Procès des attentats du 13 novembre 2015 - Le Live Tweet - Semaine VINGT-CINQ

Un article de la Grande Bibliothèque du Droit, le droit partagé.


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Retrouvez sur cette page tous les tweets du procès issus des Live tweets de @ChPiret Charlotte Piret et @sophparm Sophie Parmentier ; elles suivent ce procès pour France Inter et nous ont donné l'autorisation de compiler leurs tweets dans un objectif de consultation et archivage.



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Semaine VINGT-CINQ

Jour 87 – Lundi 7 mars – Auditions de la dernière enquêtrice belge

Bonjour à tous, De retour au procès des attentats du 13 Novembre 2015 pour la 87e journée d'audience, 25e semaine. Aujourd'hui, la cour entend la dernière enquêtrice belge de cette série sur la recherche des kalachnikovs qui ont servi aux attentats.

LT à suivre ici, une fois que l'audience aura repris en l'absence, probable, d'Osama Krayem qui refuse toujours de comparaître. Les autres accusés sont, eux, en train d'arriver dans le box.

L'audience reprend avec l'audition de l'enquêtrice belge OP n° 447437051, déjà entendue la semaine dernière à l'audience. Aujourd'hui, elle vient parler de la recherche des armes par la cellule des attentats du 13 Novembre 2015.

L'enquêtrice belge explique qu'"une semaine avant les attentats du 13 Novembre 2015, Mohamed Bakkali" et un autre homme "cherchaient six kalachnikovs". Ils en ont trouvé quatre via une filière liégeoise, poursuit-elle.

Au cœur de cette filière liégeoise qui a fourni certaines des armes, un homme : Mohamed E. Il a été interpellé et poursuivi en Belgique, mais ne fait pas partie des accusés ici. Mohamed E. et l'accusé Mohamed Bakkali se rencontrent à Verviers, puis restent en contact.

Devant les enquêteurs belges, Mohamed E. a reconnu avoir recherché des armes à la demande de l'accusé Mohamed Bakkali "mais ça n'a rien donné". Son rôle selon lui, explique l'enquêtrice, se serait limité à prendre contact avec un Kurde capable de lui en fournir.

Selon Mohamed E. devant les enquêteurs, "Mohamed Bakkali avait fixé le prix des kalachnikovs à 1500 euros l'unité". Il recherchait également des chargeurs et des munitions, ajoute l'enquêtrice belge.

Outre la filière de Liège et Verviers, les enquêteurs belges se sont également tournés vers les Pays-Bas. "Une filière hollandaise a bien été utilisée pour acheter des armes qui se sont retrouvées dans une planque utilisée par les terroristes", explique l'enquêtrice belge.

L'accusé "Ali El Haddad Asufi a effectué deux déplacements aux Pays-bas "pour l'achat de Clio", explique l'enquêtrice belge. "Et on peut supposer que "Clio" est un mot codé pour désigner autre chose que des voitures."

A l'appui de cette thèse, les enquêteurs ont retrouvé chez l'accusé Ali El Haddad Asufi une note manuscrite "de la main d'Ibrahim El-Bakraoui", l'un des logisticiens des attentats, indiquant "Remington 1911 Col 45 et CZ Zostana 7,65", explique encore l'enquêtrice belge.

L'enquêtrice fait également projeter une image de vidéo surveillance. On y voit Ibrahim El-Bakraoui, logisticien des attentats, et l'accusé Ali El Haddad Asufi. "Après cette rencontre, Ali El Haddad Asufi part directement aux Pays-Bas pendant six heures".

Sur une autre image de vidéosurveillance que fait projeter l'enquêtrice, on voit Ali El Haddad Asufi et Ibrahim El-Barakoui, ce même 7 octobre 2015, de retour des Pays-Bas dans la planque d'Etterbeek. Ils portent alors chacun un sac de plastique blanc.

Le 23 octobre 2015, les deux hommes sont à nouveau vu dans la planque située à Etterbeek. Ce même jour, Ali El Haddad Asufi contact son cousin aux Pays-Bas et lui annonce qu'il viendra chercher les "deux Clio" le mardi suivant, explique l'enquêtrice belge.

C'est finalement un peu plus tard, le 28 octobre 2015, que l'accusé Ali El Haddad Asufi se rend à nouveau aux Pays-Bas, à Rotterdam. L'enquêtrice belge fait projeter la photo d'un bar à chicha de Rotterdam, lieu de rendez-vous d'Ali El Haddad Asufi pour récupérer les "Clio".

Entendu par les enquêteurs aux Pays-Bas, le cousin d'Ali El Haddad Asufi affirme que les transactions évoquées "portaient bien sur un projet de voitures Clio", explique l'enquêtrice belge. Avant de parler de produits stupéfiants, "plus spécifiquement de la marijuana".

L'enquêtrice belge conclut sa présentation en rappelant que l'accusé Ali El Haddad Asufi nie toute implication dans la recherche d'armes pour le compte d'Ibrahim El-Bakraoui [logisticien des attentats du 13 Novembre 2015, ndlr]

Le président indique qu'il n'a pas de questions à poser à l'enquêtrice sur ce volet des armes, "étant entendu que demain, nous entendrons les individus inculpés aux Pays-Bas". Pas d'autres questions des autres membres de la cour non plus.

Place donc aux questions du parquet. Nicolas Le Bris : "six kalachnikovs ont été retrouvées sur les scènes de crime pour dix terroristes. Peut-on en déduire qu'ils ont eu des difficultés à se fournir ?" Enquêtrice belge : "oui, il semble qu'il y ait eu un petit souci".

Nicolas Le Bris (AG) : "il a été dit à l'audience [par les avocats d'Ali El Haddad Asufi, ndlr] qu'il était très facile de se procurer des kalachnikovs, notamment à Bruxelles" Enquêtrice belge : "à ma connaissance, on ne trouve pas des kalachnikovs à tous les coins de rues"

L'avocat général, Nicolas Le Bris rappelle par ailleurs que l'enquête belge n'a pas permis de déterminer de laquelle des deux filières identifiées - de Liège ou de Rotterdam - les kalachnikovs des attentats provenaient effectivement.

Nicolas Braconnay, autre avocat général, tient à revenir sur la chronologie de l'enquête "pour expliquer pourquoi c'est relativement tard, à partir de l'automne 2018" que les enquêteurs antiterroristes belges se sont penchés sur la filière de Liège.

En réalité, c'est d'abord "un renseignement assez vague" qui parvient à la police judiciaire de Liège. Puis, en avril 2016, "un second renseignement évoque une recherche d'armes une semaine avant les attentats", explique Nicolas Braconnay (AG). 1/2

Or, poursuit l'avocat général Nicolas Braconnay, "les premières recherches que vous [services antiterroristes] faites le sont plus de deux ans après, en 2018. On peut s'étonner de ce décalage." "Oui, effectivement" répond laconiquement l'enquêtrice belge. 2/2

Du fait des 2 ans écoulés entre les premiers renseignements et la reprise des investigations par les services antiterroristes, les éléments de téléphonies ne sont plus disponibles. "Et on peut s'interroger sur la spontanéité des personnes auditionnées" souligne l'avocat général.

Fin des questions du parquet national antiterroriste. Les avocats de parties civiles n'ont pas de questions à poser. Place donc à la défense. (Sur les bancs de la salle d'audience, il se murmure que cette 87e journée audience devrait s'achever tôt)

Me Orly Rezzlan, avocate de Mohamed Bakkali rappelle qu'au départ, une enquête a été ouverte à Liège le 17 décembre 2015 pour des faits de vente d'armes. "Qu'est devenue cette procédure ?" L'enquêtrice belge : "cette information n'a pas pu être vérifiée donc il y a eu un non-lieu"

L'enquêtrice belge sur le délai entre les 1eres informations sur les armes et le travail d'enquête : "il y a eu une très grosse masse de travail suite aux attentats. On n'était pas suffisamment pour pouvoir traiter le flot d'informations qui devaient être vérifiées."

Me Orly Rezzlan : "vous démarrez des investigations en décembre 2018. Sur base de quelles informations ?" Enquêtrice belge : "vous savez comment c'est. Les informations policières sont annexées dans un PV." - Mais il est où ce PV ? Silence de l'enquêtrice.

Les frères E. n'étaient pas connus pour des infractions liées aux armes, rappelle Me Rezzlan. "Pourquoi Mohamed Bakkali se serait renseigné auprès d'eux dans l'hypothèse où il cherchait des armes ?" Enquêtrice : "ce n'est pas parce qu'il ne sont pas connus que ce n'est pas le cas"

"Y a-t-il une seule déclaration de Rachid E. que vous avez pu vérifier?" poursuit Me Rezzlan Enquêtrice : "il a fait des déclarations contradictoires." - donc mis à part la mise en cause de Mohamed Bakkali pour des raisons évidentes, on peut dire que Rachid E. vous a baladé.

Le président annonce une suspension jusqu'à 15h45 avant la suite des questions de la défense. A tout à l'heure

L'audience reprend pour la suite des questions des avocats de la défense. L'un des avocates de Farid Kharkhach rappelle que Khalid El-Bakraoui, l'un des logisticiens du 13 Novembre est surveillé, puis mis sur écoute par les policiers belges.

"De la surveillance ou des écoutes y a-t-il le moindre élément sur sa radicalisation?" interroge l'avocate de Farid Kharkhach. Pas d'élément, selon l'enquêtrice. Or, il est reproché Kharkhach d'avoir fourni des faux-papiers à F. El-Bakraoui en connaissance de sa radicalisation

Me Jonathan de Taye, avocat d'Ali El Haddad Asufi : "vous nous avez montré une photo d'un bar à chicha à Rotterdam où s'est rendu Ali El Haddad Asufi. Vous dites que ce bar est un haut lieu du trafic de stupéfiants ..." Enquêtrice belge : "j'ai dit ça?" - c'est écrit dans le PV !

Me de Taye : "vous dites aussi qu'il est en contact avec quelqu'un qui est un trafiquant de stupéfiant notoire" ... Enquêtrice belge : "c'est quelqu'un qui a été condamné pour trafic de stupéfiant".

