Procès des attentats du 13 novembre 2015 - Le Live Tweet - Semaine TRENTE ET UNE
Retrouvez sur cette page tous les tweets du procès issus des Live tweets de @ChPiret Charlotte Piret et @sophparm Sophie Parmentier ; elles suivent ce procès pour France Inter et nous ont donné l'autorisation de compiler leurs tweets dans un objectif de consultation et archivage.
Semaine TRENTE ET UNE
Jour 114 - Mercredi 20 avril – Examen des expertises psychiatriques des accusés
Bonjour à tous, au procès des attentats du 13Novembre 2015, nous débutons la 31e semaine et le 114e jour d'audience.
Cette semaine sera consacrée à l'examen des expertises psychiatriques des accusés. En l'occurrence aujourd'hui celle de Mohamed Amri, Hamza Attou et Ali Oulkadi, soit les trois accusés qui ont véhiculé Salah Abdeslam après les attentats.
L'audience reprend, en l'absence habituelle d'Osama Krayem. Les bancs des avocats sont très clairsemés, en défense comme en parties civiles. La première experte psychiatrique s'avance à la barre, Magali Bodon-Bruzel s'est chargée de l'expertise de l'accusé Hamza Attou.
"Il faut retenir un tabagisme et une consommation d'un litre de vodka ou de whisky et une dizaine de bières par jour ainsi que 5 grammes de cannabis par jour", indique la psychiatre au sujet de l'accusé Hamza Attou pour lequel elle n'a pas décelé "de maladie mentale majeure".
"Pas non plus de troubles de l'humeur comme la bipolarité", souligne l'experte psychiatre au sujet d'Hamza Attou qu'elle évalue avec "un niveau intellectuel normal, peut-être un peu faible mais dans la norme. Il a un discours cohérent avec un stock de vocabulaire un peu faible".
L'experte psychiatre relève encore dans son rapport qu'Hamza Attou est "bien habillé, s'exprime correctement avec un accent belge". "Il a une immaturité affective, dit aimer jouer aux jeux vidéos".
Au sujet des faits, Hamza Attou a déclaré à la psychiatre avoir "aidé Salah Abdeslam par contrainte, j'avais peur, j'étais naïf". La psychiatre ajoute que l'accusé affirme "avoir encore peur à l'heure actuelle de Salah Abdeslam".
L'experte psychiatre recommande pour Hamza Attou "un travail psychothérapeutique pour donner du sens à sa trajectoire et se remettre en question, ainsi qu'un suivi pour sa dépendance à l'alcool et au cannabis". Elle conclut par ailleurs qu'il est accessible à une sanction pénale
Place au psychologue Philippe Oudy qui a également expertisé l'accusé Hamza Attou et dont il rappelle qu'il "a connu un cursus scolaire assez succin et avec un certain nombre de difficultés". L'expert évoque également un bon relationnel avec sa famille : parents, frère et sœur
"Il semble avoir trouvé un bon équilibre entre ses pulsions et ses défenses, le moi est correctement posé", ajoute encore l'expert psychologue au sujet "d'Hamzou Atta", ainsi qu'il a surnommé Hamza Attou.
L'expert Philippe Oudy a également examiné Mohamed Amri en décembre 2016. "Son niveau d'efficience intellectuel est satisfaisant" dit-il au sujet de Mohamed Amri. "Sans diplôme, sans formation professionnelle, il a dû se contenter d'emplois précaires"
L'expert psychologue évoque au sujet de Mohamed Amri "un discours dans lequel le sujet reconnait sa participation aux faits, mais une participation ponctuelle" Il ajoute : "on peut douter de son ignorance du militantisme de Salah Abdeslam mais cela n'est pas mon propos"
Le président au sujet de Mohamed Amri : "est-ce que c'est quelqu'un de plutôt influençable ? Suiveur ?" Expert psychologue : "oui, il le dit d'ailleurs. Il dit qu'il a été manipulé par les deux frères [Abdeslam, ndlr]
Me Negar Haeri, avocate de Mohamed Amri : "vous vous souvenez du temps qu'a duré votre entretien ?" Expert psychologue : "non" - mon client me disait que les deux expertises psychologique et psychiatrique avaient duré une demi-heure.
Me Negar Haeri souligne que dans son rapport, l'expert psychologue évoque "la fabrication d'engins explosifs, des assassinats ... c'est bien au-delà de ce qu'on reproche à [Mohamed Amri]. Expert psychologue : "soit, de toute façon on évalue la personne"
Me Negar Haeri revient sur l'appréciation de l'expert psychologue : "compte-tenu de et la rapidité d'exécution de Mohamed Amri du service demandé, on peut douter de son ignorance du militantisme de Salah Abdeslam mais cela n'est pas mon ressort".
Me Haeri : "vous faites une remarque en notant que cela n'est pas de votre ressort. Vous l'avez fait avec Mohamed Amri, mais aussi Hamza Attou et Ali Oulkadi" "Soit, vous avez raison", conclut l'expert psychologue avant de passer au rapport de son expertise de Farid Kharkhach.
L'expert psychologue évoque au sujet de Farid Kharkhach: "un père mobilisé par son travail, et une mère aimante et chaleureuse.”
L'expert psychologue poursuit au sujet de Farid Kharkhach : "sur les faits qui lui sont reprochés, il dit avoir joué l'intermédiaire pour trois fausses cartes d'identité et touché 100 euros par carte pour sa sœur qui souffrait d'un cancer."
Là encore, l'expert psychologue ajoute un commentaire tout en reconnaissant qu'il est hors de propos : "on peut s'étonner que dans une famille unie, l'un des membres doive se compromettre pour payer un traitement médical"
Le président souligne au sujet de Farid Kharkhach "au cours de cette audience, il a fait état d'épisodes dépressifs" "Plutôt anxieux que dépressifs à mon avis", corrige l'expert psychologue qui ajoute : "je ne l'ai pas trouvé très immature. Même pas du tout"
Me Fanny Vial : "vous avez interrogé Farid Kharkhach sur sa religiosité, mais vous ne l'avez pas mentionné dans votre rapport ..." Expert psychologue : "je ne sais plus si je l'ai interrogé là-dessus ... ah si, il a dit être un musulman mais pas "hyper-pratiquant"."
