du Thalys

Le président lui pose de courtes questions sur son domicile avant la détention. Il sourit. Puis très vite, annonce : "Déjà, je veux pas répondre aux questions. C’est pas contre vous, mais j’ai un autre procès en novembre, je veux pas répondre, désolé"

Reda Hame, lui, ne sera jamais entendu devant cette cour. Le président Périès annonce un manque de temps et tous les avocats de parties civiles et défense sont d'accord pour passer outre cette déposition. Personne ne veut retenter de l'appeler en visio plus tard.

On attend le dernier témoin du jour : Nicolas Hénin, journaliste, qui a fait partie de ceux qui couvraient la guerre en Irak pour @radiofranceen 2003. 10 ans plus tard, il a été otage de Daech en Syrie Parmi ses geôliers, des terroristes liés à la cellule du 13 Novembre

Nicolas Hénin arrive à la barre, costume-cravate. Il a marché en se tournant vers les avocats et le box des accusés.

Président : "Connaissiez-vous les accusés avant ?" Nicolas Hénin : "Je ne suis pas sûr".

Nicolas Hénin : "Je vais expliquer les raisons de ma présence. J'ai été pendant une grosse quinzaine d'années reporter de guerre, d'abord en Irak, puis j'ai couvert les printemps arabes. Et je me suis rendu en Syrie"

Nicolas Hénin : "C'est lors de mon 5e reportage en Syrie que j'ai été pris en otage par l’EI dans la ville de Raqqa en juin 2013. J’ai été retenu au côté de trois autres journalistes français. Nous sommes restés 10 mois en captivité".

Nicolas Hénin : "Après ma libération, j’ai décidé de quitter le journalisme et je me suis engagé dans la lutte contre le terrorisme et la radicalisation".

Nicolas Hénin @N_Henin:  "Je voudrais revenir sur ce qu’est une prise d’otage. Lorsque vous êtes otage, vous avez en quelque sorte une vision trou de souris. Il faut imaginer que vous voyez comme à travers un judas le groupe qui est autour de vous".

Nicolas Hénin : "Un peu comme si Daech au moment où il nous détenait, avait eu une webcam avec une focale extrêmement serrée qui les aurait suivis, écoutés. Parfois on n’avait pas le son, parfois on n’avait que le son. Nous ne voyions qu’une petite partie des activités du groupe"

Nicolas Hénin : "La focale était serrée mais la permanence était là. C’était 24h sur 24, tous les jours, pendant dix mois".

Nicolas Hénin : "Je suis donc là pour vous parler principalement de cette détention, pour vous donner du contexte. Le procès de notre enlèvement devrait se tenir l’année prochaine et je ne voudrais pas excessivement déflorer mon propos".

Nicolas Hénin : "Je voudrais vous dire ma conviction que nous avons assister à la gestation de la cellule OPEX du groupe EI qui allait mener les attentats en Europe".

Nicolas Hénin : "Au départ, cette cellule Opex de l’EI était partie comme une cellule de kidnapping. Je voudrais donc vous parler de ce groupe qui a capturé au total 24 otages. 19 hommes et 5 femmes dans la pièce à côté".

Nicolas Hénin : "Nous avons un petit noyau de 12 personnes qui se sont retrouvées à faire la jonction entre notre prise d’otages et la vague d’attentats qui a suivi. Parmi ces 12 personnes, 2 vétérans français : Boubakeur El-Amni et Oussama Atar"

Nicolas Hénin : "Il y avait des Britanniques, surnommés les Beatles dans les articles de presse. Nous avions aussi deux notables locaux : Abou Loqman, émir de la sécurité, l’Amni, et qu'entre otages, nous surnommions Number One. Et moi je l’avais surnommé Abou montre d’or."

Nicolas Hénin : "Le deuxième local c’était Abou El-Adnani qui était à la fois le porte-parole de l’EI et son ministre de la propagande. Et, j’en ai la conviction, il a également été nommé ministre des attentats. Car il y a un lien ténu entre propagande et attentats."

Nicolas Hénin : ""Cette cellule est née d’un sous-groupe qui s’appelait la Liwa As-Sadiq. Oussama Atar, je l’ai vu principalement à l’hiver 2013-2014 notamment lors du grand transfert des otages depuis Idlib vers Raqqa".

Nicolas Hénin : "Je me suis retrouvé à l’arrière d’un pick-up. A l’avant, à la place du conducteur, Oussama Atar. Et à côté de lui, Abou Idris : Najim Laachraoui". Laachraoui, artificier des attentats, Oussama Atar, commanditaire.

Nicolas Hénin : "Ce qui est marquant à propos d’Oussama Atar, c’était sa volonté de se dissimuler. La première nuit j’étais le seul otage francophone et donc je me suis retrouvé dans une nuit de dialogue avec Najim Laachraoui. Et Atar faisait mine de ne pas comprendre"

Nicolas Hénin : "Il y a juste à une ou deux occasions que j’ai compris qu’il parlait français parce qu’il réagissait immédiatement à ce que je venais de dire sans que Najim Laachraoui ait le temps de prétendre lui traduire".

Nicolas Hénin : "Ces deux nuits ont été une plongée assez vertigineuse dans l’idéologie du groupe". Silence, et il ajoute : "Ça a été un moment d’échange privilégié".

Nicolas Hénin: "Nous étions menottés, les yeux bandés. Il y a eu 2 incidents. Le 1er : une grave crise nerveuse de mon co-otage John Cantlin qui a perdu connaissance car Najim Laachraoui a exercé une forte pression psychologique sur John qui a hyperventilé et perdu connaissance".

Nicolas Hénin : "Et puis, il y a eu un gros choc. La voiture a freiné brusquement. Oussama Atar a échangé en arabe avec Najim Laachraoui. C’était quoi ? C’était un gosse. Je m’arrête ? Non t’en fais pas, il est mort."

Nicolas Hénin : "En traversant un village en trombe avec notre voiture de nuit, nous venions de tuer un enfant". A la barre, le reporter de guerre parle d'une voix émue.

Dans le box, certains accusés semblent moins attentifs que pour le juge Trévidic. Yassine Atar, lui, fixe Nicolas Hénin. Yassine Atar qui est le petit frère d'Oussama Atar, considéré comme le commanditaire du 13 Novembre

Nicolas Hénin parle de l'un de ses geôliers, Salim Benghalem, Français. "A chaque fois que nous étions transférés dans une cellule, il venait installer un ventilateur".

Nicolas Hénin : "Il était féru de ventilateurs. De fait, nous étions, contre notre gré, assez entassés et avions difficilement accès à des facilités sanitaires. Et dans nos cellules improvisées, régnait une méchante odeur".

Le président Périès redemande à Nicolas Hénin s'il connaît des accusés ou pas. Au début, il a dit "je ne suis pas sûr"

Nicolas Hénin regarde des noms d'accusés sur une feuille. Puis il se tourne vers le box. "Euh", dit-il. Le président insiste. "Vous avez parlé de Krayem, vous l'avez vu là-bas ?" Le journaliste : "Je ne pense pas"

Nicolas Hénin : "Mais cela dit, pendant deux mois, à l’hôpital ophtalmologique, nous avons rencontré beaucoup de djihadistes francophones qui parlaient un français sans accent. Que nous avions pensé comme étant soit Français soit Belges"

Président : "Qu'est-ce que vous pouvez nous dire de vos conditions de détention ?" Nicolas Hénin : "Ces 10 mois à attendre la mort était une forme de torture"

Nicolas Hénin explique qu'il savait très bien, en étant journaliste dans cette région, ayant couvert des kidnappings se terminant par des exécutions, qu'il risquait d'être lui aussi exécuté.

Nicolas Hénin : "Sur les 24 otages, nous avons tous été frappés, violentés, avec plus ou moins de sophistication. Depuis les simples coups de poings, de pieds, jusqu’à des instruments : des câbles, des chaînes, des matraques".

Nicolas Hénin : "A peu près un tiers d’entre nous ont été torturés de façon intensive, au point de rester physiquement marqués : des cicatrices importantes, ce genre de choses".

Nicolas Hénin : "Moi-même, j’ai eu droit à quelques séances de torture assez sophistiquées à l’issue d’une tentative d’évasion au tout début de ma captivité, qui m’ont laissé handicapé pendant plusieurs mois".