Me Jonathan de Taye poursuit sa démonstration selon laquelle, selon lui, Ali El Haddad Asufi s'est rend aux Pays-Bas pour du trafic de stupéfiants et non pour rechercher des armes. "Pour du trafic de stupéfiants, on prend du temps et des précautions", explique-t-il. 1/2

Enquêtrice belge : "pour des armes aussi on prend des précautions" Me De Taye : "mais c'est à vous de démontrer qu'il s'agit d'armes". "Et à vous de démontrer que ce sont des stupéfiants", rétorque l'enquêtrice. Me de Taye : "mais non ! Moi je ne dois rien démontrer du tout !"

Rappelons en effet, qu'en droit français, la charge de la preuve revient à l'accusation. En clair, c'est à l'accusation qu'il revient de démontrer qu'un accusé est coupable pour pouvoir le condamner. Et non pas à sa défense de démontrer qu'il est innocent.

Me Arab-Tigrine, avocate d'Ali El Haddad Asufi veut démonter le raisonnement de l'enquêtrice belge selon lequel Ali El Haddad Asufi s'est rendu aux Pays-Bas avec Ibrahim El-Bakraoui : "vous avez des images où ils sortent de l'immeuble ensemble. Et un retour ensemble. C'est tout"

Selon l'enquêtrice belge, la géolocalisation du téléphone d'Ali El Haddad Asufi montre qu'il n'aurait pas eu le temps de déposer Ibrahim El-Bakraoui quelque part avant de partir aux Pays-Bas. Me Arab-Tigrine : "ça prend combien de temps de déposer quelqu’un ?" -quelques secondes

Pour mieux comprendre le débat qui se tient en ce moment, quelques éléments d'explications sur l'importance de la présence (ou pas) d'Ibrahim El-Bakraoui aux côtés de l'accusé Ali El Haddad Asufi lors de son voyage aux Pays-Bas : ... 1/2

Ibrahim El-Bakraoui étant l'un des logisticiens des attentats, sa présence (si elle est avérée) accrédite la thèse d'un aller-retour d'Ali El Haddad Asufi pour récupérer des kalachnikovs, comme le soutien l'accusation. Et non des stupéfiants comme le défendent ses avocats. 2/2

Me Martin Méchin, avocat d'Ali El Haddad Asufi : "votre hypothèse est que Clio est un mot codé pour parler des armes. Dans un dossier de stupéfiants vous en auriez conclu que c'était des stupéfiants ? Enquêtrice belge : "on a des éléments selon lesquels ça pouvait être des armes"

Me Méchin : vous ayez travaillé sur une hypothèse. Mais avez-vous pu acquérir la certitude qu'Ali El Haddad Asufi est allé chercher des armes aux Pays-Bas? Enquêtrice belge : la certitude, non car on n'a pas de transaction. Mais on a des éléments qui peuvent le laisser penser.

Fin des questions de la défense et de cette 87e journée d'audience. L'audience est donc suspendue jusqu'à demain 12h30. La cour entendra alors des témoins néerlandais, toujours sur la question des armes.

Jour 88 – Mardi 8 mars – Auditions de témoins néerlandais

Bonjour à tous, Aujourd'hui, cela fait 6 mois jour pour jour que le procès des attentats du 13 Novembre 2015 a débuté devant la cour d'assises spécialement composée de Paris. 88e jour d'audience, 25e semaine. Et un verdict attendu désormais pour le 24 juin.

Mais d'ici là ...

LT de cette journée, avec les auditions de témoins néerlandais notamment à suivre. Mais avant, l'audience est suspendue pour les sommations aux accusés qui refusent de comparaître : Osama Krayem, comme c'est désormais toujours le cas. Mais également aujourd'hui Salah Abdeslam.

L'audience reprend avec une visioconférence depuis les Pays-Bas. Sur le grand écran de la salle apparaît le premier témoin du jour : "Je m'appelle Richard Van Gils, né le 22 juin 1960, je suis entrepreneur", indique-t-il par le truchement de l'interprète.

Le président passe en revue les différents accusés, pour savoir si le témoin les connaît. - Salah Abdeslam ? - non - Mohamed Abini ? - non - Mohamed Bakkali ? - non - Ali El Haddad Asufi ? - Non ... etc.

Le président insiste cependant : "Ali El Haddad Asufi, ce nom ne vous dit vraiment rien ?" "Il était mentionné sur ma convocation, j'ai regardé sur Google mais non, je ne le connais pas", répond le témoin.

Le président souhaite demander au témoin s'il a un jour résidé à une certaine adresse à Rotterdam. "Je vais essayer de prononcer du mieux possible". Petit flottement dans la salle. Le témoin finit par acquiescer : "j'avais mon bureau à cette adresse, à côté d'un café marocain"

Le café en question, le Reina Lunch, a été évoqué hier par l'enquêtrice belge. C'est là que s'est rendu l'accusé Ali El Haddad Asufi lors d'un des voyages aux Pays-Bas. Voyages qui, selon l'accusation, auraient permis de ramener des kalachnikovs pour la cellule du 13 Novembre

"Vous vous souvenez avoir eu un rendez-vous fin octobre 2015 avec des personnes venant de Bruxelles pour une transaction ?", interroge le président. Témoin : "à cette époque-là, je crois que j'étais en Equateur. Mais ça fait longtemps, je ne me souviens plus très bien."

Le président rappelle que le témoin a été cité à la demande de la défense. C'est donc à elle de poser ses questions en premier. Me Jonathan de Taye : "je suis l'avocat d'Ali El Haddad Asufi, c'est un peu de ma faut que vous êtes là aujourd'hui" Témoin : "je vous remercie"

Me De Taye : "cela fait sept ans que le parquet fédéral belge vous présente comme un trafiquant d'armes international, donc je suis un peu intimidé. Vous avez déjà été entendu dans le cadre de ce dossier des attentats du 13 Novembre 2015 ?" Témoin : non.

"Est-ce que vous connaissez ce monsieur", interroge alors le président à Ali El Haddad Asufi, invité à se lever dans le box. "Non, je ne le connais pas", répond l'accusé. Et réciproquement. "Bien, on va libérer le témoin", conclut alors le président.

Le deuxième témoin n'étant pas encore arrivé - "il est convoqué pour 14h30", explique la magistrate néerlandaise - le président suspend l'audience. "Merci de nous indiquer lorsque la personne est prête pour qu'on puisse reprendre. A tout à l'heure."

La suspension se poursuit. Visiblement le deuxième témoin (qui est aussi le fils du premier) n'est pas arrivé au palais de justice hollandais d'où il doit être entendu.

Et à l'instant, petite annonce au micro : "l'audience reprendra à 15h50". A tout à l'heure, donc.

L'audience reprend (enfin). Le président annonce que le deuxième témoin Rick V. "ne s'est pas présenté" (d'où le retard). On passe donc au troisième témoin de la journée que l'on voit à l'écran s'installer dans la salle d'audience aux Pays-Bas.

Le témoin est arrivé en compagnie de son avocat. "Dans notre système judiciaire, les témoins ne sont pas assistés d'un avocat", indique le président. "Je ne vois pas d'inconvénient à ce qu'il soit là, mais il ne doit pas intervenir. Pour nous, il est simple témoin, pas suspect."

La juge néerlandaise indique que le témoin du jour est aussi suspect aux Pays-Bas "et à ce titre, il a certains droits" : accompagnement d'un avocat, droit de ne pas s'auto-incriminer etc. Le président acquiesce : "on est en Europe pourtant, mais on n'a pas la même procédure."

Après cette petite parenthèse de droit comparé, on passe à l'audition du témoin à proprement parler. "Mon nom est Anas A., je suis né le 22 janvier 1990. J'habite à Amsterdam et je travaille dans le réseau de gaz et d'électricité".

A son tour, le témoin affirme ne pas connaître les accusés. "Mmmm, fait le président visiblement sceptique, il y en a au moins un qu'il devait connaître, un cousin éloigné : Ali El Haddad Asufi". A l'écran, l'avocat du témoin fait la moue.

L'avocat du témoin intervient : "pour pouvoir répondre, il faudrait au moins savoir de quoi il s'agit. On a demandé plusieurs fois des documents et on ne les a jamais reçus". L'accusé, lui, reste silencieux.

Notons que le jeu de questions- réponses se fait par le truchement de deux interprètes, ce qui n'aide pas à la fluidité de la conversation. Finalement, le témoin lâche au sujet de l'accusé Ali El Haddad Asufi : "c'est un cousin germain".

Le président rappelle qu'Ali El Haddad Asufi a eu avec le témoin (qui est aussi son cousin) "des contacts à plusieurs reprises en octobre 2015 lorsqu'il s'est rendu à Rotterdam pour une transaction on va dire". "Vous vous rappelez que votre cousin cherchait des "Clio"?"

Le président précise : "les enquêteurs suspectaient le fait que le mot Clio était un code qui pouvait désigner des armes. Et que Ali El Haddad Asufi vous demandait de rechercher quelqu'un qui aurait pu lui fournir des armes". Anass A. : "cela n'a rien à voir avec des armes."

Le président insiste : "Ali El Haddad Asufi cherche à acheter des "Clio" et il est question de prix puisqu'il parle de 2200 euros pour deux "Clio". " Anass A. : "je répète ce que j'ai déjà dit. Et je veux faire usage de mon droit au silence".

L'avocat général se lève. "J'aurais quelques questions eu égard à l'attitude du témoin à l'audience", indique Nicolas Le Bris "Au moins, il est là", souffle Me Martin Méchin depuis les bancs de la défense. L'avocat général s'agace un peu. «Ça va ..." lance encore l'avocat.

Le président intervient alors : "je n'aime pas du tout ce "ça va ....". C'est une question de politesse." De l'autre côté de l'écran, l'interprète tente de capter l'échange. "Ce n'est pas la peine de traduire, madame", indique le président. Rires dans la salle.

L'avocat général déroule ces questions. Mais à chacune d'elle, la même réponse du témoin : "je fais usage de mon droit au silence".

Me Reinhart : "est-ce que vous pourriez dire à la cour d'assises où vous vous trouviez le 13 Novembre 2015 et ce que vous avez ressenti quand vous avez appris pour les attentats?" Anass A. : "je fais usage de mon droit au silence parce que je l'ai déjà expliqué plusieurs fois".