Me Fanny Vial : "vous faites dans votre rapport un commentaire tout en indiquant que vous ne pouvez pas vous autoriser ce commentaire .... et l'intégralité de la défense pourrait le souligner" Expert psychologue : "j'ai fait une remarque sur ce qu'il venait de me dire. Voilà"
Me Fanny Vial : "vous avez fait passer le test de Rorschach. C'est un test qui est assez décrié" Expert psychologue : "pas dans la profession, mais on peut dire ça" - Il me semble que dans la profession aussi. - Chacun ses méthodes.
Me Vial souligne qu'une autre expertise ainsi que le rapport du quartier d'évaluation de la radicalisation (QER) évoquent des angoisses chez Farid Kharkhach. L'expert maintient qu'elles "n'étaient pas présentes lorsque je l'ai vu. Il y a du avoir une dégradation psychosomatique"
L'expert psychologue Philippe Coudy poursuit avec le rapport de la 4e expertise qu'il a réalisé sur l'accusé Ali Oulkadi pour lequel il évoque "une vie sexuelle épanouie qui confirme son faible engagement religieux qui inhibe souvent ses coreligionnaires à cet égard"
Au sujet d'Ali Oulkadi, l'expert psychologue conclut, mot pour mot, de la même manière que ses rapports précédents : "pas de carence ou de dysfonctionnement. Il sait très bien où est la réalité et s'il l'a dissimule c'est de manière conscience"
Me Judith Lévy, avocate d'Ali Oulkadi : "quand a été rédigé votre rapport?" Expert psychologue :"en janvier 2017" - soit trois mois et demi après votre entretien
Me Lévy souligne une nouvelle "remarque" de l'expert qui juge peu crédible qu'Ali Oulkadi ait ignoré l'implication de Salah Abdeslam dans les attentats lorsqu'il le véhicule. "On parle du 14 novembre 2015, connaissiez-vous, monsieur Oudy, l'implication de Salah Abdeslam ?" -non
Fin de l'audition de l'expert psychologue Philippe Oudy. L'audience est suspendue avant les deux autres experts qui doivent être entendus aujourd'hui.
L'audience reprend avec l'audition du psychiatre Jean-François Wirth qui s'est chargé de l'expertise de l'accusé Ali El Haddad Asufi au sujet duquel il évoque "une consommation de cannabis depuis l'âge de 15 ans et parfois de l'alcool mais sans excès"
L'expert psychiatre poursuit au sujet de l'accusé Ali El Haddad Asufi qu'il ne présente "aucun signe d'une pathologie psychotique, aucun signe d'une dangerosité liée à une pathologie mentale et qu'il est accessible à une sanction pénale".
Place à la dernière audition d'expert de la journée avec la psychiatre Emily Cambier, qui a réalisé l'expertise psychiatrique d'Abdellah Chouaa. "Il s'est présenté de manière très soignée, posée, polie malgré un fond d'anxiété perceptible".
La psychiatre évoque le mariage d'Abdellah Chouaa avec sa cousine, avec laquelle il a eu un fils, puis une fille avec sa deuxième compagne. "Sur le plan de la religion, il évoque tout d'abord une certaine méfiance à l'évoquer ce qui est compréhensible au vu du dossier"
Psychiatre : "on ne retrouve pas de pathologie cognitive, de trouble de la mémoire, d'éléments délirants, dépressifs. On notait une certaine anxiété ainsi qu'une vigilance à montrer une image positive de lui-même mais on ne peut pas en conclure quelque chose de manipulatoire"
La psychiatre conclut au sujet de l'accusé Abdellah Chouaa qu"il ne présente pas de trouble psychique ayant aboli son discernement".
Aucune question à poser à l'expert psychiatre qui peut donc repartir. "Je pensais qu'on aurait beaucoup plus de questions c'est pour cela que j'avais réduit le nombre d'experts par jour, indique le président, c'est le mystère des assises".
L'audience n'est cependant pas terminée car deux sujets sont encore à traiter : la lecture du rapport du quartier d'évaluation de la radicalisation de Mohamed Amri, demandée par ses avocats.
Autre sujet qui doit être évoqué : la demande d'un avocat de parties civiles, Me Stéphane Maugendre pour que les victimes puissent avoir accès à l'intégralité de l'enregistrement sonore du Bataclan.
Me Maugendre réclame ainsi que l'enregistrement sonore de l'attaque du Bataclan par le dictaphone d'un spectateur au nom d'une victime qu'il représente : "elle a accès à toutes les photos du Bataclan. Mais une pièce du dossier lui est inaccessible car elle est placée sous scellé"
Me Maugendre évoque un "sentiment d'absence de transparence et de contradictoire car les accusés n'ont pas été interrogés sur cette diffusion de l'audio".
Me Maugendre : "je vais mettre les pieds dans le plat : on le sait, ça se dit, ça se chuchote. Ce que l'on craint c'est qu'une partie de cette audio se retrouve sur les réseaux sociaux, voire même qu'il soit utilisé par l'Etat islamique dans sa propagande. C'est ça la crainte"
Me Maugendre : "toutes les photos, de toutes les terrasses et du Bataclan sont accessibles par tous les avocats et toutes les parties civiles. Les avons-nous vues sur les réseaux sociaux ? Non."
Me Jean Reinhart (parties civiles) se dit lui "très réticent en ce qui me concerne et au nom de l'association @13onze15 que cet audio soit mis à disposition des parties civiles. Cet audio est très marquant, c'est plus fort que des images, ça peut être très traumatisant"
D'autres avocats de parties civiles se lèvent pour demander le versement de cet enregistrement car "si vous ne l'acceptez pas, c'est verrouillé à jamais". "Cet un élément qui ne doit pas être passé sous silence". "Je ne vois pas d'argument juridique pour ne par l'ordonner"
Les uns après les autres, les avocats de parties civiles développent leurs arguments pour le versement de l'audio intégral du Bataclan. Et même, pour Me Szwarc par exemple, pour la diffusion de ces 2h40 de captation de l'attentat à l'audience "à un jour qui vous conviendra"
Camille Hennetier, avocate générale : "c'est une décision difficile que vous allez devoir prendre car quoi que vous décidiez, on vous le reprochera. Je maintiens qu'il y a un risque sérieux de diffusion de cet enregistrement que des victimes y soient confrontées malgré elles".