Nicolas Hénin : "Leur objectif principal était de nous casser physiquement et moralement. De nous briser".

Nicolas Hénin : "Il y a eu 9 otages exécutés. Ils nous ont forcés à regarder des photos de notre co-otage exécuté, des photos en gros plan de sa tête perforée par une balle. Et ils ont envoyé cette photo par courrier électronique à mon épouse, de façon à faire pression sur elle"

Immense silence dans la salle d'audience. Nicolas Hénin : "Par chance, ce courrier électronique ne lui est jamais parvenu".

Nicolas Hénin : "La plupart de nos geôliers étaient relativement discrets sur leur parcours, leur visage. Pour un certain nombre d’entre eux, je ne les ai vus que masqués".

Nicolas Hénin : "Autant Mehdi Nemmouche tenait clairement à profiter de la présence de journalistes français en Syrie à ses côtés, qu’il y ait quelqu’un qui puisse plus tard venir témoigner de son parcours".

Nicolas Hénin : "A plusieurs reprises, il nous a lancé : “hey, tu seras partie civile à mon procès, tu viendras à la cour d’assises”. Il nous provoquait sur ce plan-là. Lui, il venait clairement pour se faire voir avant de commettre une attaque en Occident".

Nicolas Hénin : "Najim Laachraoui -artificier du 13 Novembre- était vraiment un personnage surprenant, extrêmement convaincu, tordant pas mal le cou aux réalités"

Nicolas Hénin: "Laachraoui ne nous maltraitait pas, n’a jamais porté la main sur aucun de nous, nous donnait même du rab de nourriture alors qu’il y a clairement des périodes où nous étions sous-nutris. Il cherchait à se positionner comme quelqu’un de positif, presque généreux".

Nicolas Hénin : "Pendant le transfert, il m’avait donné une barre chocolatée. C’est la seule fois en dix mois où je mangeais du chocolat. C’est la personnalité complexe de Najim Laachraoui, capable de la pire des violences comme lorsqu’il s’est donné la mort".

Rappelons que Laachraoui, artificier, est mort en kamikaze le 22 mars 2016 à Bruxelles dans les attentats.

Nicolas Hénin : "Il y a eu une phase où Mehdi Nemmouche venait très souvent nous faire des quizz pour s’amuser, pour nous tester. Et Laachraoui a ponctuellement contribué à ces quizz avec des questions scientifiques".

Me Seban demande à Nicolas Hénin s'il était entravé. "La plupart du temps non, mais on a passé 1 mois et demi menotté deux par deux"

Nicolas Hénin : "Heureusement, parmi les otages, il y avait quelqu’un qui avait eu une vie antérieure etqui savait confectionner des clés de menottes avec un objet du quotidien"

Nicolas Hénin : "Ça nous permettait, sinon de passer trop de temps détachés parce que les geôliers pouvaient surgir à tout moment, mais au moins donner un petit peu de mou à nos poignets"

Me @Gerard_Chemla souligne qu'il a été très "pudique" sur ses conditions de détention. Nicolas Hénin : "Nous avons passé 10 mois à dormir sur le sol nu, parfois du parquet mais souvent du ciment ou du carrelage"Nicolas Hénin : "Et on ne sait pas combien de temps ça va durer et on ne sait pas quelle sera la fin. Sachant que les deux issues sont possibles, comme l’a montré l’assassinat de mes co-otages".

Nicolas Hénin : "L’action de cette cellule que je vous ai décrite a été détestable, avant tout pour la Syrie. Car suite à cette série d’enlèvements, on n’a plus eu de journaliste se rendant en Syrie. On n’a plus eu non plus d’humanitaire. Et ça c’est triste".

Nicolas Hénin : "Au-delà des souffrances que ce groupe m’a fait vivre personnellement, a fait vivre à nos familles parce que derrière chaque victime, il y a une famille qui souffre et qui souffre d’autant plus que l’attente est longue".

Nicolas Hénin : "Et au-delà, la première injustice, le premier méfait et les premières victimes qu’ils ont faite c’est la population syrienne qu’ils ont privé de journalistes et d’humanitaires".

Ainsi s'achève la déposition de Nicolas Hénin, que le président de la cour remercie. Il quitte la barre. Plusieurs familles endeuillées viennent lui parler à quelques mètres du box des accusés.

Fin de cette 118e journée.

Jour 119–Mercredi 4 mai – Audition des survivants du Stade de France et des terrasses

Bonjour à tous, C'est aujourd'hui le 119e jour d'audience et le début de dix jours de nouvelles auditions de parties civiles. Aujourd'hui, la cour doit ainsi entendre des survivants du Stade de France et des terrasses. 90 victimes sont attendues dans les dix prochains jours.

L'audience débute. Avant les premières auditions de parties civiles, "nous avons des conclusions" indique le président avant de donner la parole à un avocat, Me Louis Mary. "Je vous demande de faire entendre Manuel Valls et Jean-Yves Le Drian"

Me Mary : "en tant que Premier ministre de l'époque, je demande que Manuel Valls puisse nous éclairer sur la situation et sur des points de vue précis, notamment que monsieur Valls aurait privilégié un service de police plutôt que de gendarmerie pour intervenir" le 13 Novembre

Camille Hennetier, avocate générale répond à cette demande : "il nous apparaît que la cour a été suffisamment informée avec les auditions de François Hollande et Bernard Cazeneuve et qu'à ce titre ces auditions ne nous paraissent pas être utiles à la manifestation de la vérité"

En défense, l'une des avocates de l'accusé Ali El Haddad Asufi ajoute, pour s'opposer elle aussi à cette demande, que les points évoqués par l'avocat de partie civile "ont déjà été évoqués devant la commission parlementaire". Même opposition pour l'avocate de Mohamed Abrini.

Le président indique qu'il rendra sa décision sur ces demandes de nouvelles auditions "dans le courant de la semaine". Place à l'audition de la première partie civile, Gabriel, survivant du Stade de France.

Gabriel : "le soir du 13 Novembre 2015, je me trouvais au café Events. J'entends une détonation et 5 minutes plus tard, je vois que ça s'agite, il y a du bruit. J'essaie de voir ce qu'il passe. Puis je me lève et me retrouve nez à nez avec un couple qui dit : "il y a une bombe"

Gabriel sort et "je vois un corps par terre, allongé. Je suis parti du principe que c'était une bombe agricole parce que j'ai l'habitude d'aller au match. Puis, je me suis dirigé vers la porte H : 2e détonation. Là, je n'ai pas cherché à comprendre, j'ai commencé à courir."

Gabriel : "j'ai commencé à paniquer. Je suis tétanisé. Pour moi, des attentats à Paris c'était quelque chose de peu probable. Pendant que je suis pris d'angoisse, je vois un homme noir, comme moi, qui me demande où se situe l'autoroute A1. Puis, troisième détonation."

Gabriel : "ma mère est venue me récupérer aux alentours de minuit. Durant tout le trajet, j'ai repensé à la soirée. Parce que j'étais parti pour regarder un match de football, chose que j'ai l'habitude de faire."

Gabriel : "Pourquoi je suis venu témoigner ? Parce qu'avant ce là, j'ai l'impression qu'il y a eu des manifestations, même si juridiquement ce ne sont pas des preuves tangibles et palpables."

Parmi les "manifestations" observées dans la journée du 13 Novembre, Gabriel explique qu'il connait "le 11e arrondissement comme sa poche, j'ai fait des livraisons au Bataclan et une semaine avant, j'ai croisé une femme qui s'appelle Sylvie et qui m'a demandé mon téléphone"

Président : "vous avez été blessé ?" Gabriel : "physiquement non, mais par rapport à la détonation, il y a un choc. - vous étiez à quelle distance ? - je ne peux pas le dire - vous avez vu l’explosion ? - j'ai vu la fumée - les 2 autres explosions vous avez vu - j'ai rien vu

Le témoignage suivant est celui d'Amalie, danoise, qui n'est pas présente mais dont l'avocat lit le témoignage écrit : "aujourd'hui encore, il est difficile pour moi de parler du 13 Novembre 2015 par rapport aux fortes émotions mais aussi parce que ma mémoire est fragmentée"

Amalie explique dans sa lettre qu'elle était en année Erasmus et passait la soirée avec une amie, Justine Moulin. "Je suis sortie et tout avait changé, j'ai retrouvé Justine allongée au sol, la bouche ouverte. J'ai alors découvert une grande blessure au niveau de son estomac".