Me Reinhart (PC) : "pouvez-vous, respectueusement pour la cour et les victimes, nous le rappeler ici ?" Anass A. : "si vous me le demandez comme ça, je veux bien répondre. J'ai ressenti beaucoup de compassion pour les victimes. J'étais de garde au travail, on a suivi l'actualité"

Anass A. : "je n'ai rien dit d'autre pendant des jours, des semaines, des années, que la vérité. Et je m'y tiens. J'ai déjà dit plusieurs fois qu'il s'agissait de cannabis" [et non pas d'armes pour les attentats derrière le mot "Clio" dans les échanges avec son cousin, ndlr]

Me Chemla (PC) : "est-ce qu'on doit comprendre de votre droit au silence, qui permet de ne pas s'incriminer soi-même, que les accusations portées contre votre cousin sont vraies ?" Anass A. : "je fais appel à mon droit au silence".

Me Stanislas Eskenazi, avocat de Mohamed Abrini, se lève : "je me permets d'intervenir parce que j'ai une certaine connaissance de la langue néerlandaise."

Me Eskani : "... et l'usage du "droit au silence", selon l'article 6 de la convention européenne des droits de l'Homme, ne signifie pas qu'une accusation est vraie. C'est faire preuve de malhonnêteté intellectuelle que de le déduire".

Me Jonathan de Taye, avocat d'Ali El Haddad Asufi évoque des "intimidations, des menaces" dont son client a été victime par les enquêteurs belges. "Est-ce que ça vous parle ?" demande-t-il au témoin. "Oui, j'ai connu ça aussi".

Me De Taye : "vous avez été placé en détention du jour au lendemain en pensant peut-être ne jamais en sortir ?" Le témoin pleure derrière son masque. "Moi, je ne vois pas votre silence comme celui d'un criminel, mais comme celui d'un pauvre type qui a vu sa vie voler en éclat"

Fin de l'audition du témoin. La connexion avec les Pays-Bas est interrompue. Et l'audience levée jusqu'à demain 12h30. La cour entendra notamment un enquêteur de la sous-direction antiterroriste et un expert en ADN.

Jour 89 – Mercredi 9 mars – Auditions de SDAT, un expert ADN et sur les préparatifs des attentats en France

Bonjour à tous, Une audition SDAT, un expert ADN et les préparatifs de attentats en France. Voilà ce qui nous attend au procès des attentats du 13 Novembre 2015 aujourd'hui pour la 89e journée d'audience.

LT d'audience à suivre ici ... une fois effectuées les sommations d'huissier pour les accusés qui refusent de venir dans le box : Osama Krayem, toujours. Et, comme hier, Salah Abdeslam également.

L'audience reprend avec un premier témoin : SDAT 026. L'enquêtrice est entendu anonymement. Comme pour les enquêteurs de la DGSI également, seule son ombre est visible derrière une vitre opaque.

SDAT 026 : "j'ai participé à l'enquête sur les déplacements de Salah Abdeslam en France les semaines précédant les attentats du 13 Novembre 2015. Le premier a eu lieu le 4 septembre dans le Val d'Oise et le deuxième le 8 octobre dans l'Oise."

SDAT 026 : "le gérant de l'enseigne "Les magiciens du feu" a contacté la ligne dédiée pour indiquer que Salah Abdeslam avait été client de sa société, spécialisée dans les feux d'artifice. Salah Abdeslam y avait acheté un système de tirs à distance."

SDAT 026 : "Le vendeur avait effectué la photocopie du permis de conduire de Salah Abdeslam, comme pour tous les clients car la vente de feux d'artifice est interdite aux mineurs. Salah Abdeslam avait choisi un kit de 12 boîtiers de tir à distance qu'il a payé en espèce".

SDAT 026 : "le vendeur a présenté Salah Abdeslam comme un client atypique car il parlait peu, il n'avait rien acheté d'autre que les boitiers de tir à distance, il n'avait pas souhaité de facture et avait payé les 390 euros en sortant une grosse liasse de sa poche."

SDAT 026: "d'après l'expert ce système utilisé pour les feux d'artifice peut servir dans le cadre d'un engin explosif pour une mise à feu à distance. Ces boitiers n'ont pas été retrouvés en perquisition. Mais on sait que la cellule terroriste a envisagé des explosions à distance"

SDAT 026 : "Salah Abdeslam a aussi effectué un trajet en France le 8 octobre 2015 avec 2 arrêts. L'un à Saint-Sauveur et l'autre à Beauvais, dans le département de l'Oise. A ces deux adresses, se trouvent des magasins Irrijardin, spécialisés dans la vente de produits de piscine"

SDAT 026 : "il est apparu que trois bidons de 5 litres, soit 15 litres d'oxygène actif avaient été acheté à Beauvais. Avec ces 15 litres, tout ou partie du TATP contenu dans les gilets explosifs des attentats du 13 Novembre ont pu être fabriqués."

L'enquêtrice SDAT 026 explique que les recoupements avec les locations de voiture faites par Salah Abdeslam ont permis de confirmer que c'est lui qui a effectué ces achats. Le principal accusé, lui, n'est pas dans le box aujourd'hui pour l'entendre.

SDAT 026 : "il est apparu que Salah Abdeslam avait donc été chargé des locations de voitures, des voyages en Europe [pour récupérer les membres de commandos, ndlr] ainsi que les achats en France".

L'enquêtrice SDAT 026 précise qu'"Ahmad Alkhald est l'artificier de l'équipe et l'achat d'oxygène actif [par Salah Abdeslam notamment, ndlr] qui permet la fabrication du TATP intervient quelques jours après son arrivée en Belgique."

Me Olivia Ronen, avocate de Salah Abdeslam : "pouvez-vous nous dire si les achats effectués aux Magiciens du feu [boitiers de mise à feu à distance, ndlr] ont servi aux attentats du 13 Novembre 2015?" SDAT 026 : "non, ils n'ont pas servi et n'ont pas été retrouvés."

Me Ronen souligne également que le fait que Salah Abdeslam ait coupé son téléphone la journée du 8 octobre (ce qui pour l'enquêtrice de la SDAT appuie l'hypothèse que c'est bien Salah Abdeslam qui se rend dans les magasins Irrijardin dans l'Oise) était en fait habituel chez lui.

Me Olivia Ronen : "pouvez-vous nous confirmer que le gérant d'Irrijardin ne reconnaît pas formellement Salah Abdeslam ? SDAT 026 : "oui, c'est ce que j'ai précisé". Plus d'autres questions. Fin de l'audition de l'enquêtrice SDAT 026.

On passe à l'audition de l'expert Dieter Deforce, "professeur à l'université de Gand en matière d'ADN." Il précise : "Je suis flamand et je m'excuse pour mon français ... " "... il est certainement meilleur que mon flamand", lui répond le président dans un sourire.

Expert ADN : "on a fait beaucoup d'analyses ADN dans ce dossier. Je dois préciser que je n'ai pas les noms des accusés car le législateur a indiqué que les experts en ADN n'avaient pas le droit d'avoir les noms. Je n'ai que des numéros, donc ça complique un peu mon témoignage."

L'expert en ADN fait diffuser un fichier Excel à multiples colonnes. Il s'agit, précise-t-il, "des analyses ADN pour lesquelles il y a eu une correspondance avec un accusé". "Je vous explique comment on a procédé ?" "On connaît tous le processus maintenant", indique le président.

L'expert ADN, qui n'a donc pas eu accès aux noms des accusés, mais à des matricules, se lance dans une longue explication truffée de "15/1363", de "16/0070" que je vous épargne ici. Il en ressort globalement que l'ADN de plusieurs kamikazes a été retrouvé dans les planques.

L'expert en ADN poursuit l'énumération des différents objets de la planque de la rue Henri Bergé, à Bruxelles : brosse à dents, cuillère à café, verre, taie d'oreiller etc. sur lesquels ont été retrouvés les ADN des différents membres de la cellule terroriste du 13 Novembre

L'avocat général Nicolas Braconnay souhaite revenir sur la trace ADN retrouvée sur une kalachnikov abandonnée dans une des voitures des commandos : "vous pouvez nous confirmer que cette trace appartient bien à l'accusé Osama Krayem?" L'expert acquiesce.

Me Martin Vettes, avocat de Salah Abdeslam se lève et tient à rappeler que "dans l'esprit de beaucoup, l'ADN constitue la reine des preuves. En réalité, tout cela est quand même un jeu de probabilités, c'est important de le préciser". L'expert acquiesce encore.

Président : "est-ce que vous pouvez donner quelques précisions sur le niveau de probabilité ?" Expert ADN : "pour les profils d'ADN simples, les probabilités sont de l'ordre de 10 puissance 24. Cela veut dire qu'il n'y a pas une autre personne dans le monde qui a le même profil".

Ce moment où, après un long développement sur les niveaux de probabilités, le président lâche : "ça nous rappelle nos cours de Terminale ...." Rires dans la salle. L'expert conclut : "en fait, il ne faut pas jouer au Loto".

Me Lévy, avocate d'Ali Oulkadi s'intéresse à une fourchette retrouvée dans la planque rue Henri Bergé et sur laquelle l'ADN de son client est retrouvé. Cet élément est d'autant plus important qu'Ali Oulkadi affirme ne s'être jamais rendu dans l'une des planques des terroristes.

Parmi les hypothèses étudiées pour expliquer la présence de l'ADN d'Ali Oulkadi sur cette fourchette, il y a eu celle d'un transfert secondaire. C'est-à-dire qu'Ali Oulkadi aurait serré la main de quelqu'un qui serait ensuite rentré dans la planque et aurait touché la fourchette.

A la barre, l'expert Deforce estime que "cette hypothèse est peu probable", notamment parce qu'il faudrait "que la personne qui a mangé avec cette fourchette [que les enquêteurs ont retrouvé souillée, ndlr] l'ai prise par les dents. Ce qui est quand même rare."

Fin de l'audition de l'expert. Le président annonce une suspension avant la troisième édition de la journée. "On reprendra à 17h10"

L'audience reprend. La connexion avec les locaux du parquet fédéral belge à Bruxelles est établie pour l'audition du dernier témoin de la journée : Youssef E. Invité à indiquer les accusés qu'il connait, il énumère : "Mohamed Bakkali, Abdellah Chouaa, Yassine Atar ... "

Le président indique : "vous n'êtes pas poursuivi dans ce dossier, mais vous l'êtes dans un autre dossier". En l'occurrence : le dossier dit "Paris bis", c'est-à-dire celui des attentats du 13 Novembre 2015 jugés en Belgique et dont le procès s'ouvre le 19 avril prochain.