Camille Hennetier, avocate générale : "il n'y pas de droit acquis aux parties a avoir un accès illimité aux scellés. Donc c'est une décision que vous prendrez selon votre pouvoir discrétionnaire. Nous comprenons cette demande des parties civiles et nous n'avons pas d'opposition"
Pas d'intervention de la défense. "La cour rendra sa décision demain en début d'audience", indique le président. Avant de suspendre l'audience jusqu'à demain 12h30.
Jour 115 – Jeudi 21 avril – Suite de l’examen des expertises psychiatriques des accusés
115e jour d'audience au procès des attentats du 13 Novembre 2015 et suite aujourd'hui des auditions d'experts qui ont été chargé des expertises psychiatriques et psychologiques des accusés.
On débute avec l'audition d'un psychiatre belge, entendu en visioconférence depuis Bruxelles. Gérard Charles a été chargé de l'expertise psychiatrique de l'accusé Sofien Ayari. "On s'est entretenu en français. Un interprète en arabe était prévu mais il n'est jamais venu."
Psychiatre : "et je me suis rendu compte que Sofien Ayari était parfaitement bilingue". Sofien Ayari pour lequel il n'a décelé aucune pathologie mentale, explique-t-il encore "en bref".
Alors que le président lui demande de développer les éléments de personnalité de Sofien Ayari, l'expert psychiatre de 71 ans annonce : " alors là, je vais chausser mes lunettes pour pouvoir relire mon rapport. Car à mon âge ..." Président : "il n'y a pas d'âge, monsieur l'expert"
L'expert psychiatre explique n'avoir pas décelé de trait de personnalité saillant, "mais le détenu se montre un peu plus prolixe quand il s'agit d'évoquer ce qu'il aurait dû ou pu faire pour ses proches."
Expert psychiatre : "les réponses [de Sofien Ayari, ndlr] étaient excessivement limitées, ponctuelles. Il disait qu'il était un grain de sable dans un océan et que son propre sort importait très bien. Mais il n'a pas verbalisé de regrets par rapport aux faits".
Me Isa Gultaslar, avocat de Sofien Ayari rappelle que "cela fait plutôt 6 ans, cette expertise" et elle est "quand même plutôt acétique ... elle ne fait que six pages. Vous évoquez ses convictions inébranlables" Expert psychiatre : "il m'a dit qu'il était musulman pratiquant"
Me Isa Gultaslar : "vous pensez qu'une expertise de 2016, six mois après les faits, est encore valable six ans après" Expert psychiatre :"sur le plan de la maladie mentale, oui".
Me Gultaslar :"votre mission est de déterminer la responsabilité pénale à un temps T ?" Psychiatre : oui - pourtant, votre expertise est utilisée pour en tirer des conclusions sur sa dangerosité ... - mon expertise évoque la dangerosité sur le plan de la maladie mentale
L'expert psychiatre poursuit avec le rapport d'expertise qu'il a effectué sur l'accusé Osama Krayem pour lequel "nous avons noté la difficulté pour lui d'évoquer des domaines de type émotionnel ou personnel. Nos questions se sont heurtées à un certain mutisme".
L'expert psychiatre dont le propos est une fois encore très succins, n'a pas non plus décelé de pathologie mentale chez Osama Krayem chez qui il a "constaté une certaine distance, froideur" qu'il analyse "comme une certaine méfiance, une volonté de contrôle de la situation".
L'expert psychiatre en réponse à une avocate de parties civiles au sujet d'Osama Krayem : "L'autre n'apparaît pas dans son discours. A quoi l'attribuer ? Cela sort de mon domaine de compétence. C'est du domaine du verbe et ça c'est plus votre domaine que le mien, Me"
Me Gisele Stuyck, avocate d'Osama Krayem souhaite "revenir sur la question qui se pose du manque de collaboration de monsieur Krayem qui fait usage ici de son droit au silence et je tiens à dire que ce n'était pas convenu d'avance".
Me Gisele Stuyck explique également que "ce qui a changé depuis votre expertise ce sont les conditions de détention de monsieur Krayem qui a été incarcéré dans une cellule sans lumière du jour et tout était bétonné autour, il n'entendait aucun bruit."
Me Stuyck : "ne pensez-vous pas qu'Osama Krayem aurait adopté une posture distincte s'il avait été avisé de votre venue ?" Expert psychiatre : "il m'a dit qu'il aurait aimé se préparer, oui".
Fin de l'audition de l'expert belge. "Merci monsieur l'expert, salue le président. Et aurevoir Bruxelles, je crois que c'était la dernière visio". A l'écran, la magistrate qui se trouve dans les locaux du parquet fédéral belge qu'on a vu tant de fois à cette audience acquiesce.
Un autre expert belge, le psychiatre Samuel Leisted, est présent à l'audience. Il est venu rendre compte de l'expertise de l'accusé Ali El Haddad Asufi. Il revient sur le parcours scolaire de l'accusé "interrompu en 5e année", puis il tiendra un snack, des périodes de chômage"
Ali El Haddad Asufi pour lequel l'expert psychiatre souligne "une consommation de cannabis depuis l'âge de 16 ans, sans plus". Il n'a pas décelé "de pathologie mentale", "pas de trouble de la pensée, de l'humeur, cognitifs etc."
Le président souligne d'autres éléments du rapport de l'expert : "méfiance, manque d'empathie envers autrui ..." Expert : "c'est toujours la même chose dans le cadre des expertises psychiatriques, la méfiance est induite par le contexte. Mais on n'a pas quelqu'un de paranoïaque"
Interrogé sur la radicalisation éventuelle d'Ali El Haddad Asufi, l'expert psychiatre indique : "on retrouve quelques éléments, mais son discours est assez peu imprégné de religiosité et on ne peut pas dire qu'il était dans un état radicalisé complet".