Amalie explique avoir été "désorientée". Elle reste dans les toilettes du Petit Cambodge, est recueillie par un couple. Avant de "rentrer chez moi, dans ma chambre de bonne du 9e arrondissement."

Le témoignage suivant est aussi lu par son avocat. Il s'agit de Chloé, "qui se marie samedi et pour qui il était difficile de venir". "Je suis allongée par terre comme tous les gens venus au Petit Cambodge. J'ai vu à travers mes paupières fermées l'ombre de cet homme armé".

Dans sa lettre Chloé explique : "je relève ma tête tout doucement, balaie la scène d'horreur. Mon regard s'arrête sur la tête d'une femme, je comprends immédiatement : elle est morte. Je comprends alors que la peur que j'ai vécue les yeux fermé était réelle."

Chloé dans sa lettre : "nous savons que nous sommes en vie, l'un de nous est blessé mais à ce moment, il est inimaginable qu'il en soit autrement. A 4 pattes, je me rapproche vers le mur du fond pour attraper mon sac. Mon premier appel est à ma soeur qui garde ma fille de 6 ans."

Chloé dans sa lettre : "mon 2e appel est au 18. Les pompiers me répondent avoir été prévenus et qu'ils vont faire leur possible. Je vais faire les gens, blessés ou choqués. Je décide de rappeler les secours. L'opérateur est paniqué : "on est au courant mais ça pète partout."

Chloé : "les pompiers arrivent. Je perçois furtivement le réconfort d'être enfin sous protection. Un pompier me posait des questions sur Romain, il dégoulinait de sueur. Romain était jusque-là plutôt bien. Mais son visage a commencé à changer : à pâlir, à verdir même."

Chloé dans sa lettre : "les pompiers nous disent de bien gérer l'oxygène parce que tout le monde n'en a pas. L'idée est difficile à accepter. De toute façon, à ce moment-là de la soirée, cela commence à faire beaucoup."

Chloé : "ce que j'ai vécu ce soir-là et puis tout la nuit, à l'hôpital, près de Romain. Puis par terre, toute seule, dans le noir, près de la machine à café avec nos affaires ensanglantées m'a blessée. Mais paradoxalement, je me sens plus forte. Je n'oublierai jamais."

Cécile, survivante du Petit Cambodge, s'avance à la barre. Sa cousine se place à ses côtés, elle était avec elle ce soir-là. "Ce vendredi soir, je retrouve ma cousine. C'est la première personne à qui j'annonce ma grossesse. J'ai 29 ans, je suis enceinte de 3 mois."

Cécile : "ce soir-là, je lui demande aussi d'être le témoin de mon mariage. C'est une soirée pleine de joie, nous décidons d'aller dîner au Petit Cambodge. Nous sommes stoppées par une scène que nous n'arrivons pas à déchiffrer immédiatement. Je crois être restée figée."

Cécile : "on court, on marche, on s'interroge : "qu'avons-nous vu exactement ?" En bas de la rue de la Fontaine au roi, scène différente mais tout aussi incompréhensible : des corps en terrasse de la Bonne Bière. J'ai l'impression d'être revenue à la 1ere scène du Petit Cambodge."

Cécile, très émue : "le son des détonations me réveilleront longtemps durant mes nuits. Cette fille poussant son vélo et qui est tombée au sol et toutes les personnes du Petit Cambodge resteront longtemps ma 1ere pensée au réveil."

Cécile : "notre fille est née, toutes les questions ont été balayées. Nous avons eu un 2e enfant. La culpabilité de m'être enfuie, de n'avoir rien fait pour les personnes qui avaient besoin d'aide, ne m'a jamais quittée. S'ajoute celle de me sentir de mauvaise compagnie."

Cécile : "je n'ai jamais parlé à mes enfants du 13 Novembre. Dans le livre reçu pour la naissance de ma fille, dans la rubrique des premiers éléments marquants de l'enfant, j'ai écrit un mot sur ce soir-là. Je ne l'ai jamais relu. Le procès me refait penser aux attentats."

Cécile : "je n'ai que peu parlé de cette soirée ..." Elle s'interrompt dans la lecture de son témoignage. On devine que sa cousine à ses côtés lui propose de poursuivre la lecture à sa place. Mais elle fait non de la tête."

Natacha, qui se trouvait à proximité du Petit Cambodge ce 13 Novembre s'avance à la barre. Elle explique avoir grandi près du Cité, raconte la délinquance, le banditisme aussi. Et dit à propos de ces personnes-là : "ils ont fait leur choix. Nous, nous n'avons pas eu le choix"

"Comment avez-vous pu nous imposer ça ?" interroge Natacha pendant son témoignage. Elle retrace son parcours, ses études à New York, le 11 Septembre 2001 : "on a tout vu. Les tours en feu. Puis, tout s'est écroulé".

Natacha explique être rentrée en France avec ses deux filles, séparée de son mari. Elle s'installe dans le 11e arrondissement, "à deux pas du Petit Cambodge, j'habite toujours là, je déteste cet endroit, j'en souffre énormément".

Le 13 Novembre 2015, Natacha arrive au Petit Cambodge pour prendre un dîner à emporter : "une voiture a pilé fort. Et puis, il y a eu des pétards, plein. Il y a eu des boules de feu. J'ai été percutée par un éclat de douille. Mon corps s'est déplacé mais je ne suis pas tombée".

Natacha : "j'ai vu ce mec assis à la 1ere table du Petit Cambodge, raide, il ne bougeait pas. Le mec d'à côté a tourné la table comme bouclier, j'ai entendu le métal racler sur le sol. La femme a côté a hurlé le prénom : "Pierre". Pierre était allongé au sol, il ne bougeait plus"

Natacha : "les gens couraient. Je suis restée plantée là. La fusillade battait son plein, ça n'arrêtait pas. J'ai marché. Il y avait encore des tirs dans mon dos. J'ai enjambé une femme, elle a touché son oreille gauche, il y avait du sang sur ses doigts."

Natacha : "j'ai pris mon téléphone mais je ne savais pas quoi en faire." Elle finit par appeler son ex-mari, alors avec leurs filles. "Tout est allé trop vite." De retour chez elle, "je me suis écroulée pour me réveiller mal, mais mal."

Natacha explique son lendemain, les appels de ses amis : "j'étais trop mal, je ne pouvais plus les écouter, j'ai raccroché". Plus tard, elle est admise en psychiatrie. "J'ai pris conscience que j'allais tout perdre : mes enfants, mon job, si je restais trop longtemps."

Natacha : "je suis retournée travailler le lundi. J'ai perdu toutes mes capacités à travailler, ma patience. J'ai hurlé sur des patients. Je n'ai pas pu renouveler mon premier CDD." Sculpteur, "je n'ai pas pu créer pendant 8 mois".

Elle raconte ses difficultés par la suite : son incapacité à trouver un travail, "un gros dérapage avec mon psychiatre". Elle finit par être à nouveau internée, "je suis restée 15 jours". "Ma plus jeune fille avait 11 ans, j'ai encore honte aujourd'hui, qu'elle me voit comme ça"

Natacha : " j'ai eu un traitement d'antidépresseurs. Après les attentats, ce qui en découle : j'ai des problèmes de sommeil, la moindre contrainte crée une angoisse, j'ai mangé ma peur pendant des mois. Pendant longtemps, je ne me suis pas autorisée à rire."

Natacha : "j'ai énormément pleuré. Encore aujourd'hui. C'était insupportable et insoutenable. Mon impossibilité à avoir une conversation. Je m'arrêtais au milieu des phrases. Un jour ma fille m'a fait remarquer : "maman, c'est bien, tu finis tes phrases maintenant."

Natacha : "j'ai dû réapprendre à tolérer le bruit, les plus communs, les plus simples. A gérer le rouge des phares de voitures. Je ne supportais pas qu'on s'approche trop près de moi. J'ai eu beaucoup de mal qu'on me touche. Même mes enfants, ça a été compliqué."

Natacha : "je suis incapable de gérer les tensions, les agressions. J'ai un job à mi-temps, je suis incapable d'un plein temps, ça me demande trop de concentration."