Mais le magistrat belge qui assiste à l'audition du témoin depuis les locaux du parquet fédéral indique : "le témoin ne peut pas prêter serment". Le président : "ah mais si, pour nous, il peut prêter serment !" - je dois m'opposer à ce point de vue", insiste le magistrat belge.

Le président semble légèrement agacé par ces divergences franco-belges : "ce n'est pas sur la base de ce que vous allez dire aujourd'hui qui ne sera pas consigné dans un procès-verbal utilisable par la juridiction belge". Mais le magistrat belge maintient sa position.

Le président cède finalement : "on ne va pas vous faire prêter serment, mais je vous invite à dire la vérité et si vous ne voulez pas répondre, vous pouvez faire usage de votre droit au silence. Est-ce que c'est clair pour tout le monde ?" Le témoin répond : "c'est très clair"

Youssef E. : "tout d'abord, je tiens à présenter mes sincères condoléances aux victimes et à leurs familles. Moi dans le box, je connais surtout Ali El Haddad Asufi, on est partis en vacances ensemble et franchement, je ne vois pas ce qu'il fait dans ce box."

Le témoin se souvient aussi d'Oussama Atar (commanditaire des attentats du 13 Novembre 2015) : "c'était quelqu'un du quartier, mais je l'ai croisé une fois ou deux max, j'ai jamais vraiment eu de discussion avec lui."

Le témoin connaissait également Ibrahim El-Bakraoui, l'un des deux logisticiens en chef du  13 Novembre et kamikaze du 22 Mars Président : "vous avez remarqué un changement à sa sortie de prison ?" Youssef E. : "il priait aux heures précises, mais sans plus. Rien d'alarmant".

Le témoin poursuit au sujet de la radicalisation d'Ibrahim El-Bakraoui qu'il dit avoir ignorée : "il n'y avait rien de spécial. Il y a des gens dans le quartier qui se sont aussi mis à prier plus et pourtant ils n'ont pas fini comme lui."

En 2015, Youssef E. accompagne pourtant Ibrahim El-Bakraoui à l'aéroport mais "pour partir en Turquie", dit-il. "A l'époque, je ne savais même pas que la Turquie était un pays frontalier avec la Syrie. Moi, la politique, je la regardais jamais."

En juillet 2018, Youssef E. accompagne une nouvelle fois Ibrahim El-Bakraoui à l'aéroport. "A l'époque pour moi, il n'y a rien dont je dois m'inquiéter", explique le témoin. "C'est juste un ami qui part en Turquie. Puis, il revient et repart en Grèce. Rien d'extraordinaire".

Lors de ce deuxième voyage, le témoin a indiqué à deux reprise que Yassine Atar était également présent. "Vous vous n'étiez pas présents aux interrogatoires", explique aujourd'hui le témoin, "ils se passaient pas normalement. Ils nous imposaient des choses. J'étais paniqué."

Le président insiste : "vous étiez assisté d'un avocat, si ce n'est pas vrai on se demande pourquoi vous avez dit que Yassine Atar était présent" Youssef E. : "sous la peur, le stress..." A cette audience, de nombreux témoins ont déclaré avoir été pressurisés par la police belge.

Président : "et pourquoi vous le déposez à Roissy et pas à l'aéroport de Bruxelles ? " Youssef E. : "moi à l'époque, je ne me pose pas cette question. J'ai juste accompagné des amis. Moi je suis déjà revenu du Maroc en passant par Roissy. Et pourtant je n'ai rien fait de grave."

Youssef E. : "vous me posez des questions sur des choses où il n'y avait rien de spécial. Moi je n'étais au courant de rien donc je ne me souviens pas. C'est plus facile de poser les questions après. Mais au mois d'octobre [2015, ndlr], pour moi, il ne se passait rien"

Youssef E. au sujet d'Ibrahim El-Bakraoui, logisticien des attentats du 13 Novembre : "il m'a manipulé. Il a joué de mon amitié. Il faisait des choses de son côté, comme transporter des gens dans des caches avec ma voiture. Mais il ne me l'a jamais dit."

Me Mathieu Petresco (PC) : "est-ce qu'Ali El Haddad Asufi se rendait souvent aux Pays-Bas ?" Youssef E. : "oui, j'y suis même allé avec lui" - vous y alliez pourquoi ? - des fois voir des prostituées. Ou aller au coffee shop. J'ai aussi été au mariage de son cousin.

Ce moment où le témoin, ami de l'accusé Ali El Haddad Asufi lâche du bout des lèvres : "il fait un petit trafic de stupéfiants .... mais un tout petit."

Me Menia Arab-Tigrine souligne les similitudes entre les agissements du témoin et ceux de son client Ali El Haddad Asufi : "comment expliquez-vous qu'Ali El Haddad Asufi soit aujourd'hui dans le box et vous témoin à ce procès?" Youssef E. : "je ne sais pas".

Me @raphkempf avocat de Yassine Atar revient sur "les pressions" des policiers belges évoquées par le témoin. "Oui, maintient Youssef E., les questions posées n'étaient pas celles qui étaient écrites à la fin sur le procès-verbal.

C'est dans ce contexte, explique encore le témoin, qu'il affirme que Yassine Atar est présent dans la voiture qui accompagne Ibrahim El-Brakaoui à l'aéroport de Roissy. Ce qu'il nie aujourd'hui. "Moi, je voulais juste retrouver ma liberté", s'excuse aujourd'hui Youssef E.

Me @raphkempf: "j'aimerais comprendre pourquoi certaines personnes sont jugées ici et d'autres à Bruxelles". De fait, à partir du 19 avril, 14 hommes seront jugés pour les attentats du 13 Novembre 2015 pas ici mais en Belgique, où ils encourent des peines nettement inférieures.

Fin de l'audition du témoin. "L'audience est suspendue pour aujourd'hui, elle reprendre demain à 12h30", indique le président. Avec une nouvelle série d'interrogatoires des accusés.


Jour 90 – Jeudi 10 mars – Interrogatoires des accusés sur les derniers préparatifs des attaques

Bonjour à tous, 90e jour d'audience. Et une nouvelle phase qui s'ouvre au procès des attentats du 13 novembre 2015 avec une nouvelle série d'interrogatoires des accusés sur les derniers préparatifs des attaques. Elle se poursuivra jusqu'à la fin de la semaine prochaine.

Aujourd'hui, c'est de l'accusé Ali El Haddad Asufi qu'il sera question avec son interrogatoire et l'auditions de deux témoins.

L'audience reprend, brièvement comme d'habitude, le temps de constater le refus de comparaître d'Osama Krayem et Salah Abdeslam. Reprise après les sommations d'huissier.

L'audience reprend pour de bon, en l'absence donc des accusés Salah Abdeslam et Osama Krayem. Deux témoins doivent d'abord être entendus aujourd'hui : les frères Smaïl et Ibrahim F. Smaïl F. est le 1er à s'avancer à la barre. Veste bleue marine, jean, lunettes.

Smaïl F. explique avoir "des problèmes aux oreilles, liés aux cristaux" et demande donc à pouvoir s'asseoir.

Le président : "vous avez une situation un peu particulière parce que vous êtes poursuivi en Belgique dans le dossier des attentats du 13 Novembre le procès dit "Paris Bis" et celui des attentats de Bruxelles le 22 mars. A ce titre, je ne vous demande pas de prêter serment."

Smaïl F. explique : "si je suis là c'est juste pour les victimes. parce que la vérité, en tous cas judiciaire, ne m'intéresse pas. Et de toute façon, la vérité on ne peut plus l'avoir parce que les vrais coupables ne sont plus là. Il va falloir avancer sans leurs réponses."

Smaïl F. : "donc je suis là pour les victimes, parce que j'ai de la compassion. Et je suis complètement innocent. C'est indubitable. Donc bien sûr, que je vais dire la vérité. Je suis un peu stressé, j'ai pas dormi. Et je ne dors plus tellement en fait."

Smaïl F. : "jaurais préféré crever que de me retrouver ici." Je n'ai pas d'autre vérité que la mort, comme disait Céline dans le Voyage au bout de la Nuit." Le témoin poursuit longuement, cite également Albert Camus. "Avant, je n'étais qu'un ivrogne, mais ma vie me plaisait."

Smaïl F. : "je suis capable de comprendre les victimes. C'est prétentieux de comprendre quelqu'un parce qu'on ne se comprend pas totalement soi-même." Il poursuit ses citations avec le poète Robert Desnos cette fois.

Smaïl F. déclare encore être prêt à rencontrer les victimes "si elles le veulent. Elles sont les bienvenues. Elles peuvent demander mes coordonnées à la justice." "Voilà, monsieur le président."

Le président rappelle qu'il a sous-loué son appartement dans la commune Bruxelloise d'Etterbeek, à Ibrahim El-Bakraoui, logistien des attentats. "Comment ça s'est passé ?" Smaïl F. : "tout bêtement à un carrefour de Bruxelles. C'est le carrefour de ma vie en fait."

Smaïl F. ": j'étais un ivrogne en fait. Un réel. Je buvais pour l'ivresse. Et quand je picolais, je ne pouvais pas rentrer chez mes parents dans cet état-là" Le témoin loue donc un appartement à Etterbeek. "Je l'ai d'abord prêté à une Brésilienne, puis à mon frère".

A la barre, le témoin digresse beaucoup. "On va aller à l'essentiel", tente de le recadrer le président. En vain. Il raconte les détails de ses retrouvailles avec l'accusé Ali El Haddad Asufi : "il m'a rappelé la petite enfance, c'est toujours bon l'enfance."

Le témoin explique encore qu'il finit par revoir Ali El Haddad Asufi, alors accompagné d'Ibrahim El-Bakraoui : "cela faisait dix ans que je ne l'avais plus vu, depuis l'école". Le président : "à ce moment-là, il vous dit qu'Ibrahim El-Bakraoui cherche un appartement ?"

Smaïl F. : "c'était le Seafood à Bruxelles. C'est le marché aux poissons. Il n'y avait plus de place dans les hôtels. Donc j'ai accepté pour 2 ou 3 jours et voilà où je me retrouve." Le président tente encore de recadrer : "on va essayer d'écourter ce moment difficile"

Le président : "finalement, ça va durer plus longtemps ..." Smaïl F. : "ça va durer une éternité Et ça me coûte d'être ici." Ibrahim El-Brakaoui s'installe dans l'appartement le 4 octobre. Il y reste jusqu'au 22 mars, lorsqu'il s'apprête à commettre les attentats de Bruxelles.