Me Christidis (PC) met en parallèle "l'absence de culpabilité" relevée par le psychiatre chez Ali El Haddad Asufi "parce qu'il n'a rien à voir avec les attentats", alors que "beaucoup de victimes ont témoigné de leur sentiment de culpabilité alors qu'elles n'y sont pour rien"
Me De Taye au sujet du "manque d'empathie" relevé chez Ali El Haddad Asufi : "il est en détention depuis un mois alors qu'il clame aujourd'hui encore son innocence. Humainement peut-on comprendre qu'il présente moins d'empathie ? Expert : "Je ne peux pas l'exclure"
Me Méchin, autre avocat d'Ali El Haddad Asufi : "est-ce que la radicalisation est une pathologie psychiatrique ?" Expert : "Non" - Donc ce n'est pas vraiment de votre ressort ? - Certains psy au sens large s'y intéressent, mais ce n'est pas du domaine de la maladie mentale.
Me Martin Méchin: "qu'est-ce que pour vous la radicalisation?" Expert psychiatre : "la radicalisation s'inscrit dans le cadre d'un mode de pensée qu'on qualifie d'extrême et rigide, caractérisé par un manque de remise en question, on est dans le champs des distorsions cognitives"
Me Méchin : "vous évoquez des traits antisociaux chez Ali El Haddad Asufi du fait de ses antécédents judiciaire qui sont des infractions de roulage. Moi, j'ai déjà conduit en téléphonant, j'ai pas tous mes points sur mon permis. Est-ce que j'ai des traits antisociaux ?"
L'expert maintient que la transgression de certaines règles (comme les infractions routières) constitue des traits antisociaux. Me Méchin : "on doit être environ 300 personnes dans la salle aujourd'hui. Je pense qu'environ 250 doivent alors présenter des traits antisociaux ..."
L'expert Samuel Leistedt poursuit son audition avec son rapport d'expertise sur Mohamed Abrini au sujet duquel il évoque d'emblée "le décès de son frère en Syrie. On en parlera à plusieurs reprises" mais aussi "un parcours professionnel fragmenté de plusieurs incarcérations"
"L'examen mental est absolument rassurant", indique encore l'expert au sujet de Mohamed Abrini. "Il est bien ancré dans la réalité" malgré "d'une organisation pathologique de la personnalité sur un versant antisocial".
Le président revient sur le "diagnostic de danger social" relevé par l'expert psychiatre au sujet de Mohamed Abrini. Expert : "ce qui frappe c'est la capacité de transgression récurrente, le peu de considération des normes sociales."
L'expert psychiatre poursuit au sujet de Mohamed Abrini : "ces personnes n'apprennent pas des expériences négatives, comme par exemple les séjours en prison. On est face à quelqu'un qui a une capacité transgressive récurrente"
Président : "à deux reprises, il va aller quasiment jusqu'au bout, à Paris jusqu'au 12 novembre 2015 et à Bruxelles jusqu'à l'aéroport avant de renoncer et partir" Psychiatre : "c'est un comportement qu'on peut qualifier d'adolescent. Les adolescents adorent tester leurs limites"
Le président lit un extrait du rapport d'expertise psychiatrique de Mohamed Abrini : "il dit sa culpabilité mais sans l'accompagner d'émotion et se montre passif, écrasé par la perspective de ne jamais sortir de prison"
Autre extrait du rapport psychiatrique de Mohamed Abrini qui le cite au sujet des attentats du 22 Mars : "la Belgique, ce n'était rien, c'était une piqûre de moustique. Si tout s'était passé comme prévu, nous visions l'Euro 2016 avec des voitures remplies de TATP"
Au sujet des attentats du 22 Mars 2016, où Mohamed Abrini a renoncé au dernier moment à déclencher sa bombe, "il va se mettre dans une file d'attente et il voit des gens qui patientent avec des enfants" explique encore l'expert psychiatre.
Expert psychiatre au sujet de Mohamed Abrini : "dans ce qu'on appelle l'évaluation du risque, nous donnons des évaluations du risque de récidive. Et chez une personne antisociale, par rapport à la population en général, le risque est déjà plus élevé."
Me Eskenazi, avocat de Mohamed Abrini, reprend la genèse de l'expertise. L'accusé a d'abord refusé car, "et vous avez vu suffisamment de cellules, pour pouvoir constater qu'il était dans une cellule particulièrement exigüe." Finalement, le 1er entretien se déroulera ailleurs.
Me Eskenazi, avocat de Mohamed Abrini : "dans votre rapport, je lis "aucun élément objectif ne permet de mettre en évidence des éléments permettant d'évoquer de la manipulation ou du mensonge". Donc vous n'avez pas établi de mensonge dans ses propos ?" Expert : non
Me Eskenazi : "j'ai essayé, mais les livres de psychiatrie, je n'y arrive pas. Donc je vais sur Wikipedia. Quand vous parlez de troubles sociopathes, ce n'est pas un sociopathe ?" Expert : "aujourd'hui, on parlerait de comportement antisocial" - donc en bon belge, c'est antisocial
Me Eskenazi : "vous connaissez le taux de récidive en Belgique ?" Expert psychiatre : "autour de 65%" - donc on est d'accord qu'il y a un bon nombre de comportement antisocial dans la population carcérale
Fin de l'audition de l'expert. L'audience est suspendue avant l'audition des experts Daniel Zagury et Bernard Ballivet au sujet de l'expertise psychiatrique de Salah Abdeslam.
L'audience reprend avec les rapports de l'expertise de Salah Abdeslam par les psychiatres Bernard Ballivet et Daniel Zagury. "Je vais faire quelques observations préalables", débute Daniel Zagury. "Un examen psychiatrique et psychologique ne peut être que décevant"
Daniel Zagury : "nous avons été d'emblée confronté à la banalité du mal c'est-à-dire le fossé immense entre l'énormité des crimes commis et la banalité de Salah Abdeslam. La participation à des projets criminels ne requiert ni d'être un grand malade, ni un grand psychopathe."