Natacha : "je témoigne pour que mes enfants voient et entendent ma voix. Dans 50 ans. Pas aujourd'hui, elles sont trop jeunes. Eloise est en première année de psychologie, elle voulait être là aujourd'hui. J'ai décliné, mais je voulais pouvoir leur dire merci."

Natacha : "j'ai réalisé que je ne peux plus vivre où j'habite. Quand je rentre et qu'au Carillon ça dégueule sur le trottoir, j'ai envie de leur hurler dessus, de leur crier : "rentrez chez vous !"

Natacha : "c'est assez dur ce que je vais dire." Elle se tourne vers le box. "Cela s'adresse à vous. Si on vous relâchait dans la rue, que se passerait-il pour vous ? Que ferait votre organisation ? Seriez-vous remis en selle ? C’est quoi le deal dans ces cas-là?"

Jean-Pablo, "canadien d'origine colombienne, vénézuélienne et chilienne en même temps, tout un bordel" s'est avancé à la barre. "Je suis arrivé à Paris juste après les attentats de Charlie Hebdo, je venais de finir mes études à New York. Je vous avoue que j'avais peur."

"J'avais 27 ans", poursuit Juan Pablo, architecte pour l'agence Renzo Piano. "Avec le groupe de l'agence, on sortait tous les vendredi soir au même bar". L'un des membres de ce groupe d'architectes, jeune Allemand, est mort à la terrasse du Carillon, explique-t-il.

Juan-Pablo : "ce jour-là, le 13 Novembre on était une vingtaine au Carillon. C'était la première fois qu'on changeait de bar. On commande quelques verres. Et on sort sur la terrasse. Vers 21h20, on décide de rentrer. Moi je ne voulais pas rentrer, mais j'ai suivi."

Juan Pablo : "nous étions à côté de la porte. Nous parlions de marché de Noël, je ne sais pas pourquoi. Moi, je m'en foutais carrément. Et tout d'un coup, j'entends ce "feu d'artifice", Raphaël me regarde. Je faisais face à la fenêtre, je vois cette voiture et cette personne."

Juan Pablo : "je vois qu'on tire dans la direction de Raphaël et moi. Je me retourne et j'étais par terre. Je ne voyais rien. Je grimpe sur mes amis, un tas de trucs, je ne me rappelle pas du tout sur quoi. Je traverse un mini-couloir. Et je trouve cette sortie de secours."

Juan Pablo : "il y a toujours des tirs. Et ça continue. Finalement, ça a fini. Je sors et décide de traverser la scène de crime pour retrouver Raphaël. Et je vous avoue que je ne me souviens de rien."

Juan Pablo : "Raphaël était par terre, bouche fermée, yeux ouverts. Mais il y avait aucun signe de sang. Ses yeux ne disaient rien, je ne sentais rien. Il était juste par terre. Il y avait des cris partout. Mais mes yeux étaient figés sur Raphaël, je lui disais : ne meurs pas"

Finalement, les secours arrivent, tentent de réanimer Raphaël, puis finissent pas renoncer. Juan Pablo : "j'ai commencé à taper tous les murs. La police m'a dit d'arrêter si "vous ne voulez pas partir dans notre voiture".

Juan Pablo se réfugie dans la pizzeria en face, puis plus tard, en repassant devant la vitrine du Carillon : "le corps de Raphael n'était pas là, comme les pompiers n'avaient pas vraiment dit qu'il était mort, un petit espoir renaît".

Juan Pablo explique à la barre qu'"en tant qu'étranger, je me sens attaché à cette France bataillante mais qui a changé depuis 2015."

Juan Pablo explique qu'en plus du Carillon où se trouvaient de nombreux membres de l'agence Renzo Piano, d'autres étaient également au Bataclan : "pour l'agence, c'était une catastrophe humaine qu'on n'a pas encore pu surmonter."

Juan Pablo : "je travaille toujours chez Renzo Piano, parce que je me suis forcé à rester. Je me suis forcé à rester à Paris aussi. Cela fait sept ans."

Juan Pablo : "je me force à marcher dans les rues, à m'asseoir en terrasse, à manger dos à l'extérieur, à prendre le métro. Je pense que je me force un peu moins maintenant, mais la peur est toujours là."

Juan Pablo : "depuis ce jour-là, je repère toujours toutes les sorties de secours. Je suis architecte donc je me fais un plan virtuel dans ma tête."

Juan Pablo : "le 13 Novembre ça aurait pu être moi qui parlait à Raphaël, mais à sa place et inversement. Ce soir-là, de l'agence, on était une quinzaine. Et c'est lui qui a donné sa vie pour sa jeunesse de Renzo Piano."

Juan Pablo : "la semaine dernière encore, je marchais à Londres. Un policier a commencé à toucher son pantalon. Et j'ai dû courir. Je ne vois pas l'avenir de la même façon. J'essaye maintenant de vivre chaque seconde comme si elle était la dernière."

Juan Pablo à propos des terroristes : "je ne veux pas vous dire que vous êtes des cons, je veux juste comprendre ce qu'il s'est passé dans votre tête pour que vous passiez à l'acte."

Le président annonce une demi-heure de suspension avant les deux ou trois dernières auditions de victimes prévues aujourd'hui.

L'audience reprend avec l'audition de Carla, architecte de l'agence Renzo Piano, comme Juan Pablo qui a témoigné avant elle. A son tour, elle raconte l'habitude, tous les vendredis soir, des architectes de l'agence d'aller boire un verre ensemble.

Carla : "jamais j'aurais pu imaginer une seule seconde qu'on reviendrait autrement que joyeux et complets à l'agence le lundi." Comme une quinzaine d'architectes de l'agence, elle s'est rendue au Carillon. "Tout d'un coup, il y a eu des pétards".

Carla : "tout d'un coup, un jeune homme au fond de la salle crie :"baissez-vous, fusillade". Moi, je n'étais à Paris que depuis trois ans [elle est allemande, ndlr], "baissez-vous", ça ne me disait rien. Heureusement, une amie m'a pris et m'a tirée vers le bas."

Carla :"il y avait des éclats de verre qui tombaient, des gens qui tombaient. Tout d'un coup, un silence est venu. Un silence mortel. Un silence qui m'a brisé le coeur. Jusqu'à une voix d'un jeune homme qui a dit :"je suis blessé"."

Carla : "je voyais des tâches rouges de sang par terre. La panique m'a prise, j'ai rejoint l'escalier au fond. Mais au premier palier, j'ai eu un sentiment de vertige et je ne pouvais plus. Une porte s'est ouverte et un vieux couple m'a demandé : "qu'est-ce qu'il se passe?"

Carla : "je suis redescendue pour trouver mes amis. Sur la dernière marche, j'ai vu une jeune femme enceinte. J'ai commencé à pleurer. Puis, j'ai cherché mes amis. J'ai aussi reçu un coup de téléphone d'une amie qui m'a dit qu'il y avait des fusillades dans Paris."

Carla : "à ce moment, j'ai vu une collègue qui était blessée à la jambe. Je l'ai mise assise, on essayait qu'elle ne regarde pas sa jambe. Et au moment où j'ai écrit sur le groupe Whatsapp "j'ai retrouvé Emilie", j'ai vu que Juan Pablo avait écrit : "Raphaël est mort."

Carla : "Voir "Raphaël est mort" écrit noir sur blanc, c'était pas possible. Puis, j'ai retrouvé Gerardo, c'est comme mon petit frère. Il m'a dit : "j'ai un trou dans mon pull, j'ai peut-être une petite balle, mais ça va". Il rigolait même."

Carla explique avoir été aidée, prise en charge. "Et tout d'un coup c'était : vous pouvez rentrer. Mais rentrer où ? J'étais sous le choc. Il y a eu un monsieur, je pense que c'était le chef de la brigade de sécurité civile qui m'a proposé de m'emmener dans sa voiture privée."

Christophe s'est avancé à la barre : "j'ai 33 ans, je suis victime en tant qu'homme et en tant que pompier de Paris et donc militaire de l'attentat survenu au Carillon et au Petit Cambodge." Sur l'écran géant, il a fait projeter un dessin offert par le père d'une victime décédée.

Christophe : "j'ai souhaité témoigner pour aider les autres à avancer. Etant donné mon double statut, je me dis que j'ai peut-être des choses intéressantes pour les autres à entendre. J'étais pompier de Paris depuis 7 ans."