Smaïl F. : "puis, j'ai essayé de leur faire comprendre qu'il fallait qu'il quitte l'appartement. Moi, j'y allais plus du tout. Puis, j'ai replongé dans l'alcool." Président : "vous avez touché de l’argent ?" - au départ c'était gratuit, pour 2-3 jours, puis on a fixé un prix"

Le président rappelle que la vidéosurveillance montre que Smaïl F. revenait souvent à cet appartement, dans lequel vont se retrouver les autres terroristes des attentats du 22 mars à Bruxelles. Smaïl F. "j'allais récupérer mon courrier. Parfois, je montais vite fait."

Smaïl F. raconte la dernière fois qu'il a vu Ibrahim El-Bakraoui : "je l'ai vu le 21 mars. Il m'a dit qu'il allait me rendre les clés. Et en fait, il est allé se faire exploser. Comment c'est possible ?" Après le 22 mars, il va vider l'appartement : "j'étais paniqué".

Président : "Ali El Haddad Asufi, il consommait de la drogue ?" Smaïl F. "oui, il consommait du cannabis. Moi j'ai jamais consommé de drogue. Bon, j'ai déjà tiré un rail de coke ou deux. Mais bon, c'était l'alcool mon dada. Je suis alcoolique. Chacun se bat contre ses démons".

Sur l'enregistrement retrouvé dans une autre planque, on entend Ibrahim El-Bakraoui remercier "Fumier". Smaïl F. :"oui, on m'a appelé fumier pendant une partie de ma vie. Il peut se le carrer où je pense son merci ..." Le président : "là, il ne reste plus grand chose où ..."

Smaïl F. : "j'aidais tout le monde. J'ai jamais pu rester sans rien faire devant le désarroi de quelque. J'ai une ouverture d'esprit. Mon esprit est aussi ouvert qu'une vieille prostituée. Mais je ne suis ni un misogyne, ni un phallocrate, hein. C'est juste une expression d'Arno"

Le président : "vous aviez remarqué un changement laissant à penser qu'Ibrahim El-Bakraoui était radicalisé ?" Smaïl F. "On fait comment pour diagnostiquer ça, en fait ? Ibrahim El-Bakraoui, c'est quelqu'un qui écoutait Maria Callas. Il lisait Amin Maalouf, Léon l'Africain"

Smaïl F. : "quelqu'un qui pousse un chariot d'explosif, qui sait qu'il va tuer des gens et se tuer par la même occasion, c'est quelqu'un qui est capable de mentir froidement, non ?" Le président : "donc vous n'aviez rien remarqué de suspect chez Ibrahim El-Bakraoui?" - non

1ere assesseure : "vous aviez vu Ibrahim El-Bakraoui qui changeait d’apparence ?" Smaïl F. : "une seule fois, je l'ai surpris sortant de la salle-de-bain avec un bonnet en-dessous une perruque. Il me dit qu'il allait filer quelqu'un pour lui remettre de l'argent. J'étais surpris."

1ere assesseure : "au final, vous êtes quand même resté une centaine d'heures dans cet appartement quand Ibrahim El-Bakraoui y était." Smaïl F. : "une centaine d'heures sur 6 mois ! Je montais chercher mon courrier. Parfois, on jouait aux échecs. C'est lui qui m'a appris."

Assesseure : "les frères El-Bakraoui [logisticiens du 13 Novembre ndlr] vous faisaient peur ?" Smaïl F. : "Khalid était répugnant." - Dans quel sens ? - Dans tous les sens du terme. Il avait des relations bizarres avec les gens. Il était brusque. C'était un bizarre phénomène.

Smaïl F. au sujet d'Ibrahim El-Bakraoui, logisticien du 13 Novembre et kamikaze du 22 Mars à Bruxelles : "c'était quelqu'un d'instruit, d'intelligent. On pouvait parler avec lui. Il faisait partie de notre humanité à ce moment-là".

Smaïl F. : "au départ, ça part d'un geste noble [prêter son appartement, ndlr]. Je ne sais pas si vous vous en rendez compte ? En fait, c'est aider son prochain ... Et je me retrouve dans une affaire de terrorisme".

Me De Taye, avocat d'Ali El Haddad Asufi :" vous alliez souvent à l'appartement. On vous voit souvent sur les images de vidéosurveillance avec des bouteilles de bière et même de vodka. Vous alliez boire devant Ibrahim El-Bakraoui ?" Smaïl F. "oui, j'allais picoler devant lui."

Me Jonathan de Taye : "on a fait de votre appartement un lieu conspiratif. Mais Ibrahim El-Bakraoui va louer un appartement à quelqu'un, vous, qu'on a plus vu depuis 10 ans, qui n'est pas fiable notamment du fait de son alcoolisme avancé, avec des caméras de surveillance."

Smaïl F. explique encore : "j'ai joué aux échecs avec Jeanine, la voisine de mon frère, il y a deux jours. Elle a 80 ans, elle a fait le tour du monde. Et elle me disait que le jeu est révélateur de la personnalité. Ibrahim El-Bakraoui, quand il jouait, il avait de la retenue."

Me Menya Arab-Tigrine, autre avocat d'Ali El Haddad Asufi :"Ibrahim El-Bakraoui, à l'époque, il était tout à fait normal ?" Smaïl F. : "Oui, il était gentil. Vous auriez pu tomber amoureuse de lui ... Me Arab-Tigrine : "ah ne je pense pas, non."

Smaïl F. "j'aurais préféré qu'Ibrahim El-Bakraoui me zigouille en premier. J'ai trop de lâcheté pour me suicider. Mais je préférerais être mort que d'être ici. Parce que ce n'est plus vivre ce que je fais là. Je suis inerte, stoïque, complètement."

Smaïl F. : "j'ai fait deux ans de prison à l'isolement. C'était une torture. Moi, j'ai été bercé à la variété française : France Gall, Brel, Cabrel. Et au final, on m'a fait la Corrida de Cabrel. Mais ce n'était pas un taureau, c'était moi à l'isolement."

L'avocat général Nicolas Braconnay : "vous vous souvenez si Ali El Haddad Asufi a insisté pour que vous hébergiez Ibrahim El-Bakraoui?" Smaïl F. :"mon petit frère traînait pour quitter l'appartement, donc il m'a demandé plusieurs fois s'il était parti."

Me Raphaël Kempf, avocat de Yassine Atar : "vous allez devoir prochainement, dans deux procès [en Belgique, ndlr] devoir répondre à des personnes ?" Smaïl F. : "même si on me menace de la chaise électrique, je dirai la vérité. Je suis innocent."

Me Kempf : "en Belgique, on vous reproche la participation à un groupe terroriste ..." Smaïl F. : "et pourquoi je ne suis pas dans le box ici ?" - c'est la question que j'allais poser, sourit l'avocat de Yassine Atar. Qui rappelle que le témoin encourt 5 ans de prison à Bruxelles.

A plusieurs reprises, les avocats de la défense ont soulevé cette question : sur quelles bases les accusés ont été répartis entre le procès français du 13 novembre et le procès belge des mêmes attentats ? Sachant que les peines encourues sont de 5 ans en Belgique, 20 ans en France

Me Kempf évoque le testament d'I. El-Bakraoui qui parle de lui. Smaïl F. : C'est la preuve que je ne savais rien. Un testament c'est ça ! On crève, on va chez le notaire ... c'est Les trois frères, en fait." Me Kempf rit doucement. Le témoin : "j'essaie de vous imager un peu"

Fin de l'audition de Smaïl F. "Merci d'être venu témoigner", le salue le président. Place à l'audition de son frère cadet Ibrahim F. qui s'avance à son tour à la barre. Veste noire sur pull à col roulé, il ressemble beaucoup à son aîné.

"Je ne connais aucun des accusés" précise le témoin à la question d'usage. Comme son frère, Ibrahim F. est accusé en Belgique. "Je ne vous demande donc pas de prêter serment", indique le président. "Je n'ai pas envie d'avoir le procès avant l'heure", prévient le témoin.

Ibrahim F. : "si je suis présent c'est par rapport aux parties civiles. J'ai beaucoup de peine pour eux. Mais je n'ai rien à voir dans tout cela. Je ne suis pas un meurtrier, je n'ai pas prêté allégeance à l'Etat islamique." Il montre le box. "Ils ne me connaissent pas"

D'ailleurs, il n'y a quasiment pas de questions pour le témoin. Fin de l'audition. Et suspension d'audience avant l'interrogatoire d'Ali El Haddad Asufi.

L'audience reprend avec un débat autour de l'absence de la juge d'instruction belge Sophie Grégoire. Celle-ci a de nouveau fait savoir à la cour qu'elle ne viendrait pas témoigner à ce procès, ce qui agace profondément la défense qui estime qu'il s'agit d'un témoin fondamental.

Place à l'interrogatoire de l'accusé Ali El Haddad Asufi qui se lève, pull blanc. "Bonjour monsieur le président, mesdames et messieurs de la cour". Il est invité à s'expliquer sur un premier déplacement, le 19 septembre 2015, à Verviers, où se trouvait Ibrahim El-Bakraoui.

Ali El Haddad Asufi : "j'ai rencontré Ibrahim El-Bakraoui [logisticien des attentats du 13 Novembre 2015], c'est sûr. Mais je ne me souviens pas de la date précise. Et je ne pourrais pas vous dire si Yassine Atar était là aussi."

Président : "quel était la raison de ce déplacement ?" Ali El Haddad Asufi : "je me souviens que j'ai déjà mangé une fois au restaurant avec Mohamed Bakkali à Verviers ou à Liège. Mais je ne me souviens pas si c'était ce jour-là. Pour moi, c'était un déplacement anodin."

Président : "c'est vous qui avez l'idée d'appeler Smaïl F. pour qu'il héberge Ibrahim El-Bakraoui?" Ali El Haddad Asufi : "Smaïl c'était quelqu'un de gentil et il avait cet appart pour quand il était trop bourré pour rentrer chez ses parents. Et comme Ibrahim était en galère …"

Le président : "quand vous accompagnez Ibrahim El-Bakraoui pour qu'il emménage dans l'appartement, vous remarquez des choses bizarres ?" Ali El Haddad Asufi : "bizarres ?" - des perruques ou d'autres choses ? - non, il n'y avait que des vêtements classiques. Rien de bizarre.