Bernard Ballivet poursuit sur l'examen psychiatrique à proprement parler. Examen qu'a d'abord refusé Salah Abdeslam, à plusieurs reprises explique-t-il à la barre. "Finalement, nous avons pu le rencontrer le 12 novembre 2021. Il s'est montré courtois, calme."
Bernard Ballivet : "[Salah Abdeslam] a accepté l'entretient mais a fixé ses limites et a expliqué qu'il ne donnera pas de détails, ne voudrait pas s'exprimer sur les faits et ses motivations. L'entretien a duré 2H30. Il s'est montré très contrôlé, exprimant très peu d'émotion."
Bernard Ballivet : "la direction [de la prison] nous a expliqué qu'environ un an après son incarcération, il a commencé à avoir un comportement inadapté, il s'est replié sur lui, est devenu agressif avec les surveillants, il pensait que les surveillants voulaient le tuer."
Bernard Ballivet : "il voyait de la colle partout dans sa cellule et cherchait à enlever cette colle. Il y a eu un aménagement de ses conditions de détention : ses parloirs ont pu durer plus longtemps, il y a eu un aménagement de sa cellule. Et les troubles ont disparu"
Bernard Ballivet : "l'efficience intellectuelle est tout à fait normale. Ses propos sont clairs, aucun problème de mémoire, de raisonnement ou de jugement. On n'a pas retrouvé de pathologie mentale."
Bernard Ballivet : "la question principale porte sur son état mental au moment des faits. Il n'a rien voulu en dire mais a assuré qu'à cette époque il n'avait aucun trouble psychologique. Rien n'évoquait une activité délirante ou hallucinatoire."
Bernard Ballivet : "sur le plan psychiatrique, il n'y a pas d'élément relevant un état dangereux. [Salah Abdeslam] nous a semblé accessible à une sanction pénale dont il peut comprendre la signification".
Daniel Zagury reprend en conclusion : "[Salah Abdeslam] était attentif à peser chacune de ses paroles. Pour autant, à certains moments, il a semblé surpris lui-même de ressentir des émotions et d'aller un peu plus loin que ce qu'il avait prévu."
Daniel Zagury : "il a semblé soucieux de témoigner d'une image de lui-même opposée à ce qu'on réverbérait de lui. Comme s'il oscillait entre la protestation d'humanité et le maintien affiché d'un engagement déterminé."
Daniel Zagury : "Salah Abdeslam dispose d'un bon niveau expressif, son vocabulaire est précis. Après une cassure en 2010, il dit avoir travaillé de manière irrégulière avant une adhésion croissante au modèle de l'Etat islamique".
Daniel Zagury : "quand nous l'avons interrogé sur sa famille, il y avait à la fois un mouvement d'idéalisation et de retenue. Manifestement, il ne souhaitait pas mêler sa famille à son propre procès. En cela, il est semblable à l'immense majorité des sujets radicalisés"
Daniel Zagury : "Les sujets radicalisés que nous avons pu examiner se détachent, se désarriment de l'histoire familiale pour être des frères en Islam. Et tous tiennent le même discours."
Daniel Zagury : "[Salah Abdeslam] a fait l'autoportrait d'un jeune homme ouvert, sociable, sportif". "Sur son virage dans l'engagement radical, il a évoqué l'impact de l'engagement militaire française et les massacres de Bachar Al-Assad."
Daniel Zagury : "A partir du moment où [Salah Abdeslam] avait "choisi son camp", c'est sa formule, son engagement était présenté comme absolu. Mais il a évoqué n'avoir pas été insensible à l'émotion émanent du procès. Il l'a dit clairement, mais il s'est arrêté là."
Daniel Zagury : "on a été frappé par l'édulcoration de son récit et son insistance à répéter qu'il n'a tué personne. Il s'y accrochait, tout en répétant par ailleurs que l'attentat était un mal nécessaire."
Daniel Zagury : "selon lui, ce n'est pas une insensibilité qui a conduit à son engagement mais au contraire sa particulière réceptivité à la souffrance d'autres musulmans dans le monde."
Daniel Zagury : "[Salah Abdeslam] est entré dans un système totalitaire qui pense à sa place. Et à partir de là, toutes ses réponses étaient attendues et témoignent de l'adhésion à tous les principes de l'islamisme qui ne se discutent pas et n'acceptent aucune nuance."
Daniel Zagury : "à sa manière, Salah Abdeslam nous a dit qu'il ne pouvait pas prendre le risque du doute et de la dépression qui immanquablement le guetterait si le système de légitimation qui le soutenait venait à défaillir"
Daniel Zagury : "Hannah Arendt avait un maître, psychiatre, Karl Jaspers qui dans une lettre lui a répondu que le mal était souvent banal. Cela va devenir la banalité du mal sous la plume de la philosophe, ce qui ne désigne pas la nature des actes mais de ceux qui les commettent"
Daniel Zagury : "son engagement dans un système totalitaire l'a débarrassé de toute pensée interne, il faut le rappeler pour ceux qui attendraient un sursaut d'humanité. Il faut un long cheminement, mais ce procès est très long et peut-être a-t-il permis un tel cheminement."
Daniel Zagury : "le carcan dans lequel est enfermé Salah Abdeslam admet difficilement des demi-mesures. Ou bien, il s'y raccroche, ou bien il risque un effondrement dépressif. Il l'a formulé ainsi."
D. Zagury : "Salah Abdeslam ne pourra authentiquement éprouver des sentiments à l'égard des victimes que sorti, s'il en sort, de l'arsenal déshumanisant qui pense pour lui et lui interdit d'éprouver. En attendant, les victimes ne le sont que d'une guerre dont il a été le soldat."
Daniel Zagury : "[Salah Abdeslam] nous a expliqué qu'après la mort on voit des anges, c'est ce que croient les musulmans. Ce n'est pas une métaphore, c'est une croyance absolue. Il y a une espèce de récitation d'un bréviaire radical, mais il était courtois et pédagogue"
Daniel Zagury : "ce qui est important de saisir c'est que ce système totalitaire prive l'individu de tout choix autonome. Il lui offre un idéal exaltant, partagé par tous ses frères. Le plus petit anonyme est promis à la vie éternelle."