Christophe : "ce vendredi 13 Novembre 2015, je suis de garde en tant que responsable d'une ambulance, je suis caporal-chef. Je regarde le match de foot à la caserne avec un pote. Un peu agacé par un appel d'un employé du Franprix, je me dis que je vais louper un bout du match."

Christophe : "mes deux équipiers ont approximativement 20 ans. L'un à 2 ans de service, l'autre 8 mois de service. A 21h24, j'entends des bruits de pétard. Ce bruit est effroyable. Comme métallique, froid, sec. Amplifié par l'écho des petites rues parisiennes."

Christophe : "les tirs continuent. Je comprends que nous sommes au milieu d'un attentat. Je décide de rentrer dans l'ambulance dans laquelle se trouvait la victime sur le brancard et où mes deux coéquipiers sont assis par terre."

Christophe : "j'ai compris ce qu'il se passait, même si je ne voyais pas. Ma seule préoccupation était de passer un message radio. Je demande :"police d'urgence pour fusillade". Les tirs cessent. Je regarde mes collègues pour leur dire de rester dans le camion."

Christophe : " 121 cartouches d'arme de guerre tirées en 2 minutes 30. Presqu'une cartouche par seconde. Des dizaines de personnes au sol. Presque personne debout. Il y a cette voiture derrière eux avec un siège bébé derrière. Je demande le déclenchement d'un plan rouge".

Christophe : "à mes collègues, je donne cet ordre : "ne vous occupez que des gens qui sont conscients." Je suis déjà en train d'effectuer un premier tir. Mais nous n'étions que trois. Je compte tous les gens inconscients au sol et je les considère comme décédés."

Christophe : "je me fais interpeller, tirer le bras par des gens pour aider leur proche. Je m'approche du corps sans vie d'une femme, elle a reçu une balle dans le visage."

Christophe : "je regarde le trottoir du Carillon jonché de corps. Une femme est assise contre une voiture, si je veux la voir, je dois marcher sur tous les autres. J'ai la main devant la bouche en regardant ce qu'il se passe autour de moi, je suis choqué par la scène."

Christophe : "je vois arriver les renforts que j'ai demandé. Ils ont couru plusieurs centaines de mètres, mais je ne les vois qu'au dernier moment, comme s'ils avaient percé la bulle dans laquelle je me trouvais à ce moment."

Christophe : "je découpais les vêtements, je mettais de l'oxygène quand il y en avait, je mettais des pansements, j'expliquais aux gens ce qui allait se passer. Je déplaçais également le corps sans vie de cette femme qui avait sensiblement mon âge. Ses yeux étaient ouverts."

Christophe : "je me souviens également d'une femme allongée sous une table et qui me demandait régulièrement et calmement quand on allait aller à l'hôpital, elle avait un torchon pour stopper l'hémorragie qu'elle avait au ventre."

Christophe : "j'ai envie de pleurer quand je pense à ce que nous venons de vivre avec mes collègues; J'ai envie de pleurer parce que je ne comprends pas. J'ai envie de pleurer parce que j'ai peur du surattentat. J'ai envie de pleurer parce que je ne sais pas comment je vais gérer"

Christophe : "je dépose trois ou quatre victimes à l'hôpital. Je repars sur les terrasses. Il y a de plus en plus de sang dans l'ambulance. Sur le brancard, le matériel, le sol, les portes et mes vêtements."

Christophe : "A minuit 16 nous regagnions la caserne dans un silence complet. Il y aura 13 décédés, dix urgences absolues. Après trois heures 30 sur les lieux, je quitte les terrasses. Je laisse derrière moi une insouciance que je ne retrouverai jamais."

Christophe : "lorsque nous rentrons à la caserne, ce n'est pas fini. Il y a d'autres interventions en cours, dont le Bataclan. Les victimes arrivent, se font soigner et repartent. L'ambiance pesante est également présente chez nous, dans notre maison."

Christophe : "je vais au standard laisser ma fiche. Et je pleure dans la pièce d'à côté tout ce que j'avais retenu pendant l'intervention. Je reste éveillé au standard. Vers 6 heures du matin, je tombe de fatigue."

Christophe : "le soir du 14 novembre, un ami pompier nous invite à boire un verre. Je suis complètement à l'ouest, je regarde dans le vide. J'ai envie de vomir. Dans les jours qui ont suivi, on n'en parle pas beaucoup à la caserne. Psychologiquement, nous étions tous atteints"

Christophe : "le mardi suivant, nous repartons en intervention pour une personne qui ne réponds pas aux appels. Je ressens des étourdissements, des pleurs. Je fais une crise d'angoisse. A la caserne, le moindre endroit noir constitue une source d'angoisse."

Christophe : "je ne pouvais plus remonter dans une ambulance pendant deux ou trois semaines, ensuite seulement en journée. Je me couchais dans le canapé et habillé le plus tard possible pour ne pas ressentir la responsabilité que je ressentais quand je devais me réveiller"

Christophe : "fin janvier, je me sépare de ma copine : je n'étais plus l'homme insouciant qu'elle connaissait. Je me réveillais en sursaut la nuit. Je fermais la porte à clé. Lui demandait sans cesse où elle était."

Christophe évoque la première commémoration, sa tristesse à l'évocation des noms des victimes décédées : "je me suis réfugié dans les premiers bras qui s'offraient à moi. Il s'avèrera plus tard qu'il s'agissait de ceux d'une fausse victime : Alexandra Damien."

Christophe évoque son refuge dans l'alcool : "en rentrant chez moi après mes soirées, je continuais à boire et écoutait des musiques, jusqu'au moment où je tombais de fatigue. J'avais le besoin de me sentir triste comme si je ne me sentais pas le droit d'être heureux.

Christophe : "je me suis caché derrière ma carrière professionnelle. Je révisais sans cesse pour ne pas penser. Ça a fonctionné pendant beaucoup d'années. En septembre 2017, je suis muté de la caserne dans laquelle j'avais tout vécu. Ça me fend le cœur."

Christophe "j'ai l'impression d'abandonner toute une partie de ma vie. Je m'appropriais chaque nouvel attentat comme si je l'avais vécu. Durant mes nuits, mon cerveau en fabriquera même des nouveaux : des voitures béliers, des fusillades mettant en scène mes proches et moi-même"

Christophe : "j'ai mis beaucoup de temps à accepter que j'ai été moi-même victime de l'attentat. Difficile pour un pompier d'être victime. On a été la cible d'armes de guerre. On a tout entendu. J'ai malheureusement eu le temps de voir précisément tous les dégâts de l'attaque."

Christophe : "j'ai voulu faire comprendre à mon entourage ce qu'il s'était passé pour moi ce jour-là. J'ai vu toutes sortes de réactions : les gens choqués, les gens qui passent vite à autre chose, les gens qui ne voient pas le souci et ceux très réceptifs."

Christophe : «sans compter les petites phrases assassines : "ça fait longtemps, tu devrais aller mieux." "Ça ne va pas mieux ?" ou "Sois combatif". J'ai compris que les gens qui n'avaient pas vécu ça, ne pouvait pas comprendre. Aujourd'hui je suis heureux qu'ils ne comprennent pas."

Christophe : "jusqu'en septembre, j'ai continué à faire mon travail de pompier comme tout le monde. Mais en septembre 2021, le procès m'a plongé dans une impasse. J'ai quitté les camions et je suis allé faire de la formation. "

Christophe évoque le dessin qu'il a fait projeter à l'écran, réalisé par une victime du Carillon : "ce dessin représente beaucoup pour moi. Il est encadré au-dessus de mon lit et je m'endors avec tous les soirs."

Christophe : "mes premières pensées iront à me coéquipiers ce soir-là. Je tiens à remercier @lifeforparis

Je suis très reconnaissant de ce que vous faites pour les autres alors que vous êtes vous-mêmes victimes de terrorisme. Vous êtes tout simplement au top."

Christophe : "un mot pour ma famille qui, je le sais, est marqué par ma situation et mon état de santé. Ne vous inquiétez pas pour moi, le plus beau est à venir."

Christophe évoque Philippe, survivant du Bataclan et rencontré via @lifeforparis: "deux hommes rapprochés par le terrorisme. J'ai 33 ans, j'ai les cheveux courts et j'&coute du rap. Lui a 45 ans, a les cheveux roux, longs et bouclés et écoute du rock."