Il est maintenant question des voyages aux Pays-Bas de l'accusé Ali El Haddad Asufi. Voyages qui, selon l'accusation, avaient pour but de ramener des armes pour la cellule terroriste. Ali El Haddad Asufi : "oui, j'ai été à Amsterdam et Rotterdam le 28 octobre."

Président : "dans les conversations, il est question de Clio pour 2200 euros. C'est quoi les Clio ?" Ali El Haddad Asufi : "c'est de la résine de cannabis." - quelle quantité ? - un kilo - 2200 euros le kilo? C'est pas très cher ... - Ça dépend de la qualité, monsieur le président.

Président : donc vous allez à Rotterdam. Et vous avez fait affaire ? Ali El Haddad Asufi : "je ne sais plus si j'ai fait affaire ce jour-là." - 5 kilos, quand même, c'est pas rien, vous pourriez vous en rappeler ... - oui, mais à cette époque, j'ai fait plusieurs transactions

Président : "les enquêteurs pensent que ce n'était pas du cannabis mais des armes." Ali El Haddad Asufi : "Ibrahim El-Bakraoui n'a pas besoin de moi pour trouver des armes. Bien avant, il avait tiré à la kalachnikov sur la police. Après si la police veut faire des hypothèses…"

Ali El Haddad Asufi au sujet du logisticien Ibrahim El-Bakraoui : "je savais qu'il était en cavale. Il m'avait dit qu'il avait peur que chez lui c'était surveillé. Mais les discussions avec lui, c'était normal. Il n'était pas question de terrorisme ou de choses comme ça."

La cour n'a déjà plus de questions sur les faits reprochés à Ali El Haddad Asufi. Place aux avocats généraux.

Nicolas Braconnay (AG) souligne les différentes versions livrées par l'accusé aux enquêteurs. Comme d'autres accusés et témoins avant lui, Ali El Haddad Asufi affirme que certaines réponses lui ont été fortement suggérées.

Nicolas Braconnay (AG) : "à l'appartement, avant le 13 Novembre vous passez, en présence d'Ibrahim El-Bakraoui 21 heures 30. C'est long monsieur. Quand vous dites que vous ne parlez de rien de spécial ...." Ali El Haddad Asufi : "si, il m'a parlé de sa situation, de la Grèce"

Nicolas Braconnay (AG) : "est-ce que vous avez transporté Ibrahim El-Bakraoui ? Si oui, combien de fois?" Ali El Haddad Asufi : "si on allait ensemble manger ou dans un café, oui. On n'allait pas rentrer séparément. Mais le véhiculer au sens où vous l'entendez, non."

Nicolas Le Bris (AG) : "Aux Pays-Bas, on trouve très facilement des stupéfiants, donc c'est étonnant de constater dans vos échanges Whatsapp la difficulté que vous avez à trouver ces pseudos kilos de cannabis ..." Ali El Haddad Asufi : "j'achète là où le prix est intéressant"

Ali El Haddad Asufi explique en détails le fonctionnement du trafic de stupéfiants : "il y a ceux qui vendent au détail dans les cafés, puis quand leur fournisseur va en prison, ils cherchent ailleurs. Et moi, je les dépanne, avec mes contacts et je prends un billet au passage".

Nicolas Le Bris (AG) sceptique sur les difficultés que l'accusé a rencontré dans ses recherches : "en un aller-retour à Rotterdam, sans aucun coup de fil, vous pouvez revenir avec 5 kilos de cannabis. Ali El Haddad Asufi : "ah, je ne sais pas. On n'a pas les mêmes contacts".

Nicolas Le Bris (AG) s'étonne encore du prix - 2200 euros - évoqué pour un kilo de cannabis : "d'expérience, j'ai rarement vu de prix aussi bas". Ali El Haddad Asufi : "rarement ou jamais ?" - de mémoire, jamais - bah aux Pays-Bas, c'est fréquent

Ali El Haddad Asufi s'agace légèrement : "ça fait 6 ans que l'enquêtrice me dit que les Van Gils sont des grands trafiquants d'armes et à l'audience on se rend compte qu'ils n'ont rien à voir avec ça. Donc excusez-moi, mais l'enquêtrice, je n'ai aucune confiance en elle"

Nicolas Le Bris (AG) : "vous maintenez que cette soirée-là, vous n'avez pas eu de contacts relatifs à des armes ?" Ali El Haddad Asufi : "ni cette soirée-là, ni aucune autre. Jamais de ma vie ! Je ne vais pas vendre des armes."

Ali El Haddad au sujet des enquêteurs belges : "moi je pensais qu'ils cherchaient vraiment la vérité. Je ne pensais pas qu'ils essayaient de créer des hypothèses pour me charger et trouver des réponses sur les armes du 13 Novembre "

Nicolas Le Bris (AG) : "vous maintenez que vous n'êtes pas allé avec Ibrahim El-Bakraoui le 7 octobre ?" Ali El Haddad Asufi : "oui, je maintiens. Je n'ai jamais été en Hollande avec Ibrahim El-Bakraoui. Ni le 7 octobre, ni à une autre date."

Me Sylvie Topaloff (PC) : "selon vous vous avez rendu des services à Ibrahim El-Bakraoui en l'accompagnant à l'aéroport, en allant avec lui en Grèce, en allant le voir à Verviers etc. sur le plan amical ?" Ali El Haddad Asufi : "tout à fait, parce que c'était mon ami".

Ali El Haddad Asufi : "dans mon milieu, ce qui vous semble bizarre de sortir à minuit de rentrer à 5 heures du matin, c'est normal. Vous, vous mettez tout ça ensemble et ça vous semble bizarre. Mais Ibrahim El-Bakraoui me demande de le déposer à l'aéroport, c'est pas bizarre."

Ali El Haddad Asufi : "ça vous semble bizarre aujourd'hui, mais il faut remettre ça dans le contexte de l'époque. C'était pas quelqu'un de tout à fait normal parce qu'il était dans la criminalité, mais rien à voir avec ce qui nous intéresse aujourd'hui. Il semblait juste normal."

Place aux questions de la défense d'Ali El Haddad Asufi. Me Jonathan de Taye : "est-ce que pendant quatre ans, on vous a prétendu, audition sur audition, que les V. père et fils étaient des trafiquants internationaux de kalachnikov ?" - Oui.

Me Jonathan de Taye : "vous avez un dossier ici qui est indigent, même une comparution immédiate pour vol à la tire, l'enquête est plus rigoureuse. Il n'y a rien sur la "filière hollandaise" [des armes, ndlr] mais vous êtes accusé devant la cour d'assises spécialement composée".

Me Ménya Arab-Tigrine, autre avocate d'Ali El Haddad El-Asufi : "quand on a 30 ans, pas de femme ni d'enfant, vous faisiez quoi de vos soirées avec Ibrahim El-Bakraoui?" Ali El Haddad Asufi : "on joue à la Play Station, il y en a qui boivent, d'autres qui fument, on discute ..."

Me Menya Arab-Tigrine : "vous saviez qu'Ibrahim El-Bakraoui avait commis des braquages, mais il reste votre ami. C'était quoi votre limite ?" Ali El Haddad Asufi : "j'aurais pas été beaucoup plus loin. Je l'ai déjà beaucoup aidé là [en l'aidant à trouver un appartement, ndlr].

Me Méchin, avocat d'Ali El Haddad Asufi : "il y a quelque chose d'assez irritant : vous dites souvent "je ne me souviens pas". Ali El Haddad Asufi : "c'était il y a 7 ans et c'était des choses banales. Je ne vais pas me souvenir d'un jour où je vais à la boulangerie par exemple"

Ali El Haddad Asufi: "pour moi c'est clair : tout le monde sait que je n'ai pas vendu d'armes. Mais on est en train de tourner autour du pot. Parce que la juge [d'instruction belge, ndlr] Panou avait besoin d'une réponse sur les armes et elle a décidé que c'était moi la réponse."

Me Martin Méchin : "est-ce que vous savez ce qu'est un anagramme, monsieur El Haddad Asufi? " - non - est-ce que vous aviez compris que votre mot codé Clio, c'est l'anagramme de kilo [de cannabis, ndlr] ? - je viens de le comprendre.

Sur ce dernier échange, s'achève l'interrogatoire d'Ali El Haddad Asufi et cette 90e journée d'audience. Reprise demain à 12h30. Il sera alors question de l'accusé Farid Kharkhach.

Jour 91 – Vendredi 11 mars – Interrogatoire de Farid Kharkhach, faussaire présumé

91e jour au procès des attentats du 13 Novembre 2015 Ce 11 mars est aussi la journée d'hommage aux victimes du terrorisme. Il y a 10 ans jour pour jour, Merah faisait sa 1ère victime : Imad Ibn Ziaten. Il y a 18 ans, un attentat en gare d'Atocha (Espagne). Près de 200 morts.

Au procès 13 Novembre, l'audience va reprendre sans l'accusé Osama Krayem (comme depuis des semaines) mais aussi sans Salah Abdeslam, qui boude le box à nouveau. Mardi, ce doit être son interrogatoire. Aujourd'hui, c'est l'interrogatoire de Farid Kharkhach, faussaire présumé.

Une avocate se lève pour la journée des victimes du terrorisme, elle cite les associations

@AFVT, @lifeforparis, @13onze15 et veut que soit rendu hommage à toutes les victimes.

Puis le président annonce qu'un témoin, frère de Farid Kharkhach, ne témoignera pas devant la cour. Il vient de fournir un certificat, valable jusqu'à la fin du procès

La cour établit la liaison avec Bruxelles. L'épouse de l'accusé Kharkhach apparaît en visio, 31 ans, voile clair sur les cheveux. Elle tousse fort. "Vous voulez qu'elle enlève son masque pour mieux entendre ?" demande Bruxelles. Président : "Oui, enfin, bon, si elle tousse..."

Président Périès : "On va faire vite". Et l'épouse de Farid Kharkhach enlève son masque. Parle d'une voix claire. "D'abord, je voudrais m'excuser auprès des Parisiens et des Bruxellois. On regrette sincèrement d'avoir participé à tout ça sans le savoir. Je peux parler de Farid ?"