Daniel Zagury : "Quand il s'exprimait c'était un peu comme s'il n'était pas Salah Abdeslam originaire de Molenbeek mais de Salah Abdeslam ayant voué son existence à dieu. Ce qui pour nous est inhumain dans la destruction de tant de vies innocentes est pour lui surhumain."
D. Zagury : "des processus psychiques l'éloignent de ce qu'auraient pu être avant ses réactions, le débarrassent de toute humanité, toute gêne. Et ce qui était interdit devient une injonction divine. Ce n'est plus "tu ne tueras point" mais "tu tues parce que dieu l'a commandé."
Daniel Zagury : "et pourtant, je suis en train de vous décrire une forteresse inattaquable, mais elle avait déjà commencé à se fissurer. L'image qu'il donnait était tantôt celle de la véhémence exaltée et tantôt celle du jeune homme poli qui répond calmement aux questions."
Daniel Zagury : "il est probable que Salah Abdeslam oscille entre deux limites : celle de l'endurcissement et celle de l'ouverture, même modeste. Mais l'hypothèse d'une réhumanisation ne nous semblait pas exclue par plus qu'un endurcissement dans l'idéologie totalitaire"
Daniel Zagury : "[Salah Abdeslam] s'est efforcé devant nous de demeurer détaché quant au déroulement du procès. Mais la confrontation à la douleur des victimes semblait avoir mené à une évolution au cours du procès."
Daniel Zagury: "même s'il s'attendait à une sanction lourde, il pouvait envisager sa sortie de prison, nourrissait un projet de vie familiale. Il nous a fait part de sa crainte que cette expertise le déshumanise plus qu'elle ne l'humanise. Mais ce débat est le sien, pas le nôtre"
Daniel Zagury : pour Salah Abdeslam, "le risque d'un retour à des sentiments humain est le risque d'une perte de ceux qui le protègent et qui ont donné un sens un sa vie et peut-être à sa mort."
Daniel Zagury : "cet enjeu c'est un dilemme cornélien : soit renier le camp totalitaire dans lequel il s'était engagé, soit se renier lui-même. C'est redevenir le petit gars de Molenbeek ou reste le soldat de dieu. Et le danger serait de l'enfermer dans une de ces postures."
Daniel Zagury au sujet de Salah Abdeslam : "je sais qu'il y a eu un débat hier soir ... mais il est dans le "en même temps", voilà". Légers rires dans la salle.
D. Zagury : "On cherche à mettre dans des cases rationnelles des comportements. Or les conflits existent chez lui. Ce qui nous apparait comme des contradictions ou des mensonges ne sont peut-être que le reflet de la coexistence de plusieurs registres dans la même personne"
Nicolas Braconnay (avocat général) : "comment faire la différence entre ce qui relève de l'oscillation et de l’évolution ?" Daniel Zagury: "il n'est pas figé comme d'autres sont figés. Il est devant un choix douloureux, difficile, mais c'est le sien."
Me Seban (parties civiles) : vous nous avez parlé d'un personnage dans le contrôle ..." Daniel Zagury : "on s'est croisé dans un certain nombre de procès de grands pervers." - exactement, monsieur Zagury - on n'est pas là-dedans. On est dans une oscillation posturale.
Daniel Zagury: je ne sais pas si [Salah Abdeslam] n'a pas eu peur de la mort. Mais pour ces sujets, la mort n'est qu'un bref temps de passage vers un monde meilleur Me Aboukaya : les vierges ... - pas seulement. Les femmes n'ont pas un parterre d'hommes musclés dans leur paradis.
Me Reinhardt : "quel est son rapport à la vérité ?" Daniel Zagury : "la vérité de Salah Abdeslam est celle qu'il vous a donné. De même que vous et moi ne pouvons pas être limités à une tendance."
Daniel Zagury : "Les crimes les plus abominables, notamment les génocides, les actes de terrorisme sont souvent commis par des hommes ordinaires. Me de Villèle : il peut redevenir un homme ordinaire ? - Il en a les moyens et je pense une personnalité assez riche. Il peut.
Daniel Zagury : "dans les procès, on attend des déclarations qui souvent sont dictées par les avocats ou plaquées. Alors que le psychisme humain ne fonctionne pas comme ça. Il fonctionne plus lentement. Je suis souvent plus sensible à une hésitation dans la voix, une larme ..."
Me Chemla : "je suis celui qui a du mal à croire à l'émotion [de Salah Abdeslam] et conserve des doutes." Daniel Zagury : "en mots, il ne le fera pas. Ce serait une trahison pour lui. Il l'a fait apparemment à travers des expressions émotionnelles."
Me Chemla : "moi, je l'ai entendu exprimer des émotions sur son sort à lui, quand il était question de sa mère. Mais pas d'autres émotions." Daniel Zagury: "j'ai été interrogé récemment par Antoine Garapon qui disait que dans les procès les accusés pleuraient, mais sur eux-mêmes"
Daniel Zagury : "se laisser aller à l'émotion pour les victimes c'est la première étape de la cuirasse dans laquelle il s'est moulé. Mais je pense qu'il n'y a pas que ça."
Me Martin Vettes, avocat de Salah Abdeslam : "Salah Abdeslam a mis un certain temps avant de nous parler de son frère, dont on sait qu'il a joué un rôle important dans cette histoire". Daniel Zagury : "la plupart de ces sujets se désarriment de leur histoire familiale"
Daniel Zagury : "c'est essentiellement la religion du semblable, les frères qui sont tellement semblables qu'ils disent tous la même chose."
Daniel Zagury : "il a évolué vers quelque chose de moins fermé, qui laisse entrevoir la possibilité d'une issue en dehors de cette carapace. Me Ronen : "parce qu'il aurait pu rester enfermé ... - Je pense à un détenu d'Action directe. 25 ans après, il était le même. Et en pire.