Christophe : "enfin, j'aimerais mettre à l'honneur ma conjointe Pauline qui a accepté de faire entrer dans sa vie un homme avec un traumatisme aussi gros. Je te remercie de croire en moi et qu'un jour tout cela sera un souvenir lointain. Tu n'as jamais douté de ma force"

Christophe :"aux proches de victimes décédées, je pense à vous très régulièrement même si je ne vous connais pas. Parce que j'ai dû faire des choix effroyables, prendre la décision de laisser des gens mourir pour en sauver d'autres. C'est aussi pour vous que j'ai voulu témoigner"

Christophe : "j'ai fait tout ce que j'ai pu. Je ne pouvais pas faire plus rapide en terme de demande de renforts. A 26 ans, j'avais toutes ces vies qui dépendaient de mes décisions. A trois pompiers, nous ne pouvions pas prendre en charge la trentaine de personnes blessées."

Christophe : "dans les jours qui ont suivi, nous avons été un peu critiqués. Certaines personnes dénonçaient la lenteur des secours, l'âge et la sidération des pompiers sur place. Sans prendre en compte que nous ne sommes pas des robots mais des êtres humains."

Christophe : "sachez que nous étions là dès la première seconde de l'attaque. Il fallait qu'on encaisse, puis que j'articule mes priorités."

Christophe : "j'ai été mis en arrêt de travail depuis le 14 février 2022. Je reprends le travail lundi prochain. J'espère être libéré d'un poids à l'issue de ce témoignage. Aujourd'hui, j'ai la force et la volonté pour y arriver. Je sens qu'une page est en train de se tourner."

Christophe : "j'ai mal au coeur qu'on dise que les attentats du 13 Novembre 2015 est l'attentat du Bataclan. J'ai mal au coeur qu'on oublie les victimes du Stade de France, des terrasses et de Saint-Denis. Qu'on dise qu'il y a eu 130 morts alors qu'un 131e a mis fin à ses jours"

Christophe : "je ne savais même pas si j'allais être capable de tenir sur mes jambes, lire ce texte, voire même de venir à la barre aujourd'hui. "

Christophe : "la vie continue et c'est pour cela que je profite de mon témoignage pour vous annoncer, que vous soyez victime ou non, que vous soyez dans le box des accusés ou non que ma conjointe est enceinte et que je vais devenir papa d'ici la fin de l'année."

Fin de l'audience pour aujourd'hui. Elle reprendra demain à 12h30 avec la suite des témoignages de victimes des terrasses. Compte-rendu d'audience à suivre.

Jour 120 – Jeudi 5 mai – Suite des auditions de parties civiles

Jour 120 au procès des attentats du 13 Novembre La cour va poursuivre ses auditions de parties civiles.

L'audience reprend. Tous les accusés sont dans le box. Un avocat s'approche de la barre pour de nouvelles demandes de constitutions de parties civiles, notamment pour les orphelins mineurs d'une rescapée des terrasses qui a mis fin à ses jours en novembre 2021.

6 ans après les attentats et alors que le procès venait de commencer depuis 2 mois, cette femme, qui a survécu aux attentats mais souffrait de "séquelles psychologiques" s'est suicidée. 4 de ses proches demandent à être parties civiles. Dont ses enfants mineurs.

Et après un débat un peu tendu sur une question de droit, le président appelle à la barre une mère, cheveux courts, lunettes, chemisier rouge : "Je suis là parce que tu le vaux bien, Justine Moulin, toi ma fille"

La maman de Justine à la barre : "Tu as été assassinée, tuée, ce jour-là tu es partie, boule à facettes solaire, faussement désinvolte, langage fleuri très haut en couleur, regard curieux sur le monde". Elle dit que ce sont des mots qu'elle ne prononcera qu'une fois.

Elle décrit le carnet Moleskine que sa fille Justine avait toujours à la main, ainsi qu'un appareil photo, "un regard curieux sur le monde".

La maman de Justine raconte aussi avec humour et "lucide" les petits "défauts" de sa fille : "bordélique, procrastinant toujours les choses, incapable de faire des formalités administratives"

La maman de Justine parle de sa fille comme d'une "boule à facettes qui a été décrochée comme dans un mauvais film"

Justine qui quelques mois avant le 13 Novembre était allée en Amérique du Sud avec une amie, "blonde comme elle, moins d'un mètre 60" Sa mère dit qu'elle s'inquiétait, Justine dit : "pourquoi ? Les attentats sont dans Paris" (Elle pense alors à janvier 2015)

La maman de Justine : "Ce vendredi soir-là, dans ma voiture j’allume ma radio, j’entends : des tireurs dans Paris : le Carillon, le Petit Cambodge. Stop.Justine m’avait dit trois jours avant qu’elle allait dans ce fameux restaurant où il y avait un bobun de fou"

La maman de Justine : "Alors j’appelle Justine une fois, 10 fois, 15 fois. Je fais partie de ces mamans collantes, pour ne pas dire casse-pieds. Quand j’appelle, elle sait qu’il faut me répondre. La panique monte. Je sais qu’il est arrivé quelque chose, je le sens"

La maman de Justine raconte alors le sms qu'elle reçoit d'un ami de Justine : "Le sms disait la chose suivante, Justine a été blessée au ventre, elle erre dans Paris, dans une ambulance"

Puis : "Je vous emmène avec moi dans le cauchemar. Nous savions que Justine avait été blessée, mise dans une ambulance", mais son frère Jérémie reçoit un appel de la Salpêtrière, il prévient sa mère : "Maman, Justine a pris une balle dans la tête, elle est train de mourir"

A la Salpêtrière, un médecin dit à la maman de Justine : "Je suis au regret de vous annoncer que Justine une balle dans la tête, elle est morte il y a une demi-heure. Du fait de la blessure et des bandages, vous ne pourrez pas la reconnaître".

La mère n'ose pas aller se recueillir, le père y va avec l'un des frères de Justine. Puis on leur apprend que c'était une erreur, que Justine a été confondue avec une autre victime. Que Justine a en fait toujours été à l'IML, et non blessée à la tête.

La maman de Justine Moulin : "Comme vous le voyez, aujourd’hui, j’ai pardonné les errances, les carences, la maladresse, les froideurs d’un dispositif qui n’était pas faits pour un tel chaos".

La maman de Justine Moulin : "7 ans plus tard, je ne pardonne pas cette folie d’un soir. Je n’accepterai pas d’explications. Je ne veux pas être calme et je ne le serai jamais. Vous avez décroché cette boule à facette tourbillonnante".

La maman de Justine : "Je te le promets et je le fais au nom de tous : il n’y aura pas d’arrêt sur image dans ce très mauvais film, nous allons continuer à bouger, ssayer de faire de ce monde quelque chose de plus beau. Que toi Justine, tu pourras photographier de là où tu es".

Et elle quitte la barre d'un pas énergique, tête haute, très digne, forte et sans larmes.

Arrive à la barre la maman de Stella, et "les trois enfants qui me restent". Stella était aussi au Petit Cambodge le soir du 13 Novembre : "J’étais loin d’imaginer que Stella était au restau. Vanessa me dit de ne pas m’affoler. Je ne sais comment vous décrire mon état exact"Vanessa est la petite soeur de Stella, aux côtés de sa maman, à la barre.

La maman de Stella : "Nous sommes restés toute la nuit devant la télé : je n’avais qu’une seule chose en tête, aller chercher ma fille dans tous les hôpitaux de Paris. Car elle devait avoir besoin de moi. Ce portable qui sonnait dans le vide, puis directement sur répondeur".

La maman de Stella : "Depuis le 13 Novembre 2015, il ne s’est pas passé un seul jour sans que ma fille me manque"

La maman de Stella : "Je suis en colère, j’ai la haine envers ces djihadistes qui ont brisé ma vie, qu’avons nous fait ?"

La maman de Stella : "J’aimerais dire à ceux qui se sont présentés au début du procès comme des combattants de l’EI, vous mériteriez vous aussi d’être séparés à jamais de votre mère, comme moi je le suis de ma fille".