Elle dit de son mari Farid Kharkhach : "Il est souriant, gentil, un bon père de famille, a un gros cœur, c'est juste une erreur de parcours"

L'épouse de Farid Kharkhach assure que son mari ignorait qu'il allait participer à la préparation d'attentats en fabriquant des faux papiers : "C'était juste pour arrondir ses fins de mois. Il savait pas qu'il était dans un truc aussi gros. Ça, c'est une certitude."

Pendant qu'elle parle, son mari, Farid Kharkhach, chemise couleur lie-de-vin dans son box, bras croisés, masque FFP2 sur le menton, cheveux mi-rasés sur les côtés, mi-noués en mini-chignon.

La cour demande s'il a perçu la radicalisation du frère El Bakraoui qui lui a commandé des faux-papiers ? L'épouse : "Pour lui, radicalisé ça veut dire la grosse barbe, le pantalon, machin" et Bakraoui pas comme ça, alors il n'a rien vu, en somme. Dit-elle.

"Les personnes qui passent chez vous pour remettre de l'argent ?" demande le président. Elle hausse les épaules : "c'était monnaie courante", avec le trafic de voitures de Farid Kharkhach, il en achetait beaucoup, dit-elle.

Puis il y a des arrestations après le 13 Novembre Il lui dit "ils ont arrêté le laboratoire" Mais elle ne s'inquiète pas pour lui : "On soupçonnait pas que ce soit aussi gros".

Le président demande à l'épouse si son mari s'est inquiété ? Elle : "Il était pas plus inquiet que ça car il m'a dit j'ai fait ça que trois fois, je pense pas qu'on va m'arrêter pour trois petites cartes"

Puis quand après les attentats du 22 mars 2016, quand la photo de Khalid El Bakraoui (logisticien et kamikaze) est à la télé, alors Farid Kharkhach "devient super inquiet" dit son épouse.

Le président demande combien de cartes d'identité l'épouse de Farid Kharkhach a dû remettre ? Elle en a remis trois à "l'homme au képi", intermédiaire de Khalid El Bakraoui. Bakraoui, elle l'avait vu une seule fois en septembre 2015, grosse doudoune, elle avait eu peur de lui.

Six ans et demi après, elle a du mal à dire le nom de Khalid El Bakraoui. Elle n'arrête pas de l'appeler El Barkaoui. Ou encore le "Monsieur-el-Barkaoui" Mais c'est donc à "l'homme au képi" qu'elle récupérait des enveloppes. Plutôt dans la boîte aux lettres.

Question d'une magistrate de la cour : comment a-t-elle réagi en apprenant que son mari faisait des faux papiers ? Réponse de l'épouse Kharkhach, grand sourire : "Je voulais pas savoir, parce que je lui avais dit que si je devais témoigner contre lui, j'aimerais pas l'enfoncer !"

Et l'épouse de Farid Kharkhach répète, avec un large sourire, du tac-au-tac : "Je veux pas l'enfoncer !" Il l'écoute, bras croisés dans le box. Il fixe le grand écran dans lequel elle est en visio.

Elle explique ensuite qu'ils avaient "deux vies séparées", "deux groupes d'amis séparés", et "on a une relation spéciale, on est ce genre de personnes qui ne divorçont pas mais on n’est pas mariés, il était chez lui et à la fois chez moi"

Nicolas Braconnay, avocat général du PNAT demande pourquoi elle a trouvé Khalid El Bakraoui "bizarre" ? Elle : "Ben, il était impoli, avait une capuche, c'était au mois de septembre, c'était bizarre" Elle dit à la cour qu'elle ne l'a vu qu'une fois, en septembre.

Ensuite, elle aurait donc servi "d'intermédiaire" pour son mari, donnant les enveloppes à l'homme au képi, plus à El Bakraoui. Nicolas Braconnay (PNAT) lu fait remarquer que devant des enquêteurs belges, elle avait dit avoir vu un frère El Bakraoui 4 fois, "vous vous souvenez ?"

Elle ne se souvient plus. Demande à qui elle a dit ça ? La police belge ? "Le monsieur il notait que ce qu'il comprenait et j'ai pas signé le PV"

L'épouse de Farid Kharkhach dit aussi que la juge d'instruction belge notait aussi que "ce qu'elle voulait, elle levait le doigt pour dire à la greffière quand il fallait noter" Nicolas Braconnay : "Ah bon ? Ah décidément !"

Nicolas Braconnay essaye de la piéger : savait-elle ce qu'il y avait dans les enveloppes ? Les faux-papiers ? Les ouvrait-elle ? "Non", assure madame Kharkhach. Mais elle a reconnu une enveloppe "toujours la même" "Comment si vous ne l'ouvriez pas ?" dit le PNAT

Elle assure qu'elle reconnaissait l'enveloppe avec l'écriture de Farid Kharkhach. Assure qu'elle ne savait jamais ce qu'il y avait dans ces enveloppes. "On avait un système avec Farid, il me demandait de poster" pour les voitures, ect. Elle ne se posait pas de questions.

Nicolas Braconnay lui demande si elle a déjà parlé attentats avec Farid Kharkhach : "Avec Farid, il a plusieurs phobies, il regarde pas du tout les médias, on parle pas d'attentats"

Nicolas Braconnay, du PNAT : "Merci madame, je n'ai plus de questions" Madame Kharkhach : "Je vous en prie !", dans un grand sourire, comme si elle remerciait sincèrement quelqu'un avec qui il venait de passer un bon moment, ou faisant mine de.

Peu avant la fin de cet échange, elle n'avait pas hésité à rétorquer au magistrat, insistant dans certaines questions : "Je parle et vous m’écoutez pas !"

Ce qu'elle a martelé en tout cas, c'est "on parle de faux documents, on parle pas d’attentats". Elle savait que son mari trafiquait des cartes. C'est tout.

Elle a l'air d'être une femme indépendante. Elle dit qu'à l'époque, elle gagnait un salaire, était autonome. "Je vous avoue que Farid ne savait pas combien je gagnais" et elle non plus.

Une avocate de parties civiles l'interroge sur les fameuses enveloppes remises à Bakraoui puis "l'homme au képi". Comment savait-elle qu'il y avait trois cartes d'identité dedans si elle ne les a pas ouvertes ? L'épouse Kharkhach : "Farid me l'a dit bien après"

L'épouse de Farid Kharkhach explique qu'elle a souvent eu des enveloppes entre les mains, avec de l'argent dedans, les transactions de son mari pour les achats de voitures... Mais là, elle est certaine qu'il n'y avait pas d'argent dans ces enveloppes. Ce qu'elle dit.

Interrogée par une avocate de parties civiles sur le mot radicalisé, ce que Farid Kharkhach en savait, elle explique : "Farid a appris le mot radicalisé dans le bureau du juge d’instruction, et là (dans ce bureau), je lui dis : tu comprends le mot radicalisé ?"

L'épouse de F. Kharkhach : "Il me dit c’est la grosse barbe et le pantalon blanc ! Et je lui dis : tu sais ce que ça veut dire EI ? Il me dit : oui, c'est un pays musulman ! Je lui dis non, c'est pas du tout ça ! Ils décapitent les gens !" Et la juge aurait arrêté l'échange.

N. Braconnay, du PNAT, revient avec une question. Retrouve des échanges WhatsApp entre Farid Kharkhach et sa femme, il lui disait de récupérer "les pap" ! Donc, elle savait que c'était des faux papiers dans les enveloppes ?

Avec assurance, elle répète : "Ben et alors, il parle pas de faux documents, il parle de papiers !" L'avocat général du PNAT se rassied.

Une des avocates de Farid Kharkhach, Me Dumont St Priest se lève et évoque le caractère de son client. "Naïf", confirme sa femme. Et phobique de tout énumère l'avocate : "des serpents aux abeilles, aux lieux clos, aux avions, aux mauvaises nouvelles".

Madame Kharkhach affirme que son mari ne supportait aucune mauvaise nouvelle, alors ne regardait pas la télé. Elle dit qu'il a été dépressif, pris des médicaments. Il y a longtemps.

Une autre avocate de l'accusé Kharkhach, Me Fanny Vial parle de la garde à vue. L'épouse en garde à vue, avec un bébé qu'elle allaitait à l'époque, sans qu'on lui donne un tire-lait "pendant 28h, je vous dis pas comme ça fait mal, enfin vous êtes mère, vous savez"

L'épouse de Farid Kharkhach qui dit qu'elle seule se rendait compte de la gravité des accusations qu'on portait alors sur elle et Farid Kharkhach. Elle dit aussi que son mari a pleuré, et qu'une enquêtrice aurait dit : "arrête de pleurer ou je te gifle !"

L'épouse de Farid Kharkhach explique que son mari est "capable de s'engouffrer dans un autre mensonge plutôt que de dire la vérité pour protéger ceux qu'il aime"

Me Fanny Vial demande si l'épouse de Farid Kharkhach confirme la naïveté et les phobies de son mari ? Elle dit qu'il "a peur de tout conflit, tout problème de la vie" et elle cite un exemple édifiant.

L'épouse de Farid Kharkhach : "à la mort de mes parents, il est pas venu à l'enterrement, il a pris le gamin", pour fuir la mort.

La cour s'apprête à mettre fin à la liaison avec Bruxelles, il n'y a plus de question pour l'épouse de Farid Kharkhach. Mais son mari se lève dans son box, demande la parole timidement et poliment, "je sais que c'est inhabituel..."

Farid Kharkhach, debout dans son box, ému : "Je voudrais faire des excuses à ma femme publiquement, devant la justice, je sais que la justice belge écoute" (NDLR : son épouse est poursuivie dans le procès dit "Paris bis" en Belgique, qui doit débuter le mois prochain.

Farid Kharkhach, la voix tremblante : "Ma femme, elle a rien à voir dans cette histoire. Je lui demande pardon et je lui dis merci d’avoir élevé les gamins seule". Et l'accusé Kharkhach se rassied dans son box, en larmes. Il pleure longuement, tête baissée.

Après une suspension qui vient de s'achever, le procès va reprendre avec son interrogatoire.

Le président fait un point Covid et masques. "J'ai vu une recrudescence en Chine". Jean-Louis Périès préconise de garder le masque jusque fin avril à ce procès pour éviter de nouvelles contaminations, "tout le monde a envie que ce procès se termine"

Et il invite l'accusé Abrini à remettre son masque. "Jusqu'à ce soir, c'est obligatoire, monsieur Abrini !" Abrini le remet. L'accusé Atar ("pipelette") continue à bavarder, comme chaque jour avec l'accusé Bakkali (qui garde le silence devant la cour).