Me Ronen : "on peut faire un kamikaze en 24h, comme l'a dit Salah Abdeslam ?" Daniel Zagury : "au début on disait : il n'y a pas de profil type, mais des processus type qui sont généralement longs. Et on a vu qu'il y a généralement un processus long mais parfois il est court."
Me Ronen : "la position que soutient Salah Abdeslam c'est qu'il a renoncé ..." Daniel Zagury: "il a cru qu'on lui reprochait une certaine lâcheté. Mais renoncer à tuer, même à se tuer, ce n'est pas de la lâcheté. Ceux qui se sont fait sauter étaient des grands courageux ?"
Me Olivia Ronen : "le fait que Salah Abdeslam ait eu une vie sociale [pendant ce procès, ndlr] a pu jouer également ?" Daniel Zagury : "certainement. Il est à l'isolement, filmé par deux caméras en permanence, sauf quand il fait ses besoins. Rien que ça c'est délirogène"
Me Ronen : "quand Salah Abdeslam a eu une émotion la semaine dernière, c'est en évoquant sa mère ..." Daniel Zagury : "c'est universel, Me. C'est toujours en parlant de sa mère qu'on exprime le plus d'émotion." Fin de l'audition des psychiatres qui ont expertisé Salah Abdeslam.
Avant de suspendre l'audience, le président annonce la décision de la cour sur les demandes de versement et de diffusion de l'enregistrement intégral de l'audio du Bataclan réalisé par le dictaphone d'un spectateur.
Le président indique ainsi que "la cour considérant que rien de s'oppose sur le plan juridique a versement d'une copie du scellé au débat", ce versement sera effectué avant le 6 mai prochain. "La demande de diffusion à l'audience est de ce fait sans objet."
Fin de l'audience pour aujourd'hui. Reprise demain à 12h30 avec la suite (et fin) des expertises psychologiques et psychiatriques des accusés.
Jour 116 – Vendredi 22 avril – Dernière journée consacrée à l'examen des expertises psychiatriques et psychologiques des accusés
Bonjour à tous, 116e jour d'audience au procès des attentats du 13 Novembre 2015. Dernière journée consacrée à l'examen des expertises psychiatriques et psychologiques des accusés. Dernière journée également avant une pause d'une semaine.
Aujourd'hui, il sera question des accusés Mohamed Amri, Ali Oulkadi, Muhammad Usman, Adel Haddadi, Farid Kharkhach, Mohamed Bakkali et Yassine Atar.
L'audience reprend avec l'audition de la psychiatre Ariane Casanova, qui est la seule entendue aujourd'hui. Elle débute avec l'accusé Adel Haddadi dont elle retrace le parcours jusqu'à son départ pour l'Etat islamique.
"Il se laisse conduire en Syrie", analyse la psychiatre Ariane Casanova au sujet de l'accusé Adel Haddadi dont elle retrace le parcours biographique étape par étape selon le récit que lui en a fait l'accusé, via le truchement d'un interprète.
La psychiatre Ariane Casanova évoque maintenant "l'activité d'élevage d'oiseaux" de l'accusé d'Adel Haddadi dont elle dit savoir "qu'une telle activité peut être rémunératrice entre différents pays."
Me Clémenceau, avocat d'Adel Haddadi : "dans mon souvenir, le contexte dans lequel vous avez rencontré Adel Haddadi était particulier ..." Psychiatre : "c'est dans la galerie Saint-Eloi [de l'instruction antiterroriste, ndlr] et c'est plus confortable que dans certains parloirs"
Ariane Casanova : "ce qui m'a beaucoup impressionnée c'est que, et il n'est pas le seul c'est souvent le cas chez les personnes longuement incarcérées, il voulait absolument raconter".
Me Clemenceau : "il y a quelque chose de mystérieux dans le départ d'Adel Haddadi [vers l'Europe puis la Syrie, ndlr] car il n'y a pas d'étape intermédiaire ..." Ariane Casanova : "j'ai mis ça tout de suite sur la perspective économique de l'élevage d'oiseaux"
La psychiatre Ariane Casanova poursuit son exposé avec l'accusé Mohamed Amri, rencontré en septembre 2016. "C'est quelqu'un qui a un léger accent en lien avec sa trajectoire personnelle", note d'emblée la psychiatre, "l'élaboration de sa pensée n'amène pas de commentaire".
La psychiatre évoque la consommation de cannabis de Mohamed Amri "pour la défonce, selon l'expression qu'il emploie". "Il se dit être un musulman normal, il fait le ramadan et ses prières".
"Pas de difficulté sur le plan psychiatrique, pas d'abolition du discernement, il est accessible à une sanction pénale", conclut la psychiatre au sujet de l'accusé Mohamed Amri.
Me Topaloff (PC) :"je suis étonnée, on parle d'un gros consommateur de cannabis depuis l'âge de 14 ans. Et vous ne décelez pas de failles ?" Psychiatre :"on n'a pas le même parcours professionnel, Me. Je ne sais pas quel âge vous avez mais ... -on doit avoir à peu près le même âge
Ariane Casanova : "j'ai travaillé pendant longtemps en région parisienne, peut-être que j'ai une déformation professionnelle, mais 5 à 6 joints par jour, bon ..." Me Topaloff (PC) : "j'en apprends tous les jours".
Ariane Casanova poursuit au sujet de Mohamed Amri : "il est ordinaire, il a commis un vol. Il n'y a pas de gros trouble du comportement pendant l'adolescence. Non, je ne peux pas aller dans votre sens ..." Me Topaloff : "je n'allais pas dans un sens, je posais des questions."
La psychiatre poursuit encore avec l'expertise de Yassine Atar, exposé qu'elle continue assise après déjà plusieurs heures à la barre. "En fait, monsieur Atar revient à plusieurs reprises sur le fait que s'il est actuellement incarcéré, c'est lié à sa famille, ses cousins."
Ariane Casanova au sujet de Yassine Atar : "c'est comme s'il était victime d'un système dans lequel lui-même n'aurait pas vraiment agi".