La maman de Stella : "Si vous étiez aussi humanistes que vous le prétendez, vous auriez fait comme Sonia (qui a dénoncé Abaaoud) pour éviter toutes ces atrocités qui ont été commises"

La maman de Stella: "Pour ma fille, pas possible d'apporter son pardon. Ce ne sera jamais mon cas. Je crois en Dieu comme vous. Je suis d’une famille d’origine aussi musulmane. Ce Dieu dont vous n’avez pas le monopole, je suis désolée de vous le dire, que vous avez mal compris"

La maman de Stella : "J’espère revoir au paradis ma fille, mon trésor"

Puis la petite soeur Vanessa, prend la parole à son tour. Et se présente en donnant pour premier prénom : Stella... Celui de sa grande soeur morte le 13 Novembre

Vanessa est bouleversée et très émouvante pour rendre hommage à sa soeur à la barre. Le frère, à son tour, vient parler de sa soeur "exceptionnelle, je lui disais aussi quand elle était vivante".

Le père de Stella dit à son tour à quel point sa fille, brillante, docteur en médecine et pharmacie, va "manquer à l'humanité"

Me Bilal souligne que Martin Hirsch de l'APHP avait rendu hommage à Stella et souligné son travail exceptionnel.

Arrive à la barre Marie-France : "Les heures ne sont plus très précises ce vendredi 13 novembre. J’occupais différents postes dans le milieu de la nuit : je devais prendre mon poste de chargée de vestiaire à 22h. Je craignais d’être en retard"

Marie-France : "Je reçois un coup de fil : j’interromps Maud pour dire : “putain, ils font péter des pétards”. A mes pieds, deux hommes. L’un d’eux ne semble plus être parmi nous. Un homme du kebab m’ouvre et me tire à l’intérieur, nous nous réfugions au sous sol".

Marie-France : "A ce moment-là, je pense à un règlement de compte. Nous remontons une première fois. On redescend au sous-sol. Nous attendons. Nous finissons par ouvrir le rideau de fer. C’est une scène que je n’aurais jamais voulu vivre. Je n’ai pas de mots".

Marie-France : "Je m’en veux tellement, encore aujourd’hui, de ne pas avoir su quoi faire pour tenter d’intervenir, d’aider les personnes blessées. C’est comme si j’étais là sans être là".

A la barre, Marie-France pleure sans cesse, renifle ses larmes et dit sa culpabilité de ne pas avoir su aider davantage : "Je ne serai plus jamais la même"

Marie-France : "Aujourd'hui, il me faut survivre avec des idées suicidaires, en préservant ma petite maman"

Marie-France raconte qu'elle avait plusieurs surnoms, celui qui lui allait le mieux était "cyclone", que lui avait donné son père. Elle n'est plus la même personne.

Marie-France décrit la rage qui la hante, l'alcool dans lequel elle a sombré, elle se sent "cassée en mille morceaux"

Comme un arbre cassé. Plus de branches auxquelles se raccrocher. Et "la peur incessante de voir surgir des terroristes" dans le métro. A la barre, Marie-France est bouleversante.

Marie-France : "Les terroristes ont réussi à me voler mes rêves". Elle voit les accusés comme "des monstres" aujourd'hui, elle a l'impression depuis le début du procès qu'on veut les faire passer pour "des anges".

Marie-France qui souhaitait au début du procès «une peine exemplaire" pour les accusés. Elle voudrait maintenant qu'ils puissent un instant subir le poids qu'elle-même subit.

Jean-Luc arrive à la barre, ergonome, conseiller en prévention des risques professionnels. "Je suis secouriste depuis mon plus jeune âge, j'ai perdu mon père à 2 ans et demi et mon métier actuel, identifier les risques". J'ai 56 ans, j'en avais 49 le soir du

Ce soir-là, sa femme infirmière part travailler. Il est avec sa fille de 15 ans dans l'appartement. Il entend des bruits extrêmement forts. Il appelle les forces de l'ordre, et puis "je veux comprendre ce qui se passe, je me rapproche de ma fenêtre".

Jean-Luc montre une photo du bas de chez lui, rue de Charonne : "une voiture noire, j'ai une scène incroyable, une personne de dos, frère d'un accusé et qui tire à la kalachnikov"

On voit la photo. La Seat. Un tireur. Une boule de feu qui sort d'une arme. Deux autres tireurs. "Un avec les chaussures orange face à la terrasse, il tirait sur tout ce qui bougeait", c'était Abaaoud.

Jean-Luc précise que c'est lui qui a pris ces photos, "en ayant la présence d'esprit de couper mon flash. Je suis en face d'eux, dans la ligne de tir". Il est au-dessus de la rue, en étage, juste au-dessus de la terrasse de La Belle Equipe.

Jean-Luc : "Ces photos sont prises, il est 21h36."

Jean-Luc décrit la coordination des tireurs, qui ne tirent pas tous de la même façon, certains en rafales, d'autres au coup par coup.

Il montre les tireurs remontant dans la voiture, Abaaoud aux chaussures orange "à l'arrière gauche". Une fois les tireurs repartis il descend avec sa trousse de secouriste, explique à sa fille de 15 ans qu'elle doit rester dans l'appartement, qu'il va aider des gens.

Jean-Luc descend dans rue de Charonne. Silence. "Comme dans la neige". Il voit une première victime morte. "Je l'enjambe, il n'y avait plus rien à faire". Puis une jeune femme avec l'artère touchée. "Je ne vois plus que les plaies devant moi"

Autour de lui, une autre victime avec "une plaie abdominale encore bouillonnante". Il n'a plus de matériel pour faire le garrot. Prend un tee-shirt que sa fille lui avait offert. Fait son garrot, se retrouve force nue au milieu des victimes.

Il a ses souvenirs de secouriste. Se souvient qu'il doit faire un T sur les gens à qui il a posé un garrot. N'a rien pour écrire. Il écrit avec du sang.

Il remonte voir sa fille, précise qu'il enlève ses chaussures, "je suis désolée, mais dessous, tout ce qu'un corps peut contenir"

Puis il redescend aider, montre une photo de la terrasse, "je suis désolé, c'est celle pour laquelle je voulais prévenir"... La photo est dure. Secouristes penchés sur des corps sans vie.

Dans la salle d'audience, plusieurs survivants des terrasses et familles endeuillées. Dureté de cette photo, sans toutes les précautions prises quelques semaines plus tôt pour les images de la tuerie au Bataclan

La photo qui reste à l'écran plusieurs minutes. Elle est toujours à l'écran. On voit un homme sur le dos, tee-shirt jaune. Plusieurs corps, des secouristes, du sang sur le trottoir.

Le greffier finit par enlever la photo qui était en gros plan dans cette salle d'audience, vraiment marquante, dure.

Jean-Luc : "Nous ne sommes pas des témoins malheureux, je suis fier d'avoir porté secours"

Jean-Luc qui termine en citant "le verset 5.32 d’un livre sacré : celui qui sauve un seul homme, c’est comme s’il avait sauvé l’humanité toute entière".

L'audience reprend après une pause. Arrive à la barre Claire, sœur de Djamila Houd. "Mes parents ont élevé 9 enfants, dont Djamel et Djamila, des jumeaux".

Juste après le prénom de Djamila, elle prononce des mots en arabe pour dire "paix à son âme, en son royaume". "Désolée, monsieur le président, je les prononcerai souvent"

"J'avais 10 ans quand Djamila est née". Elle décrit un lien sororal très fort. Et dit qu'elle parle au nom de toute la famille, meurtrie, mais qui n'a pas le courage de venir à la barre.

Elle parle de Tess, sa nièce. Tess, la fille de Djamila et de Grégory. Grégory était le patron de La Belle Equipe. Ce soir-là, Djamila fêtait son anniversaire. C'est Grégory qui a appelé sa belle-sœur pour la prévenir de la mort de Djamila.

Claire : "Grégory était essoufflé de ce qui venait de se passer sous ses yeux"

Et Claire annonce qu'elle tient à regarder dans les yeux "les assassins de ma soeur". Elle regarde les accusés du box. Lentement. Un à un. En silence. Avant de se tourner à nouveau face à la cour.

Et Claire raconte sa famille "disloquée" tellement elle a souffert. La mort de leur mère, la mort du frère. "Et aujourd'hui, nous avons peur de perdre la fille de Djamila", qui est en grande souffrance psychologique.

Claire parle devant une photo de Djamila qu'elle a fait projeter. Djamila, jolie jeune femme brune, yeux noirs, lèvres maquillées de rouge.

Claire conclut en disant qu'elle se demande si les accusés se rendent compte de leur "chance" d'être jugées dans le droit et le respect de la dignité humaine ? Ce droit qu'ils ont "bafoué avec leur barbarie" dit-elle.