Farid Kharkhach, petite voix : "Tout d'abord bonjour mesdames et messieurs de la cour, bonjour à tout le monde" Le président lui demande pourquoi il a dit qu'il ne voulait pas aller au quartier d'évaluation de la radicalisation, avec les "personnes radicalisées"

Farid Kharkhach : "J'étais paniqué, j'avais peur de fréquenter des terroristes, c'est toujours le cas"

Farid Kharkhach : "Le mot radical, je savais pas ce que c'était, mon avocate m'a expliqué, être à fond dans l'islam mais pour moi à fond dans l'islam, les 5 prières par jour, le mot radical, je comprends toujours pas ce que ça veut dire"

Président : "Ben, radical, c'est juste avant adhésion au djihadisme quoi !" Farid Kharkhach : "Pour moi, le djihad c'est l'effort sur soi-même" (sens premier du mot)

Le président : "Vous aviez entendu parler des départs pour la Syrie ?" Un Molenbeekois est venu à la barre évoquer les nombreux départs. Kharkhach : "Non, jamais entendu. J'en avais entendu au Maroc. J'ai pas beaucoup d'amis en Belgique en fait. Juste mon beau-frère"

Président : "Qu'est-ce qui se disait au Maroc ? Kharkhach : Des jeunes qui étaient partis, leurs parents les trouvaient plus...

Président : "Le califat, vous entendiez parler quand vous étiez au Maroc" Kharkhach : "J'entendais rien sur la radicalisation. Je savais pas ce que ça voulait dire EI Je croyais que c'était des barbus. On était des anciens généraux, un complot, c'était n'importe quoi en fait"

Et Farid Kharkhach assure qu'il ne savait pas ce qu'était EI Il dit, comme sa femme, qu'il ne regardait pas les infos, dès que des mauvaises nouvelles. Et il lâche : "Dommage que mon psychologue est mort, il vous dirait tout ça !" Quelques rires.

Le président l'interroge sur ses rencontres avec K. El Bakraoui. "Combien de temps entre chaque rencontre ?" Bakraoui qui lui a donc commandé des faux papiers. Kharkhach : "C'est compliqué, monsieur le président, j'aimerais bien vous aider..."

Farid Kharkhach : "Sincèrement, j'ai une petite mémoire" Il ne se souvient pas de la première rencontre avec Khalid El Bakraoui (logisticien en chef)

Et il parle de celui que sa femme appelait "l'homme au képi", lui il dit "l'homme au béret", puis "moi je l'appelle l'Algérien"

Un homme qui était intermédiaire. "Il m'a fait croire que c'est son pote qui fait les faux papiers". En tout cas, cet intermédiaire, "en 2013, j'ai commencé à faire des faux papiers avec lui, au début, ça a commencé pour le Maroc, je l'ai fait pour des amis de mon village"

Farid Kharkhach : "A l'époque, tout le monde voulait travailler dans les fraises, c'était pour monter en Espagne, je faisais des faux papiers pour les gens de mon village, uniquement des cartes d'identité"

Président : "Vous fournissiez quoi ? Kharkhach : Alors je fournissais à Bilal, alias l'Algérien, des photos" Avec des faux noms. "Ou des fois c'était leurs vrais noms quand ils étaient pas recherchés, ou c'était un nom de leur cousin, leur famille, je sais pas"

Farid Kharkhach : "Au début, je faisais pas ça pour l'argent, c'était pour aider des amis mais je prenais quand même un billet, on va pas se mentir"

Après, il l'a fait pour l'argent. Par dizaines. "En 2013, parce que ma soeur est tombée malade, j'avais besoin d'argent"

Il envoyait les photos en Belgique ensuite pour les faux papiers, parfois par bus, "mais le chauffeur il était pas au courant, je mettais ça dans des sucres, il savait pas", il dit ça pour protéger la compagnie de bus qui aurait été interrogée.

Et la cour visionne de fausses cartes d'identité. Une au nom de Fernando Castillo. Un alias pour Khalid El Bakraoui. Perruque grossière sur le crâne. Président : "Carte établie le 6 décembre 2014, possible que vous lui ayez fournie ?" Kharkhach : "Je pense pas M. le président"

Farid Kharkhach : -"Monsieur le président, j'ai fait des cartes, j'avoue, mais les dates c'est compliqué, j'aimerais vous aider ! Président Périès : -Y a pas de piège ! -Je sais, surtout venant de vous, monsieur le président ! -C'est gentil ! Bon..."

Le président combien de commandes de Khalid El Bakraoui ? Combien de cartes et à quel moment ? F. Kharkhach reconnaît "trois cartes, pas les 14" 14 fausses cartes d'identité belges au total pour la cellule terroriste belge.

Farid Kharkhach : "J'essaye de vous aider le maximum, monsieur le président, pour éclairer la cour"

Le président lit d'anciens PV de Kharkhach devant le juge : "Je savais que Khalid El Bakraoui était radical depuis le début, à fond dans la religion. Il n'a jamais essayé de me convaincre au niveau de la cause"

Farid Kharkhach : "Si vous me permettez M. le président, il faut commencer par le commencement, à mon arrestation, c'était incroyable, c'était un film, je vais pas parler longtemps sur ça, je suis pas là pour pleurnicher"

Farid Kharkhach : "Après c'est un poids moral, ça a détruit ma vie d'être ici"

Farid Kharkhach : "Ensuite, j'ai fait un malaise. Ensuite, j'entendais ma femme pleurer à côté ça me déchirait le coeur. Ensuite la seule branche à laquelle me rattacher, mon avocate : si on peut appeler ça avocate, une chose, c'est une personne qui a fait de la prison 2 fois..."

Président : "Bon..." F. Kharkhach : "Après, c'est important. Y a tous ces facteurs et devant les enquêteurs belges, j'ai compris une seule chose : dès que je disais quelque chose de bien, ils étaient gentils avec moi, ils m'ont même donné un sandwich aux crevettes !"

Et vice versa, dit-il. Et conclut : "Pour ce qui concerne les attentats de la France, j'ai dit beaucoup de conneries"

S'ensuivent de vifs échanges avec le président. Le magistrat dit que les juges belges n'ont pas noté n'importe quoi. Le ton monte. "Désolé, monsieur le président" dit F. Kharkhach. "Bon, moi je vais arrêter là pour aujourd'hui, non, vous n'avez pas à être désolé"

Nicolas Braconnay, PNAT : "Vous avez le record du nombre de versions, pourquoi autant de versions différentes ?" F. Kharkhach : "Juste sur les 2 1ers PV" PNAT : "Encore à cette audience" Kharkhach : "Même le médecin peut vous le dire, des problèmes de mémoire !"

Et Farid Kharkhach ajoute : "C'est le Xanax que je prends. Je crois qu'il y a des personnes ici qui ont des stress post traumatiques et peuvent dire peut-être les effets..."

F. Kharkhach veut répondre à l'avocat général du PNAT mais prévient qu'il ne se souvient plus. Nicolas Braconnay : "Alors, ne racontez pas n'importe quoi !"

L'avocat général rappelle qu'en 2014, Kharkhach a dit qu'il voulait arrêter les fausses cartes (suite à un contrôle), mais replonge vite. Pourquoi ? demande l'AG. Kharkhach : "C'est comme la drogue, l'argent facile, tu replonges, un petit billet..."

Combien gagnait-il avec ces fausses cartes ? Peu pour Bakraoui. Mais sinon, 500, 600 ou jusqu'à 1200 euros, répond-il.

L'accusé Farid Kharkhach parle vite. Verve du tchatcheur. Il est à l'aise en français. Il y a cinq ans, il le parlait peu.

Et après de longues questions, Nicolas Braconnay arrive à faire dire à Kharkhach sur ses différentes versions : "Si j'ai dit ça, c'est vrai que y a un problème, j'avoue !" concède l'accusé, yeux écarquillés derrière ses lunettes rectangulaires.

L'accusé Kharkhach qui parle toujours aussi vite et dit beaucoup : "Je vais vous expliquer sincèrement"

Face à un avocat de parties civiles, F. Kharkhach : "Je regrette. C’est un poids moral qui va peser sur moi toute ma vie. J’ai envie de me gifler. J’ai fait le con pour quelques centaines d'euros, y a eu des morts. Même si je suis acquitté, je vais vivre avec ça !"

F. Kharkhach : "J'ai été lié mécaniquement à cette histoire et c’est dégueulasse pour moi, et en plus j’ai mis en contact un terroriste avec ma femme, pour quelques centaines d’euros, même pour tout l’argent du monde, je l’aurais pas fait. Sincèrement, je regrette !"

Une autre avocate de parties civiles lui demande comment il est passé de la vente de voitures au trafic de fausses cartes ? F. Kharkhach : "J’ai ouvert une laverie, un salon de coiffure pour femmes, je suis un vrai couteau suisse belge !"

Et interrogé par l'une de ses avocates, il martèle qu'il n'a jamais su que les fausses cartes d'identité qu'il a fournies allaient servir à des terroristes, "jamais de la vie !" clame Farid Kharkhach.

Une autre de ses avocates, Me Fanny Vial l'interroge sur une contradiction : son frère Mourad qui disait que Farid Kharkhach ne prenait pas de médicaments, or il a dit qu'il prenait du Xanax... Kharkhach explique qu'il taisait cela par "honte" de se dire dépressif...

Et elle note que c'est dommage que son frère Mourad ne vienne pas témoigner. Farid Kharkhach dit qu'il comprenait car sa famille avait peur d'être mêlée à un procès terroriste, mais il regrette. Farid Kharkhach se met à pleurer à chaudes larmes.

L'accusé Kharkhach est très ému. Il n'a pas remis ses lunettes, après avoir séché ses larmes avec un mouchoir en papier.

Me Fanny Vial note que son client Farid Kharkhach, quand on lui pose des questions à charge, répond souvent "c'est possible" au lieu de "je ne me souviens pas". Elle dit que c'est un trait de personnalité particulier.

Et l'audience s'achève avec cette phrase de Farid Kharkhach qui dit qu'il est prêt à demander "un test de détecteur de mensonges soit le sérum de vérité !" Son avocate se rassied. L'audience reprendra mardi, "avec les masques s'il vous plaît", prévient le président.