Ariane Casanova : Yassine Atar "est dans une organisation mentale dans laquelle il est capable de décrie une forme de logique et il attend qu'il y ait une solution pour prouver que tout cela est une succession d'erreurs".
Mais pour Yassine Atar non plus, la psychiatre Ariane Casanova n'a pas décelé "d'altération ou d'abolition du discernement", explique-t-elle en conclusion de son rapport.
Président : "est-ce qu'il vous a donné des éléments sur son frère, Oussama Atar?" Ariane Casanova : "non" - pas même son prénom ? - non, je l'aurais noté. - Oussama Atar était grosso modo le numéro 3 ou 4 de l'Etat islamique - il n'a pas donné d'éléments sur son frère
Me Raphaël Kempf évoque l conclusion de l'expertise dans laquelle la psychiatre annonce "clore l'entretien" devant les preuves avancées par Yassine Atar pour innocence : "vous avez été fatiguée par Yassine Atar ?" Ariane Casanova : "moi je travaille sur la clinique du sujet."
Me Kempf cite la conclusion de l'expert psychologue qui a aussi examiné Yassine Atar : "il dit lire le Coran, le livre de Dupond-Moretti et faire la cuisine" Ariane Casanova : "à l'époque Dupond-Moretti était l'avocat de Merah, je pense" - comme de beaucoup d'autres gens ...
L'experte psychiatre poursuit avec l'expertise de l'accusé Mohamed Bakkali, avant une suspension annoncée par le président. "C'est quelqu'un qui a une aisance orale qui n'existe pas forcément chez tout le monde. Il entre dans les explications, les détails."
Ariane Casanova évoque la trajectoire professionnelle de Mohamed Bakkali et "son activité dans la contrefaçon de vêtement", sa "consommation de cannabis de 16 ans à 20 ans", son activité de loisir : "le foot".
Ariane Casanova : "l'entretien se termine pour dire qu'il est contre le meurtre d'innocents qui est contraire à l'islam. Il dit être prêt à assumer ce qu'il a fait : la location d'appartement notamment. C'est un entretien qui ne laisse supposer aucun dysfonctionnement psychique"
Nicolas Braconnay : "vous évoquez la facilité qu'avait monsieur Bakkali à s'exprimer. Il ne nous en a fait que peu profiter car il a choisi de faire usage de son droit au silence" Ariane Casanova : "je l'ai examiné en 2018, est-ce qu'il s'est passé quelque chose de particulier ?"
Dans le box, Mohamed Bakkali acquiesce. Il a expliqué précédemment à cette audience qu'il avait été injustement condamné à 25 ans de réclusion dans le procès de l'attentat du Thalys et ne voyait donc pas de raison de se défendre ici.
Me Topaloff (PC) : "Mohamed Bakkali a revendiqué un islam fondamentaliste ou rigoriste, ce qui ne veut pas dire djihadiste. Ça ne vous est pas apparu ?" Ariane Casanova : "il a dit que ses sœurs étaient plus religieuses que les garçons mais non, je n'ai pas ..."
Me Abraham Johnson, avocat de Mohamed Bakkali : "il n'a pas parlé de fondamentalisme mais d'orthodoxie dans sa pratique et contrairement à ce que ma consœur Topaloff a affirmé : ses sœurs ne sont pas voilées de la tête aux pieds"
L'audience est suspendue avant la suite de l'audition de l'experte psychiatre Ariane Casanova pour les trois derniers rapports d'expertises d'accusés.
L'audience reprend avec le rapport d'expertise de Farid Kharkhach, toujours par la psychiatre Ariane Casanova qui évoque "des symptômes dépressifs réactionnels qui ont ressurgit après sa séparation" avec sa femme.
Ariane Casanova au sujet de Farid Kharkhach : "il va préciser qu'il a entendu le mot radical pour la première fois devant un magistrat en Belgique".
Me Fanny Vial, avocate de Farid Kharkhach indique que son client "dit que lorsqu'il est interpellé et en garde à vue pendant 2 jours, cet état de stress va le conduire à avoir des propos qui ne correspondaient pas à sa pensée et même contraires à ce qu'il voulait dire".
Le rapport d'expertise suivant concerne l'accusé Ali Oulkadi pour lequel la psychiatre souligne le concernant également "une consommation d'alcool et de cannabis : deux à trois joints de soir, malgré les mises en garde de sa compagne".
Ali Oulkadi qui n'a "pas eu de traumatisme spécifique", "est issue d'une famille harmonieuse", indique encore la psychiatre. "Il n'a pas de trouble de la personnalité ni de trouble psychiatrique au moment des faits".
Me Judith Lévy, avocate d'Ali Oulkadi rappelle sa stupeur quand il apprend la mort en kamikaze de son ami Brahim Abdeslam. "A tel point qu'il lui enverra 7h plus tard un texto ..." Ariane Casanova : "cela peut servir à avoir une forme de réénoncé de la réalité des faits"
"Et enfin, l'expertise de Muhamad Usman", annonce le président d'un air semblant réjoui. La psychiatre Ariane Casanova relit les premières lignes de son rapport et se souvient : "ah ça ça a été pas facile du tout ... y compris pour l'interprète [en langue pakistanaise, ndlr]
Ariane Casanova au sujet de Muhammad Usman : "il n'y avait pas de possibilité d'avoir un échange de regard avec lui. C'est quelqu'un qui est resté recroquevillé sur lui-même, la tête penchée."
Me Karim Laouafi, avocat de Muhammad Usman :"il y a un rapport à l'intime différend selon les cultures. Vous le prenez en compte lors de votre expertise ? Ariane Casanova : "dans une évaluation assez globale, oui. Mais quand je lui demande si ça va en cellule, là il me répond"
La psychiatre semble vraisemblablement agacée, par les questions de Karim Laouafi : "le mot empathie est un mot que je n'emploie même pas ..." Puis, "écoutez Maître, si vous voulez faire l'expertise à ma place …"
Fin de l'audition de la psychiatre Ariane Casanova. L'audience est suspendue jusqu'au lundi 2 mai puisqu'il y a pas d'audience la semaine prochaine. "Profitez d'une bonne respiration d'ici là" salue le président.