Claire parle des terroristes "tels des combattants dans un jeu vidéo, d’un ridicule, d’un ridicule !", répète-t-elle. "C’est tout ce que je voulais dire aujourd’hui monsieur le président, merci de m’avoir entendue"

Arrive à la barre Gaëlle, la sœur de Chloé, victime sauvée par Jean-Luc que nous avons entendu juste avant. Gaëlle dit un "merci définitif" à Jean-Luc, qui grâce à son garrot à Chloé, l'a sauvée.

Chloé avait pris quatorze impacts de balles à La Belle Equipe. Gaëlle décrit le sang dans le manteau et la rage dans laquelle est entré son père quand il l'a vu.

Et puis, elle parle d'une photo de @ParisMatch sur laquelle elle reconnaît le manteau de sa sœur. Une photo qu'elle n'aurait pas voulu voir.

Et elle raconte le reportage de @M6 diffusé juste après le 13 Novembre - des journalistes étaient embarqués avec des secouristes. Dans le film, elle a reconnu le cri de sa soeur. Un cri déchirant.

Un cri qui lui fait comprendre que ce qu'a vécu sa sœur, Chloé, "personne ne peut le comprendre, même si elle m'a raconté tous les détails"

Elle parle des idées suicidaires de sa sœur, et de sa peur du jour où sa sœur ne l'appellera plus pour la prévenir de ses idées noires.

Gaëlle explique qu'elle chef de service d’une maison à caractère social pour des adolescents violents. Elle dit aux accusés qu'elle ne peut les haïr. "Vous êtes mes frères humains".

Gaëlle : "Vous n’êtes pas des monstres, vous avez choisi ce que vous avez fait, vous avez librement choisi de massacrer, et je pleure sur vous parce qu’en être réduit à de tels actes, c’est oublier son humanité"

Et elle conclut avec les mots d'une chanson de Jacques Higelin : L... comme beauté.

Arrive à la barre Arnaud : "Je suis un cas un peu particulier, je produisais le concert des EODM au Bataclan ce soir-là". Il était au Bataclan café. Il a vu sa bouteille de Perrier exploser quand les tireurs sont arrivés.

Il se jette à terre. Voit son ami Thomas "étendu dans la rue, la tête explosée, mort. Je me mets à courir pendant que je suis mis en joue. J’entends une rafale qui est tirée. Une balle traverse mon poumon". Il est grièvement blessé.

Arnaud raconte qu'il hurle, "je suis persuadé que je vais mourir", il est deux jours entre la vie et la mort à cause d'une bactérie dans son poumon transpercé d'une balle. Il s'en sort.

A la barre, Arnaud raconte sa résilience. "Dans mon malheur, j’ai énormément de chance". Et maintenant, "il y a une rage d’aller de l’avant, une pulsion de vie".

Arnaud : "Je me reconstruis. C’est le plus rapide le processus physique. C’est le psychologique qui est le plus long".

Arnaud décrit sa rage professionnelle, "j’ai tout donné, j’ai continué à avancer professionnellement, maintenant je travaille avec Céline Dion, les Rolling Stones"

Et Arnaud, calmement, se tourne vers les accusés : "Je voulais me tourner vers vous et vous dire je suis encore là, vous m’avez presque aidé à aller de l’avant, j’ai pas de haine, je vais pas vous remercier, mais vous n'avez pas gagné"

Arnaud, producteur du EODM au Bataclan le 13 Novembre : "Je voulais dire tout haut et tout fort qu’ils avaient pas gagné" Il plaisante même : "Suite à ça j’ai arrêté de fumer, et peut-être que j’ai été sauvé du cancer grâce à vous, messieurs". Et il s'éloigne des accusés.

Arrive Louis, grand métis barbu, boucle d'oreille pendante : "Je vous remercie car à l’automne, j’étais pas du tout prêt. Je vous remercie de me donner cette occasion. Je travaille dans restauration en parallèle de ma vie d’artiste. J’écrivais du RAP.

Ce 13 Novembre il part bosser au Bataclan café, a un accident de scooter, arrive déstabilisé mais se met à son service, jusqu'à la balle de kalachnikov qui lui perfore la cuisse.

Louis : "Sous adrénaline, je continue ma course folle. Je suis redevenu un animal", il comprend qu'il a failli mourir.

Il réussit à courir jusqu'au café Le Centenaire, dit qu'il a été "agressé". "Je saigne, on m'assoit, on me donne du sucre, je sais plus où je suis, mais ça va mieux, le danger est loin, et soudain, le reflux des spectateurs du Bataclan

"Tous ceux qui ont eu le même instinct et ont couru" comme lui. Une femme arrive blessée au ventre.

Louis écrit un sms à sa mère : "Maman, j'ai pris une balle. Là, je fais pause, je comprends que je peux pas lui écrire ça". Il lui dit qu'il était au Bataclan mais est maintenant en lieu sûr. Sa mère est rassurée.

Louis : "J’ai été parachuté dans une guerre qui n’est pas la mienne"

Louis : "Avec le recul, je pense à la lâcheté des assaillants, ces commandos venus attaquer des innocents, ça me révolte. Se faire passer pour des guerriers en attaquant des civils désarmés, c’est injuste, quelle que soit la cause"

Louis dit que venger en France les civils tués en Syrie, ainsi que l'ont expliqué plusieurs accusés, "ça n'a pas de sens"

Louis raconte l'hôpital, le drain dans la plaie balistique. Puis, la musique dans laquelle il s'est réfugié. Et il parle de lui aujourd'hui, se considère comme "survivant"

Louis : "Je voudrais faire comprendre à ces hommes que ma vie a été bouleversée. Moi qui aime l’homme, j'ai perdu confiance en l'humanité". Puis ses proches l'ont aidé, dont sa mère, dans la salle.

Louis : "Je me tiens debout face à ces hommes pour faire entendre le mal qu’ils ont fait"

Louis dit aussi qu'il a été "une victime de seconde zone", "on parlait jamais du Bataclan café", "je trouvais pas ma place"

Aujourd'hui il pense aller mieux, "j'arrive à la fin d'un cycle, j'aime beaucoup le chiffre 7"

"Merci pour ces paroles d'espoir" conclut le président Périès. Et l'audience est suspendue pour aujourd'hui.

Jour 121 – Vendredi 6 mai – Report d’audience

INFO - Le Covid s'invite à nouveau au procès des attentats du  13 Novembre 2015. L'un des accusés, symptomatique depuis hier, a été testé positif ce matin. L'audience risque donc d'accuser un nouveau report de 5 à 7 jours, selon le protocole en vigueur.

Les accusés, à l'exception de Farid Kharkhach sont arrivés dans le box. L'audience s'apprête donc à reprendre...pour quelques minutes du moins. Le temps pour le président d'annoncer le report de l'audience. Audience qui a déjà accusé quatre semaines de retard pour cause de Covid.

L'audience reprend. "Je pense que tout le monde est à peu près au courant qu'on ne va pas pouvoir tenir cette audience aujourd'hui, ni la semaine prochaine parce que l'un des accusés a été atteint par le Covid" annonce le président.

Le président poursuit : "ce qui nous empêche en l'état actuel de la procédure actuelle de siéger en l'absence d'un accusé. C'est la loi. Je suis vraiment désolé pour les parties civiles qui devaient être entendues aujourd'hui et ont peut-être fait le déplacement."

Le président : "c'est la faute au Covid." Tout en insistant être "navré" et "confus". Le président annonce une reprise possible de l'audience le 17 mai prochain et un verdict désormais envisagé pour le 29 juin.

Me Fanny Vial, avocate de Farid Kharkhach se lève : "je pense que tout le monde le sait parce que c'est sorti par voie de presse, ce que nous déplorons."

Me Vial : "Farid Kharkharch a souhaité dire qu'il était lui aussi confus et qu'il a une pensée pour ceux qui devaient témoigner aujourd'hui et ne pourront pas le faire. Nous souhaiterions qu'il puisse avoir un examen médical digne de ce nom parce qu'il est sérieusement atteint."

Le président annonce donc la suspension de l'audience : "elle reprendra le mardi 17 mai à 12h", soit une demi-heure plus tôt qu'habituellement, afin de tenter de commencer à rattraper le retard causé par cette nouvelle suspension.